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© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit. Supplément réalisé par Eddy Przybylski LA GRANDE GUERRE À HAUTEUR D’HOMME Deuxième partie : Pour contrôler les provinces de Luxembourg et de Namur, l’armée allemande multipie les massacres.”

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Supplément LLB du 15 mai 2014

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© S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Supplément réalisé par Eddy Przybylski

LAGRANDEGUERRE

ÀHAUTEURD’HOMMEDeuxième partie : Pour contrôlerles provinces de Luxembourget de Namur, l’armée allemandemultipie les massacres.”

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Un seul coup de feu : dix­huit millions de morts28 JUIN 1914 L’archiduc François­Ferdinand, héritier du trône d’Autriche, est assassiné à Sarajevo parun idéaliste de 19 ans. L’attentat débouche sur un conflit mondial, aussi simplement que s’effondreun jeu de château de cartes. Pour l’expliquer, il faut évoquer l’effritement du grand Empire ottomanau cours du 19e siècle. La Grèce s’en est détachée pour proclamer son indépendance dès 1830. Puisla Bulgarie. Et la Serbie, capitale Belgrade. Ensuite, en 1909, l’Empire autrichien s’empare de la Bosnie,capitale Sarajevo. Impuissant, le gouvernement de Constantinople laisse faire.Les Serbes sont furieux. Le professeur Tixhon, de l’Université deNamur : “Comme tous les États européensde l’époque, la Serbie développe un nationalisme extrême. On y rêve d’une Grande Serbie qui irait jusqu’auxfrontières de la Grèce. De plus, la Bosnie offrirait aux Serbes l’accès à la Méditerranée. Belgrade, en s’appuyantsur les Serbes vivant en Bosnie, alimente une espèce de terrorisme et développe l’agitation et un sentiment anti­autrichien. L’assassinat de Sarajevo s’est déroulé dans ce contexte­là. L’auteur est un Serbe de Bosnie, membred’un groupe révolutionnaire. Les Autrichiens sont persuadés qu’il a été téléguidé par le gouvernement serbe.”Le professeur Balace, de l’Université de Liège : “L’arme du crime est un pistolet automatique BrowningF1903 provenant d’un lot qui avait été livré par la FN de Herstal à la Serbie deux mois avant l’attentat. C’estce qui a fait penser que Belgrade avait organisé l’assassinat.”D’où l’exigence desAutrichiens : ils entendentaller eux­mêmesmener l’enquête àBelgrade. Les Serbes refusent aunomde l’intégrité nationale. LesAl­lemands incitent les Autrichiens à la plus grande fermeté.

23 JUILLET L’Autriche pose unultimatumet, le 28, elle déclare la guerre à la Serbie. Le 29, la Russie, défen­deresse de la Serbie, déclare la guerre à l’Autriche.

28 JUILLET Il y a déjà des bombardements sur Belgrade. C’est le vrai début de la guerre.31 JUILLET ÀParis, Jean Jaurès, prêcheurdupacifisme, est assassiné et, le lendemain, 1er août, l’Allemagnedéclare la guerre à laRussie; la France, alliée des tsars, décrète lamobilisation générale. La Belgique, paysneutremais craignant l’invasion, le fait également.

2 AOÛT L’Allemagne envahit le Luxembourg et exige que la Belgique laisse passer ses troupes.3 AOÛT La Belgique refuse. L’Allemagne déclare la guerre à la France et à la Belgique.4AOÛT À l’aube, lesAllemandspénètrent sur le sol belge. À10h, àThimister, AntoineFonckest le premiersoldat belge tué. Àmidi, discours du roi Albert devant le Parlement. Appel à l’aide des Britanniques, ga­rants de notre neutralité, et des Français. La Grande­Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne.

5 AOÛT Sur la route de Liège, l’armée belge oppose aux Allemands une résistance inattendue qui provo­que en retour une brutalité terrifiante des envahisseurs. Les maisons de Battice sont incendiées le 6et celles de Herve le 8.

6 AOÛT Les Allemands sont à Liège. Ils peuvent prendre à revers les 12 forts censés protéger la ville. Flé­malle et Hollogne tiendront jusqu’au 16. Les Allemands entreront dans Bruxelles le 19.Les armées belges se replient vers Anvers.

15 et 16 AOÛTÀDinant, l’armée française subit le baptême du feu.22 AOÛT Cette fois, la guerre éclate. Grandes batailles près de Virton : à Rossignol (plus de 15.000morts),à Éthe, mais aussi à Namur, à Charleroi et à Mons. Les Français perdront, ce jour­là, plus d’hommesqu’en huit ans de guerre d’Algérie. Le 23, ça se bat à Dinant où 674 civils sont abattus. Il y aura d’autrestueries : à Andenne, à Seilles, à Tamines... Vaincus, les Français ont ordre de se replier vers laMarne.

25 AOÛT Première des trois sorties des troupes belges d’Anvers assiégée. Notre armée occupe ainsi150000 soldats allemands alors que se prépare la grande bataille de laMarne.

9 SEPTEMBRE Sur la Marne, les 150000 soldats allemands retenus en Belgique manquent cruellementaux envahisseurs. C’est la victoire française et la retraite générale de l’armée allemandepourqui l’objec­tif change : contourner Paris par le nord et prendre les ports deDunkerque, deBoulogne et deCalais afinde contrarier les débarquements britanniques. On appellera cela la Course à la Mer. Ainsi, l’Yser etle Nord de la France deviendront les principaux champs de bataille de 14­18.

9OCTOBRE L’armée belge quitte Anvers et se replie au­delà de l’Yser La Bataille de l’Yser débute le 19.7 MAI 1915 Depuis février, les Allemands ont lancé les premiers sous­marins. Ils torpillent tous les ba­teaux qui font route vers l’Angleterre, y compris ceux des pays neutres. Ce 7 mai, le Lusitania, un pa­quebot transatlantique, est coulé : 1.200 morts dont 128 ressortissants américains. Ce fait tragique in­fluence l’entrée en guerre des États­Unis.

2 AVRIL 1917 Entrée en guerre des États­Unis. Les premiers corps militaires américains débarquentà Nantes et La Rochelle à partir d’octobre 1917. Mais les troupes n’entrent pas tout de suite dans la ba­taille. On prend le temps de rassembler deuxmillions d’hommes.

6 JUILLET 1917 Lawrence d’Arabie entre dans Aqaba. Au début de la guerre, l’immense Empire ottomanhésitait. Plusieurs archéologues britanniques, occupés sur des chantiers en Turquie, servirent d’espionsafin de convaincre Constantinople de rejoindre les alliés. Thomas Lawrence était l’un d’eux. Les préten­tions françaises en Algérie et anglaises en Égypte, décidèrent le sultan à choisir l’Allemagne. Lawrence,promu colonel, fut envoyé dans les déserts arabes afin de retourner les tribus contre les Turcs. La vic­toire d’Aqaba précipitait la chute de l’Empire ottoman.

PRINTEMPS 1918 Sur la côte Atlantique, les Américains arrivent à raison de 200.000 hommes par mois.L’Empereur et le haut commandement allemand s’installent à Spa et préparent, avant que ne se metteenmarche l’armée amércaine, une offensive de la dernière chance.

