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© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit. Supplément à “La Libre Belgique” du 17 février 2014 LE CARROUSEL AUX LIVRES BERNARD FOUBERT/REPORTERS

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Le Carrousel aux livres

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© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Supplément à “La Libre Belgique” du 17 février 2014

LECARROUSELAUXLIVRES

BERN

ARDFO

UBER

T/RE

PORT

ERS

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Edito

Que serions­nous sans eux ?

Par Francis Van de Woestyne

Dites­moi. Franchement. Que serions­nous sanseux ?Des êtres sans histoire, sans passé, sans avenir.Sans rêve, sans cauchemar, sans espoir, sanslarme, sans rire, sans peur, sans délire, sansamour, sans sexe, sans passion, sans haine, sansémoi…Sincèrement, que serions­nous sans eux ?Des êtres mous, froids, gris qui promènent leurcarcasse dumatin au soir à la recherche de leurvie, de leur être, de leur destin.Des hommes sans femmes, des femmes sanshommes. Des familles sans enfants.Que serions­nous sans eux ?Des poussières de vie, des virgules, des soupirs,des désirs, des attentes, des envies. Des pauses,des blancs, des espaces, des silences, des riens dutout, de l’eau tiède, des rives desséchées, desrivages désolés.Que serions­nous sans eux ?Des arbresmorts, des âmes sèches, des vestiges,des ruines, des abandons, des renoncements, desregrets, des soupirs, des désespoirs, des larmes,des déceptions.Mais ils sont là. Rangés dans nos bibliothèques,par auteur, par éditeur, par couleur. Par genre,bon oumauvais.

Ils sont là, neufs, abîmés, à peine souillés, lus,relus, triturés, soulignés, raturés.Ils sont là. Posés par terre, sous la table. Dans uncoin. Dessous l’escalier. Dans le grenier. À la cave.Partout. Ils embaument, ils embellissent notreintérieur et illuminent notre for intérieur.Plus on en a et plus on veut en avoir. Car le soir, lematin, face au feu qui crépite, pendant la sieste dela petite, on en prend un. Et on ne le lâche plus.Jusqu’au soir, jusqu’à la nuit, jusqu’au petit matin.

Lire, c’est d’abord choisir. Lequel ? Ce petit re­cueil, cette brique où tout n’est qu’orgueil ? Dansla libraire, on le prend, on jette unœil. Le titrenous sert d’arbitre. La quatrième de couverture ?C’est parfois tout sauf de la culture… Alors onl’ouvre, on le feuillette cherchant unmot, unephrase qui nous arrête, qui nous fouette.Rien n’est plus enivrant que d’en ouvrir un nou­veau, de se laisser glisser de page en page. Dedevenir ce personnage. De suer, jusqu’à être ennage, de planer jusqu’aux nuages. Il n’y a pas d’âgepour les aimer.Vivre avec eux, c’est rassurant. Avec eux, on de­vient savant. C’est comme si on vieillissait avectous ces héros, ces amants, ces maîtresses, cesassassins, ces anonymes, ces passants, ces délin­quants.Ouvrir un livre, c’est déjà l’aventure. C’est selancer dans l’inconnu, se laisser guider par une

plume, sautiller de pages en pages.Chacun d’ailleurs a sa technique : on le dévore, onle savoure, on le déguste, on s’en imprègne jus­qu’à ce que la paix règne.Lire, c’est physique, c’est humer ce parfum, cetteodeur délicate, c’est sentir sous ses doigts cettecaresse, ce grain léger. Un livre, c’est comme uncorps sans fin. Chaque endroit a ses secrets, sesdésirs, ses soupirs.Et ces lettres, parmilliers, jetées, secouées, mani­pulées, miraculées. Assemblées, elles nous don­nent le vertige desmots, des phrases, de l’histoire.

Avec eux, on se sent vivre. On délire. On se trans­forme. Avec eux, on peut tout faire. On peut toutvivre. On peut tout être aussi. Un amant flam­boyant, un raté, un drogué, unmartyr, unmarin,un génie.On peut vivre quelques jours sans eau, sans nour­riture, sans habit, sans soleil, sans pluie. Quelquesjours, peut­être, sans ami, sans amour, sans en­fants. Sans chocolat. On ne peut pas vivre long­temps sans livre.

La voilà enfin, cette Foire qui les fait vivre.“La Libre” est très heureuse de faire la fête auxlivres. De s’y jeter avec ambition, avec passion,avec émotion.

Merci, les livres.

2-3 Foire du livre

A la Foire du livre, autantd’envies que de visiteursDu 20 au 24 février, Tour&Taxis accueillera tousles acteurs du monde des livres portés par unemême envie : aller à la rencontre du public.Cette 44e édition de la Foire du livre sera placéesous pavillon britannique, avec une délégationd’une vingtaine d’écrivains emmenée par Jona­than Coe. La thématique à l’honneur sera“L’Histoire avec sa grande hache”, selon uneformule empruntée à Georges Perec qui sedéclinera en un cycle de débats qui aborderontla guerre sous divers aspects, d’hier àaujourd’hui.

Côté éditorial, le livre numérique et la traduc­tion ne seront pas en reste. De même que lesecteur jeunesse, via diverses activités, donttrois expositions (Anne Brouillard, Gilles Bache­let et “Assassin’s Creed”). La BD, elle, se dé­

ploiera dans une Cité regroupant l’Imaginarium etune Comix Factory. Dans une autre ambiance, lePalais gourmand attendra les visiteurs en quête denouveautés gustatives et culinaires. Quant à lanocturne du vendredi, elle se déclinera autour de“The Walking Dead” en présence de CharlieAdlard, le dessinateur de la série culte. A cetteoccasion, un spectacle sera présenté, qui verra leszombies débarquer…

Cinq jours durant, sur quelque 2000 m2 d’expo­sition, ceux qui font vivre les livres proposerontdes expos, des rencontres, des débats (notammentorganisés par “La Libre”), des animations, desdécouvertes… Quelles que soient vos envies, le livrey répondra !G.S.UProgramme complet sur www.flb.be

Supplément à “La LibreBelgique”. Coordinationrédactionnelle : Gene-

viève Simon. Réalisation : IPM Press Print. Admi-nistrateur délégué – éditeur responsable : Françoisle Hodey. Rédacteur en chef : Francis Van de Woes-tyne. Rédacteurs en chef adjoints : Xavier Ducarme,Pierre-François Lovens et Gilles Milecan. Concep-tion graphique : Valérie Moncomble et Jean-PierreLambert.

p. 2 Edito et présentationpp. 4-5 Interview de Jonathan Coep. 6 3 questions à Ana Garciap. 7 Interview de Xavier Hanottep. 8 Les rendez-vous de “La Libre”p. 8 Portrait d’Anne Finep. 9 3 questions à Florence Noivillepp. 10-11 Portrait de Charlie Adlardp. 11 Lire pour d’autres avec la Ligue Braillep. 12 L’âge d’or du livre culinairep. 13 Interview de Lola Lafonp. 14 Dans les coulisses du prix Premièrep. 15 Le marché de l’e-book

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Quand Jonathan Coe revisitel’Expo 58 en mode parodique

h Rencontre avec Jonathan Coe,porte­drapeau des lettresanglaises à la Foire du livre.

Entretien Geneviève SimonEnvoyée spéciale à Londres

C’EST AVEC “TESTAMENT À L’ANGLAISE”,un roman de colère politique à l’encontredes années Thatcher, que Jonathan Coe s’estfait connaître, en 1997, des lecteurs franco­phones. Depuis, il n’a cessé de les captiver– notamment avec les aventures d’unebande d’adolescents (“Bienvenue au club”)qui deviendront diversement adultes (“LeCercle fermé”) – ou de les émouvoir – à tra­vers une histoire familiale chaotique et se­crète (“La pluie, avant qu’elle tombe”). Ilnous revient doublement, avec “Le miroirbrisé”, destiné aux jeunes dès onze ans (lireci­contre), et “Expo 58”, une savoureuse pa­rodie de roman d’esprionnage. Inspirée parl’histoire de la Belgique, rien ne s’y passecomme prévu. Le jeune Thomas Foley estdépêché à Bruxelles pour y superviser lesinstallations britanniques (dont le pub Bri­tannia) de l’exposition universelle de 1958.Séparé (opportunément, de son point devue) de sa femme et de son bébé, il y rencon­tre des personnages hauts en couleur : unjournaliste russe plutôt curieux, un scienti­fique anglais un brin farfelu, une hôtessebelge qui va le tournebouler…

Quel a été le point de départ d’“Expo 58” ?J’étais à la recherche d’un cadre pour unnouveau livre, je voulais écrire sur laGrande­Bretagne de la fin des années 50,mais rien ne s’y passait vraiment à cettepériode qui pouvait donner lieu à unehistoire intéressante. Lorsque j’ai été in­terviewé par un journaliste belge à l’Ato­mium, je suis tombé amoureux du bâti­ment, de sa structure. J’ai vite été fascinépar l’histoire de l’Expo 58, réalisant qu’ilserait intéressant d’envoyer mon héros àBruxelles pour six mois.

Parmi tout ce que vous avez appris à propos decette Foire internationale, qu’est-ce qui vous a leplus intéressé ou marqué ?

Tout était intéressant et surprenant en unsens. Il y a beaucoup de publications surl’Expo 58 et l’impact qu’elle garde dans lamémoire collective belge. J’ai beaucouplu, mais cela ne m’en disait pas assez.Rentré à Londres, je me suis donc plongédans les documents du comité qui a orga­nisé la présence anglaise, et j’ai découvertdes choses qui m’ont surpris. Ce qui m’amarqué, c’est combien les Anglais étaient

éloignés des autres pays européens con­cernant le choix de ce que devait être leurreprésentation. Ce qu’ont montré lesautres étaient bien plus moderne, parti­culièrement au niveau culturel, en musi­que et en design. Les idées anglaises sem­blaient très traditionnelles, conservatri­ces, voire rétrogrades. Et je me suis ditque je tenais là le sujet de mon livre.

