Magazine Croix-Rouge, Croissant-Rouge : le visage de l’humanité

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  • 8/9/2019 Magazine Croix-Rouge, Croissant-Rouge : le visage de lhumanit

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    La guerre dans les ruesLemploi darmes hautement destructrices dans les villes viole-t-il le droit de la guerre ?

    chapper la violenceAprs les guerres et les catastrophes, la violence prend racine dans certaines villes

    Trouver refugePour les handicaps, sismes et inondations sont encore plus terriants

    Le visage

    de lhumanit

    Croix-Rouge Croissant-RougeN U M R O 3 . 2 0 1 4 w w w . r e d c r o s s . i n t

    L E M A G A Z I N E D U M O U V E M E N T I N T E R N A T I O N A L

    D E L A C R O I X R O U G E E T D U C R O I S S A N T R O U G E

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    Le Mouvement international de la Croix-Rouge

    et du Croissant-Rouge comprend trois composantes:

    le Comit international de la Croix-Rouge (CICR), la Fdration

    internationale des Socits de la Croix-Rouge et du

    Croissant-Rouge (FICR) et les Socits nationales.

    Organisation impartiale, neutre et indpendante,

    le Comit international de la Croix-Rouge

    (CICR)a la mission exclusivement humanitaire

    de protger la vie et la dignit des victimes de

    conflits arms et dautres situations de violence,et de leur porter assistance. Le CICR sefforce

    galement de prvenir la souffrance par la

    promotion et le renforcement du droit et des

    principes humanitaires universels. Cr en 1863,

    le CICR est lorigine des Conventions de Genve

    et du Mouvement international de la Croix-Rouge

    et du Croissant-Rouge, dont il dirige et coordonne

    les activits internationales dans les conflits

    arms et les autres situations de violence.

    La Fdration internationale des Socits

    de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge

    (FICR) est le plus vaste rseau humanitaire de

    volontaires au monde. Il touche chaque anne,

    travers ses 189 Socits nationales, 150 millionsde personnes. Ensemble, nous uvrons avant,

    pendant et aprs les catastrophes et les urgences

    sanitaires pour rpondre aux besoins et amliorer

    les conditions dexistence des personnes

    vulnrables. La FICR agit de faon impartiale,

    sans distinction de nationalit, de race, de sexe,

    de croyances religieuses, de classe ou dopinion

    politique. Guide par la Stratgie 2020 son plan

    daction collectif pour relever les grands dfis

    de la dcennie en matire daide humanitaire etde dveloppement , la FICR est dtermine

    sauver des vies et changer les mentalits.

    Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rougeest guid par sept Principes fondamentaux :

    humanit, impartialit, neutralit, indpendance, volontariat, unitet universalit.

    Toutes les activits de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge poursuivent le mme objectif :aider ceux qui souffrent, sans discrimination aucune, et contribuer ainsi la paix dans le monde.

    CICR

    Fdration internationale des Socitsde la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge

    Les Socits nationales de la Croix-Rouge et

    du Croissant-Rougemettent en application les

    buts et les principes du Mouvement international

    de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dans

    189 pays. Elles y assument le rle dauxiliairesdes pouvoirs publics pour tout ce qui concerne

    lhumanitaire et y conduisent des activits dans

    des domaines tels que les secours en cas de

    catastrophe, les services de sant et lassistance

    sociale. En temps de guerre, elles fournissent

    une assistance la population civile affecte et

    apportent leur soutien aux services de sant de

    larme, le cas chant.

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    N U M R O 3 . 2 0 1 4 | C R O I X R O U G E C R O I S S A N T R O U G E | 1

    LA VILLE DE KENEMA, dans la troisimezone urbaine de Sierra Leone, est lunedes plus durement touches par laambe pidmique de maladie virus Ebola

    en Afrique occidentale. Des quipes locales

    et internationales de soignants de la Croix-

    Rouge et du Croissant-Rouge sy activent,

    risquant leur vie quotidiennement pour

    que toute personne admise dans le centre

    de soins durgence de la FICR bncie des

    meilleures chances de survie. Le centre a ou-

    vert ses portes en septembre la demande

    du gouvernement sierra-lonais et il devrait

    fonctionner pendant 12 mois.

    Paralllement, depuis le mois de mars, des

    milliers demploys et de volontaires Croix-

    Rouge forms travaillent darrache-pied en

    Guine, au Libria et en Sierra Leone pour in-former et mobiliser les communauts, pour

    soigner les malades et pour inhumer les vic-

    times sans risque et dans la dignit : autant

    de tches essentielles pour juguler lpid-

    mie. Ces agents sont les hros sur le front

    dun effort mondial pour empcher Ebola de

    stendre davantage encore. La Croix-Rouge

    et le Croissant-Rouge ont aussi dispens une

    prparation aux situations durgence et des

    cours de formation dans 15 pays dAfrique

    dj touchs ou exposs au risque.

    Grce leur labeur, nous nirons par vaincre

    cette maladie. Dores et dj, cependant, une

    question cruciale simpose : et aprs ? Nous

    contenterons-nous de pousser un grand sou-

    pir de soulagement pour passer dautres

    dossiers, ou saurons-nous tirer les leons de

    cette pidmie sans prcdent ?

    Si cette pidmie rvle une chose, cest bien

    de quelle manire foudroyante une maladie

    peut ravager des socits dpourvues de sys-tmes sanitaires solides et fonctionnels pour

    dtecter les maladies, informer la population

    et ragir rapidement lchelle ncessaire.

    Mme dans les pays les plus avancs, la

    ambe pidmique a rvl des lacunes en

    matire de prparation, de formation et de

    matriel. Dans ces tats fragiles, qui mer-

    gent tout juste des tnbres de la guerre et

    dannes dinstabilit politique, le manque

    de lits dhpital, de personnel, dambulances

    et dautres outils essentiels a fait que de

    nombreuses personnes nont jamais t hos-

    pitalises, mais renvoyes chez elles pour y

    tre soignes par leurs proches, qui souvent

    ont t contamins leur tour.

    La crise a aussi mis au jour de graves lacunes

    dans la capacit de raction des organi-

    sations humanitaires internationales, des

    organisations de sant et des donateurs. Une

    importance excessive a t accorde au cours

    des dernires annes la ralisation de pro-jets ciblant un problme ou une maladie, ou

    axs sur des objectifs de sant spciques,

    plutt que sur le dveloppement de sys-

    tmes de sant fonctionnels, capables de

    ragir une large gamme de catastrophes

    sanitaires ou naturelles inattendues.

    Le Mouvement de la Croix-Rouge et du

    Croissant-Rouge continuera pauler les

    communauts touches, avant, pendant et

    aprs lpidmie, et soutenir le dveloppe-

    ment des capacits des Socits nationales

    en tant que partenaires de premier plan dans

    les rseaux locaux de prparation et de pr-

    vention.

    Tout ceci ne suffi ra pas, cependant, sans in-

    vestissements, aussi bien publics que privs,

    dans des solutions long terme qui en-

    globent lducation, la bonne gouvernance,

    de meilleures infrastructures et des systmes

    de sant qui fonctionnent bien. Il y faudra du

    temps et de largent, certes, mais les cots delautre option des ambes meurtrires

    toujours plus nombreuses sont encore

    plus levs.

    Linitiative lance dernirement par la Banque

    mondiale an de crer un fonds durgence

    dot de 20 milliards de dollars est un pas dans

    la bonne direction. Cet investissement devrait

    toutefois aussi contribuer au dveloppement

    de systmes qui empcheront de futures

    flambes, qui les dtecteront rapidement

    lorsquelles se produiront et qui aideront les

    communauts locales ragir par leurs propres

    moyens. De nombreux tats fragiles auront

    toujours besoin dune aide humanitaire ext-

    rieure durant les situations durgence, mais le

    dveloppement des capacits locales, bas sur

    les connaissances locales et soutenu par elles,

    pourrait grandement rduire ces besoins.

    Au sein du Mouvement de la Croix-Rouge et

    du Croissant-Rouge, nous uvrons depuis

    de nombreuses annes au renforcement dela rsilience des communauts face aux ca-

    tastrophes et aux urgences sanitaires. Face

    des maladies mortelles telles que la dengue,

    le cholra, le paludisme, le VIH/sida et Ebola,

    la riposte rside presque invariablement dans

    des solutions globales qui font appel la fois

    aux communauts, aux collectivits locales et

    aux gouvernements, ainsi quaux coles, aux

    institutions mdicales locales et la socit

    civile, en unissant les efforts de tous.

    Alors que nous travaillons lradication dEbola

    en Afrique occidentale et ailleurs, jexhorte la

    communaut internationale dployer des

    ressources une chelle qui rete lampleur

    des diffi cults et des sacrices faits par ceux qui

    se battent sur le front. Nous devons aussi garder

    le regard tourn vers lavenir, pour que, une fois

    ce au vaincu, nous puissions canaliser nos

    nergies vers la prochaine tape : faire en sorte

    que toutes les nations fragiles deviennent plus

    saines, plus sres et mieux prpares.

    Elhadj As Sy

    Secrtaire gnral de la Fdration internationale des

    Socits de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

    Photo:FICR

    Tirer les

    leons dEbola

    ditorial

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    Appel lhumanitEn Irak et en Syrie, la prolifration de

    groupes arms et les rcentes frappes

    ariennes internationales ont aggrav

    les consquences humanitaires des

    conits et rendu plus diffi cile encore

    lacheminement de laide humanitaire.

    Les conits en Syrie et en Irak mettent

    chaque jour en pril un nombre

    toujours plus grand de personnes, a

    dclar Dominik Stillhart, directeur des

    oprations du CICR. Le CICR a lanc un

    appel toutes les parties impliques

    dans ces conits pour quelles

    respectent le principe fondamental

    de la dignit humaine, pargnent la

    population civile les effets des hostilits,

    et facilitent une action humanitaire

    neutre, indpendante et impartiale.

    Petites armes, grands effetsUn trait sur le commerce des

    armes qui rglemente les transferts

    internationaux darmes classiques est

    entr dernirement en vigueur aprs

    sa ratication par 50 pays. Les partisans

    de ce texte, dont le CICR, affi rment

    quil sagit dun progrs essentiel vers

    la rduction des souffrances humaines

    causes par la prolifration des armes

    classiques, depuis les armes lgres

    et les munitions jusquaux chars de

    combat, avions de chasse et naviresde guerre. Lorsquils prennent des

    dcisions sur des transferts d armes, les

    pays doivent dsormais tenir compte

    des consquences de leurs actes en

    termes humanitaires.

    Secours la frontireDes milliers de Libyens et de travailleurs

    trangers ont fui en Tunisie pour

    chapper aux affrontements arms

    en Libye. Le Croissant-Rouge tunisien

    a ouvert une base oprationnelle

    proximit de la frontire pour fournir

    de la nourriture, un appui psychosocial

    et dautres services, avec laide de la

    FICR et du gouvernement du Japon.