AVRIL 1918 La grande offensive américaine commence. Les Allemands comprennent très vite quela guerre est perdue. Mais l’Empereur sait que la défaite signifie son abdication. Il retarde sa signature.

11NOVEMBRE1918 LesAllemands signent un armistice avant que leur pays ne soit envahi. Bilan : le coupde feu du 28 juin 1914 à Sarajevo aura causé la mort de 18 millions de personnes. En Belgique,42700militaires ou assimilés ont perdu la vie. On compte aussi 24.500 victimes civiles.

2-3 La Grande guerre à hauteur d’homme

La Grande guerre à hauteur d’homme. Supplément gratuit à La Libre Belgique et à La Dernière Heure.Rédaction : Eddy Przybylski.Conception graphique : Jean-Pierre Lambert. Coordination rédactionnelle : Gilles Milecan.Infographie : Astrid ‘t Sterstevens, Didier Lorge et Etienne Scholasse.Réalisation : IPM Press Print.Administrateur délégué – éditeur responsable : François le Hodey.

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Un seul coup de feu : dix­huit millions de morts Tout le monde le sait : la Première Guerremondiale trouve ses origines à Sarajevo.Repères.

2-3 La Grande guerre à hauteur d’homme

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15 au 22 AOÛT Dinant et Rossignol

Charles de Gaulle parmiles premiers blessés françaish Le 15, à Dinant,baptême du feupour les Français

n Pour foncer sur Paris et surprendreles Français, les Allemands s’étaientdonné trois priorités : neutraliser lesforts qui entouraient Liège, contrôler laMeuse et, surtout, faire vite.Ils n’ont jamais imaginé une telle résis­

tance des forts de Liège. Ce qui va offriraux Français du temps pour organiser laréaction. Jean Dauphin, 90 ans, ancieninstituteur du village de Latour, à côté deVirton, y gère unmusée de la Bataille desTrois Frontières : “Il faut, à la France, letemps de mobiliser. On concentre toutes lestroupes autour de Verdun. Puis, entre le 10et le 15 août, des fantassins sont envoyés enBelgique. Mais, ne l’oublions pas : ils vien­nent à pied.”Les Français connaissent les priorités

allemandes. Pour aider Liège, il est troptard; mais ils peuvent bloquer la Meuseet, le plus près de la frontière, c’est Di­nant. Le professeur Tixhon, de l’Univer­sité de Namur, est Dinantais :“En juillet 1914, les Dinantais ne pensentpas à la guerre : la saison touristique se meten place. Le tourisme afflue de l’Europe en­tière. Une clientèle riche : on peut parlerd’une offre hôtelière de haut standing. Di­nant a ses grottes, la Citadelle qui est démi­litarisée, le casino, bien sûr, mais aussi uninstitut d’hydrothérapie pour les curistes,

des activités nautiques...“Le jour de l’attentat de Sarajevo, un hô­

telier d’Anseremme, qui est le Saint­Tropezmosan, a un accident de vélo. Dans les jour­naux locaux du lendemain, il occupe plusde place que l’assassinat duprince héritier autrichien.Les gens sont persuadés quesi une guerre explosait enEurope, la Belgique, paysneutre, resterait en dehorsde tout ça.”Mais le 15 août, tout le

monde a compris. Il y a eu,le 4, l’invasion; puis, dès le6, les premières atrocitésen province de Liège.Le professeur Tixhon:

“Les Dinantais ont vu arri­ver les premiers Allemandsle 6 : des patrouilles de re­connaissance. Le 9, les Fran­çais se déployaient sur la rive gauche de laMeuse.” Parmi les officiers, un lieutenantde 23 ans : Charles de Gaulle.Aujourd’hui, sur le pont de Dinant, côtérive gauche, une plaque rappelle que lelieutenant de Gaulle compte parmi lespremiers blessés français de cette guerre.Le professeur Tixhon : “Pour les Alle­

mands, il était important de passer laMeuse. L’avant­garde d’un corps de cavale­rie, venu en mission de reconnaissance,avec quelques pièces d’artillerie, s’est renducompte que, sur la rive droite, Dinantn’était pas occupée et que le pont était àleur merci. Ils ont voulu le prendre immé­diatement. En observant ces manœuvres

allemandes, des Français qui se trouvaientau sommet de la Citadelle ont voulu battreen retraite. Pour cela, il leur fallait traver­ser la Meuse et la mission de de Gaulle etde ses hommes était de protéger le retour de

ces soldats par le pont. C’estalors que de Gaulle a été at­teint à la jambe par uneballe allemande. Il a été re­cueilli dans une maison, àproximité du pont. Il y estresté là pendant plusieursheures, jusqu’à ce que, dansl’après­midi, des renfortsfrançais d’artillerie arriventet bombardent le plateau,empêchant les Allemands deconserver le pont.” La mai­son où Charles de Gaulle areçu les premiers soins se­rait une des deux premiè­res sur l’avenue des Com­

battants, après la rue du Ruisseau.L’assaut laissait 2300 morts allemands

et 54 français. Après ce 15 août, plusde combats, mais de nombreux survolsde reconnaissance par des aéroplanes al­lemands. Jusqu’aumatin du 23.

UN MUSÉEDANS UN VILLAGELe village de Latour aéchappé aux grandesbatailles, mais pas auxatrocités. À l’étage del’ancienne école, à côté del’église, le Musée de laBataille des Trois Frontiè­res est petit, mais ça nemanque pas d’intérêt.On y a reconstitué, sur unmannequin, tout l’équipe­ment du fantassin français.Le fantassin à la gabardinebleu sur pantalon rouge.Avec le barda. “Trente kilossur le dos !” explique l’an­cien instituteur, JeanDauphin, 90 ans.À la gauche de notresoldat, dans une vitrine,tout ce qui se trouve àl’intérieur du sac à dosfrançais : les vêtements etsous­vêtements de re­change, unmartinet quisert à enlever la poussièrede l’habit, des gobelets, lematériel de rasage…Idem dans une autrevitrine, à la droite dumannequin. Mais ici, c’estle nécessaire allemand.“Sur un champ de bataille,on a retrouvé cette petiteboîte ronde argentée. Ellecontient… un préservatif.”Il y a dans cemusée troissuperbes casques à pointe,un fusil Mauser allemand,une vitrine consacrée auxfouilles dans la région etune autre dédiée à l’arméebelge.