Vous avez écrit une partie du roman à Bruxelles.L’endroit où vous écrivez influence-t-il votre tra-vail ? Si oui, dans quelle mesure ?

Si vous écrivez un roman qui se dérouledans un autre pays que le vôtre, et quevous avez l’occasion d’écrire dans ce pays,c’est idéal. Ce que j’ai fait en Belgiqueétait essentiellement des recherches, cir­culant dans les endroits où l’Expo s’estdéroulée, allant à Anvers et à d’autres en­droits où des bâtiments avaient été re­construits après avoir été démontés. Deplus, entendre les différentes languesparlées autour de moi, voir la campagne àtravers la fenêtre, m’a aidé à écrire le livre.

Thomas, le personnage principal d’“Expo 58”pense avoir le choix, faire les choses en connais-sance de cause. Or il n’est que je jouet du des-tin…

C’est vrai. Tous les personnages de mes li­vres sont confrontés aux choix, et faireun choix est toujours difficile. En partieparce que ce sont des héros faibles, pas­sifs. En même temps, ils prennent cons­cience, au fur et à mesure que le livre pro­gresse, que faire des choix est très com­pliqué, et que nous n’avons pas toutes lesclés de notre destinée en main. Il y ad’autres forces en jeu : historiques, politi­ques, sociales… Nos choix ne sont jamaispurs, entiers, contrôlés. Et je suppose quemes livres présentent des cas extrêmes,toujours comiques, de ces situations.Même si mes personnages posent deschoix, cela ne va jamais dans le sens qu’ilsattendent. Que vous l’appeliez destin ouautrement, ce qui n’est peut­être que lacondition humaine fait que la vie est pluscompliquée que ce que nous croyons.

Vous posez la question : que voulait dire être Bri-tannique en 1958 ? Quelle image les Anglaisvoulaient-ils donner d’eux-mêmes au reste dumonde ? La réponse serait-elle différenteaujourd’hui ?

Je pense que cela serait très différentaujourd’hui. Quand j’écrivais le livre, sur­tout en 2012, Londres accueillait les J.O.On s’interrogeait alors sur la manièredont on voulait apparaître aux yeux dumonde, la même préoccupation qu’en1958 mais vécue de manière plus in­tense. Et je pense qu’on s’est mieux pré­

senté en 2012 qu’en 1958. On était alorsplus sûr de soi, plus ouvert. Je n’ai pasvécu les années 1958, je les ai recréées.Vous avez beau effectuer les recherchesles plus attentives, c’est toujours une re­création.

“Les Anglais ne croient pas au progrès, voilàtout. (…) Parce qu’il menace un système qui lessert fort bien depuis des siècles”, écrivez-vous.Est-ce toujours le cas ?

Dans un sens, oui. Socialement, on a pro­gressé. Les Conservateurs essaient de lé­galiser le mariage gay, ce qui était impen­sable en 1958. Mais dans certains domai­nes, nous résistons toujours au progrès.Nous avons une mentalité insulaire, quinous rend sceptiques vis­à­vis de l’Eu­rope, ce que j’essaie de développer dansle livre. Et cela s’accentue chaque jour.Parce que le débat sur l’appartenanceeuropéenne bute toujours sur les ques­tions économiques. Ici, personne ne parlede l’Europe en tant qu’idée ou identité.Seule compte l’économie, qui s’est fragili­sée ces dernières années.

Lors de l’Expo 58, Américains et Soviétiquesétaient côte à côte. “Leur voisinage donne uneidée de l’humour belge”, écrivez-vous. Commentcet humour est-il perçu en Angleterre ?

L’humour belge est différent de l’humouranglais. L’humour anglais essaie d’êtrecompréhensible, basé sur l’ironie. Quandle belge est plus extraverti. Mais nousavons quelque chose en commun : sa pré­sence dans la vie sociale et politique quiest si compliquée, fragmentée, que nousne pouvons qu’en rire !

Vous écrivez que les livres de Ian Flemingétaient considérés en 1958 comme des “œuvresde la plus haute fantaisie”. Vous a-t-il inspirépour l’intrigue d’espionnage ?

En Angleterre, il y a deux traditionsd’écriture d’espionnage : Ian Fleming etJohn Le Carré. Le Carré est très sérieux,réaliste, psychologique. Fleming est ridi­cule, séditieux, séduisant. Pour préparerl’écriture de ce livre, je lisais John LeCarré. Mais il m’a semblé que l’atmos­phère de l’Expo 58 ressemblait à unmonde fantasmé, fait d’imposture, de dé­ceptions, d’éclat. J’ai réalisé qu’en plon­geant Thomas dans ce monde, je le con­frontait plus à l’univers de Ian Flemingqu’à celui de John Le Carré. D’autant qu’ily a plus de contrastes entre le monde deJames Bond et celui de Thomas.

La nostalgie traverse toute votre œuvre. Est-ceun sentiment que vous revendiquez, que vousaimez ?

Je ne suis pas politiquement nostalgique,

“Que vousl’appeliezdestin ouautrement,ce qui n’estpeut-êtreque laconditionhumaine faitque la vie estpluscompliquéeque ce quenouscroyons.”Jonathan Coe

ROMANCIERNé à Birminghamen 1961, il a notam­ment obtenu enFrance le prix duMeilleur livre étran­ger en 1996 pour“Testament à l’an­glaise”.

4-5 Foire du livre

CATH

ERINEHÉ

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ALLIMAR

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je ne voudrais pas retourner à l’Angle­terre de 1958 de ce point de vue, je penseque nous avons progressé et que la vie estmeilleure pour la plupart d’entre nous.Mais émotionnellement, dans ma viepersonnelle, je suis un être très nostalgi­que. Le passage du temps, le fait devieillir, de voir grandir mes enfants, toutceci m’est douloureux et difficile. Celadresse de moi le portrait de quelqu’und’assez dépressif, alors que je suis l’op­posé : j’aime la vie même si elle s’enfuit etque cela m’attriste. J’ai donc envie de cap­turer cela, de le moduler par l’écriture.C’est une des principales raisons pourlesquelles j’écris, car écrire c’est combat­tre le temps, d’une manière ou d’uneautre.

U Jonathan Coe, “Expo 58”, traduit de l’anglaispar Josée Kamoun, Gallimard, 328 pp., env.22 €. Rencontre avec Jonathan Coe notammentle vendredi 21 février à 19h et le samedi à 12h.

PHOT

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C’était jour d’affluence à l’Expo 58…

“Le miroir brisé”,plaidoyer pourl’action collective

h A travers un livre pour enfants.

Pourquoi un livre pour enfants aujourd’hui ?En partie parce que je suis père, même simes enfants arrivent à un âge où ils peu­vent lire mes autres livres. Mais l’idéed’un miroir qui ne reflète pas le mondecomme il est mais comme il devrait être,je n’ai pas trouvé le moyen de la dévelop­per dans un roman comme je les écris. Jevoulais en faire un livre court, singulier,qui aurait les allures d’une fable plus quecelles d’un livre pour enfants. Je n’ai pasprévu d’écrire à nouveau pour eux. Celarestera un cas unique dans mon œuvre.Dans un sens, je pense que c’est un livrepour les adultes autant que pour lesenfants. Je ne pense pas que la distinctionexiste encore clairement.

Etait-ce pour vous un exercice particulier, ou unlivre comme les autres ?

C’était un exercice particulier. Avant deme lancer dans celui­ci, j’avais écrit uneadaptation du “Voyage de Gulliver”, deJonathan Swift, à destination des enfantspour un éditeur italien. J’ai beaucoupaimé transformer ce roman long, com­plexe, ironique pour le rendre aussisimple que possible, en tirant l’essence dece qui était dit pour l’exprimer le plusclairement possible. Cette expérience m’aappris à écrire plus simplement, directe­ment. “Le miroir brisé” m’a fait revivre cecas de figure.

“C’est l’un de mes livres les plus politiques,même si je lui ai donné la forme d’un conte defée”, avez-vous confessé. Pourquoi ?

Parce que c’est une fable sur le fait quevous ne devez jamais cesser de croire quela réalité peut être améliorée. C’est unplaidoyer pour l’action collective, parceque Claire, la fille du livre, voit le mondecomme il devrait être. Pendant plusieursannées, elle a pensé qu’elle était la seule àvoir les choses ainsi, et ne pouvait rien enfaire. A la fin, elle réalise que d’autrespartagent cette vision et qu’ils peuvent serassembler. Malgré les nouvelles techno­logies, nous sommes de plus en plusisolés, individualistes. En Angleterre, demoins en moins de gens votent, adhèrentaux partis politiques. Ils ont perdu l’idéeque le monde peut être meilleur et lamanière d’y parvenir. Perdre l’envied’agir ensemble est terrible pour unesociété. C’est une tendance ici, depuisMargaret Thatcher, et aucun politiciendepuis n’a pu inverser cette tendance.J’essaie de le dire gentiment, car les en­fants n’aiment pas être sermonnés.

U Jonathan Coe, “Le miroir brisé”, traduit del’anglais par Josée Kamoun, ill. de Chiara Cocco­rese, Gallimard jeunesse, 112 pp., env. 12,50 €

4-5 Foire du livre

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3 questions à Ana Garcia

l La commissaire générale inaugurerale 19 février la 44e Foire du livre. Un événementqui fut créé en 1969, et peut donc se vanter d’êtreantérieur au Salon du livre de Paris.