    Le Croissant-Rouge libyen, lune des

    rares organisations humanitaires

    encore luvre en Libye, a fourni une

    assistance mdicale et des secours

    durgence depuis le dbut

    des violences au mois de mai.

    Face la dgradation des conditions

    de scurit dans le pays, le CICR a

    temporairement vacu ses employs

    internationaux Tunis en juillet. Le

    CICR a collabor avec le Croissant-

    Rouge libyen, avec lappui de 130

    collaborateurs locaux, pour apporter

    une aide essentielle aux hpitaux du

    pays, pour ragir aux urgences et pour

    secourir les personnes dplaces.

    Des militairesdbattent du DIHDes offi ciers suprieurs de 57 pays se

    sont runis Xian (Chine) la n du

    mois de septembre pour participer

    latelier pour offi ciers suprieurs sur

    les rgles internationales rgissant

    les oprations militaires (SWIRMO)

    2014. Dans un exercice de simulation,

    les offi ciers avaient pour mission de

    librer une petite le sous contrle

    de lennemi tout en respectant le

    droit international humanitaire (DIH).

    Organis conjointement par le CICR

    et lArme populaire de libration de

    Chine, latelier SWIRMO 2014 a offert

    aux militaires de haut rang une occasionsans pareil dchanger leurs expriences

    sur la diffi cult dappliquer le droit

    rgissant les oprations militaires.

    Aujourdhui, le droit des conits arms

    est confront de nombreux ds, il est

    donc capital que les pays amliorent

    la communication sur ce sujet, assure

    Yan Jun, secrtaire gnral adjoint du

    dpartement de politique gnrale

    de lArme populaire de libration de

    Chine.

    Au Pakistan, la moussondclenche des inondationsLes pluies tardives de la mousson au

    mois de septembre ont provoqu

    dimmenses inondations dans de

    vastes tendues du Pakistan, touchant

    quelque 2 millions de personnes.

    Lautorit nationale de lutte contre

    les catastrophes a annonc que prs

    de 44 000 foyers et plus de 600 000

    hectares de cultures avaient t dtruits,

    tandis que plus de 300 personnes ont

    perdu la vie. La Socit pakistanaise

    du Croissant-Rouge a immdiatement

    distribu des vivres et des articles de

    secours tentes, bches, trousses

    darticles dhygine et ustensiles

    quotidiens 13 000 familles. Kausar

    Bibi, une femme ge de 40 ans,

    raconte : Tout le village tait sous deux

    mtres deau. Nous sommes vivants,

    mais nous avons tout perdu.

    Encore des migrantsdisparus en merLes mois rcents ont t lune des

    priodes les plus meurtrires des

    dernires annes pour les migrants

    sur les mers. Plus de 750 personnes,

    venant en majorit du Moyen-Orient

    et dAfrique, se sont noyes en

    Mditerranne en cherchant gagner

    lEurope. Les migrants prennent souvent

    la mer dans des bateaux de pche vieux

    et surchargs qui parfois nont pas assez

    de carburant pour gagner les rivageseuropens. Pendant que des Socits

    nationales comme la Croix-Rouge

    italienne dlivrent les premiers secours,

    apportent une assistance mdicale et un

    soutien psychosocial, la FICR en appelle

    une meilleure coopration entre pays

    2 | C R O I X R O U G E C R O I S S A N T R O U G E | N U M R O 3 . 2 0 1 4

    chosPersonne ne veut mapprocher. Les

    gens ont peur. Ils refusent mme detoucher notre argent si nous voulonsacheter quelque chose au magasinou manger au restaurant.

    Nelson Sayon, 29 ans, membre de lquipe

    dinhumation sans risque et dans la dignit de la

    Croix-Rouge du Libria dans la capitale du pays,

    Monrovia, cit par le magazine Time.

    1 : la longueur (en kilomtres) dune

    charpe tricote la main la mmoire

    des personnes disparues au Prou. En

    aot, lcharpe a t drape autour dunbtiment du sige du CICR Genve

    pour marquer la Journe internationale

    des personnes disparues*.

    44 : pourcentage de dcs lis

    des catastrophes causes par les

    inondations en 2013. Les inondations

    sont le type de catastrophe qui fait le

    plus de victimes chaque anne. Les

    temptes ont caus 41 % des dcs

    lis aux catastrophes en 2013**.

    81 : pourcentage de personnes

    touches par les catastrophes en 2013

    vivant en Afrique**.

    97 : pourcentage des enterrements de

    victimes dEbola en Guine effectus

    par la Croix-Rouge guinenne**.

    529 : nombre de catastrophes signales

    dans le monde entier en 2013, dont 337

    catastrophes naturelles et 192 causes

    par lhomme**.810 : nombre de catastrophes signales

    en 2005, la pire anne en termes de

    nombre dvnements signals depuis

    que des archives ables existent**.

    9533 : nombre de volontaires forms

    pour faire face la ambe dEbola

    entre mars et novembre 2014***.

    102 000 : nombre dinterventions

    chirurgicales ralises Gaza entre juillet

    et septembre par les autorits mdicales,

    pour partie avec le soutien du CICR*.

    100 millions :estimation du nombre

    de personnes touches par des

    catastrophes en 2013 nettement

    infrieur aux niveaux observs entre

    2007 et 2011**.

    Sources: * CICR; ** Centre de recherche sur lpidmiologie des catastrophes; *** FICR

    Une anne peine aprs lun des typhons les plus puissants jamais enregistrs

    aux Philippines, les efforts de relvement commencent porter leurs fruits. Maria

    Redubla Liporada peut en tmoigner : elle est lune des milliers de bnciaires

    qui ont reu une subvention en espces pour moyens de subsistance de la part

    du Mouvement Croix-Rouge Croissant-Rouge. Elle a utilis largent pour metre

    sur pied sa boulangerie. Sur cette photographie, elle traverse un cours deau pour

    aller vendre des gteaux de riz dans son village Burauen, province de Leyte,

    dans le centre des Philippines.

    dorigine, pays de transit et pays de

    destination pour prserver la dignit et

    la scurit de tous les migrants, quel que

    soit leur statut juridique.

    La crise alimentairemenace en SomalieTrois ans aprs la dernire grave

    crise alimentaire en Somalie, une

    part toujours plus importante de la

    population fait nouveau face de

    graves problmes. Selon Mohamed

    Sheikh Ali, qui coordonne les activits

    du CICR dassistance et doptimisation

    de la production alimentaire, Plusieurs

    facteurs contribuent lmergence de

    diffrentes situations problmatiques

    ponctuelles dans le centre et le sud dupays, mais galement dans lextrme

    nord de la Somalie. Les habitants les

    plus durement touchs sont ceux qui

    subissent les consquences combines

    des chocs climatiques et de la violence

    lie au conit.

    Photo:CherylGagalac/FICR

    Indice humanitaire

    En bref...

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    26. Mon histoire

    18. Hors de la zone de tir

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    Couverture : Un membre dune quipe dinhumation sans risque et

    dans la dignit de la Croix-Rouge du Libria se prpare dsinfecter ledomicile dune personne dcde souponne davoir succomb lamaladie virus Ebola Monrovia (Libria). Photo : Victor Lacken/FICR

    Photos sur cette page, de haut en bas : Katherine Mueller/FICR; Victor Lacken/FICR;Annibale Greco/CICR; Vladimir Rojas/FICR; Socit de la Croix-Rouge du Japon

    En couverture 4Le visage de lhumanitCouverts de la tte aux pieds de vtements de protection,

    les volontaires en premire ligne du combat contrela maladie virus Ebola reprsentent le plus grand espoirpour les personnes atteintes de cette maladie mortelleet pour la prvention dune pidmie mondiale.

    Enterrer les morts dEbola 10Des quipes de jeunes volontaires sont luvre, souventdu matin la nuit tombe pour effectuer lune des tchesles plus critiques et les plus dangereuses dans la luttecontre la maladie : inhumer les corps des victimes.

    Droit international humanitaire 12Des villes sous le feu

    Tirs dartillerie, de mortier, bombes lches par avion,roquettes et missiles sont quelques-unes des armesparticulirement ltales et destructrices employesaujourdhui dans des zones urbaines densment peuples.

    Focus 14La guerre dans les ruesAvec lurbanisation croissante sous toutes les latitudes,la guerre moderne se droule elle aussi de plus en plussouvent entre les immeubles dhabitation, dans les rues,les quartiers, les centres commerciaux et les marchs desgrandes villes. Ces images illustrent les rpercussions long terme et les cots de la guerre mene dans les villes.

    Violences urbaines 18chapper la violenceDans le sillage de la guerre et des catastrophes naturelles,la violence a pris racine dans de nombreuses zones urbainesdAmrique centrale en proie la pauvret. Quatre Socitsnationales de la rgion viennent en aide aux jeunes quigardent lespoir dune autre voie mais cela suffi ra-t-ilpour tenir la violence lcart ?

    4. Le visage de lhumanit

    10. Enterrer les morts dEbola

    14. La guerre dans les rues

    Rduction des risquesdes catastrophes 23Trouver refuge

    Vivre un tremblement de terre est une preuveterriante. Imagine-t-on ce quelle reprsente pourune personne mal voyante ou en chaise roulante ?Un programme de prparation aux catastrophes dela Croix-Rouge du Nicaragua, destin aux personneshandicapes, est un exemple des activits menes parles Socits nationales pour rduire les risques lisaux catastrophes naturelles ou dues lhomme.

    150 ans daction humanitaire 24Aux sources de lHistoireEn janvier 2015, le CICR ouvrira ses archivesconcernant les oprations de la priode 1965-1975.

    Pour les historiens qui tudient les conits de lan du XXesicle, cest une occasion sans pareil etpassionnante de mieux comprendre une poque quifut cruciale pour laction humanitaire.

    Portraits 26Mon histoire Croix-RougeCroissant-RougeLe rcit mouvant dun agent de sant de longue datedu Mouvement, une histoire de vie, de mort et de sang,des souvenirs de la cration de la Croix-Rouge du Timor-Leste, et dautres rcits encore.

    Supports dinformation 29Entre autres publications du Mouvement, le Rapport

    sur les catastrophes dans le monde2014 de la FICRanalyse limpact de la culture sur la prparation auxcatastrophes, tandis que le CICR publie un guide surles enfants en dtention.