hDeux obus allemands sont encore fichés dans un des murs de l’église

Il y a eu à Rossignol plus de morts qu’àWaterloo

Le petit village de Rossignol s’est fait une réputa­tion grâce à un festival de jazz qui s’y déroulechaque été. La localité en garde des sculptures etdes traces tout au long de l’année.Mais il a aussi ses cimetières militaires français,un parcours (de 2 ou 3 heures) comprenant22 panneaux explicatifs et, dans la façade gauchede l’église, deux obus restent plantés là depuis le22 août 1914. C’est la date de la bataille de Rossi­gnol où 15.400 soldats sontmorts. À titre decomparaison, la bataille deWaterloo a fait 12.000victimes et le débarquement du 6 juin 1944, surles plages de Normandie, 10.600. Cette bataille deRossignol conserve une forme de triste record.Les pertes sont surtout françaises. SeizemilleFrançais étaient engagés dans la seule bataille deRossignol : 11.500 ont été tués. Un tiers de l’ef­fectif !Rossignol fait partie de l’entité de Tintigny. JackyClausse y est documentaliste : “Depuis le 6 août,des cavaleries des deux camps se trouvaient dans larégion, chargées de missions de renseignement. Il ya eu des escarmouches, mais rien de très sérieux.Alors, les fantassins sont arrivés dans la nuit du 20

au 21. On peut estimer que 800.000 soldatsoccupaient en même temps une province duLuxembourg qui devait compter, en temps ordi­naire, 80.000 habitants.”En réalité, dans la région, deux armées alle­mandesmarchent vers la France. “L’une vient deBastogne et l’autre du Grand­Duché. Les Fran­çais avancent entre les deux et, vers 6 heures,dans les bois de Rossignol, ils se retrouventun peu par hasard avec les Allemands installésen face d’eux. Les Français, dans la vallée. Les Al­lemands, au­dessus, à la lisière de la forêt. C’est lecarnage. Impossible, avec un fusil et une baïon­nette, d’aller déloger un nid de mitrailleuses.Les Français font demi­tour et tentent de sebarricader dans le village de Rossignol. L’arméeallemande met ses canons en place. La bataille deRossignol va durer de 6 heures à 21 heures.”Ce sont ces canons­là qui vont aller planterdeux obus dans le mur de l’église. “Il n’y a paseu, à Rossignol, de maisons incendiées intention­nellement, comme à Dinant ou à Éthe. Mais denombreuses habitations ont été détruites par lescombats.”

Pas de pantalons rougesmais des… marines

On est à deux pas du Grand­Duché et de la France.La bataille de Rossignol s’inscrit dans un ensembleque les historiens ont appelé la Bataille des TroisFrontières. Ça se battait partout dans la région : dansla ville de Éthe, sur les plateaux proches de Virton,à Bellefontaine, à Saint­Vincent, à Tintigny où, aprèsles combats, il ne restait que 20maisons debout. Sur150 ! Toute cette bataille des Trois Frontières n’op­posa que des Français et des Allemands.Jacky Clausse : “La province du Luxembourg avait étévidée de ses soldats belges. Son unique caserne, le 10e

de ligne d’Arlon, avait été envoyée renforcer la défensede Namur. C’est que le haut état­major considérait quenotre terre de forêts, de collines et de marais étaitimpraticable pour une armée enmarche qui devaitdéplacer de l’artillerie lourde. Les Français croyaientla même chose. C’est la raison pour laquelle ils avaientenvoyé aux Trois Frontières ce qu’on appelait destroupes de marines, qui n’étaient absolument pas desmarins, mais une armée de métier, un corps expédi­tionnaire créé pour les opérations outremer, dans lescolonies, à travers les déserts ou dans la jungle. Et ceshommes­là ne portaient pas le fameux pantalon rougequ’on a accusé d’être une des causes de l’hécatombefrançaise. Les seuls pantalons rouges dans la régionétaient des unités venues en appui.”

4-5 La Grande guerre à hauteur d’homme

Charles de Gaulle jeune

D.R.

Des pertes historiques

Le 22 août 1914 reste, dans l’Histoirede l’Armée française, une date noire : surle territoire belge, entre Longwy et Mons,27000 soldats français ont été tués. Plusqu’à Verdun ! Autant qu’en huit annéesde Guerre d’Algérie !

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Le barda du soldat français pèse trente kilos et ralentit samarche. Dans une vitrine dumusée de Latour, près de Virton, on a reconstituétout ce qui se trouvait dans le sac du militaire.

l LES CIMETIÈRES

3400 tombes

n Près de 3400 soldats fran­çais reposent aujourd’huidans les cimetières militairesde Rossignol. Jacky Clausses’occupe entre autres de leurgestion : “Il ne se passe pas unesemaine sans que je reçoiveune lettre de France, d’une per­sonne dont le grand­père estenterré à Bellefontaine ou àRossignol. On nous demandede faire des recherches. On lesretrouve de temps en temps.”

l STRATÉGIE

On change tout

nC’est après leur victoire surles Français, le 22 août, queles Allemands vont déciderde changer leur plan générald’invasion. Ils avaient prévude contourner Paris. Ils déci­dent maintenant de poursui­vre l’armée française qui, surdécision de son général Jof­fre, s’est repliée sur la Marne.

COLLEC

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ÉEDE

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3400de ses soldats français reposent dans les cimetièresmilitaires de Rossignol. Un grand nombre d’entre eux n’a jamais pu être iden-tifié. Des familles continuent, cent ans plus tard, des recherches.

D.H.

Une plaque du souvenir sur le pont de Dinant. Charles de Gaulleavait alors 23 ans. Il a été blessé le premier jour de sa guerre.

D.H.

Deux obus tirés par les Allemands le 22 août 1914 sont restés fi-chés dans un mur de l’église du village de Rossignol.

D.H.

l CAUSES DU DÉSASTRE

Le chef commandemais le chef est loin

n Les historiens ont cherchédes explications à l’ampleurdu désastre français. On a ac­cusé le pantalon rouge queportaient la plupart des mili­taires, commeau19e siècle. Ilsera très vite abandonné et lecasque remplacera en mêmetemps le képi.Mais au musée de la Ba­

taille des Trois Frontières,à Latour, Jean Dauphin voitd’autres explications liées àl’équipement : “Chez nous,nous avons reconstitué tout leharnachement d’un soldatfrançais de l’époque. C’est biensimple : le fantassin françaisporte 30 kilos sur le dos. L’un aune gamelle pour quatre per­sonnes, l’autre une cruche… LesAllemands, eux, disposaient decuisines roulantes.”ÀDinant, le professeur Tix­

hon a des explications plusmilitaires : “Le système decommandement allemandétait plus fragmenté que celui,très hiérarchisé, des Français.Au moment de décider, un chefde section allemand prenaitdes initiatives; le Français, lui,devait en référer à ses supé­rieurs qui se trouvaient éloi­gnés du champ de bataille.”Parfois, cet éloignement

a fait que la présence d’enne­mis, rapportés par les servi­ces de renseignements,n’était pas signalée à latroupe.

4-5 La Grande guerre à hauteur d’homme

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26 AOÛT Rossignol

Six des 64 veuves s’étaientmariées en 1914hOn buvait l’eau du ruisseauoù flottaient encore descadavres.