Comment a été choisie la thématique, “L’Histoireavec sa grande hache”, formule empruntée àGeorges Perec ?

Au moment où nous songions à inviter leRoyaume uni au Pavillon étranger, s’an­nonçaient déjà dans la presse les commé­morations de la Grande Guerre quiémailleront l’année 2014. Les Anglaissont très intéressés par les traces du passéet les blessures belges, donc c’était uneopportunité. Mais nous avons voulu dé­passer le fait d’être une simple commé­moration de plus. La Foire du livre étant

le plus grand des rendez­vous du mondede l’édition, tous maillons de la chaîne dulivre confondus, nous avons voulu autourdu livre un événement rassembleur. Ilnous a aussi semblé constructif de nousintéresser aux traces du conflit sur nossociétés, et au fait que nous sommes en­core confrontés à la guerre aujourd’hui,que ce soit en Afrique ou au Moyen­Orient.

Avez-vous une ambition particulière pour cetteédition, qui est la 17e pour vous en tant que com-missaire générale ?

Quand on entend les chiffres astronomi­ques de fréquentation du Salon de l’autoou le succès du Salon du chocolat, on aenvie que la Foire du livre aide le livre àmieux circuler. Par le choix de la thémati­que et notre communication, nous vou­lons redire que l’instrument qu’est le li­vre reste très actuel, et nous rêvons que lepublic nous suive. On tourne habituelle­ment autour des 70 000 visiteurs, mais

on espère un score bien plus important.Notre ambition est que le public vienneen plus grand nombre.

A quelqu’un qui hésiterait à venir vous rejoindreà Tour&Taxis, que diriez-vous pour le convain-cre ?

Que la Foire est un espace d’échanges àl’heure où nous sommes tous derrièrenos écrans en recherche de communica­tion et de dialogue. Ce sera un momentprivilégié de rencontres. Je pense notam­ment aux plus jeunes qui aiment aller aucinéma ou à des concerts, chatter ouéchanger : la Foire est un espace où la di­versité permet de garder son propre pro­fil en découvrant les autres. D’autant quelire, c’est résister à l’air du temps qui con­siste à tout résumer en formules. Lire,c’est prendre le temps, réfléchir, aller àl’encontre de la pensée prémâchée, del’“aujourd’hui” et de l’“instant” présent.Car notre histoire s’inscrit dans l’Histoire.

G.S.

6-7 Foire du livre

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Les mots ont manquéh “Derrière la colline”, de XavierHanotte, réédité pour lecentenaire de la Grande Guerre.

Entretien Geneviève Simon

DE XAVIER HANOTTE, vient d’être réédité“Derrière la colline”, inspiré de la PremièreGuerre mondiale. Paru en 2000, ce roman àl’habile construction et à l’écriture aux ac­cents poétiques explore les thèmes de l’iden­tité et de la mémoire. Il s’inscrit particulière­ment dans la thématique de la Foire, “L’His­toire avec sa grande hache”.

Comment le romancier que vous êtes se situe-t-ilpar rapport à l’Histoire ? Est-ce votre rôle de té-moigner par la fiction ?

Je ne sais si à l’origine de la fiction il y aune volonté politique de témoigner.Quand on œuvre dans le domaine de lafiction, il faut au départ quelque chosed’éminemment personnel. J’ai parfois ditque la guerre de 14­18, j’y étais entré à re­culons. J’ai commencé à m’y intéresserpar les traces qu’elle avait laissées, à la foisphysiques dans le paysage, mais aussidans l’architecture, surtout du côté bri­tannique. A partir de là, je me suis posé laquestion : qu’est­ce qui génère cela ? Onconnaît la réponse intellectuellement,mais celle qu’un roman peut donner estune réponse humaine. Il faut donc incar­ner tout cela. Je suis de ces écrivains qui sedisent que, s’ils peuvent apprendre deschoses aux lecteurs, les émouvoir, s’ilspeuvent y (re)trouver une conscience,c’est du plus, mais ce n’est pas une vo­lonté. J’ai beaucoup de doute quant auxeffets de la volonté en écriture. Cela relèvede l’essai ou du pamphlet, pour lesquels jene me sens pas doué.

Jusqu’où peut-on aller dans la fiction quand elletraite de sujets historiques ?

C’est un problème que j’ai surtout euquand j’ai parlé du massacre de Vinktdans “De secrètes injustices”, parce que jedevais imaginer un personnage qui enétait témoin. Ce drame étant proche, onpeut identifier les personnes, victimes oubourreaux. Là, j’ai senti un certain poidsde responsabilité. C’est beaucoup moinssensible quand on situe ses personnagesdans des grands mouvements. Ce quim’importe, si on prend l’exemple de“Derrière la colline”, qui est aussi un ro­man fantastique, c’est qu’il faut évitertout ce qui fait que moi­même je ne croi­rais pas à ma propre fiction. Des petits dé­tails, parfois. Ne pas se tromper de calibrede fusil, par exemple. Si c’est importantpour soi, ce l’est aussi pour le lecteur. C’està la mode maintenant, donc certains fontdu 14­18 comme si c’était facile, commesi on partait d’un patrimoine vulgarisé etconnu. Or on trouve des anachronismes,

des erreurs, et c’est gênant.

Au-delà du centenaire, il y a une fascination pourla Grande Guerre. Comment l’expliquez-vous ?

Parce que cela a été fort schématisé. Et leslecteurs sont étonnés quand ils décou­vrent d’autres facettes. Je prends unexemple facile : beaucoup ont lu les BD deTardi, qui sont très bien, mais qui présen­tent une vision de la guerre 14­18. On al’impression que ces visions sont deve­nues majoritaires, qu’elles écrasent tout lepaysage. Or une guerre qui se déroulependant plus de quatre ans comporte destas d’aspects, qui me paraissent aplatisdans beaucoup de fictions.

Dans sa préface, Philippe Claudel vous associe auréalisme magique. L’acceptez-vous ?

Quand j’ai commencé à écrire, je ne savaispas que j’en faisais. Mais quand je réana­

lyse ce que j’ai écrit, le réalisme magiqueteinte plus ou moins fortement tous mesromans ou nouvelles. Cela vient de loin,de ma fréquentation de la littératurenéerlandaise, de mes traductions d’Hu­bert Lampo. Il y a une espèce de cohé­rence, d’autant plus frappante qu’elle estinvolontaire. Je n’écris pas différemmentde ce que je suis et de ce que je vis.

“Le fantastique halluciné n’est pas l’ennemi duvrai”, écrit Philippe Claudel. Etes-vous d’accord ?

Tout à fait. Il est étonnant de constaterque la guerre de 14­18, tout en étant unconflit industriel, est l’un des conflits quia engendré le plus de légendes et de ru­meurs. D’une certaine façon, les gens ontmanqué de mots pour appréhender lagrande secousse que ce conflit a repré­senté pour eux. Et c’est un terreau pour lalégende, le fantastique, la rumeur. Doncpour la fictionnalisation, même si on estdans une réalité atroce.

“Puisqu’en signant mon engagement, j’avais ab-diqué l’indépendance du corps, il me restait à ap-prendre comment préserver celle de l’esprit.”Cela passe par la poésie, qui est aux antipodes dela guerre…

Du côté britannique, la poésie a véritable­ment fleuri pendant ces quatre années.Pas mal de poètes majeurs se sont décou­verts, qui n’ont pas survécu comme Wil­fred Owen. C’est assez original, parce qu’àpart Apollinaire, mais qui n’avait pas at­tendu 14­18 pour être Apollinaire, peu depoètes français ont émergé. C’est surtoutun phénomène britannique, cette florai­son sur le fumier de la guerre, pour pres­que citer Wilfred Owen. La poésie est­elleune échappatoire ou au contraire se fait­elle accusatrice ? Je crois qu’elle est lesdeux, à la fois école de lucidité et portevers l’ailleurs.

Votre originalité est de vous placer du côté del’armée anglaise. Est-ce parce que ces jeunes en-gagés n’avaient à défendre “ni terre, ni famille,ni patrie mais l’honneur abstrait d’une cou-ronne” ?

Chez eux, il y a une diversité de motiva­tions, mais quand même un réflexe de Ro­bin des bois : voler au secours de la veuveet de l’orphelin, même si, à un certainmoment, c’est devenu tout à fait autrechose. Si on regarde la propagande del’époque, quand il a fallu motiver les gens,c’est sur cela qu’on a joué : la pauvre petiteBelgique. Cela avait à la fois un côté déri­soire mais terriblement efficace. Cela nepeut que poser question : qu’est­ce quipeut motiver quelqu’un à mettre sa vie enjeu ? Il y a eu une obligation sociale mais, àla base, celui qui se trouve dans une tran­chée savait qu’il allait s’y retrouver. Per­sonne n’était venu le chercher.

UXavier Hanotte, “Derrière la colline”, Belfond,430 pp., env. 20 €. Présent à la Foire les 22 et23 février.

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Sur la Voix sacrée, la route vers le front, à Verdun,une reconstitution photographique.

6-7 Foire du livre

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Anne Fine, inso lenteambassadriceh Tout en humour et délicatesse,l’auteure britannique pointeles adultes de sa plume acérée.