    SommaireNUMRO 3 .2014 .www.redcross.int

    Veuillez adresser vos articles, demandes de renseignementset toute correspondance :

    Croix-Rouge, Croissant-RougeCase po stale 303, CH-1211 Genve 19, Suisse.Courrie r lectronique : [email protected] n ISBN 1019-9349

    Rdacteur en chefMalcolm Lucard

    Secrtaire de rdactionPaul Lemerise

    dition franaiseDominique Leveill

    MaquetteBaseline Arts Ltd., Oxford (Royaume-Uni)

    Mise en pagesNew Internationalist, Oxford (Royaume-Uni)

    ImpressionSur papier exempt de chlore par IRL Plus SA, Lausanne (Suisse)

    Comit de rdactionCICR FICRMohini Ghai Kramer Benot CarpentierDorothea Krimitsas Pierre KremerSophie Orr Nina de Rochefort

    Nous remercions chaleureusement les chercheurs et le personnel dappuidu CICR, de la FICR et des Socits nationales pour leur concours.

    Croix-Rouge, Croissant-Rougeparat trois fois par an, en languesanglaise, arabe, chinoise, espagnole, franaise et russe. Il est tir plus de 70 000 exemplaires et d iffus dans 189 pays.

    Les opinions exprimes nengagent que les auteurs des articles et neretent pas ncessairement lopinion du Mouvement internationalde la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Les articles non sollicitssont les bienvenus, mais ne seront pas renvoys.

    La rdaction se rserve le droit de rcrire tous les articles. Les articles et lesphotographies non soumis au droit dauteur peuvent tre reproduits sansautorisation pralable; prire de citer Croix-Rouge, Croissant-Rouge.

    Les cartes publies dans ce magazine ont une valeur strictementinformative et sont dnues de toute signication politique.

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    Des milliers de volontaires ont le courage et lacompassion ncessaires pour regarder en facelun des aux les plus meurtriers. Cela suffi ra-t-ilpour arrter la maladie virus Ebola ?

    OSMAN SESAY ne sait pas comment il acontract le virus. Il ne se souvient pas nonplus de son arrive au centre de soins dur-gence de la FICR Kenema (Sierra Leone), aprs cinqheures de route depuis son domicile Freetown.

    Ce dont il se souvient, en revanche, cest davoir vu

    les employs de la Croix-Rouge sapprocher de lui,

    tous vtus de leur impressionnant costume de protec-

    tion. Jai eu peur, reconnat cet homme de 37 ans, le

    deuxime patient atteint de la maladie virus Ebola

    parvenu au centre. Mais ils mont bien trait. son arrive, Osman tait lthargique, le regard

    vitreux : un tat caractristique des personnes infec-

    tes par cette maladie mortelle qui avait dj fait prs

    de 2800 morts dans les trois premiers pays touchs :

    la Guine, le Libria et la Sierra Leone ( lheure o ce

    magazine est mis sous presse, le nombre total de morts

    dpasse 5100, dont 8 au Nigria).

    En deux semaines, Osman Sesay a vu 11 patients

    emmens pour tre enterrs dans le cimetire nouvel-

    lement cr. Lui a repris des forces. Ils mont parl et

    mont donn des mdicaments et manger, raconte

    Osman, brocanteur de profession. Ils se sont occups

    de moi et mont aid rcuprer.

    la n du mois de septembre, aprs deux tests

    sanguins ngatifs, Osman est devenu la premire per-

    sonne avoir survcu la maladie virus Ebola dans le

    centre de la FICR. Je ne sais pas pourquoi jai survcu

    et les autres pas, dit-il, mais je suis enchant de rentrer

    chez moi.

    Le mme jour, une llette de 11 ans, Kadiatu, elle

    aussi parmi les premiers patients parvenir au centrede soins de Kenema, a t dclare gurie. Comme elle

    avait sjourn dans la zone haut risque, Kadiatu a d

    subir un bain au chlore suivi dune douche normale au

    Le visage delhumanit

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    N U M R O 3 . 2 0 1 4 | C R O I X R O U G E C R O I S S A N T R O U G E | 5

    Mme lhistoire dOsman, le survivant, na pas une

    n entirement heureuse. Je suis content dtre en vie,

    mais ma femme et mes ls jumeaux de trois mois sont

    tous morts dEbola. Il me reste un ls de 13 ans. Je ne

    sais pas sil est en bonne sant.

    Visages dhumanit

    Mme dissimuls par leur quipement de protectionindividuelle (EPI) le terme technique qui dsigne

    lensemble combinaison, bottes, lunettes protectrices et

    gants chirurgicaux en caoutchouc formant cet trange

    scaphandre lunaire, les agents de sant qui saffairent ici

    sont sans doute le plus authentique visage de lhumanit

    dans la lutte contre ce au particulirement inhumain.

    Cest cet attirail de cosmonaute qui permet des

    personnes comme Brima Momodu Jr, inrmier commu-

    nautaire de 28 ans, daider les patients avoir le plus

    de chances de survie. Et malgr les barrires que ces

    habits de protection placent entre ses patients et lui, il

    fait tout son possible pour soulager leurs souffrances.

    Certains de nos patients ici sont tout fait stables,

    explique-t-il. Ils peuvent se verser de leau et se dpla-

    cer dun endroit lautre. Ils parlent un peu. Nous en

    avons aussi qui sont trs faibles. Ils ne peuvent rien

    faire seuls. Manger leur est trs diffi cile; mme boire

    de leau est diffi cile pour eux.

    Je nourris mes patients parce que je veux quils

    prennent des forces. Comme certains patients d-

    fquent, urinent et vomissent sur eux, je dois au moins

    faire leur toilette au lit pour quils se sentent rafrachis

    et pour quils soient en meilleure sant. Aprs, je leurapporte des habits pour changer les vtements salis.

    Au cours dune pause entre ses tours dans la zone

    haut risque, il peut enlever son masque, respirer sans

    entrave lair frais et dvoiler son visage, brillant de

    sueur aprs 45 minutes dans son accoutrement touf-

    fant. Je massois dehors pour respirer au moins un peu

    dair frais et pour prendre un peu de repos. Jessaie de

    rcuprer suffi samment pour retourner servir mes pa-

    tients au mieux.

    La sant de soignants comme Brima Momodu est

    essentielle pour stopper cette maladie qui gagne rapi-

    dement du terrain. La tche, pourtant, est terriblement

    risque, difficile, prouvante et motionnellement

    puisante. La plupart des agents de sant interrogs

    ici disent quils se sentent en scurit grce leur EPI,

    qui les couvre des pieds la tte, et aussi parce quils

    respectent les protocoles appropris.

    La zone haut risqueLes dangers, cependant, sont bien rels. Le virus ne

    se transmet pas par voie arienne, mais par le contact

    savon, pour liminer tout reste ventuel du virus. Ses

    habits infects ont t dtruits, et elle a reu une robe

    neuve et de nouvelles sandales.

    Les histoires dOsman et de Kadiatu nourrissent

    lespoir quil est possible, avec des soins, de survivre

    Ebola. Cependant, ces rcits sont rares et peu nom-

    breux face ce virus sans merci, contre lequel aucun

    traitement nexiste et qui attaque les organes si vio-

    lemment que la personne infecte est pour ainsi dire

    saigne mort de lintrieur.

    Les premiers symptmes ressemblent ceux du

    cholra : maux de tte, vre, diarrhe, vomisse-

    ments, mais ils peuvent aussi voquer le paludisme

    ou un empoisonnement alimentaire. Pourtant, la

    grande majorit des malades dEbola ne vivent pas

    plus de quelques semaines. Un grand nombre dentre

    eux narrivent jamais jusqu un centre de soins, et

    presque tous ceux qui y parviennent emporterontavec eux, en guise dimages dtres humains, celle

    dtrangers recouverts de la tte au pied dhabits de

    protection blancs.

    Supplment WebLe chlore est votre alliUn aperu de la formation ncessaire pour participer un mois la lutte anti-Ebola. Voir www.redcross.int.

    JDe nouvelles recrues desquipes dinhumation sansrisque et dans la dignit de laSocit de la Croix-Rouge duLibria en cours de formation

    Monrovia, la capitale du pays. Aveclaugmentation du nombre dedcs dus la ambe mortelle, laSocit nationale a d multiplierces quipes dans tout le pays.Photo: Victor Lacken/FICR

    Ma premire

    semaine ici a t une

    exprience surraliste

    de montagnes russes

    entre la vie et la mort,

    lespoir, le deuil, la

    douleur et la joie.Lorsque je suis arrive

    Kenema et au centre,

    ma premire tche a

    consist superviser

    quatre enterrements.

    Anine Kongelf, dlgue desant communautaire de la Croix-Rouge de Norvge, qui a travaill Kenema (Sierra Leone) enseptembre et en octobre

  • 8/9/2019 Magazine Croix-Rouge, Croissant-Rouge : le visage de lhumanit

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    direct avec les uides corporels dune personne infec-

    te. La peau des soignants ne doit donc jamais tre

    expose au toucher dun patient, ni la toux, un

    ternuement, une goutte de sueur ou de vomi ni

    mme au contact de ses propres gants.

    Si une ouverture, mme minuscule, dans les EPI est

    dcele pendant que lagent se trouve dans la zone

    haut risque, il doit immdiatement quitter la zone desoins et enlever son quipement protecteur pour tre

    vaporis de nombreuses reprises avec une solution

    chlore.

    Lun des pires dangers rside dans un instrument

    quils utilisent tous les jours : les aiguilles employes

    pour les prlvements sanguins. Pendant quils

    effectuent ces prlvements un geste qui est ha-

    bituellement de pure routine , comment viter de

    penser un fait expos pendant leur formation : le

    taux de survie, parmi les agents de sant piqus par

    une aiguille infecte dans une zone de soins anti-Ebola,

    est gal zro.

    Le moindre faux mouvement peut donc tre mortel,

    dans un environnement o la visibilit est limite, o

    lurgence est de mise et o les patients ne matrisent

    pas toujours leurs mouvements. Toutes les procdures

    doivent tre accomplies lentement et avec une ex-

    trme prudence.

    De nombreux soignants, locaux ou internationaux,

    ont contract le virus en travaillant dans ces conditions;

    nombreux sont ceux qui en sont morts. Avec cette me-

    nace toujours prsente, les agents de sant surveillent

    leur sant en permanence : la moindre vre, le pluspetit mal de tte suscitent immanquablement une an-

    goisse considrable.

    Affronter la peurPour ceux qui manipulent les cadavres une tche

    absolument essentielle pour empcher la mala-

    die de se rpandre , le danger est tout aussi rel.

    Edward Sannoh, jeune homme de 24 ans originaire

    de Kenema, est membre dune quipe dinhumation

    sans risque et dans la dignit : il recueille les corps

    des patients dcds dans la zone haut risque et

    les prpare pour la morgue. Le plus difficile, cest

    quand on est dans la zone haut risque, explique-t-il.