n Au soir de la bataille de Rossignol, lesvainqueurs allemands prennent la déci­sion de passer trois jours dans le village,le temps de se reposer et de remettre lematériel en état. Après, ils marcheronten direction de Sedan.Ces soldats éloignés de leurs bases ont

une obsession : la crainte des francs­ti­reurs ! Dans le langage moderne, on par­lerait de snipers. Ce sont des civils qui,détestant l’envahisseur et possédant unearme, pourraient se mettre en tête dedonner un coup demain à leur armée etde tuer au hasard.Du point de vue d’un soldat, un franc­

tireur, ça peut agir n’importe quand,n’importe où et, le plus souvent, dansvotre dos. Disons­le tout de suite : iln’existe aucune trace sérieuse d’inter­vention d’un franc­tireur quelque parten Belgique, en août 1914. Mais…Le professeur Balace : “Le soldat alle­

mand est un jeune garçon de 19 ou 20 ansqui, dès l’école, a entendu les récits horrifiésd’actions des francs­tireurs français pen­dant la guerre de 1870. Guerre qui n’étaitpas très lointaine et restait vive dans lesmémoires. Tout au contraire, les écoliersfrançais entendaient avec ravissement leshistoires des exploits de leurs francs­ti­

reurs. On en est là : on a répété à ces jeunessoldats allemands à quel point ils devaientse méfier.” Michel Kellner est documen­taliste à Dinant : “Ces jeunes militairesétaient nourris d’histoires d’officiers à quion avait coupé la main ou crevé les yeux.”À Rossignol, pour se prémunir du ris­

que, les Allemandsont entassé tous les ci­vils dans l’église. Il yavait aussi un château,mais il servait d’hôpi­tal, essentiellementpour les soldats fran­çais. En 1914, on pré­fère, au mot hôpital,celui d’ambulance.Le 23 août, lende­

main de la bataille, lesAllemands entrentdans l’église :“125 hommes du vil­lage ont été réquisition­nés pour aller enterrerles tués et les chevaux. On n’en parle pasmais 3000 chevaux français ont aussi ététués : embourbés dans les marais, mais onsait que 2000 soldats français ont abattuleur monture afin que ces bêtes ne soientpas récupérées par les Allemands.” Les Al­lemands ont donc emmené les hommesde Rossignol. “Et aussi une femme de41 ans, Marie Hurieaux, qu’ils ont priseparce qu’elle parlait leur langue. Ils ontpassé trois jours avec les Allemands, par­qués pour dormir dans un pré, pratique­ment sans nourriture. Ils avaient le droit de

boire l’eau d’un ruisseau où, en amont flot­taient encore des cadavres.”Dans ce cortège, il n’y avait pas que les

125 Gaumais. “Les Allemands avaientaussi embarqué 2000 soldats français. Letroisième jour, on les a fait marcher de Ros­signol à Marbehan, à 5 km. De là, on les a

embarqués dans des wa­gons à bestiaux vers Arlon.Un subalterne s’est rendu àLuxembourg où le gradéprincipal, von Teismar,prenait l’apéritif à l’HôtelRoyal, face à la gare. Il ad’abord ordonné de faireenvoyer nos hommescomme prisonniers en Al­lemagne. Mais, avant quel’estafette ne quitte lapièce, il changea d’avis :“Qu’on les fusille ! Ce sonttous des francs­tireurs !”Le capitaine von Put­

kammer fit remarquerqu’il y avait parmi eux des vieillards(huit septuagénaires), un infirme et unefemme. L’ordre demeura “Qu’on les fu­sille !” À Rossignol, cette journée a fait64 veuves dont six jeunes femmes ma­riées en 1914. Et 142 orphelins.En gare d’Arlon, adossé au pont de

Schoppak, unmonument indique le lieuoù ces hommes de Rossignol ont été fu­sillés le 26 août 1914. Dix par dix. L’uni­que femme assista à la mort de sonmaripuis, elle­même, fut abattue. La der­nière. Et seule.

LESCOMMÉMORATIONS

Vendredi22 aoûtInauguration, à Bellefon­taine, d’une exposition surles batailles dans la région.

Dimanche24 aoûtPlusieurs familles françaisesseront accueillies à Belle­fontaine

Mardi26 aoûtÀ l’initiative des trois syndi­cats d’initiative de Tintigny,Marbehan et Arlon,on refera le trajetdes 125 hommes de Rossi­gnol. On inaugurera uneplaque à Marbehan.Ensuite, train jusqu’à Arlonoù unmonument se trouvecontre pont Schoppak. Il yaura unemesse le soir et unrepas au centre culturel deRossignol.

Le vendredi12 septembreTous les ans, à cette date, lestroupes de Marines deFrance viennent à Rossi­gnol, avec 200 soldats etdes musiques.Elles sont le 13 à Neufchâ­teau.

h “Il faut comprendre ce que c’est que vivre dans une famille qui a hérité detoutes ces horreurs”

La question du pardon

“Des années après la guerre, si ma grand­mèrevoyait une voiture allemande s’arrêter près dumonument auxmorts, elle allait engueuler lesgens.”Dans cette région de la Gaume, le ressenti­ment est resté très profond.Ce n’est que le 28 février 2013, à Arlon, quel’Allemagne, par la bouche de son ambassadeur,a reconnu officiellement la responsabilité de sonpays “dans la mort injustifiée de 786 civils dedifférentes communes de la province du Luxem­bourg”.Freddy Brisy, un des actifs dumusée de Latour :“Il n’a pas prononcé le mot Pardon, mais c’étaitdéjà un geste. Soyons raisonnables : on ne va pasnon plus leur demander se mettre à genoux.“Des gens de la ville de Bochum, qui organisentune très grosse exposition qui va durer un an, sontvenus plusieurs fois chez nous. Leur exposition seracentrée sur les soldats de Bochum qui ont été enservice ici, dans la région de Virton, sur la vie desfemmes à Bochum pendant que leurs hommesétaient au front et une partie de l’exposition seraun hommage aux victimes civiles de Latour.“Nous trouvons aussi que c’est un beau geste. En2015, cette partie­là de l’exposition reviendra ici.”

L’épouse de Freddy Brisy est une descendantede fusillé et elle a été attaquée, sur le sujet dupardon, jusque dans les journaux locaux : “Ilsont écrit que j’étais “irréductible à la fraternitéhumaine. Onm’a regardé comme une femmeméchante. La seule chose que je dis, c’est qu’undrapeau allemand n’a pas sa place à côté dumonument aux 282 victimes du village.“S’il y a une commémoration civile, cela ne medérange pas que des délégués allemands soientinvités, mais pas au premier rang. Si les gens deBochum viennent à la maison, ils seront bienreçus et je me vois mal leur demander un pardon.J’étais d’ailleurs très émue lors du discours del’ambassadeur d’Allemagne à Arlon et je trouvaisque cet homme avait une grande sensibilité.“Je suis également d’accord s’ils viennent àl’inauguration d’une exposition. Et ça ne medérange pas qu’on hisse un drapeau allemanddans un cimetière où reposent des soldats alle­mands. Mais il faut comprendre aussi ce que c’estde vivre dans une famille comme ça, avec ceschoses dont on ne nous a jamais parlé. J’ai des tasde photos de mon aïeule, mais pas une où ellesourit. Cette femme n’avait plus de sourire.”

“Elles devaient loger ceuxqui avaient tué leur mari”

À Bruxelles, le gouvernementmilitaire allemanddécida que toutes les régions restées derrière lesfronts seraient appelées Terrains d’étapes et soumi­ses à une administration particulière.Il s’agissait de prendre des dispositions afin de facili­ter le ravitaillement vers le front, mais aussi le reposdes soldats allemands en permission. Jamais, lesAllemands n’étaient autorisés à rentrer chez euxmais ils pouvaient venir se reposer à l’écart deschamps de bataille.Jacky Clausse, à Tingigny : “Ces terrains d’étapesformaient des cantons qui dépendaient directement del’état­major militaire. Ici, nous étions sous l’autorité decelui de Verdun.“Les habitants étaient soumis à une réglementationtrès stricte. Ils ne pouvaient pas s’éloigner sans autori­sation. Ce qui posait des problèmes à certains tra­vailleurs des champs. Une sœur des célèbres frèresCollard, des résistants qui ont finalement été fusilléspour espionnage, était allée leur rendre visite à Liège.Il lui fallait obtenir trois ausweis rien que pour attein­dre Florenville et un autre pour Liège.“Les gens devaient aussi recevoir des soldats alle­mands chez eux. Imaginez ! Ils vous avaient tué unpère ou un enfant et vous deviez les accueillir dansvotre maison et cuisiner pour eux.”