ANNE FINE. À PRONONCER avec l’accent deLeicester, là où elle est née en 1947. Un nomqui n’évoquera peut­être rien…

“Mrs Doubtfire”. Un film que tout lemonde, ou presque, a vu et qui est directe­ment inspiré de “Quand papa était unefemme de ménage” (L’École des loisirs,1989), premier titre du roman de cet écrivainprolifique, qui n’en a pas apprécié l’adapta­tion cinématographique. “Ce n’est pas le filmque j’aurais fait. Il a été transposé dans la sociétéaméricaine avec quelques erreurs psychologi­ques. Dans mon livre, les parents sont déjà di­vorcés au début de l’histoire et on suit les réac­tions des enfants aux problèmes de garde. Lesparents ne sont pas des gens bien, ils sont égoïs­tes et écoutent leurs propres désirs. Dans le film,avec des acteurs de la stature deRobinWilliams,ils ne peuvent qu’être sympathiques”, nousconfiait­elle en 2001.

Autre livre important dans la carrièred’Anne Fine, “Journal d’un chat assassin”(1997), un polar décalé mêlant suspense etnostalgie où l’humour anglais brille par sonintelligente efficacité. Ce roman pour enfantsdès 9 ans a remporté un tel succès qu’il serasuivi du “Chat assassin, le retour” (2005), de“La Vengeance du chat assassin” (2008), deson anniversaire, de son Noël et de son dé­part, autant d’épisodes que les jeunes lec­teurs ont appréciés. Car, qu’il s’agissed’ailleurs du prix Versele pour “Louis le ba­vard” et “Journal d’un chat assassin”, de laprestigieuse Carnegie Medal pour “L’Amou­reux de ma mère” ou du Scottish ArtsCouncil Book, l’auteure britannique a collec­tionné les récompenses.

Après avoir grandi dans les Midlands del’Est, elle deviendra institutrice le temps,voire l’instant, de réaliser que l’écrit serait legrand récit de sa vie. Parce qu’elle a sansdoute compris qu’il lui permettrait de dire ceque l’on tait d’ordinaire. La famille, et lesadultes plus encore, en prennent souventpour leur grade. Elle ne se lasse pas, en effet,de pointer du doigt leur irresponsablité et dedoter ses chers jeunes héros de grandes qua­lités. Au point de friser le parti pris! Incisiveet intuitive, elle nous avouait ne pas avoir étéréellement enfantine. Considérant que beau­coup d’enfants lui ressemblent, elle les traitecomme des adultes.

Anne Fine séduit aussi par cette compré­hension de la complexité des faits divers dontelle s’inspire volontiers comme dans “Mon

amitié avec Tulipe” (1998), inspiré par ledrame de Liverpool, dans lequel deuxenfants avaient tué un bébé. Tandis quedans “SOS Mamie”, Sophie, Tanya etYvan inventent mille et une astuces pourdissuader leurs parents d’envoyer leurgrand­mère à l’hospice!

Au charme incontestable, le cheveu grisclair et le regard lumineux, Anne Fineporte son nom à merveille. La finesse etl’art du dialogue ponctuent tous ses li­vres. Et comme on le lira dans “Mes ro­mans préférés”, “Anne Fine fait part de sesvérités sans concession […] “Ma mère est im­possible”, “Tous des menteurs”, “Le Jeu dessept familles” ou encore “LaGuerre sousmon

L’ÉC

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Déjà adulte lorsqu’elle était enfant, AnneFine traite ses jeunes lecteurs comme desgrands et n’hésite pas à souligner l’irres-ponsabilité des adultes.

“La Libre”vous donnerendez­vous

Partenaire de la Foire du livre cetteannée, l’équipe de “La Libre” vousproposera plusieurs rendez­vous. Cha­que jour, de 13h à 14h au Forum, cesera l’Heure Libre en compagnie de nosjournalistes :

­ jeudi 20 février, rencontre avec PaulJorion, auteur du “Capitalisme à l’ago­nie” (Fayard) animée par Pierre­Fran­çois Lovens et Vincent Slits;

­ vendredi 21 février, rencontre avecDidier Reynders animée par FrancisVande Woestyne, Martin Buxant(“L’Echo”) et Philippe Walkowiak(RTBF);

­ samedi 22 février, rencontre avec leDr Frédéric Saldmann, auteur du“Meilleur médicament, c’est vous !”(Albin Michel), animée par LaurenceDardenne;

­ dimanche 23 février, rencontre avecles historiens Nicolas Offenstadt (“LaGrande Guerre”, Albin Michel) et GerdKrumeich (“La Grande Guerre”, Tallan­dier) animée par Christian Laporte etJean­Pol Hecq (RTBF);

­ lundi 24 février, rencontre avecDavid Van Reybrouck (“Congo. Unehistoire” et “Contre les élections”, ActesSud) animée par Pierre­François Lovenset Bertrand Henne (RTBF).

Par ailleurs, deux ateliers serontorganisés. Le premier s’adressera auxamateurs de cuisine et se fera en pré­sence d’Arabelle Meirlaen, meilleurchef 2013 selon Gault&Millau (samedià 11h, au Palais Gourmand), et d’HubertHeyrendt. Le second accueillera les plusjeunes autour de Michel Van Zevere,auteur jeunesse publié chez Pastel(dimanche à 11h, au stand de “La Li­bre”), avec Laurence Bertels.

UDu 20 au 24 février, tous les jours de10h à 19h. Nocturne le 21 février jusque23h. Fermeture le 24 février à 18h. Site deTour&Taxis (86c, avenue du Port à 1000Bruxelles). Entrée : 8 € en semaine, 9 € leweek­end. Une navette historique etgratuite circulera entre la gare deBruxelles­Nord et Tour&Taxis les 21, 22 et23 février. Programme complet surwww.flb.be

h Cinq jours durant, desrencontres et des ateliersconcoctés par notre équipe.

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Anne Fine, inso lenteambassadrice

3 questions à Florence Noiville

l Journaliste au “Monde des livres”,Florence Noiville est notamment l’auteurde deux romans et d’un essai, “So British !”(Gallimard), qui rassemble vingt­troisportraits d’écrivains d’outre­Manche.

URencontre le jeudi 20 février à 15h.

Comment expliquez-vous l’“extraordinaire vitalité du ro-man anglais”, pour reprendre vos termes ?

Il y a un intérêt qui n’est pas nouveau pour ce quivient de l’ancien empire britannique, qui était gi­gantesque. On a de la fiction qui arrive du Canadaet de l’Australie, mais aussi d’Inde, du Pakistan, duSri Lanka. Tout cela constitue une littérature enanglais très chatoyante, avec plusieurs facettes, unpeu comme un patchwork, avec beaucoup de cou­leurs, de senteurs, de voix différentes. Cela a com­mencé pour le grand public avec Salman Rushdie.C’est frappant parce qu’en France, on est moinsattentif à cela : on ne dit pas que la littérature fran­çaise pourrait nous arriver de tous les coins où onparle français dans le monde. Quand on entre dansune librairie à Saint­Germain­des­Prés, la littéra­ture belge ou québécoise est considérée comme dela littérature étrangère. C’est complètement idiotcar ces textes font partie de la richesse de l’expres­sion française. Donc j’aime cette idée qu’outre­Manche, ils ouvrent leurs bras et leur curiosité àtout.

Qu’est-ce qui singularise pour vous la littérature anglaise ?Quelles sont ses lignes de force ?

C’est difficile à dire car cette diversité fait de la lit­térature anglaise un puzzle, sans qu’il y ait vrai­ment d’unité ou de cohérence. Vous avez Hanif Ku­reishi ou Tariq Ali qui ont des racines pakistanai­ses, Kazuo Ishiguro est d’origine japonaise,Howard Jacobson écrit sur la judéité… Ce qu’on re­trouve quand même, et j’y suis sensible, c’est laconcision, une intrigue qui avance, des histoiresbien ficelées, de l’humour. Comme ils viennent

d’origines diverses, ils manient la langue commeune pâte et l’enrichissent avec leurs propres ex­pressions, leur sensibilité, des images qui vien­nent de leur ascendance. C’est un enrichissementpurement littéraire. Chacun forme et déforme lalangue à son image, la recrée. En cela, l’anglais estplus plastique que le français. Les Anglais sontplus tolérants, ils ne s’offusquent pas des néolo­gismes. La langue n’est jamais que la langue, elleest moins sacralisée – quand en France on a desAcadémies, il faut codifier, il y a des règles. Ils sontun peu au­delà de ça, ce qui m’est sympathique.De plus, leurs romans montrent peu d’attention àsoi. Souvent, le sujet n’est pas l’auteur, même s’il ya des exceptions : dans le dernier roman d’HanifKureishi, le narrateur ressemble beaucoup àl’auteur; de même, Ian McEwan a avoué que pourcréer l’écrivain mis en scène dans “OpérationSweet Tooth”, il s’est pris comme modèle, avec desréférences à ses premiers textes qu’il attribue àson écrivain. Bref, le public a un peu besoind’autre chose, qui fait souffler le vent d’ailleurs, etcela souffle plus dans la littérature britanniqueque dans la littérature française.

Quels sont vos coups de cœur ?Will Self, parce qu’il a une très belle plume; TariqAli car il a une relation avec son ancien empire quin’est pas stéréotypée mais toujours engagée et sti­mulante; Claire Keegan, peu connue en France,qui se situe dans la lignée de William Trevor, quipour moi est un très grand. Et Graham Swift, quiest d’une sensibilité merveilleuse.

Geneviève Simon

toit”, autant de titres programmatiques. Et de dé­couvrir qu’il fait toujours bon d’avoir un enfantpour rattraper les catastrophes des adultes !”

D’une grande humilité, elle a rapidementséduit par son humour ravageur et son inso­lence déconcertante. Ambassadrice de la lit­térature jeunesse au Royaume­Uni, AnneFine incarne parfaitement ces auteurs capa­bles de toucher la diversité de leurs publics etprouve à quel point la littérature jeunessecompte en ses rangs de grands écrivains.