    On na pas la permission de sasseoir, de sallonger

    ni de toucher les collgues. On ne doit toucher unmalade quen cas de ncessit. Sans cela, on ne peut

    rien faire.

    Avec lomniprsence de la mort, le sentiment de

    peur est palpable parmi les patients comme au sein

    des communauts qui ont dj perdu tant de leurs

    membres cause de la maladie. Les gens sont terro-

    riss, videmment, dit Edward Sannoh. Il y a encore

    des gens qui ont peur de certains dentre nous, qui tra-

    vaillons dans ce centre.

    Pourtant, Edward ne perd pas courage. Je ne min-

    quite pas de ce que les gens peuvent dire, parce que

    jai t volontaire de la Croix-Rouge : mon premier prin-

    cipe fondamental, cest lhumanit. Cest cela qui me

    motive : je veux sauver la vie de nos frres et surs.

    Cest le principe numro un de la Croix-Rouge.

    Or, la peur dEbola suscite de vives motions dans

    certaines des zones touches par la maladie et la me-

    nace pesant sur les agents de sant est bien relle. Le

    16 septembre, un groupe dhommes arms a attaqu

    une dlgation de personnel de lutte anti-Ebola qui

    comprenait des reprsentants du gouvernement, du

    personnel mdical, des journalistes et des employs

    de la Croix-Rouge alors quils travaillaient dans la com-munaut de Wom, au sud-est de la Guine. Sept

    membres de la dlgation ont t tus, y compris des

    agents de sant, des responsables locaux et des journa-

    listes; deux personnes sont toujours portes disparues.

    Un responsable de la section locale de la Croix-Rouge

    guinenne a t gravement bless.

    La mme semaine, dans la ville de Forcariah, au sud

    de Conakry, la capitale guinenne, six volontaires de

    lquipe dinhumation sans risque et dans la dignit

    ont t attaqus par la population locale. Lun deux

    a t bless, les autres ont fui pour se rfugier dans

    la fort voisine. En rponse, la FICR et la Croix-Rouge

    guinenne ont appel les gouvernements et les com-

    munauts respecter le personnel humanitaire et

    sanitaire, ajoutant que tous les actes entravant lac-

    tion des personnes qui combattent cette pidmie

    y compris les attaques contre les employs et les

    volontaires ainsi que les protestations violentes et lin-

    scurit au Libria et en Sierra Leone empchent

    des communauts entires de bncier de laide dont

    elles ont besoin.

    Une crise mondialeDs le dbut de la crise, les personnes comme Brima

    Momodu Jr et Edward Sannoh ont t en premire

    ligne de la lutte contre cette pidmie, qui a commenc

    6 | C R O I X R O U G E C R O I S S A N T R O U G E | N U M R O 3 . 2 0 1 4

    KDes volontaires de la Croix-Rouge de Sierra Leone dsinfectentleur quipement de protectionaprs avoir lev le corps d unevictime dEbola son domicile Banjor (Libria).Photo: Victor Lacken/FICR

    Je ne minquite pas de

    ce que les gens peuvent

    dire, parce que jai t

    volontaire de la Croix-

    Rouge : mon premier

    principe fondamental,

    cest lhumanit. Cestcela qui me motive :

    je veux sauver la vie

    de nos frres et surs.

    Edward Sannoh(24 ans),volontaire de la Socit de laCroix-Rouge de Sierra Leone,originaire de Kenema, lune deszones les plus durement touchespar la maladie virus Ebola

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    5

    25

    2

    15

    1

    5

    Nombre

    decas

    dans les districts ruraux priphriques de Guine pour

    gagner ensuite le Libria et la Sierra Leone. Depuis, la

    progression rapide de la maladie et lapparition de cas

    au Nigria, en Espagne et aux tats-Unis a rapidement

    fait comprendre aux dirigeants du monde entier que

    cette ambe pidmique tait une menace non seu-

    lement pour lAfrique occidentale, mais bien pour le

    monde entier.

    la date du 17 novembre 2014, le nombre de ma-

    lades signals avait atteint le chiffre sans prcdent de

    14 386, et plus de 5400 personnes taient dcdes

    dEbola, selon lOrganisation mondiale de la Sant

    (OMS). Aux tats-Unis, les Centres de lutte contre la

    maladie estimaient au mme moment que si la am-

    be se poursuivait au mme rythme, le nombre de cas

    pourrait atteindre 1,4 million en janvier 2015.

    Pourtant, il na pas t facile de mobiliser les forces

    ncessaires pour faire face la progression dEbola.Les systmes de sant publique de Guine, du Libria

    et de Sierra Leone, affaiblis par des annes de conits

    prolongs, taient dpourvus des installations, du per-

    sonnel et des quipements ncessaires pour contenir

    la maladie.

    Ebola a aussi mis en lumire de graves faiblesses du

    systme mondial cr pour rpondre aux urgences

    sanitaires. Une srie de coupes budgtaires et en

    personnel au sein du Groupe de lOMS responsable

    des situations durgence na pas amlior les choses;

    en outre, de nombreuses organisations humani-

    taires, y compris le Mouvement de la Croix-Rouge et

    du Croissant-Rouge, manquaient de lexprience et

    des systmes permettant de ragir rapidement aux

    exigences particulires de cette maladie si virulente

    (mme si les volontaires des Socits nationales locales

    furent parmi les premiers ragir).

    cela, une exception notable celle de Mdecins

    sans Frontires (MSF), qui avait une exprience im-

    portante du virus Ebola. Comme cette organisation

    manquait aussi de moyens tant humains que nanciers

    pour combattre la maladie seule, elle a fourni une for-

    mation cruciale aux agents des autres organisations, ycompris les volontaires et les employs de la FICR et

    des Socits nationales durant la monte en puissance

    rapide de la raction du Mouvement.

    Aujourdhui, plus de 7700 volontaires ont t for-

    ms avec laide de la FICR, du CICR et des Socits

    nationales de Guine, du Libria, du Nigria et de

    Sierra Leone pour exercer dans les communauts

    des activits de mobilisation sociale, dappui psycho-

    social, dinhumation sans risque et dans la dignit, de

    recherche des chanes de contacts infectieux, de trans-

    port des malades et de gestion des cas cliniques. LaFICR a par ailleurs tendu ses activits de prparation

    Ebola et dintervention 14 autres pays dAfrique occi-

    dentale o la propagation de la maladie est dsormais

    la plus probable. Depuis le dbut de lpidmie, plus

    de 169 agents expatris ont t envoys sur place et six

    appels durgence ont t lancs par la FICR.

    Paralllement, le CICR, prsent en Afrique occi-

    dentale depuis de nombreuses annes en raison des

    conits dans la rgion, a fourni un soutien diversi, en

    termes de technique, de matriel et de personnel, par

    lintermdiaire de ses dlgations au Libria et en Gui-

    ne (son bureau en Sierra Leone a t ferm en 2013).

    Le CICR a aussi dploy 20 employs internationaux

    supplmentaires dans la rgion, tout en renforant son

    soutien aux Socits nationales et ses autres parte-

    naires dans toute une gamme de secteurs, des soins de

    sant la mdecine lgale, en passant par les moyens

    techniques, la scurit conomique ou encore leau et

    lhabitat.

    Sur le terrain, cependant, nombreux sont ceux

    qui jugent insuffisante la raction internationale.

    Nous avons dsesprment besoin de davantage de

    moyens, affi rme Friday Kiyee, membre de l une despremires quipes dinhumation sans risque et dans la

    dignit Monrovia. Sans personnel sur le terrain pour

    organiser, coordonner et informer, nous perdrons notre

    temps. Ici, de nombreux hpitaux nont que trs peu de

    personnel et les patients qui ont le plus grand besoin

    dautres services mdicaux ne sont pas soigns.

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    LDans la zone risque rduit ducentre de soins anti-Ebola de laFICR Kenema (Sierra Leone), lessoignants discutent des activitsde la journe. Dans la zone haut risque, des zones distinctessont rserves aux cas suspects,

    probables et conrms et lesagents de s ant doivent travaillercouverts de la tte aux pieds parleur quipement de protectionindividuelle.Photo: Katherine Mueller/FICR

    Libria

    Guine

    Sierra Leone

    Supplment

    WebVous trouverez surwww.redcross.intdes blogs

    rdigs par des mdecins et

    par dautres personnels de

    sant dans les centres de soins

    durgence de Sierra Leone.

    Nombre de cas dEbola signals en Afrique occidentale depuis mars 2014

    Source:Organisatio

    nmondialedelaSant

  • 8/9/2019 Magazine Croix-Rouge, Croissant-Rouge : le visage de lhumanit

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    Friday Kiyee explique que le service local de sant

    est aux abois. Il est urgent douvrir de nouveaux

    centres de soins, dinstaller davantage de de lits,

    damener plus de matriel, de personnel mdical et

    de dispenser plus de formation. Lorsquune ambu-

    lance est appele pour emmener un malade, il arrive

    frquemment que le service de soins anti-Ebola soit

    dj complet et que le patient soit renvoy chez lui.Ces gens vont mourir chez eux, explique-t-il, et quand

    les patients dcdent la maison, leurs proches restent

    en contact avec eux jusquau dernier moment, et

    contractent le virus leur tour; le taux de dcs conti-

    nue donc grimper.

    Une culture du contact physiqueLune des tragiques ironies de ce drame est quavec

    Ebola, lhumanit mme dont font preuve les familles

    en soignant leurs proches et en prparant leur corps

    lors de linhumation est lun des principaux facteurs de

    transmission de la maladie. En Sierra Leone, il est de

    coutume dembrasser les morts pour maintenir le lien

    avec ses anctres.

    Dans tous les pays touchs, le contact physique (em-

    brassades, serrements de main, baisers) fait partie des

    gestes quotidiens. Lun des messages vitaux que les

    agents de sant diffusent est dviter tout contact avec

    autrui. En Guine, la Commission nationale de lutte

    contre Ebola dont la FICR et la Socit nationale font

    partie a renforc ce message en envoyant des SMS

    pendant les clbrations de lAd al-Adha, la priode

    sainte du calendrier musulman (dite aussi Tabaskidans de nombreux pays dAfrique occidentale).

    Les messages nous souhaitaient de bonnes ftes

    de Tabaski, mais ils nous demandaient dviter de nous

    toucher les uns les autres lors des salutations tradition-

    nelles, pour freiner la propagation dEbola, raconte

    Amadou, tudiant en mdecine Conakry. Je com-

    prends la raison, mais cest bizarre de ne pas embrasser

    mes proches en cette priode de lAd.

    La culture locale a jou un rle important ds le

    dbut de la crise. Bien des gens, en Afrique occidentale,

    ont vu Ebola comme le fruit de la sorcellerie; dautres

    souponnaient le vaudou. Comme de nombreuses

    personnes consultent les gurisseurs traditionnels, la

    raction sanitaire a inclus des contacts avec ce groupe.