6-7 La Grande guerre à hauteur d’homme

“Il y avait 7000blessés. Ils étaientpartout : dans lescaves, les grenierset plein le parc.”Jacky ClausseDocumentaliste à Tintigny­Ros­signol

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Victor Burton a été abattu à 49 ans. Sur cette photo, il est le marié. Car c’est bien d’une photo de noce qu’il s’agit. À cette époque, dansla Gaume, les femmes ne se mariaient pas en blanc. Elles portaient une robe noire sous un long voile blanc.

l lES VIOLS AUSSI

Enfants morts nés

n Un des aspects les plus tusdes atrocités : le viol des veu­ves et des jeunes orphelines.À Latour, on a connu le cas

d’une gamine de 11 ans vio­lée par un soldat allemand.Il se dit aussi qu’en 1915, il yeut, dans la région, beaucoupd’enfants morts nés. À Tinti­gny, le médecin passait pourdistribuer des pilules aborti­ves à des gamines violées.Dans la région de Virton,

l’insulte : “Tu es la fille d’un Al­lemand” est restée en prati­que de nombreuses annéesaprès la guerre.

l MÊME LA RELIGION

Incroyable sermon

n “Il est vrai que nos soldatsont fusillé, en France et en Bel­gique, hommes, femmes et en­fants et qu’ils ont détruit leurshabitations. Mais quiconqueconsidère cela comme con­traire aux enseignements de ladoctrine chrétienne montreseulement qu’il n’a pas lamoindre compréhension duvéritable esprit du Christ.”Ces mots ne sont pas ceux

d’un militaire fou, mais ceuxd’un prêtre, Hein, publiésdans la Gazette de Voss et re­pris par le journal anglais TheStandard. Ils ont été aussi dé­noncé, en chaire de vérité,par le curé de Latour, l’abbéSchleich, qui a également re­trouvé, dans un livre de LéonBloy, cet autre sermon alle­mand de l’époque : “Nous nehaïssons pas nos ennemis.Nous croyons que nous accom­plissons la volonté de Dieu enles combattant, en incendiantleurs maisons et en les tuant.”

FRED

DYBR

ISY

À Virton, à ce même endroit, se trouve aujourd’hui le restaurant Le Franklin. À l’époque, c’était un cinéma qui portait déjà ce nom,en hommage au développement récent de l’électricité. Les occupants allemands en ont tôt fait leur cinéma à eux. Leur kino…

COLLEC

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ÉEDE

LATO

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Marie Hurieaux a été emmenée parce qu’elle parlait l’allemand.Elle a servi d’interprète mais fut fusillée avec les 125 hommes.

D.R.

Dans la région des trois frontières, les souvenirs d’août 1914se trouvent partout. Ici, à Gomery.

D.H.

l LA MARSEILLAISE

“Mon maîtred’école étaitfils de fusillé”

n Jacky Clausse, 64 ans, l’his­torien local de Tintigny et deRossignol, se souvient dedeux cars arrivés de Vendée,qu’il a accompagnés notam­ment au cimetière. “Ils ontsorti un clairon puis ontchanté La Marseillaise. Ils ontinvité les Belges qui étaient là àchanter La Brabançonne et jeme suis rendu compte que je nela connaissais pas. Pourquoi ?Parce qu’à l’école, j’avais pourinstituteur un homme dont lepère avait été fusillé. Et lui, ilavait tenu à nous apprendreLaMarseillaise.”

6-7 La Grande guerre à hauteur d’homme

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Léonie Capon, au centre, était une desveuves d’Éthe. Son arrière-petite-fille :“Je n’ai pas une photo d’elle où elle sourit.”

FAMILLE

BRISY

24 AOÛT Latour

“Parlez d’autre chose”h Les veuves de Latourn’aimaient pas évoquercette journée.

n Le drame du petit village de La­tour, à 4 km de Virton, commencecomme celui de Rossignol. Jean Dau­phin, 90 ans, est l’ancien instituteur :“L’affaire s’est déroulée le 24 août, alorsque les combats étaient terminés et queles Français s’étaient retirés. Des mas­sacres et des incendies avaient eu lieudans les villages voisins, à Éthe et à Go­mery. Latour avait été épargnée. Maisce jour­là, au matin, une voiture alle­mande est arrivée. Notre jeune curé,l’abbé Zender, connaissait l’allemand etl’officier s’est adressé à lui. Il lui a or­donné de rassembler les hommes pourpartir à Éthe afin d’aller y enterrer desmorts. Le curé a même reçu un sauf­conduit.”73 hommes ont été massés dans

deux charrettes tirées par des che­vaux. Parmi eux, le bourgmestre etdeux curés : l’abbé Émile Zender etson prédécesseur, retraité. “Ils ne sefont pas de soucis. Dans leur esprit, c’estune bonne œuvre que d’aller enterrerles morts.” La suite n’a jamais reçu lamoindre explication. “Ces hommesn’ont pas été conduits vers les champsde morts. C’était un guet­apens. Vers

midi, on les a rassemblés dans une prairie. Le curé amontré son sauf­conduit. Le soldat ne l’a même pas re­gardé. Il l’a poussé avec les autres. 71 hommes de La­tour ont été fusillés. Le plus jeune, Louis Joffin, avait 15ans. Le plus âgé, Adolphe Poncin, 70 ans. Des famillesont été détruites.Il y avait un Lambert, fusillé avec ses cinq fils. Sa veuveest morte en 1915. On a dit que c’était de chagrin. Il yavait de quoi.Dans une autre famille, on a compté treize victimes decette fusillade. Laval, le fermier du château, a étéabattu ainsi que trois de ses fils. Quelques jours après,on apprit que son quatrième fils comptait parmi lesmorts du fort de Loncin. Au soir du 24 août, il y avaitquarante veuves à Latour et une centaine d’orphelinsdont la moitié n’avait aps six ans.”Mais à ce moment­là, dans le village, on ignorait

encore tout du drame. “Un Virtonais,Adrien Renaud, était venu à Latour cejour­là. Il a vu des sentinelles alleman­des aux entrées et aux sorties du village.Mais il n’a rien deviné. Personne ne sa­vait pas où se trouvaient les hommes.”Le soir, les femmes commencent à

angoisser. “Elles ont passé deux jour­nées sans nouvelles. Mais des habitantsde Chenois, le village voisin, à un kilo­mètre de Latour, savaient : ils avaientparticipé à l’enterrement de nos hom­mes, dans une prairie de Éthe, mais ilsn’ont pas osé en parler sinon à leurcuré.” C’est le curé de Chenois quiviendra vers le 26 août ou le 27 à La­tour pour leur annoncer : “Vos marisne reviendront plus.”Jean Dauphin : “Il ne restait dans le

village qu’une dizaine d’hommes. Cer­tains ont échappé au massacre parcequ’ils avaient à faire à Virton ouailleurs. Peut­être quelques­uns ont­ilseu peur et se sont cachés.