Toute désignée, elle sera l’une des invitéesde la prochaine Foire du livre de Bruxellesplacée sous bannière britannique. Elle vient,en outre, de publier deux nouveaux romans,toujours à l’École des loisirs, le cocasse “Bro­chettes à gogo”, pour enfants dès neuf ans, et,surtout, “Le Passage du Diable”, un roman fa­milial également inscrit dans la pure tradi­tion du roman gothique anglais dans l’Eu­rope du XVIIIe siècle où l’étrange se glissedans les labyrinthes, vieilles demeures etautres trappes cachées sans pour autant im­poser le fantastique.

Un genre dans lequel les femmes se sonttoujours distinguées. Anne Fine, assurément,ne trahit pas leur lignée. Une enfance à la li­sière du sommeil, une trame serrée et bienconstruite pour découvrir, frissons à l’appuiparfois, les raisons de la folie d’une mère trèssecrète, voilà les qualités de ce “Passage duDiable”, d’une belle et touchante maturité.Laurence BertelsUA la Foire du livre, rencontre avec Anne Finele samedi 22 février à 14h.

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Charlie Adlard,monstrueux dessinateurh Le Britannique donne vie aux“Walking Dead” du scénaristeKirkman. Horriblement addictif.

Portrait Olivier le Bussy

CEUX QUI ONT EU L’OCCASION de rencon­trer Charlie Adlard le décriront comme untype sympa, un gars affable et sans préten­tion avec lequel on prend plaisir à tailler lebout de gras. On pourra encore s’en rendrecompte à l’occasion de sa visite à la Foire dulivre, dont il est un des invités. Ceux qui nele connaissent qu’à travers son travail sur lemythique comics “Walking Dead” se de­manderont si derrière l’honnête façaded’auteur de bande dessinée ne se cache pasun dangereux psychopathe. C’est que de­puis que le Britannique a succédé, en 2004,à Tony Moore au dessin de la série scénari­sée par Robert Kirkman, il n’a rien épargné àses lecteurs en termes de “cruauté” graphi­que. Lesquels lecteurs en redemandent, vi­siblement : depuis le lancement de la série,en 2003, 30 millions d’exemplaires de “Wal­king Dead” ont été vendus de par le monde.

Pour ceux qui ne poussent jamais la ported’une librairie (et n’ont jamais vu l’adapta­tion du comics en série télévisée), un brefrappel du pitch de “Walking Dead” s’im­pose : la quasi­totalité de la populationmondiale s’est transformée en zombies.

Mais autant, sinon plus que les zombies,les vrais walking dead (morts­vivants),sont les rares rescapés du monde ancien.Dont l’ancien policier américain RickGrimes, son fils et quelques compagnonsde route qui s’organisent pour survivredans un environnement hostile, où lemoindre faux pas peut être fatal. A for­tiori quand le plus grand danger n’estpas nécessairement celui qu’on pense.Dans ce retour à l’état de nature,l’homme est un loup pour l’homme.

A scénario (post)apocalyptique, scènesapocalyptiques. La série place le lecteurdans un état de tension permanente,dans l’attente de l’explosion de violencequi ne manquera pas de se produire etdont le trait réaliste et efficace de CharlieAdlard permet de rendre la sauvagerie.“Le pire, c’est la lecture du scénario, quandjeme demande comment je vais pouvoir re­présenter ça”, commentait le Britanniquepour “La Libre” lors du festival d’An­goulême, en 2011. “Mais une fois que jem’y attaque, dessiner quelque chose de trèsnoir est aussi abstrait que représenter deuxpersonnes discutant dans une pièce ou unchamp de bataille. C’est seulement aprèscoup que je réalise l’impact que peuventavoir ces dessins.”

Il serait cependant réducteur de consi­dérer “Walking Dead” comme un simplerécit d’horreur. Comme souvent dans leshistoires de zombies, ceux­ci “sont le plus

gros MCGuffin du livre”, rappelle CharlieAdlard, précisant que son vrai plaisir est“de dessiner les personnages et les relationsqu’ils entretiennent”. Car le comics est,avant tout, un vrai thriller psychologi­que. Les personnages y sont confrontés àdes choix et posent des actes qui interro­gent leur condition d’être humain. Passémaître dans l’utilisation du noir (et gris)et blanc, le dessinateur excelle à rendrela violence et la complexité des senti­ments qui habitent les protagonistes del’histoire, notamment lorsqu’il cadre lesvisages en gros plans.

C’est que si la reprise de “WalkingDead” a fait exploser sa notoriété (et pro­bablement son compte en banque),Adlard était déjà un dessinateur expéri­menté avant de reprendre la série. Né en1966 à Shrewsbury, dans les Midlands,l’Anglais a d’abord hésité à entreprendredes études de cinéma ou à devenir bat­teur dans un groupe de rock – il en a, aumoins, conservé la dégaine – avant d’op­ter pour une troisième voie : la bandedessinée. Comme nombre de ses compa­triotes, ses références en la matière sontd’outre­Atlantique plus que continen­tale. Dès 1990, le magazine “2000 AD”lui permet de se faire les dents sur le per­sonnage de “Judge Dredd”. Suivront plu­sieurs volumes de l’adaptation en comicsde la série télé “X­Files”, et l’illustrationd’épisodes des “X­men”, de “Batman” ou

30millionsSUCCÈSFULGURANTDepuis le lancementde la série, en 2003,30millions d’al­bums de la série“Walking Dead” ontété vendus dans lemonde, dont2,5millions de laversion en français,éditée par Delcourt.Le tout récent 19e

tome de l’éditionfrançaise, “Ezechiel”,a été tiré à 120 000exemplaires.

10-11 Foire du livreCH

ARLIEAD

LARD

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de “Superman”, signés par cet auteurstakhanoviste.

Là encore, ne pas se fier aux apparen­ces : Adlard est plus qu’un dessinateurd’aventures de super­héros. En témoi­gnent des albums moins mainstream,comme le très réussi “Corps de pierre”,histoire d’un homme en état de pétrifi­cation écrite par Joe Casey, qu’Adlardtraite dans un noir et blanc dépouillé.

Son travail sur “Walking Dead” occupedésormais l’essentiel de son temps. Etpourtant, indépendamment du fulgu­rant succès de la série, les aficionados dela première heure questionnent encorela “légitimité” de Charlie Adlard. “Quandquelqu’un reprend des personnages de co­mics iconiques, comme Judge Dred ou Bat­man, qui ont 50 ou 60 ans d’histoire, leslecteurs ont l’habitude du changement. Pasici. Le trait de Tony est plus expressionnisteque le mien, et c’est lui qui avait créé lesprincipaux personnages. Aprèsmon76e vo­lume (aux Etats­Unis, la série paraît sousforme de fascicules de 22 pages, tous lesmois. Le 19e tome français regroupe lesépisodes 110 à 115 – NdlR), on reçoit tou­jours des lettres qui demandent le retour deTony.” Il en faut plus pour tourmenterAdlard. Sur son site, sa biographie se con­clut comme suit : “Charlie est marié, àdeux enfants et un chat. La vie est belle…”UCharlie Adlard sera l’invité de la grandenocturne “Walking dead” de la Foire dulivre, le vendredi 21 février dès 20h30.

Là où on prête sesyeux et on donnede la voixRécit Aurore Vaucelle

LE BÂTIMENT IMPOSE son grand mur gris dans la rue d’Angleterre, à deuxpas de la gare du Midi. La Ligue Braille a beau être géante dans cet îlot urbain,elle pourrait passer pour invisible. Mais c’est précisément ce contre quoi ellelutte : l’invisibilité. Quand on passe la porte, le paysage intérieur est matéria­lisé pour le public de la Ligue. La sonnette est ronde, frontale, comme un bou­ton qui fait “boum” dans un “James Bond” : on ne peut la rater. Une barrièrese referme sur les escaliers, par sécurité. Le paysage du réel habituel, mais ba­lisé.

Rendez­vous au studio, juste après l’auditorium Ray Charles, au premierétage d’un bâtiment très administratif et cependant décoré à la façon d’unlieu de vie. Cartes de vœux punaisées aux murs, photos des volontaires de laLigue, tout sourire, prises durant un barbecue ou une fête familiale… Des têtesparmi lesquelles les nombreux lecteurs anonymes, ceux qui ont décidé delire à haute voix à l’oreille de ceux qui aiment les livres mais ne peuvent lesdévorer des yeux.

On passe la porte du studio et on est déjà un peu comme chez soi. Ça sent lecafé. Notre livre – celui qu’on a choisi de dérouler oralement pendant lesquelques semaines à venir – est là, qui nous attend sur la table à l’entrée. Onfait un point, parfois, sur la lecture de la fois passée. Et puis on entre dans sonpetit univers à soi, le studio n° 4. On y accède par une travée moquettée enpassant devant les étagères de livres en cours de fabrication. On referme der­rière soi une première porte ; on verrouille la seconde, très lourde qui, tout àcoup, nous isole du monde. Il n’y a plus que nous, les pages d’écriture et, déjà,sensiblement, l’oreille de celui qui nous écoutera.

Sans doute faut­il alors posséder cette nécessaire envie de transporter avecsoi, sur son dos s’il le faut, celui qui ne peut pas décrypter la signalétique Ti­mes New Roman aux courbes arrondies qui noircit le papier sans jamais pluss’arrêter avant le mot fin. Sans doute faut­il aimer conter ?