    Fallah James, du district de Kailahun (Sierra Leone), du-

    rement touch par la maladie, en tmoigne.

    Quand jai appris, en tant que chef des gurisseurs

    traditionnels de mon district, quon pouvait attraper

    la maladie par contact physique, jai cess de soigner

    les patients, et jai conseill mes collgues de faire de

    mme pour linstant, jusqu ce que nous ayons reu

    une formation et des renseignements prcis sur Ebola,

    pour viter que de nombreux membres de notre com-

    munaut ne soient contamins.

    La zone sans contactLa peur et lopprobre ne sont pas, pour autant,

    lapanage de lAfrique occidentale. De nombreuses

    organisations humanitaires ont eu beaucoup de mal

    mobiliser et dployer des collaborateurs et des volon-

    taires expatris pour cette mission risque et diffi cile,

    en partie en raison des craintes dans les pays dorigine

    parmi les collgues, les amis et la famille. Sajoute

    cela le fait que les personnes qui partent sur le terrain

    pour la FICR doivent tre prtes passer au minimumun mois sur place, quoi sajoute un sjour de trois se-

    maines de quarantaine leur domicile pour sassurer

    de labsence de symptmes.

    Aprs que plusieurs agents de sant internationaux

    ont t placs en quarantaine force leur retour de

    mission en Afrique occidentale, le Mouvement a offi -

    ciellement exhort les gouvernements garantir et

    faciliter les dplacements des agents de sant qui se

    rendent en Afrique occidentale ou qui en reviennent.

    Le texte de la dclaration affi rme notamment : Lop-

    probre ou la discrimination envers les travailleurs

    sanitaires y compris leur mise en quarantaine sans

    fondement scientique dbouchera invitablement

    sur une crise des ressources humaines un moment o

    nous avons un besoin vital de personnes qualies.

    Anine Kongelf, de la Croix-Rouge de Norvge, gure

    parmi les personnes qui ont rcemment relev le d.

    Elle a accept deffectuer une tourne en Sierra Leone,

    jugeant que son exprience dans la recherche de per-

    sonnes exposes au cholra en Hati et dans laction

    communautaire serait utile pour combattre Ebola.

    Je moccupais de lpidmie de cholra, mais ce

    ntait pas grand-chose par rapport ce que nous affron-tons ici, raconte Anine Kongelf, dont le travail en Sierra

    Leone consistait coordonner les activits avec dautres

    organisations an de retrouver les personnes exposes

    LPour contribuer freiner lapropagation dEbola, les volontairesde la Croix-Rouge guinenne serendent dans les communauts etparlent directement aux habitantspour changer les attitudes et lescomportements qui pourraientdiffuser le virus. Photo: MoustaphaDiallo/FICR

    Supplment Web45 minutes dans la zone haut risqueKevin Garcia, Croix-Rouge espagnoleJe commence mhabiller en enfilant ce qui dsormais nous parat presque une deuxime peau, le costume

    EPI (...). Ds que jai revtu mon masque, je commence respirer comme dans une autre atmosphre. Lodeur

    de neuf du masque misole de lodeur habituelle de chlore dans chacune des zones spares du site...

    Je narrive pas

    imaginer ce que

    reprsente pour eux

    le fait dtre amen ici

    et dtre parqu dans

    des zones connes,

    avec des personnes aux

    allures dextraterrestredambulant autour

    deux.

    Garth Tohms, spcialiste eau etassainissement volontaire auprsde la Croix-Rouge canadienne, quitravaille en Sierra Leone

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    au virus, prises en charge, guries ou enterres, an de

    surveiller lensemble des mesures prises pour les per-

    sonnes infectes. Je navais jamais rien vu de tel.

    Peu aprs son arrive, elle crivait sur un blog : Ma

    premire semaine ici a t une exprience surraliste

    de montagnes russes entre la vie et la mort, lespoir,

    le deuil, la douleur et la joie. Lorsque je suis arrive

    Kenema et au centre, ma premire tche a consist superviser quatre enterrements.

    La triste vrit est que les tombes vont se multiplier

    avec ladmission de nouveaux patients, dont certains

    perdront la bataille contre le virus. Ce jour-l, lun des

    corps inhums tait celui dun garon de 8 ans.

    Les personnes qui travaillent directement avec les

    patients ne sont pas les seules tre exposes au dan-

    ger. Garth Tohms, volontaire auprs de la Croix-Rouge

    canadienne, est lui aussi une rcente recrue interna-

    tionale. Plombier de profession, il a pens que son

    exprience et sa formation au travail avec des matires

    dangereuses pour larme canadienne seraient utiles

    dans son travail dexpert en eau et assainissement pour

    aider le centre de soins durgence de Kenema. Il ex-

    plique que mme les tches les plus simples, comme le

    remplacement dune valve, peuvent devenir une tche

    trs ardue lintrieur de la zone haut risque.

    Le pire, ce sont les lunettes protectrices : elles se

    couvrent vite de bue, ce qui rduit le temps que nous

    pouvons passer lintrieur. Je les vaporise abondam-

    ment de liquide antibue lintrieur, sans essuyer les

    gouttes qui se forment. La vision est un peu oue, mais

    je peux voir plus longtemps.

    How de body ?Pour introduire un lment dhumanit dans son tra-

    vail, Garth Tohms annonce son arrive aux patients de

    lextrieur, et si possible ajoute une plaisanterie. Ainsi,

    ils savent qui passe proximit deux et qui leur parle

    derrire le masque, crit-il. Je narrive pas imaginer ce

    que reprsente pour eux le fait dtre amen ici et dtre

    parqu dans des zones connes, avec des personnes

    aux allures dextraterrestre dambulant autour deux.

    Comme dautres personnes qui travaillent ici, Garth

    est aussi frapp par lhumanit dont il est tmoin chaque

    jour entre personnes malades ou soumises une pres-

    sion intense et terrorises. Malgr les rcits de violences

    contre des agents de sant, il affi rme que nombreux

    sont ceux ici qui apprcient leur travail, et que les habi-

    tants locaux les saluent souvent avec un sourire aimable

    et lapostrophe traditionnelle : How de body ?Sue Ellen Kovac, de nationalit canadienne, qui vient

    de regagner Cairns, en Australie, aprs un mois pass

    au centre de soins de Kenema, raconte quelle a t

    frappe par la rsilience des personnes confrontes

    cette catastrophe sans prcdent.

    lhpital, nous avions une dame adorable, Lucy,

    qui avait perdu son mari et tous ses enfants cause

    dEbola. Pourtant, chaque matin, elle me saluait dun

    large sourire et me demandait si jallais bien et si javais

    bien dormi. How de body ? Quel courage ! Je matten-

    dais aux ravages de la maladie sur les corps, mais pas

    cette rsilience. Mon cur se brise devant les preuves

    que subissent des personnes comme Lucy.

    Les survivantsOn retrouve cette rsilience chez les survivants. Lun

    des premiers Guinens survivre la maladie est Saa

    Sabas, qui avait contract le virus en soccupant de son

    pre malade. Aprs son transfert au centre de soins

    anti-Ebola cr par MSF Guckdou (Guine), il sest

    rtabli et a regagn son foyer, mais il a t victime

    de lostracisme de ses voisins. Les gens mvitaient,

    mme si je leur montrais mon attestation de sortie.Saa Sabas est maintenant volontaire pour la Croix-

    Rouge guinenne. Il se rend dans les communauts

    pour sensibiliser ses compatriotes sur la manire de

    prvenir la propagation de la maladie et pour com-

    battre des craintes et rumeurs courantes. Je suis lun

    deux et je peux madresser eux dans une langue

    quils comprennent, explique-t-il. Qui mieux que moi

    peut leur parler dEbola ?

    Ces survivants sont la preuve vivante quEbola peut

    tre vaincu. Comme le raconte lun des agents de sant

    qui sest occup de Kadiatu : Quand elle est sortie, elle

    tait gurie, dlivre du virus, en scurit. Elle sest

    retourne pour saluer de la main Haja une autre pa-

    tiente qui stait occupe delle lintrieur et elle

    est passe le long de la double clture orange.

    Elle a salu de la main une dernire fois les autres

    patients avant de sloigner et quelquun a demand :

    How de body ?

    Elle a rpondu : trs bien, et pour la premire fois

    depuis des semaines, elle le pensait vraiment.

    Cristina Estrada, Katherine Muelleret Malcolm Lucard

    Cristina Estrada est responsable principale de lassurance-qualitdes oprations de la FICR, Katherine Mueller est responsable des

    communications de la FICR pour la Zone Afrique de la FICR et Malcolm

    Lucard est rdacteur en chef de Croix-Rouge, Croissant-Rouge.

    KKadiatu (11 ans) fut la troisimepatiente au diagnostic dEbolaconrm admise au centre desoins nouvellement cr de la FICR Kenema (Sierra Leone). la n du mois de septembre,elle fut lun des premiers patientsdu centre dclar guri.Photo: Katherine Mueller/FICR

  • 8/9/2019 Magazine Croix-Rouge, Croissant-Rouge : le visage de lhumanit

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    10 | C R O I X R O U G E C R O I S S A N T R O U G E | N U M R O 3 . 2 0 1 410 | C R O I X R O U G E C R O I S S A N T R O U G E | N U M R O 3 . 2 0 1 4

    AVANT LIRRUPTION DE LPIDMIE de maladie

    virus Ebola qui ravage le Libria, Friday Kiyee

    travaillait comme entrepreneur de pompes

    funbres lhpital de la Rdemption de Monrovia, la

    capitale : il a donc lhabitude de manipuler des cadavres.

    Voir nos frres libriens mourir nous afflige

    explique Friday, qui dirige lune des quipes dinhuma-

    tion sans risque et dans la dignit de la Croix-Rouge du

    Libria Monrovia. Notre travail consiste recueillir

    les corps. a ne nous plat pas, mais le fait est quil faut

    le faire, car sinon, le virus continuera se propager.

    Sa journe de travail commence par une liste de

    communauts o il doit se rendre pour lever les corps

    des personnes souponnes dtre dcdes dEbola.

    Son quipe (lune des six quipes actives dans le comt

    de Montserrado) recueille en moyenne une quinzaine

    de corps par jour. Le nombre augmente rgulirement

    et la nature de la maladie rend les corps fortement

    Enterrer les

    morts dEbolaAu risque de leur vie, des quipes de volontairesde la Croix-Rouge travaillent sans relche chaquejour pour enterrer les victimes dEbola andviter dautres de connatre un sort similaire.