“À l’inverse, il y a le cas d’ÉdouardAuthelet, 42 ans, qui vivait en Inde où ilmettait en place une administration dedouane. Il avait profité de ses congés,au mois d’août, pour rentrer visiter safemme. Il a été fusillé avec les autres. “Jean Dauphin : “J’ai rarement en­

tendu raconter ces événements. Parfois,à la sortie de l’école, je m’asseyais à côtéd’une veuve, sur un banc. Et quand jelui disais : “Racontez­moi un peu !”, elleme répondait : “Parlez d’autre chose.”

ILS SONT DEUX À Y AVOIR ÉCHAPPÉDeux des 73 hommes ont échappé aumassacre. Jean Dauphin : “J’ai connul’un d’entre eux. Joseph Bourguignon. Il est mort vers 1960. Il fallait lui tirerles vers du nez : il n’aimait pas parler de ce jour­là. Bourguignon était unorphelin qui, avant la guerre, était venu à Latour pour vivre chez une tante. Ilavait 20 ans, était fermier et, puisqu’il y avait deux charrettes, les Allemandsavaient pris deux hommes pourmener les chevaux. Lui et un certain Claisse,un gars de Ruette qui se trouvait à Latour par hasard.“Quand on a fait descendre les hommes des charrettes, eux sont restés à côtédes chevaux. Bourguignon a raconté qu’il a été sauvé parce qu’il était masquépar le cheval et les Allemands ne se sont plus occupés de lui.“Bourguignon est revenu au village. Les femmes s’inquiétaient. Mais lui, ils’est enfermé et il n’a rien dit. On peut imaginer qu’il était complètementtraumatisé.” Et l’autre ? “Claisse ? Lui, c’est plus qu’étrange : il a complète­ment disparu. On n’a jamais retrouvé lamoindre trace de lui.”

h “Le bébé hurlait. On lui a donné à boire l’eau d’uneboîte de pilchards.”

Un village de veuves

Auguste Groslambert, l’instituteurde Latour, apassé les quatre an­nées de guerre sur l’Yser.Jean Dauphin : “Quand il est rentréau village, pratiquement tous sesélèves étaient orphelins.” Latourétait un village de veuves. Pourtoutes ces femmes, il fallait conti­nuer à vivre. “Il n’existait pas deservices sociaux. Il fallait vivre avecrien. Dans le village, la moitié deshommes étaient ouvriers, dans lesusines ou au chemin de fer, etl’autre moitié, des agriculteurs. Lesfemmes ont dû faire toutes lesbesognes. Une d’elles a pris l’écoleen charge et s’est mise à enseigner.”Monique Brisy est l’arrière­petite­fille de deux fusillés : “Il n’y a plusbeaucoup de descendants de fu­sillés, à Latour. Quatre ou cinq...Dans ma famille, on ne m’a pasbeaucoup parlé des fusillés, Je saispeu de choses sur mon arrière­grand­père, si ce n’est qu’il est mortà 48 ans. Par contre, je sais tout demon arrière­grand­mère, LéonieCapon, née en 1877et morte en1956. Maman en parlait beaucoup.

Cette femme s’était retrouvée seuleavec six enfants et mamère laprenait en exemple : “Ma grand­mère s’est est toujours sortie, jem’en sortirai aussi.” Léonie étaitune femme battante. Onme disaittoujours : “Toi, tu ressembles àLéonie.” Alors, j’ai voulu savoir quielle était. Quand j’interrogeais mamère, elle me disait : “Je te raconte­rai plus tard.”Mais plus tard, mamère est décédée et, alors, je me suisadressée à une grand­tante, Fer­nande, la dernière fille de Léonieencore en vie. Elle, elle m’a toutraconté.“Léonie était de Éthe où les Alle­mands avaient fusillé les hommespuis incendié les maisons. C’étaitun carnage. Onm’a raconté qu’unenfant de Éthe avait été piqué à lalance et la lance enfoncée dans laporte d’une grange. Lorsqu’ilstrouvaient des gens entassés dansdes caves, ils en bouchaient lesorifices et mettaient le feu.Léonie a vu sa maison en feu. Elle setrouvait dehors, mais elle avaitcaché ses enfants dans les caves.

Elle est revenue en courant et enhurlant : “Mes enfants !” Unevoisine l’a rassurée : “Ne t’inquiètepas ! Je les ai mis en sécurité, dansle verger.” Ils étaient sortis par lesoupirail. L’aîné de 14 ans avait dûprendre sa petite sœur, qui était unbébé de quelques mois, sur sesépaules. Ils ont aussi sauvé unevache grâce à laquelle ils ont eu dulait.“Une autre fois, la famille s’étaitcachée dans une cave avec desvoisins. Le bébé pleurait parce qu’ilavait faim. Il n’y avait pas de lait.Un des voisins a dit à Léonie :“Fais­la taire. On va tous se faireprendre.” Léonie a trouvé une boîtede pilchards avec, dedans, de l’eausavonneuse. Elle a donné ça à boireà son bébé.”

”La nuit, les soldatsappelaient leur maman”

Lamaison de Léonie avait été incendiée parles Allemands. Sonmari avait été fusillé. Il yavait les enfants...Il lui fallait réorganiser sa vie. MoniqueBrisy : “Dans des conditions pareilles, lafemme devient homme. Sa maison avait étédétruite ? Elle l’a reconstruite pièce par pièce.Son fils aîné, Numa, avait 14 ans et il est allétravailler sur les routes où, entre parenthèses,les autres ouvriers profitaient de sa jeunessepour lui voler ses tartines.“Léonie a aussi dû loger des Allemands chezelle. Il s’agissait de deux jeunes qui avaient àpeine 16 ans. Elle les entendait, la nuit, quipleuraient et appelaient leur maman. Elle araconté qu’elle avait alors envie de les prendredans ses bras. Des Allemands, comme ceux quiavaient abattu son mari ! Le pire, c’est queses propres enfants manquaient d’amourmaternel pour une raison toute simple : Léonien’avait pas le temps ! Pour gagner un peud’argent, elle coupait la laine des moutonschez des gens.“Il y avait aussi la problématique du viol. J’aisouvent posé la question à maman qui ne m’ajamais répondu. Mais je ne crois pas queLéonie ait été violée : elle dormait toujoursavec deux grands couteaux dans son lit et jesuis persuadée que, quitte à être tuée, elleaurait sans doute étripé l’Allemand qui auraitessayé ça.”

8-9 La Grande guerre à hauteur d’homme

FRED

DYBR

ISY

Édouard Authelet tra-vaillait en Inde. Il étaitrevenu pour les vacan-ces. Il figure dans la listedes civils fusillés.