On lit “22/11/1963” de Stephen K., le King de la littérature qui tient en ha­leine, de chapitres en alinéas. Il faut prendre soin de s’énerver quand le per­sonnage est horripilé, chuchoter les prémices d’un amour entre la belle et lepersonnage principal qui n’a plus été amoureux depuis cent ans au moins. Ilfaut mimer la grosse voix de la dispute, chantonner l’air de la pub à la télé. Et,surtout, ne pas se mélanger les pinceaux dans les prononciations des lieux.Mais, après tout, ils nous sont devenus familiers. Dans la décapotable du hé­ros, on s’est baladé du Maine au Texas. On aimerait vrombir comme un mo­teur, dans le micro, quand la voiture pétarade ; mimer le bruit du tonnerre etdu vent;bref,faire les bruitages. Car on se prend à matérialiser l’histoire. Lelecteur devient raconteur d’histoires. Et se plaît alors à rêver que son auditeuraura, lui aussi, au même moment que lui, ce petit frisson que crée la fiction.U Lancement de la Bibliothèque en ligne, http://bibliotheque.braille.be, à partir du20 février.U En vue d’illustrer le travail du studio de la Ligue Braille, une cabine de lecturesera installée sur le stand à la Foire dulivre. Les visiteurs sont invités à venirmunis de leur livre préféré pourpartager leur coup de cœur avec leslecteurs aveugles etmalvoyants. Ceslectures formeront une compilationdisponible sur la bibliothèque en ligne.Inscriptions : 02.533.32.55 [email protected] la Foire, le stand de la LigueBraille aura le plaisir d’accueillir danssa cabine : Franck Andriat, JacquesBredael, Xavier Deutsch, ThomasGunzig, Pierre Kroll, Colette Nys­Mazure, Tatiana Silva, PatrickWeber,EvelyneWilwerth et de nombreuxautres lecteurs solidaires !

LIGU

EBR

AILLE

Une lectrice bénévole de la LigueBraille en plein travail !

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OLIVIERRO

LLER

Épinglé

Horreur métaphysique. Quand lachaîne câblée AMC lance “The WalkingDead” en 2010, elle ne se doute sansdoute pas qu’avec “Mad Men”, celadeviendra l’une de ses séries cultes. Ladiffusion de la 5e saison vient d’ailleursde débuter il y a quelques jours auxEtats-Unis. Le succès de “The WalkingDead” témoigne du triomphe de la cul-ture geek depuis le carton planétaire du“Seigneur des anneaux” à la fin desannées 1990. On le voit bien, en télé,avec le succès de séries comme “TrueBlood” (basée sur la saga vampirique “LaCommunauté du Sud” de CharlaineHarris) ou “Game of Thrones” (d’aprèsles romans d’heroic fantasy “Le trône defer” de George R.R. Martin). L’adaptationdu comics de Robert Kirkman (créé en2003 et toujours en cours) a été trèsintelligemment confiée à Frank Darabont.Le bonhomme n’est pas un grand réalisa-teur mais c’est un spécialiste du genre,qui a notamment porté à l’écran troisromans de Stephen King : “The Shaws-hank Redemption”, “La Ligne verte” et“The Mist”. Autant dire que l’horreur, ça

le connaît ! Bossant pour une chaînecâblée et non pour un grand network,Darabont a pu se permettre de resterfidèle à la bande dessinée sans l’affadir,comme c’était encore le cas récemmentavec le pathétique “Under the Dome” deCBS (d’après King également). Tantstylistiquement – la série y va à fonddans le gore par moments – que thémati-quement, “The Walking Dead” respectel’univers apocalyptique imaginé Kirkman,cocréateur de la série. Ce qui intéresseDarabont (qui a malheureusement étééjecté de son fauteuil de show runner parAMC au bout de deux saisons) dans lesaventures du shérif Rick Grimes, ce n’estpas tant l’aspect “survival” que lesquestions métaphysiques et politiquesque pose Kirkman. Au nom de la survie,tout est-il permis ? Faut-il renoncer à ladémocratie ? Sans cesse, en effet, lasérie interroge ce qui fait de nous desêtres humains. Car à voir comment leshommes se comportent dans “The Walk-ing Dead”, on se demande ce qui lesdifférencie des zombies qu’ils combat-tent… (H.H.)

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“Si tu ve ux avoir une vie, vole­la”h Rencontre avec Lola Lafon,auteure d’un magnifique romanautour de Nadia Comaneci.

Portrait Guy Duplat

“LA PETITE COMMUNISTE qui ne souriaitjamais” est un des plus beaux romans de cedébut 2014, l’histoire de la vie de NadiaComaneci, petite fée des JO de Montréal en1976, l’enfant de 14 ans, la princesse, quiobtint trois médailles d’or et la cote de 10jamais réussie auparavant. Lola Lafons’empare de ce mythe pour dessiner le des­tin d’une enfant qui eut le “malheur” dedevenir ensuite femme et qui expérimentaautant les aberrations du régime Ceau­sescu que les errements de l’Ouest (cf.“Lire” du 20 janvier).

Nous retrouvons Lola Lafon à Paris. Néeen 1975 en France, elle accompagna toutbébé ses parents (père français, mère d’ori­gine biélorusse), des enseignants prochesdu parti communiste, partis enseigner lalittérature française en Bulgarie et en Rou­manie. “C’était leur choix, ils estimaient quequelque chose d’intéressant se passait là. Cesont des expériences qui m’ont fondées. Aujardin d’enfants, à l’école, mes premières lan­gues furent le bulgare et le roumain. Jen’avais aucune expérience de la France que jen’ai découverte qu’à 12 ans. Ce qui m’a alorsfrappée fut l’abondance et les images par­tout.”

Lola Lafon a grandi ensuite en France etmilité dans des groupes automones et desmouvements féministes. On retrouve cesétapes dans ses beaux romans précédentsqui témoignaient d’une grande qualitéd’écrivaine et qui, à leur manière, dénon­çaient le capitalisme : “Une fièvre impossi­ble”, “De ça je me console”, et “Nous som­mes les oiseaux de la tempête qui s’an­nonce”, écrit avant le mouvement desIndignés mais qui l’annonçait formidable­ment.“J’ai expérimenté les deux côtés du Mur,

même si, en Roumanie, je n’ai pas vraimentsouffert de privation de libertés commed’autres. Ce qui m’a d’abord intéressée chezNadia Comaneci, c’est qu’elle soit devenuebrusquement, en 1976, une icône adorée detout l’Ouest alors qu’elle était un pur produitdu communisme.”

Son roman met en miroir les deux “régi­mes”. “On m’a tellement répété qu’en Rou­manie, je devais avoir été sans cesse surveilléepar la Securitate. C’est vrai, mais à juger celaaujourd’hui, leurs méthodes étaient amateu­res quand on les compare à nos caméras desurveillance omniprésentes et aux écoutes dela NSA. Quand, à 12 ans, je suis rentrée enFrance, on me disait à l’école : mais, en Rou­

L’âge d’or du livreculinaireBENOIT CLOËS EST UN PASSIONNÉ de li­vres de cuisine. Il y a un peu plus de troisans, il a lancé à Namur “Le Libraire Toqué”,librairie spécialisée dans la littérature culi­naire. Lorsqu’on lui demande quelles sontles tendances actuelles en matière de livresde cuisine, celui­ci insiste sur l’influencedes médias. “Les sujets les plus relayés par lesmédias, comme les sushis, les cupcakes ou lesmacarons sont ceux qui ont le plus de succès !Si, en plus, il y a une tête connue, un Jean­Mi­chel Zecca (“La cuisine de mon père”) ou unJean­Philippe Watteyne (“I cook for you”), lelivre se vend tout seul.” Que le livre soit bonou pas… Sans parler des sujets indémoda­bles comme la cuisine familiale, simple etgénéreuse.

Travaillant au rayon “vie pratique” dechez Filigranes, Frédéric (on s’appelle parson petit nom chez le grand libraire bruxel­lois) retient de son côté deux grandes mo­des : les livres pratiques et accessibles etceux consacrés à la cuisine végétarienne ouplus largement santé. “Même les hamburgersou les sushis deviennent végétariens ou pluslight ! Les gens n’ont plus envie de mangern’importe quoi, ils veulent du bon et du sain.”Et Benoit Cloës de préciser : “LamaisonMa­rabout a la suprématie sur le marché, avecbeaucoup de livres didactiques, comme sestrès populaires “Pas à pas”. Ce sont des livresqui nementent pas; ils sont achetés pour l’étu­diant qui quitte ses parents ou le jeune couplede trentenaires qui va avoir un enfant et quise dit qu’il faut se mettre à cuisiner et arrêterles plats préparés !” La démarche locavorefait aussi son chemin, avec des livrescomme “Génération W”, ajoute BenoitCloës, engagé personnellement dans cetteentreprise de valorisation des chefs et pro­ducteurs wallons.

En francophonie, Hachette – qui détientnotamment Larousse et Marabout – est leplus grand groupe en termes de livres pra­tiques et culinaires et celui qui détient laplus grosse part de marché. C’est d’ailleursHachette qui a édité l’un des plus gros suc­cès de l’édition culinaires en 2013 : le “Ja­mie en 15 minutes” de l’Anglais Jamie Oli­ver, parfaitement en phase avec la vie mo­derne. Du côté de chez “Filigranes”, on aaussi vu avec surprise d’autres livres émer­ger : les “Desserts sains et gourmands bio”de Valérie Cupillard, “Les recettes du ca­mion à boulettes”, un food truck londonien,ou encore “La cuisine, c’est aussi de la chi­mie” d’Arthur Le Caisne.