  • 8/9/2019 Magazine Croix-Rouge, Croissant-Rouge : le visage de lhumanit

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    N U M R O 3 . 2 0 1 4 | C R O I X R O U G E C R O I S S A N T R O U G E | 11N U M R O 3 . 2 0 1 4 | C R O I X R O U G E C R O I S S A N T R O U G E | 11

    contagieux, avec un virus qui tue plus de la moiti des

    personnes quil contamine.

    Depuis que nous avons commenc, la n du mois

    de juillet, pas un jour na pass sans que nous ayons au

    moins un corps recueillir, explique Friday Kiyee. Cela

    nous obsde tous.

    Son quipe a t forme par la Croix-Rouge, par M-

    decins sans Frontires et par lOrganisation mondialede la Sant. Je risque ma vie, car la moindre erreur

    je serai contamin. Nous ne pouvons que nous vtir

    comme il faut et respecter toutes les procdures de

    scurit avant daller lever un corps.

    Cest ce souci du dtail, garantissant que tous les

    membres de lquipe ont bien revtu leurs habits

    protecteurs et que le dsinfectant est utilis gnreu-

    sement et bon escient, qui a permis dviter que la

    maladie ne touche des membres de lquipe, malgr la

    contagion environnante.

    Nous avons deux personnes charges de la dsin-

    fection, explique Friday. Le dsinfecteur sale est celui

    qui entre le premier pour dsinfecter la zone avant que

    les autres ne viennent enlever le corps. Puis le dsinfec-

    teur propre dsinfecte ceux qui sortent de la maison

    ou du lieu de la leve du corps.

    Les familles ne sont pas toujours contentes de voir

    les corps de leurs proches emmens par des hommes

    vtus dhabits de protection. Ce type de scne peut

    crer de la confusion, du ressentiment, voire parfois de

    lhostilit.

    Avant demmener le corps, nous faisons un peu de

    travail social, dit Friday. Nous appelons la famille et lacommunaut en deuil se rassembler et nous nous

    prsentons, ainsi que lemblme de la Croix-Rouge.

    Nous leur parlons et nous veillons rpondre leurs

    questions avant demmener le corps.

    Personne ne veut me ctoyerTout ne se droule pas toujours sans encombre. Un

    journaliste du magazine Timese trouvait en compagnie

    dune quipe de la Croix-Rouge du Libria lorsquils

    ont t pris partie par une foule de villageois leur

    demandant avec colre pourquoi ils venaient mainte-

    nant chercher le corps alors que personne ntait venu

    quand ils avaient demand une ambulance. Lun des

    membres de lquipe, Nelson Sayon, 29 ans, a racont

    Timeque de nombreux membres de lquipe avaient

    aussi t mis lcart par leur communaut.

    Personne ne veut mapprocher, crit le journal en

    rapportant ses propos. Les gens ont peur. Ils refusent

    mme de toucher notre argent si nous voulons acheter

    quelque chose au magasin ou manger au restaurant.

    En Sierra Leone, les quipes connaissent les mmes

    diffi cults. Par fois, quand nous arrivons dans un vil -

    lage, les habitants nous disent que nous amenons lamaladie, raconte Julius Tamba Kamanda, membre de

    lquipe dinhumation sans risque et dans la dignit de

    la Croix-Rouge de Sierra Leone. Il arrive quils nous

    jettent des pierres et nous demandent de quitter la

    ville.

    Sans lassistance des chefs et des autres groupes

    humanitaires qui les soutiennent et qui leur expliquent

    que la communaut ne sera pas touche, ils ne nous

    tolreraient pas, ajoute-t-il.

    La journe de travail des quipes court parfois de

    8 h du matin minuit, voire plus tard, en fonction desbesoins, et certaines dentre elles font face une autre

    diffi cult : le manque de matriel essentiel.

    Nous portons nous-mmes les corps jusquau ci-

    metire pied, explique Julius Tamba Kamanda. Cest

    puisant; cest pourquoi nous demandons quon nous

    fournisse une civire pour faciliter notre tche.

    Dernirement, son quipe a d transporter un corps

    sur plus de 3 kilomtres pour parvenir jusquau cimetire.

    Nous avons d nous arrter cinq reprises peut-tre

    sur le chemin, ce qui peut entraner des retards et des

    risques : lorsquon pose le corps par terre, sur des pierres,

    le sac pourrait se dchirer et le virus se rpandre.

    Les quipes sont aussi confrontes des personnes

    endeuilles auxquelles il est demand de renoncer

    leurs pratiques traditionnelles densevelissement. En

    Sierra Leone, les communauts enterrent habituelle-

    ment elles-mmes leurs proches, et il est de coutume

    de serrer dans ses bras le corps des personnes d-

    cdes pour garantir que le lien avec les anctres se

    perptue. Or, cest aprs la mort que le virus Ebola est

    le plus virulent.

    Cest pourquoi, lorsque nous arrivons dans une

    communaut pour prparer un corps lenterrement,aprs avoir parl avec les anciens, nous invitons main-

    tenant la famille venir et assister la procdure,

    explique Daniel James, coordonnateur de lquipe

    dinhumation sans risque et dans la dignit pour la

    Croix-Rouge de Sierra Leone.

    Ils peuvent y assister sans danger de leur fentre. Ils

    voient ainsi que nous traitons leur parent avec respect

    et attention; sils le souhaitent, nous nous interrom-

    pons pour quune prire soit rcite. La famille peut

    ainsi participer et nous avons constat que cela permet

    de dissiper certaines rumeurs quant la manire dont

    nous nous occupons des corps.

    La bonne nouvelle, poursuit Daniel James, est que

    davantage de personnes sont informes de la manire

    dont se diffuse le virus Ebola et de ce quelles doivent

    ou ne doivent pas faire. De plus en plus de commu-

    nauts signalent aux autorits les dcs domicile, ce

    qui est une trs bonne chose.

    Le travail est dangereux, explique-t-il, mais abso-

    lument vital et il entend bien continuer. Je continue

    travailler malgr tous les obstacles, parce que cest

    indispensable.

    Victor Lackenet Katherine Mueller

    Victor Lacken est photographe et crivain; Katherine Mueller est

    responsable des communications de la FICR pour la Zone Afrique.

    JDes volontaires de la Croix-Rouge du Libria emportentle corps dune victime dEboladcde chez elle Banjor(Libria). Les membres de lquipetravaillent darrache-pied, souventdes premires heures de la journe

    jusquaprs minuit, dans desconditions diffi ciles, frquemmentconfronts lhostilit et lopprobre, alors quils jouent unrle absolument essentiel pourstopper la propagation du virus.Photo: Victor Lacken/FICR

    Parfois, quand nous

    arrivons dans un

    village, les habitants

    nous disent que nous

    amenons la maladie.

    Il arrive quils nous

    jettent des pierres etnous demandent de

    quitter la ville.

    Julius Tamba Kam anda, 21 ans,membre de lquipe dinhumationsans risque et dans la dignit de laCroix-Rouge de Sierra Leone

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    12 | C R O I X R O U G E C R O I S S A N T R O U G E | N U M R O 3 . 2 0 1 4

    Tirs dartillerie, de mortier,bombes lches par avion,roquettes et missiles : ces armesparticulirement ltales etdestructrices sont employestoujours davantage dans desconits qui ont pour thtredes zones urbaines densmentpeuples.

    AVEC LURBANISATION CONSTANTE lchelle

    de la plante, les guerres, elles aussi, frappent

    de plus en plus souvent dans les villes. Dans ungrand nombre des conits actuels Gaza, Irak, Isral,

    Libye, Syrie, Ukraine et dautres encore , les affronte-

    ments se droulent dans les rues des villes, l o des

    foules dhabitants se pressaient nagure dans des mar-

    chs ciel ouvert, circulaient en voiture ou pied pour

    se rendre au travail ou lcole.

    Aujourdhui, bon nombre de ces paysages ur-

    bains sont rduits des squelettes en ruines,

    dforms, danciens immeubles de logements

    et de zones commerciales, qui surgissent encore

    au-dessus de monceaux de dbris et de ferrailles

    tordues. Les survivants doivent naviguer dans ce

    ddale pour se procurer leur pitance quotidienne.

    Les destructions causes par les conits rcents sont

    choquantes, mais que dire des consquences pour les

    gens qui vivent dans un tel cadre de dvastation ?

    Ces armes explosives sont conues pour des champs

    de bataille et non pour des zones urbaines bties, a

    dclar le prsident du CICR, Peter Maurer, devant lAs-

    semble gnrale des Nations Unies en octobre.

    Au vu des conits rcents, nous mettons srieuse-

    ment en doute que ces armes puissent tre utilises

    pour cibler avec une prcision suffi sante des objectifsmilitaires dans des zones peuples, ou mme que leurs

    effets puissent tre limits comme le prescrit le droit

    international humanitaire, a-t-il ajout. Il nest pas

    question ici des armes elles-mmes, mais de savoir o

    et comment elles sont utilises.

    Un fait courantLes destructions massives dans de grandes villes ne

    sont pas une nouveaut dans lhistoire de la guerre.

    Le bombardement de la ville espagnole de Guernica

    en 1937, et par la suite le bombardement de zones

    tendues, y compris des centres urbains, pendant la

    Seconde Guerre mondiale, ont suscit ladoption de

    dispositions dans les Conventions de Genve de 1949

    (renforces ultrieurement par les Protocoles addition-

    nels de 1977) qui cherchaient limiter le nombre de

    victimes civiles et interdire des pratiques telles que le

    bombardement de zone sans discrimination.

    Larticle 51 du Protocole additionnel I interdit les

    attaques dont on peut attendre quelles causent

    incidemment des pertes en vies humaines dans la

    population civile, des blessures aux personnes civiles,

    des dommages aux biens de caractre civil, ou une

    combinaison de ces pertes ou dommages, qui seraient

    excessifs par rapport lavantage militaire concret et

    direct attendu.

    La prohibition, au regard du droit, des at taques dis-

    proportionnes et linterdiction qui en dcoule de la

    destruction arbitraire de villes ou de villages, ou des d-vastations que ne justie pas la ncessit militaire sont

    au cur du droit relatif la conduite des hostilits, ex-

    pliquent John Borrie et Maya Brehm, deux experts dans

    Des villessousle feu

    Le nombre de victimes

    civiles et lampleur

    des destructions ont

    atteint un niveau sans

    prcdent dans la rgion

    ces dernires annes.Robert Mardini, chef desoprations du CICR pour le Procheet le Moyen-Orient

  • 8/9/2019 Magazine Croix-Rouge, Croissant-Rouge : le visage de lhumanit

    15/32

    N U M R O 3 . 2 0 1 4 | C R O I X R O U G E C R O I S S A N T R O U G E | 13

    ce domaine, dans un article paru en septembre 2011

    dans laRevue internationale de la Croix-Rouge.