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Au musée dela Bataille des Trois Frontières de Latour, un panneau est dédié aux 71 hommes du village qui ont été abattusdans un champ. Parmi eux, le bourgmestre de la commune et deux prêtres. On a la photo de 56 d’entre eux.

l TINTIGNY

Seule avec dixenfantsn Dans une prairie prochedu pont de la Rulles, 47hommes de Tintigny ont étéfusillés. JackyClausse : “Au to­tal, 97 civils du village ontperdu la vie. Parmi les fusillés,il y a eu un vieux monsieur de79 ans que son petit­neveu adû porter sur ses épaules jus­qu’au site d’exécution.”Un homme, Joseph Rési­

bois, 56 ans, sortit du cortègeparce qu’il voulait aller direaux Allemands que son fils,Fernand, n’avait que 14 ans.Le père fut abattu aussitôt.L’autre fils, Adelin, 29 ans, seprécipita et fut tué lui aussi.“Le jeune Fernand a été fusilléavec les autres.”D’autres ont été abattus

alors qu’ils se sauvaient pen­dant les combats. Ainsi, unpère traversait la rivière avecsa fillette de 14mois dans sesbras. Le père fut abattu etl’enfant morte noyée.Ailleurs, une habitante du

village a brûlé vive dans sacave. Une autre a été abattuedans son jardin. Une femme,ayant perdu son mari, s’estretrouvée seule avec dix en­fants dont un était né en jan­vier 1914. Deux des dix ontété placés au Grand­Duchédu Luxembourg. Beaucoupd’orphelins de guerre ont étéadoptés par des familles duGrand­duché du Luxem­bourg. Il y en a eu 82 à Tinti­gny et 71 à Rossignol.

MUS

ÉEDE

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Les tueurs d’Éthe. On dit qu’ici, on a retrouvé un enfant piqué par une lance et cette lance enfoncée dans une porte. L’homme qui a fait ça estun de ces soldats. Tous ceux-ci sont responsables d’un massacre : 256 maisons détruites et surtout 218 civils tués.

D.R.

l GOMERY

Ils exécutent lesblessés français

n Gomery est située entreÉthe et la frontière française.Jean Dauphin : “Le soir du 22,les Français retraitaient maisn’emportaient pas tous leursblessés. Le 23, les Allemandssont entrés dans Gomery. Plusde 200 blessés français se trou­vaient répartis dans le châteaude la famille de Gerlache etdans une ferme. Deux demoi­selles de Gerlache parlaientl’allemand et elles ont pu sau­ver ceux qui se trouvaient dansle château. Par contre, la fermea été détruite et les blessés quis’y trouvaient furent massa­crés. Ceux qui étaient sur piedont été amenés devant le murdu cimetière où on a aussi ras­semblé la population. Et cesgens ont été contraints d’assis­ter à l’exécution des soldatsfrançais.”

8-9 La Grande guerre à hauteur d’homme

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23 AOÛT Dinant

Il était 6 heures, la ville dormait...h Journée tragique : 647 habitants tués.Un horrible record

n La journée noire, à Dinant,n’est pas, comme ailleurs, le22 août, mais celle du 23. Parcontre, dès le 21, vers 21 h 30,une mission de reconnais­sance allemande tourne audrame dans la rue Saint­Jac­ques. Des cavaliers, protégéspar quelques autromitrailleu­ses, se mettent soudain à tirerdans les fenê­tres, à défoncerles portesdes maisons et àjeter dans unevingtaine d’ha­bitations leursredoutables pas­tilles incendiai­res.Jules Sohet, ex­

ploitant de l’Hô­tel de l’Étoile,est frappé desept coups debaïonnette, maiséchappe à lamort. Le boucher, ZéphirCléda, est, quant à lui, tué pardeux balles tirées à travers saporte. Thérèse Michel, son filset ses deux neveux et, ailleurs,unmenuisier, Adelin, Georges,meurent dans l’incendie deleur maison. On n’a jamais sucequi avait déclenché cette in­croyable violence. On adit queces cavaliers étaient ivres etaussi qu’ils étaient tellementpaniqués par la crainte defrancs­tireurs qu’ils se sontmis, à un moment, à se tirerles uns sur les autres.La population, elle, est prise

de panique et les gens affluentde l’autre côté du pont, là oùles Français peuvent les proté­ger. Au début, les soldats veu­lent relever les identités. Il y ades bousculades. Finalement,2500 Dinantais passent, mais,le 22 à midi, un ordre arrivedu Quartier Général français :“On ne passe plus.”Comment voulez­vous faire

la guerre sérieusement avectous ces civils sur le dos ? Troismille habitants restent blo­qués sur la mauvaise rive.Arrive alors le fameux di­

manche 23.Michel Kellner est docu­

mentaliste à Dinant : “Vers 6 h.du matin, les Allemands descen­daient les Fonds de Leffe, laroute qui vient de Spontin. Lesgens étaient encore au lit. Là, lesmaisons sont éparses. À Thysnes,à Lisogne, les Allemands se met­

tent à briser toutes les portes etfenêtres. Ils ont pris les hommes,les ont regroupés en face de laPapeterie, un ancien moulin quiétait dans la colline, et ils les ontfusillés.”Cette Papeterie est devenue

aujourd’hui la Salle de la Ro­chette. Le monument qui setrouve sur le lieu du drame est

frappé d’uneépouvantablefaute de frappe :on y honore 17morts alors qu’ily en a eu 71.Le professeur

Tixhon : “Aprèsles assauts du15 août, lebourgmestreavait ordonnéaux Dinantais deremettre leursarmes. Il n’yavait pas defrancs­tireurs

dans la ville. Mais ces Allemandsdevaient franchir la Meuse,combattre les Français qui setrouvaient de l’autre côté et ilsvivaient avec la hantise d’éven­tuels francs­tireurs dans le dos.Ici, après la victoire française du15 août, les Dinantais avaientfait la fête et chanté La Mar­seillaise : les Allemands avaientle sentiment d’avoir dans leurdos une population hostile.”Michel Kellner : “Arrivés en

bas de la côte, dans le quartierde Leffe, ils ont emmené tous leshabitants à l’intérieur de l’ab­baye.” Là, ils ont séparé leshommes et les femmes surdeux files. Un gamin de 14 ansa couru pour aller de l’autrecôté de la route rejoindre samère. Un Allemand l’a abattu.Michel Kellner : “Ils ont fait

sortir les hommes de l’abbaye. Ily avait une petite place en face,qu’on appelait la Cliche des Bois.Là, ils ont fusillé une centained’hommes.”À cet endroit se trouve

aujourd’hui un énorme mo­nument dominépar unChrist.“Une deuxième fusillade a eulieu au même endroit à midi :146 hommes qui étaient allés secacher dans l’immense usine detissu qui se trouvait entre l’ab­baye de Leffe et la ville de Di­nant, le long de la Meuse.”Onenvoit encore les murs rougescaractéristiques, maisaujourd’hui ce n’est plus uneusine.

h “Ces jeunes soldats étaient nourris, depuis l’école, par ces récitshorrifiés de la guerre de 1870”

Les fantômes des francs­tireurs

Pour tenter de justifier l’injustifiable, partout où ils ont détruit des habitations, où ils ontdéporté des populations et où, surtout, ils ont fusillé sans procès, les Allemands ontressorti le même argument : la présence des francs­tireurs !

AXEL TIXHON enseigne l’Histoire à l’université de Namur, mais, Dinantais, il a consacrésonmémoire à la question desmassacres : “Pendant la guerre de 1870, en France, denombreux soldats allemands avaient été tués par des francs­tireurs. Mais en août 1914, enBelgique, il n’y a pas eu de cas attesté de franc­tireur.”

JEANDAUPHIN, dumusée de Latour : “Après la guerre, ils ont établi un Livre Blanc avecdes listes de soi­disant francs­tireurs. Vérifications faites, un des francs­tireurs désignésétait… une fillette âgée de 3 ans, abattue dans le village de Éthe.”