Selon “Le Libraire Toqué”, en 2013, la Bel­gique francophone n’a pas connu de succèsà la hauteur de la Flandre, où un Piet Huy­sentruyt peut se vanter de vendre son livreà un néerlandophone sur trois ! “Mais lesplus gros vendeurs sont aussi des gens de télécomme GéraldWatelet ou Candice Kother. EnBelgique, les éditeurs sont peu nombreux et ilssont peu à proposer des livres de cuisine. De

plus, faire un livre de cuisine coûte cher, le coûtdu photographe est très important, on compteen général 2/3 pour lui et 1/3 pour l’auteur.”Chez Filigranes, on confirme : “En Belgique, iln’y a pas grand­chose. Les éditeurs les plus im­portants sont La Renaissance du Livre et Ra­cine.” Même s’il existe aussi quelques petitséditeurs axés sur l’innovation et la qualité,comme Minestrone (Tony Le Duc), SH­OPEditions (René Sépul) ou encore Jean­PierreGabriel, précise Benoit Cloës.

Selon ce dernier, on vit actuellement unâge d’or du livre de cuisine. “C’est un secteurqui fonctionne bien, même si les marges sontfaibles et qu’il faut avoir beaucoup de livres enstock. Je ne sais pas si, il y a dix ans, on auraitpu vendre autant de livres aussi chers que leModernist Cuisine à 400€ ou la compilationdu chef FerranAdrià (El Bulli) à 550€ ! Quel li­braire aurait pris le risque d’en acheter ?”

“Le Libraire Toqué” et “Filigranes” n’ontpas tout à fait la même clientèle. “Nosclients”, estime Benoit Cloës, “sont à 45 % desprofessionnels (restaurateurs, élèves d’écoleshôtelières…). Ils sont fidèles et ont un panier de2 à 3 fois supérieur à celui des particuliers. Ilsdépensent 80 € en moyenne, contre 32 € pourles particuliers. Mais ils sont constamment à larecherche de nouveautés, de livres techniquesavec de beaux dressages. Ce sont des collection­neurs.” Chez Filigranes, on est plus grandpublic. “Nos clients sont des gens qui veulentapprendre à cuisiner, des parents qui viennentavec leurs enfants pour acheter un livre et réa­liser avec eux des cupcakes ou des macarons.”Laura CentrellaULe Libraire Toqué, 3 rue duMarché, 5000Namur. Rens. 081.65.65.30 ouwww.lelibrairetoque.be. Au Salon Horecatel auWEX àMarche­en­Famenne du 9 au 12mars.UFiligranes, 39­40 avenue des Arts, 1040Bruxelles. Rens. 02.511.90.15 ouwww.filigranes.be. A la tête du Palaisgourmand à la Foire du livre de Bruxelles du20 au 24 février.

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Le cuisinier anglais Jamie Oliver, championdes ventes en librairies.

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“Si tu ve ux avoir une vie, vole­la”manie, tu ne pouvais même pas acheter desNike ! Mais les vêtements ne sont pas le plusimportant. Les magasins roumains étaientalors vides, c’est vrai, mais l’école, le sportétaient gratuits. Aujourd’hui, les magasinsroumains sont pleins mais les gens n’ont pasd’argent. La censure économique a remplacéla censure politique.”

Lola Lafon n’épargne ni Ceausescu, nil’Ouest. Dans le sport, on peut dresser lemême parallèle. L’entraîneur miracle deNadia, Béla, a fui le Roumanie et appliquéses mêmes méthodes à l’équipe améri­caine. “En 1976, la gymnaste devait repré­senter le régime, aujourd’hui, le sportif dehaut niveau doit représenter les marques quile sponsorisent et bien les montrer à la ca­méra.”

La souffrance du sportif, celle que s’im­pose Nadia enfant, est aussi une constantedu sport. “La souffrance est obligatoire maiselle est aussi désirée par ces sportifs et par Na­dia. C’est quasi religieux, c’est s’emparer del’impossible. On veut que le spectacle soit ex­traordinaire, parfait. Béla se rend compte, àunmoment, que ce sera encore plus excitant sice sont de toutes petites filles qui font cesprouesses et pas des garçons. Et Nadia ac­cepte, elle est un personnage subversif qui n’apeur de rien, elle est Icare.”

On peut voir dans ce roman comment, àtravers Nadia, se prolonge une constantede toutes les époques, de tous les régimes :prendre le contrôle du corps des femmes.“Quand je vivais en Roumanie, j’étais tropjeune pour découvrir ces décrets hallucinantsqui furent pris pour contrôler les menstrua­tions et obliger à avoir des enfants. Horrible.Mais au même moment, il y avait en Rouma­nie plus de femmes que chez nous dans despostes importants et dans les universités. Et jeconstate, effarée, qu’aujourd’hui en Espagne,on revient en arrière sur la dépénalisation del’avortement et qu’en Suisse, on veut le dé­rembourser. Il y a quelque chose de perma­nent autour du contrôle du corps des fem­mes.”

Une phrase fut déterminante dans son

envie d’écrire ce roman (deux ans de tra­vail), quand elle lut qu’un journaliste fran­çais aux JO de Moscou avait écrit : “La petitefille s’est muée en femme, verdict : la magieest tombée”. “Mais de quelle magie parle­t­on ? C’est terrible pour une femme : on estenfant, femme et puis plus rien. Il y a une datede péremption et, chez Nadia, elle est venuetrès tôt. Enfant, elle charme dans un amourquasi pédophile. Et puis, à la puberté, c’estfini. Toutes les femmes sentent cela. La pu­berté, puis le moment où on devient une proiesans être prête, et puis la péremption. Nadian’a rien d’une extraterrestre.”

Lola Lafon, qui a beaucoup lu IsabelleStengers et son idée des femmes “sorciè­res”, estime que “le tort que nous avons euétait de croire que la bataille était gagnée”.

Son livre sera bientôt traduit en rou­main, un moment capital pour elle. “Il rè­gne à l’égard des Roumains un racisme hallu­cinant. Il y a deux Europes dans l’Union : celledes riches et celle des pauvres. Ce racisme dé­bridé et sans complexe vis­à­vis des Rou­mains, est humiliant. Les blocs économiquesont remplacé les blocs idéologiques.”

Si Lola Lafon est clairement engagée àgauche, elle est avant tout écrivaine :“J’aurais été incapable d’écrire un tract. Jecrois plus que jamais à la nécessité de la fic­tion et de la poésie, qui sont des manières des’ouvrir aux autres, qui sont le contraire dudéferlement de haine qui nousmenace. La fic­tion permet de réinventer le présent et de ledisposer autrement. Je ne veux pas ajouterencore de la misogynie, des clichés, du ra­cisme, à un monde qui me déplaît. J’apprécieles œuvres d’art qui vont à contre­courant detout cela.”

En plus de ce roman, si humain, juste etfort, elle écrit des chansons et chante trèsbien. Son dernier album folk­rock, pleind’émotion s’intitule : “Une vie de voleuse”.Une phrase reprise à Lou Andreas­Salomé,l’amie de Nietzsche, Freud et Paul Rée, quidisait : “Si tu veux avoir une vie, vole­la”.C’est tout Lola Lafon.ULola Lafon, “La petite communiste qui nesouriait jamais”, Actes Sud, 272 pp., env. 21€. A la Foire du livre les 21 et 22 février.

LYNN

SK

Née en 1975, Lola Lafon n’épargne ni Ceausescu, ni l’Ouest dans son dernierroman.

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“Le sup port numérique ne tuerapas le li vre papier”h Les acteurs de l’édition serontà La Foire du Livre pour dresserun bilan du livre numérique.

BRUXELLES ACCUEILLE à partir de jeudi etjusqu’au 23 février sa grande Foire du livre.L’occasion pour les acteurs de l’édition belgede faire le point sur l’un des sujets brûlantsdu secteur : l’émergence du livre numéri­que. Avec un chiffre d’affaires record de35 millions d’euros en 2012, en hausse de7,8 %, selon les chiffres fournis par le Servicegénéral des lettres et du livre de la Fédéra­tion Wallonie­Bruxelles, l’édition numéri­que semble en effet offrir bien des perspec­tives d’avenir. Au contraire du marché del’édition papier dont le chiffre d’affaires, s’ils’est monté à 260 millions d’euros sur cettemême période, a toutefois diminué de 1,5 %.

Autant dire qu’ils sont de plus en plusnombreux à considérer le numériquecomme une voie de développement à privi­légier. A l’image de Benoit Dupont, direc­teur de la maison d’édition numérique On­lit, présente sur cette branche d’activité de­puis 2006. “L’édition numérique constitue uneaventure éditoriale où il est plus facile de pren­dre des risques”, explique­t­il en estimantmalgré tout qu’il s’agit d’un marché encoreen gestation. Car si l’on y “retrouve lesmêmestendances que dans le marché du livre tradi­tionnel”, il existe encore “chez de nombreuxlecteurs une résistance au support numériquequi freine d’autant les perspectives de ce mar­ché”. Celle­ci s’explique tant par la “persis­tance d’un paradigme du livre comme supportphysique” que par les atermoiements des ac­teurs de l’édition pour mettre en place uneoffre numérique cohérente.

Un retard à l’allumage que pointe ThibaultLéonard, directeur de la société de conseilaux éditeurs numérique Primento. Pour ce­lui­ci, “le changement des usages de lectures’inscrit dans une tendance de long terme”qu’il s’agit de ne pas rater, au risque de pas­ser à côté de ce qui constitue “l’avenir du li­vre”. Pas question pourtant de voir dans lesbons chiffres du livre numérique le chantdu cygne du livre papier. “De même que le li­vre de poche n’a pas eu raison du broché, l’édi­tion numérique ne tuera pas le papier”, af­firme ce spécialiste du secteur.