    Plus rcemment, de nouvelles conventions, qui in-

    terdisent dautres armes explosives telles que les mines

    terrestres et les armes sous-munitions sans ou-

    blier un protocole la Convention relative aux armes

    classiques qui exige des tats quils enlvent les restes ex-

    plosifs de guerre , sont venues renforcer les argumentscontre lemploi darmes explosives frappant sans discri-

    mination dans des zones forte densit de population.

    Bien que le bombardement de zone soit aujourdhui

    illgal, et que de nombreux tats ne considrent plus

    comme acceptable le recours aux armes sous-muni-

    tions, lemploi dautres armes explosives, mme dans

    des zones densment peuples, demeure un fait courant

    dans les conits arms actuels, relvent les auteurs en

    invoquant de nombreuses tudes de cas tires de conits

    survenus en 2011 : Afghanistan, Irak, Liban et Somalie.

    Pour sa part, le CICR reconnat que les combattants

    prennent souvent position dans des quartiers rsiden-

    tiels et dans dautres lieux o des civils peuvent tre

    exposs aux effets des affrontements. Il affi rme cepen-

    dant que les forces attaquantes doivent nanmoins

    veiller constamment rduire au minimum limpact

    de leurs oprations sur cette population, notamment

    par le choix des moyens et mthodes de guerre. Il faut

    envisager dautres armes et dautres tactiques.

    Le tribut pay par les civilsDe nos jours, les conits en Syrie, les combats en Isral

    et Gaza ou encore en Ukraine sont des exemplescriants des consquences de lemploi dengins explo-

    sifs dans des zones civiles.

    Gaza, les infrastructures publiques, les installations

    mdicales et sanitaires et les coles ont subi de graves

    dommages, quand elles nont pas t dtruites. Plus de

    2100 personnes ont t tues, prs de 11 000 blesses, et

    on estime 108 000 le nombre dhabitants qui ne pour-

    ront pas regagner leurs habitations.

    Le rseau deau ainsi que les installations lectriques

    ont t gravement endommags, tandis que le secteur

    mdical a t pouss dans ses derniers retranche-

    ments et les hpitaux ont t touchs par des obus ou

    dautres munitions.

    Les destructions dans la bande de Gaza ne se limitent

    pas aux biens de caractre civil et aux infrastructures,

    explique Younis Al-Khatib, prsident de la Socit du

    Croissant-Rouge palestinien. Elles ont aussi eu un im-

    pact important sur la sant et les moyens dexistence

    des citoyens de Gaza.

    Les missiles tirs depuis Gaza sur des zones rsiden-

    tielles et urbaines en Isral ont fait quant eux au moins

    cinq victimes, dont un volontaire du Magen David Adom

    (MDA), plus de 800 blesss civils et contraint entre 5000et 10 000 habitants fuir leur foyer.

    Cest dans ce contexte que le CICR a ritr ses ap-

    pels (relays par la FICR et par les Socits nationales)

    aux deux parties au conit pour quelles pargnent les

    zones civiles et respectent le DIH. Le nombre de vic-

    times civiles et lampleur des destructions ont atteint

    un niveau sans prcdent dans la rgion ces dernires

    annes, relve Robert Mardini, le chef des oprations

    du CICR pour le Proche et le Moyen-Orient.

    Les humanitaires en dangerLes guerres daujourdhui en milieu urbain font aussicourir des risques importants aux agents humanitaires,

    qui demeurent actifs, mobiles et visibles lorsquils va-

    cuent les blesss ou fournissent des services et des

    secours essentiels aux populations civiles. Parmi les

    38 agents humanitaires du Croissant-Rouge arabe sy-

    rien et les 7 employs du Croissant-Rouge palestinien

    tus pendant le conit syrien, plusieurs ont t victimes

    darmes explosives non identies, tandis que des in-

    frastructures essentielles ont, l, aussi, t touches.

    En juillet 2014, deux urgentistes du Croissant-Rouge

    palestinien ont t tus et trois blesss dans lexer-

    cice de leurs fonctions. Les ambulances touches

    taient clairement marques de l emblme du Crois-

    sant-Rouge. Et en aot, un volontaire du MDA en Isral

    a t tu par un missile dans le kibboutz o il vivait.

    Avec la dtrioration de la situation, la scurit de

    notre personnel demeure pour nous une grave pr-

    occupation, affi rme Noam Yifrach, le prsident du

    comit excutif du MDA, en particulier parce que, du

    fait de la dure prolonge de cette phase durgence,

    nous avons d dployer des volontaires et du person-

    nel supplmentaires dans les zones dopration.Pendant ce temps, avec la poursuite des combats

    dans lest de lUkraine, les civils paient un lourd tribut

    avec les bombardements intermittents des zones dha-

    bitation dans des villes comme Lougansk, qui mettent

    en pril la population comme les agents humanitaires.

    En septembre, un obus sest abattu lextrieur

    des bureaux du CICR, tuant Laurent du Pasquier, un

    dlgu du CICR de 38 ans, de nationalit suisse,

    qui travaillait comme administrateur et qui avait

    accompli des missions en gypte, en Hati, au Pakis-

    tan, en Papouasie-Nouvelle-Guine et au Ymen.

    Nous sommes atterrs par cette perte tragique, a d-

    clar Dominik Stillhart, directeur des oprations du CICR,

    au lendemain du drame. Les bombardements aveugles

    de zones rsidentielles sont inacceptables et constituent

    une violation du droit international humanitaire.

    LLemploi darmes explosivesde grande puissance dans leszones urbaines force souventles civils survivants fouiller lesdcombres pour en tirer les objetsindispensables leur survie.Des quartiers nagure pleins devie se retrouvent souvent sanslectricit ni systmes deau etdassainissement, tandis que lavie conomique est anantie. Lesgraves dommages inigs par cesarmes font que les habitants qui ontfui sont privs de foyer et resterontdplacs pendant des annes.Photo: Teun Anthony Voeten/CICR

    IDurant les conits, leMouvement prend diversesmesures pour maintenir les servicesde base en tat de fonctionner.Ici, des spcialistes de leau et delhabitat du CICR et du Croissant-Rouge arabe syrien rencontrent

    des responsables locaux du rseaulectrique Damas (Syrie) pourparler des rparations apporter des systmes dnergie critiques.Photo: Croissant-Rouge arabe syrien

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    LLemploi dexplosifs puissantsdans des zones urbaines faitde nombreux morts, mais peutaussi causer des destructionsdune ampleur telle quellesbouleversent le paysage urbain.

    Gaza, ce garon se tientdevant un btiment ras par unbombardement arien.Photo: Annibale Greco/CICR

    J Les armes explosives employesdans les zones peuples sontsouvent de nature frapper sansdiscrimination et ne peuvent trediriges avec assez de prcisionpour viter de faire des victimesciviles. Ici, une femme passe

    devant un btiment dtruit parles bombardements Popasna,une ville de lest de lUkraine, enoctobre 2014.Photo: REUTERS/David Mdzinarishvili

    Avec lurbanisation croissante sous toutes les latitudes, la guerre moderne se droule elle aussi de plus

    en plus souvent entre les immeubles dhabitation, dans les rues, les quartiers, les centres commerciaux

    et les marchs des grandes villes. Les conits rcents Gaza, en Irak, en Libye, en Syrie et en Ukraine

    montrent limpact que des armes ltales peuvent avoir dans des environnements urbains densment

    peupls. Ils montrent aussi lenvi combien il est diffi cile de protger la vie humaine dans des zones de

    combat o les systmes ncessaires la vie eau, gouts, lectricit, transports, fourniture de vivres

    et de carburant sont complexes et tendus. Ces images, qui illustrent toutes des conits en cours,amnent sinterroger sur les effets long terme et les cots normes quentranera la remise en tat

    de ces quartiers dtruits pour que leurs habitants puissent nouveau y vivre, y travailler, y commercer

    et y jouer en toute scurit.

    La guerredans les rues

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    Focus

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    JDans les conits qui fontrage aujourdhui dans des zonesurbaines, de nombreux acteurs sedisputent la mainmise sur diversquartiers ou zones stratgiques.

    Bien souvent, ils tirent avec desarmes explosives partir de zoneso rsident ou travaillent encoredes civils.Photo: REUTERS/Shamil Zhumatov

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    IUne femme isralienne reoitdes soins lors de son vacuation

    aprs la chute dune roquettetire de la bande de Gaza sur laville de Sderot, au sud dIsral,le 31 juillet 2014.AFP Photo/Gil Cohen-Magen

    Focus

    LDans bien des zones urbainesde conit, ce type de scne nestque trop frquent. La queue dunebombe non explose merge dece tas de dcombres de btimentsdtruits, dans une zone prochedAlep (Syrie). Outre le dangerpour les habitants, la prsence

    de ces restes non explossentrave gravement les efforts dereconstruction.Photo: REUTERS/Hamid Khatib

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    KLa guerre en milieu urbaincomprend une dimensionpsychologique particulire, dueaux dangers de btiments sur lepoint de seffondrer et la menacede munitions non explosesdissimules dans les dbris. Ladestruction de zones urbaines pardes armes explosives suscite aussides questions concernant lavenir,en particulier pour les jeunes, quidoivent essayer de trouver un

    espace de vie, et mme une sorte denormalit, dans un environnementparfaitement anormal. Cette fillettepalestinienne joue avec un ballonprs des dcombres de sa maisonfamiliale dans lest de la ville deGaza, en octobre 2014.Photo: REUTERS/Suhaib Salem

    J En 2014, le conit entre Isralet Gaza a fait plus de 2000 morts,dont deux urgentistes duCroissant-Rouge palestinien. Aunord-est de Gaza, le Croissant-Rouge palestinien a aid, aveclappui du CICR, lvacuationdes blesss et fourni desservices mdicaux durgence lapopulation. Photo: Rama Humeid/CICR

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    Dans le sillage de la guerre et des catastrophesnaturelles, la violence a pris racine dansde nombreuses zones urbaines dAmriquecentrale. La Croix-Rouge offre une aide aux

    jeunes qui gardent lespoir dune autre voie.

    ENTRE LES RUES DE TERRE et de boue dfon-

    ces et pentues, les masures de Hbitat Confen

    mergent au-dessus de la dense vgtation tro-

    picale. Cest un jour de semaine et ce matin, les rues

    du quartier sont calmes. Nous sommes dans lune des

    nombreuses communauts qui composent Ciudad

    Delgado, une ville de 120 000 habitants quelques ki-

    lomtres de San Salvador, la capitale dEl Salvador.

    Hbitat Confen est une communaut qui sest d-

    veloppe rapidement aprs le grave tremblement de

    terre doctobre 1986, lpoque ou El Salvador tait

    plong dans la guerre civile, explique Mario Gutirrez,dirigeant communautaire et membre du conseil dad-

    ministration de lassociation de dveloppement de la

    communaut.

    chapper la violence

  • 8/9/2019 Magazine Croix-Rouge, Croissant-Rouge : le visage de lhumanit

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    Au lendemain de la guerre civile, qui a dur de 1980

    1992, les zones urbaines se sont tendues trs rapi-

    dement et sans planication. Cest lun des nombreux

    facteurs qui ont contribu la violence urbaine.

    violence changeante, nouveau dCiudad Delgado nest pas la seule ville confronte

    ces problmes. El Salvador est lun des pays les plus vio-lents de la rgion, avec plus de 2300 homicides en 2013

    un chiffre cependant bien infrieur celui de 2011,

    lorsque plus de 4000 meurtres avaient t signals,

    selon le ministre de la Justice et de la Scurit publique.

    Cette nouvelle forme de violence urbaine est re-

    connue comme lune des diffi cults les plus criantes

    de la rgion. En avril 2011, la Croix-Rouge dEl Salvador

    a lanc un projet intitul Chances dintgration, une

    initiative nance par la Croix-Rouge italienne, le CICR,

    la Croix-Rouge suisse et la Croix-Rouge de Norvge.

    Les ministres de la Sant et de lducation ainsi

    que les autorits municipales de Ciudad Delgado

    collaborent aussi au projet, qui cherche favoriser lin-

    tgration sociale des jeunes et de leur famille Hbitat

    Confen. La communaut entire bncie du projet,

    qui offre des possibilits concrtes plus de 400 jeunes

    et adolescents gs de 10 25 ans.

    Les initiatives, qui dureront jusquen dcembre 2014,

    donnent aux jeunes la possibilit de faire valoir leurs

    comptences artistiques, sportives, sociales ou leurs

    aptitudes de direction. Le programme offre ainsi aux

    jeunes une chance dchapper la violence, lalcool

    et la drogue.Les mesures prises, explique Arqumedes Flores, le

    coordonnateur du projet, renforcent les structures au

    service des jeunes et de la communaut, amliorent la

    prvention sanitaire et la salubrit du milieu, et encou-

    ragent lart, la culture et les loisirs.

    Faire revivre la communautLe projet a permis de crer un programme scolaire

    pour 1500 lves, mais aussi de construire une aire

    Le gouvernement a bti 1040 logements pour crer

    Hbitat Confen, et ce sont les personnes touches par

    la guerre ou par le sisme qui sont venues habiter ici,

    poursuit Mario Gutirrez, qui vivait lui-mme avec sa

    famille San Salvador et qui a tout perdu dans le trem-

    blement de terre. Cest pourquoi on trouve ici des

    familles venues des 14 dpartements du pays.

    Depuis quelques annes, la vie des 5500 habitants de

    Hbitat Confen sest nettement amliore : les groupes

    violents sont bien moins actifs, grce en partie aux

    projets lancs par la Croix-Rouge dEl Salvador et par

    dautres acteurs locaux et internationaux. La violence

    reste cependant une proccupation pour la commu-

    naut et les possibilits offertes aux jeunes sont limites.

    Les services sociaux taient trs limits au dpart,

    explique Mario Gutirrez, mais avec le temps, nous

    avons organis la communaut pour grer diverses

    institutions locales et des projets de dveloppement,comme des espaces de loisirs pour les enfants et les

    jeunes, avec le soutien de la Croix-Rouge, qui sest

    jointe nous depuis cinq ans.

    N U M R O 3 . 2 0 1 4 | C R O I X R O U G E C R O I S S A N T R O U G E | 19

    KLa violence entre bandeslourdement armes est uneralit quotidienne depuis denombreuses annes CiudadDelgado. Cependant, quelquessignes despoir se font jour : ici,un membre dune bande disposedes armes qui seront remises auxautorits la faveur dune trveentre gangs en mai 2013.Photo: REUTERS/Stringer

    J Hbitat Confen, dans la villede Ciudad Delgado, qui fait partiede laire urbaine de la capitaleSan Salvador, des jeunes suiventun cours de hip-hop, lune desnombreuses activits organises parla Croix-Rouge dEl Salvador dansle cadre de son projet Chancesdintgration.Photo: Vladimir Rodas/FICR

    Avec le temps, nous

    avons organis la

    communaut pour grer

    diverses institutions

    locales et des projets de

    dveloppement, comme

    des espaces de loisirspour les enfants et les

    jeunes.

    Mario Gutirrez, dirigeantcommunautaire et membre duconseil dadministration duneassociation de dveloppementcommunautaire Hbitat Confen,Ciudad Delgado (El Salvador)

  • 8/9/2019 Magazine Croix-Rouge, Croissant-Rouge : le visage de lhumanit

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    de planche roulettes, un terrain de football, un bel-

    vdre, un parc de loisirs pour enfants et le centre

    Henry-Dunant pour les jeunes, o quelque 550 lves

    suivent des cours de couture, de fabrication de bougies

    et de piatas(gures remplies de jouets et de sucre-

    ries utilises lors des ftes), dinformatique, de danse

    (y compris de break dance) et de diverses formes dex-

    pression artistique.La Croix-Rouge dEl Salvador propose aussi un plan

    de prvention et dassistance contre lalcoolisme et la

    toxicomanie, destin aux adolescents.

    Jai commenc fumer de la marijuana quand

    javais 12 ans, explique un jeune de 14 ans participant

    au programme. On navait rien faire pour soccuper

    ici, nous les jeunes, alors on est entrs dans la bande

    de notre quartier.

    Ma mre me disait : Comment, tu fumes de la ma-

    rijuana, ton ge ! Mais je ne lcoutais pas... jusquau

    jour o jai assist lun des ateliers du programme.

    Jy ai rencontr des jeunes dautres quartiers et nous

    avons fait connaissance. Jai commenc voir les

    choses autrement : jai arrt la drogue et je me suis mis

    frquenter lcole. prsent, je pense mon avenir.

    Je veux tudier laronautique et devenir astronaute.

    On peut toutefois sinterroger sur leffi cacit long

    terme de ces efforts de prvention et sur le rle de

    la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en matire de

    prvention de la violence. Si le Mouvement a surtout,

    jusquici , ragi la violence, les Socits nationales

    sont de plus en plus nombreuses voir la ncessit

    dagir davantage pour inuer sur certaines de sescauses profondes.

    La Croix-Rouge de Norvge concentrait jusquici

    ses efforts sur des projets de sant rurale et de rduc-

    tion des risques lis aux catastrophes, explique Lars

    Erik Svanberg, conseiller de programme pour la rgion

    Amriques au sein de la Socit nationale, mais au vu

    des effets de la violence urbaine sur la situation huma-

    nitaire, nous avons depuis deux ans rorient notre

    action vers ce domaine.

    Lars Erik Svanberg sait bien que les Socits natio-

    nales, en tant quorganisations non gouvernementales,

    ne sauraient sattaquer lensemble des causes de la

    violence, mais il est convaincu quelles peuvent en at-

    tnuer les consquences sur la situation humanitaire.

    Nous pensons que le Mouvement, puisquil repose

    sur les principes de neutralit et dimpartialit, est bien

    plac pour sengager dans ce type dactivit dans la r-

    gion, affi rme-t-il.

    Comme dans bien dautres rgions du monde, la

    Croix-Rouge dEl Salvador a souvent plus facilement

    accs aux zones qui sont aux mains de groupes violents

    que certains autres services publics. Sa mission, en effet,

    est purement humanitaire et elle ne reprsente pas ungouvernement national ni une autorit publique.

    La grande diffi cult laquelle se heurtent les projets

    contre la violence urbaine, expliquent les organisateurs,

    est la ncessit de ne pas perdre llan et de garantir leur

    durabilit, en termes de nancement comme dadhsion

    des communauts, an que limpact social du projet

    dans le quartier puisse se renforcer, voire stendre en-

    suite au reste de Ciudad Delgado.

    Une autre diffi cult est lie aux bandes elles-mmes.

    Si lobjectif ultime de la Croix-Rouge dEl Salvador est

    lintgration et linclusion sociale des jeunes, y com-

    pris ceux qui pourraient tre membres de bandes ouproches delles, celles-ci ne risquent-elles pas de voir

    dans ces initiatives une menace contre leur capacit de

    recruter de nouveaux membres et de conserver leur as-

    cendant sur leurs rivaux ?

    Former des jeunes dirigeants au GuatemalaAu Guatemala, pays voisin, la violence prend aussi

    ses racines dans la guerre civile et dans la croissance

    urbaine frntique et dsordonne pendant et aprs

    la guerre. Ainsi, la communaut de Santa Isabel II,

    une dizaine de kilomtres de Guatemala City,

    a vu le jour en tant que communaut de rapatris : des

    personnes qui avaient fui pendant la guerre civile et

    qui ont t reloges ici une fois le conit termin.

    Ces gens venaient au dpart de la rgion dIxil,

    dans le dpartement de Quich, dont la population est

    principalement autochtone, explique Miguel Angel

    Estrada, coordonnateur dun programme dintgration

    sociale administr par la Croix-Rouge du Guatemala.

    Bien que la vision du monde des autochtones repose

    sur un lien profond avec la terre, le conit qui a dur de

    1960 1966 les a chasss de chez eux. Ils sont dabord

    partis au Mexique, puis le gouvernement les a rapatriset rinstalls ici.

    Dans cette communaut, la Croix-Rouge du Gua-

    temala gre lun des trois projets de prvention de la

    L Des garons et des llesparticipent un camp de football,une activit propose par le projetde la Croix-Rouge dEl SalvadorPossibilits pour lintgrationsociale Hbitat Confen. Pourmaintenir ses activits, le projet doittrouver un nancement durable.Photo: Vladimir Rodas/CRCR

    Dans un cadre tel que

    celui-ci, o certains

    enfants ne vont mme

    pas lcole, les enfants

    touchent trs tt la

    drogue et lalcool.

    Duilio Monterroso, responsabledun programme de prvention dela violence pour la Croix-Rouge duGuatemala

  • 8/9/2019 Magazine Croix-Rouge, Croissant-Rouge : le visage de lhumanit

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    violence destins aux jeunes dans les districts haut

    risque. Le projet de Santa Isabel II, intitul Enfants et

    jeunes pour une vie meilleure, a t lanc en 2011 et il

    est mis en uvre en collaboration avec la Croix-Rouge

    espagnole et avec le CICR, avec lappui des autorits

    municipales de Villa Nueva.

    Le projet sarticule autour dun centre commu-

    nautaire administr par la Socit nationale. Cettablissement offre un havre aux enfants et aux ado-

    lescents; nous voulons quils se sentent ici chez eux,

    dit Duilio Monterroso, coordonnateur du projet. Nous

    esprons dvelopper les aptitudes de direction de ces

    jeunes pour que leur voix soit entendue dans leurs