Pour cela, encore faudrait­il que l’équipe­ment des particuliers en tablettes ou liseu­ses suive. En effet, pour Thibault Léonard,“seule une hausse du taux d’équipement desménages pourra ouvrir de nouvelles perspecti­ves pour l’édition numérique”. Une hausse quis’avère indispensable à la consolidation dece marché naissant. Or avec des chiffres

Prix Première : un premierroman dans la lumière“SOUTENIR LA CRÉATION”, voici l’objectifdu prix Première. Relancé en 2006 après uneinterruption, ce prix littéraire décerné parun jury de dix auditeurs sélectionnés surdossier (lettre de motivation, etc.) est “uncoup de pouce”, explique Ysaline Parisis, pré­sidente du jury de préselection des romans.Pour cette édition 2014, des professionnelsissus de différents milieux en relation avec lelivre (Jean­Luc Capelle, bibliothécaire, EricHaegelsteen, libraire, Ana Garcia, commis­saire générale de la Foire du Livre) et de jour­nalistes (Corinne Boulangier, Kerenn Elk­aïm, Eddy Caekelberghs, Carine Pinchart,Laurent Dehossay et Emmanuelle Jowa) ontsélectionné dix premiers romans francopho­nes publiés “entre les deux rentrées littéraires”,de septembre à janvier (lire ci­dessous).

Parmi ces “jeunes” auteurs, l’un d’entreeux recevra le prix Première le jeudi 20 fé­vrier à 13h30 à la Foire du Livre (studio deLa Première). “Un premier roman, c’est unepromesse pour ceux qui vont suivre”, remar­que Ysaline Parisis. Les 5000 euros à la clefet “un beau parcours avec la RTBF” d’émis­sion en émission permet à la fois d’offrirune belle visibilité au lauréat en éveillant lacuriosité de potentiels lecteurs mais aussid’encourager à continuer d’écrire grâce auprix financier.

Les dix jurés constitués d’auditeurs de laPremière viennent de tous horizons, d’Ar­lon à Bruxelles en passant par Louvain­la­Neuve, Namur ou Rendeux. Tous sont degrands lecteurs et très curieux de découvrirde nouveaux auteurs. Pour Emilie Mascia,qui tient un blog littéraire, postuler pourfaire partie de ce jury était une manière des’intéresser et de soutenir des romancierspubliant un premier ouvrage. “Je lis beau­coup de romans policiers et de thrillers, j’avaisenvie de découvrir des premiers romans maisaussi des auteurs belges. Il y en a deux dans lasélection.” La découverte était aussi la pre­mière motivation de Pierre Lemoine : “Je lis

peu de premiers romans. Faire partie du juryétait une manière originale de m’y intéresserd’autant plus que la sélection est très belle.”Quant à Mathilde Vandamme, grande lec­trice, elle aussi, c’est “par passion” pour la lit­térature et par soif de découverte qu’elle aparticipé avec plaisir au jury du prix Pre­mière. A ses yeux, “c’était uneautremanière devoir la littérature”. Ravis de cette aventure, ceslecteurs/auditeurs expliquent que les délibé­rations se sont déroulées sans heurts malgrédes “visions de la lecture très différentes. Nousétions complémentaires”, remarque EmilieMascia. A cette heure, le lauréat ou la lauréatea été élu(e) par le jury et chacun se déclareheureux de ce choix, qui a visiblement em­porté l’unanimité. “Les échanges étaient trèsriches”, révèle Pierre Lemoine. “Nous avonsévoqué certains critères, ce qu’est un roman parexemple, et discutéde cequenousvoulionsvraimentrécompenser”, explique Mathilde Vandamme.Au final, “nous avons choisi demettre en avantun auteur qui propose de la nouveauté dansl’écriture avec une belle histoire”, ajoute EmilieMascia. Verdict le 20 février.Camille de Marcilly

DR

Patricia Emsens et Antoine Wauters sont lesdeux auteurs belges en lice pour le Prix Pre-mière.

14-15 Foire du livreDR

Patricia Emsens publie “Retour à Patmos”aux éditions des Busclats.

Les dix romans sélectionnés

‣ Rodolphe Barry, “Devenir Carver”,Finitude‣ Patricia Emsens, “Retour à Patmos”,éditions des Busclats‣ Déborah Lévy-Bertherat, “Les voyagesde Daniel Ascher”, Payot&Rivages‣ Edouard Louis, “En finir avec Eddy Belle-gueule”, Seuil‣ Loïc Merle, “L’esprit de l’ivresse”, ActesSud‣ Romain Puértolas, “L’extraordinairevoyage du fakir…”, Le Dilettante‣ Emmanuelle Richard, “La légèreté”,L’Olivier‣ Karin Serres, “Monde sans oiseaux”,Stock – La Forêt‣ Frédéric Verger, “Arden”, Gallimard‣ Antoine Wauters, “Nos mères”, éditionsVerdier

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“Le sup port numérique ne tuerapas le li vre papier”

s’élevant à 5 % des ménages équipés en li­seuses et 16 % d’entre eux pourvus d’unetablette en 2012, selon le baromètre TICréalisé en 2013 par l’Agence Wallonne desTélécommunications, le pari semble encoreloin d’être tenu.

Pourtant, malgré ses balbutiements,l’émergence de ce futur support phare del’édition ne laisse d’inquiéter les acteurs del’édition traditionnelle. A commencer parles librairies et les bibliothèques.

Si, comme l’estime Fadila Laanan, ministrede la Culture du gouvernement de la Fédé­ration Wallonie­Bruxelles, “l’apparition dulivre numérique est une formidable opportu­nité pour la diffusion de la culture”, il s’agitd’éviter que son évolution perturbe un mar­ché de l’édition déjà soumis à de nombreu­ses incertitudes.

Quand bien même “la progression et les

parts demarché du livre numérique restent as­sez faibles” en Belgique, les pouvoirs publicstentent depuis peu de préparer les acteursde l’édition au tournant du numérique.Parmi les mesures visées se trouvent la créa­tion d’un fonds d’aide à la numérisation,l’octroi de subventions aux éditeurs numéri­ques à partir de 2014 ou encore le soutien àune démarche d’harmonisation des diffé­rents taux de TVA appliqués aux livres nu­mériques au sein de l’Union Européenne.L’édition numérique, bien qu’elle soit encoreen gestation, suscite finalement tout autantl’enthousiasme que l’appréhension. Il nereste plus aux acteurs de l’édition qu’à lesconcilier, ce qu’ils pourront tenter de faireau cours des prochains jours.Pierre Benhamou (st.)UA la Foire du livre, de nombreux débatstourneront autour de la question. Programmecomplet sur www.flb.be

JENS

KALAEN

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A/RE

PORT

ERS

Le côté pratique de l’e-book ne suffit pas en-core à convaincre une grande majorité deslecteurs.

Patrick Delperdange : “De nouvelles formes vont apparaître”h L’écrivain belge écrit des ouvrages numériques. A ses yeux, le potentiel est immense.

Liseuses mais aussi smartphones ou tablettes accom­pagnent souvent les auteurs qui choisissent d’écrirepour un support numérique. C’est le cas de PatrickDelperdange qui publie “Patrick Delperdange est unsale type” aux éditions numériques Onlit où il a déjàsigné “Toison d’or” ou “Apparitions” aux côtés deGrégoire Polet ou Nicolas Ancion. “J’ai 5 à 6000 livrespapier chezmoimais je lis beaucoup sur support nu­mérique, surma liseuse, sur tablette, surmon téléphoneportable. En résumé, je lis !” Pour lui, les lecteursprennent de nouvelles habitudes en appréciantparcourir quelques chapitres courts, le temps de troisou quatre stations de métro. “Je trouve très pratiquede lire dans lemétro surmon téléphone portable etd’avoir le choix, plutôt que d’emporter une bibliothèqueavecmoi”, ajoute Patrick Delperdange. Grâce à cestemps de lecture fragmentés tout au long de la jour­née, le feuilleton connaît un nouvel engouement etdes éditeurs numériques, tout comme des écrivains,

n’ont pas hésité à se spécialiser dans ce format. Smar­tNovel, par exemple, publie ainsi des feuilletons deMarie Desplechin, Didier van Cauwelaert ou PierreLemaître (lauréat du prix Goncourt 2013).Patrick Delperdange espère que ces supports attire­ront de nouveaux lecteurs. Ils invitent, en tout cas, àune lecture différente. “Le numérique permet aussi depublier des formats non adaptés au papier. J’ai parexemple commencé par écrire une nouvelle puis, quandOnlit a proposé des ouvrages numériques, j’ai publié unroman policier d’une centaine de pages, “Mirador”, quiavait préparu en feuilleton. Le feuilleton, le chapitrageet les formats parfois “courts” s’adaptent bien ausupport numérique.” L’écrivain assure qu’il resteencore “beaucoup de travail” sur la forme pours’adapter à la lecture numérique. L’ajout d’un “petitfilm par­ci, d’unemusique par­là ne suffit pas !” Pourcréer une véritable histoire “enrichie”, “un livreaugmenté”, il faut innover, inventer et… “cela prend

plus de temps”. “Le marché n’est pas encore abouti. Jelis beaucoup et je remarque que certains éditeursexpérimentent mais je ne suis pas convaincu. Le sec­teur se développe. Un jour, on s’apercevra des potentia­lités formidables pour créer une œuvre d’art. C’est undomaine en ébullition. De nouvelles formes vontapparaître”.Quant au piratage qui fait frémir les auteurs, il n’ef­fraie pas Patrick Delperdange. “En littérature, leséditeurs ont tout intérêt à examiner précisément cequi s’est passé avec la musique. Les verrous et toutes lesprotections que les maisons de disque avaient mis enplace n’ont pas fonctionné. Pourquoi mettre autant debarrages qui donnent envie à certaines personnes deles forcer ? Pourquoi tant d’interdictions ? Si j’ai unlivre numérique, pourquoi ne pas pouvoir le prêter àquelqu’un comme pour les livres papier ? Si les livresne sont pas chers, cela ne donne pas envie de les voler.”CdM

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