Il est clair que les premières atrocités, entre le 5 et le 8 août, en province de Liège, furentla conséquence des premiers revers militaires d’une armée allemande qui croyait naïve­ment que la résistance de l’armée belge serait symbolique. Les premiers morts furentpleurés dans l’alcool. Et l’alcool fit le reste.

EDDY BRUYÈRE, Visétois : “Une de mes arrière­grands­mères habitait à Argenteau. J’airetrouvé la liste de tout ce qui avait été volé chez elle. Il y avait une centaine de bouteilles devin. Elles n’ont pas été emportées : elles ont été bues sur place.”

MICHEL KELLNER, documentaliste de Dinant : “On leur conseillait de se méfier même del’eau, qui pouvait être empoisonnée. Alors, ils ne buvaient que des bouteilles bouchonnées.”

LE PROFESSEUR BALACE, à Liège, est dumême avis : “Ils sont logés dans des casernes,des écoles, des bâtiments publics. Ils vivent dans des ruines mais, aussi, il y a des caves et descafés dans les environs. Et, maintenant, ils font partie de troupes qui arrivent la nuit dansdes villes où l’éclairage a disparu. Les tournées des réverbères à gaz ne se font plus. Danscette ambiance éthylique et inquiétante, un coup de feu qui éclate peut avoir des conséquen­ces insoupçonnables pour ces jeunes qui sont morts de trouille et qui sont enclins à imaginerdes francs­tireurs partout. Et un coup de feu, ça part vite. Il suffit de laisser tomber un fusil.Ou quelqu’un peut tirer en l’air pour s’amuser. Mais quand on est saoul et qu’on a les nerfstendus…”

EDDY BRUYÈRE, : “Il est arrivé qu’au cours d’une dispute, un soldat allemand tue un de sescompagnons. Il n’allait pas aller dire après, à ses officiers : “C’est moi, chef !” Il était pluscommode d’évoquer un franc­tireur…”

LE PROFESSEUR BALACE : “Plusieurs médecins belges, requis pour soigner des soldatsallemands, ont raconté qu’ils avaient extrait des balles provenant d’armes… allemandes.”

LE PROFESSEUR TIXHON : “Après la chute du communisme, les historiens ont eu accèsaux dossiers allemands sur ces massacres que les Russes avaient emportés en 1945. Cettehistoire de francs­tireurs relevait clairement d’une justification et probablement d’uneprécaution.”Montrer aux candidats francs­tireurs d’ailleurs ce qui attendait leurs villes au cas où…Cesmassacres systématiques, commencés le 5 août 1914, ont cessé définitivement dèsle début septembre.

Comment cela a cesséLes atrocités ont commencé dès l’invasion, le 5 août, et elles ont cessé définitivement unmois plus tard après les incendies desmaisons de Termonde. Là, déjà, il n’y a plus eud’exécutions; les hommes furent déportés en Allemagne. À partir de septembre 1914, iln’y a plus eu de ces atrocités !Tentative d’explication par le professeur Balace : “La pression internationale ! Les Alle­mands se sont rendu compte que les pays neutres risquaient de s’ajouter aux rangs de leursadversaires. Les Hollandais ont protesté. Le roi d’Espagne a exigé et obtenu un dédommage­ment financier parce qu’à Liège, place du XX Août, quelques commerçants espagnols avaientété fusillés. Surtout, les États­Unis ! Des correspondants de guerre, qui prenaient des risquesénormes, avaient rapporté les événements. L’Allemagne craignait l’entrée en guerre desÉtats­Unis.”Lesmassacres de la population civile ont cessé, mais il en est resté, pendant toute laguerre, une haine extraordinaire des Allemands. Surtout, à l’entrée de la guerre de1940, les gens ont cru que le scénario allait se reproduire. Ce fut l’exode.

Fusillés par “les Boches”

D.H.

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Plus de mille habitations seront détruites à Dinant. Autour de la collégiale, la ville n’est qu’un champ de ruines. Les soldats allemandsprennent la pose devant ces lieux qu’ils ont… conquis.

l RETRAITE

Les Français fontsauter le pontn En début de soirée, la ba­taille tourne à l’avantage del’envahisseur. Le professeurTixhon : “Les Français déci­dent de décrocher vers Philip­peville et Charleroi. Ils se re­plient après avoir détruit lequai Saint­Médard et le pontsur la Meuse qu’ils ont essayéde conserver le plus longtempspossible, espérant pouvoir letraverser et rejeter les ennemis.Les témoignages divergentmais c’est entre 17 h et18 h 30 qu’ils ont fait sauterle pont. Très rapidement, les Al­lemands ont réalisé un pontde bateaux qui leur a permisde franchir le fleuve.”

l INCENDIES

Pour éclairer lepassage des convoisn Plus de mille habitationsseront détruites à Dinant.Autour de la collégiale,la ville n’est qu’un champ deruines.Parfois, c’est à cause des

combats et des obus. Sou­vent, ce sont les soldats alle­mands qui ont incendié deshabitations afin d’en délogerles habitants. Toujours cettepeur des francs­tireurs.Mais, dans la nuit du 23

au 24 août, après la fin descombats, d’autres incendiesfurent allumés : il fallaitéclairer la traversée de Di­nant par les camions de ravi­taillement allemands, desorte à leur assurer une to­tale sécurité.

D.R.

Cette façade de la place d’Armes est restée percée de balles et detrous d’obus. Après la guerre, la maison devint un établissementréservé aux anciens combattants, l’Hôtel du Souvenir.

D.H.Le 23 août 1914, entre 17 h et 18 h 30, les Français ont préparé

leur retraite et ont fait sauter le pont de Dinant. À cemoment-là,sur les deux rives, la ville n’était plus que ruines. Sur la rive gau-che, il ne reste rien du quartier Saint-Médart. Sur la rive droite,la collégiale est relativement épargnée. Miraculeusement…

COLLEC

TION

CHRISTOP

HELIÉG

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ARICHIVE

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NTRE

CULTUR

ELDE

DINA

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l HORREUR

Boucliers humains

n Ce dimanche 23 août1914, à Dinant, les Alle­mands sont en ville et lesFrançais de l’autre côté dupont. L’objectif : franchir laMeuse et prendre l’autre rive.Ça tire dans tous les sens.

Des coups de feu. Des obuspar milliers. Les Allemandsvont avoir une idée. Jean­Ma­rie Prignon, petit­fils de fu­sillé : “À la Redoute et aussi surla place d’Armes, là où setrouve la prison, ils rassem­blent des gens, hommes, fem­mes et enfants, et s’en serventcomme boucliers humains. Onconnaît au moins deux tués :Mlle Marsigny et FrançoisGilles.”

10-11 La Grande guerre à hauteur d’homme

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23 AOÛT Dinant

Des murs pour témoignerhUn bébé de 3 semainespercé à la baïonnette

n Au pied de la jolie collégiale de Di­nant et de l’impressionnante cita­delle, des dra­peaux des paysdu monde déco­rent le célèbrepont, en mêmetemps qu’unecollection desaxophones co­lorés. AdolpheSax est né ici.Le deuxième

drapeau sur lagauche est celuide l’Allemagne.Que Mme Houillet­Geudvert, petite­fille de fusillé, voit tous les jours deson appartement. Elle ne le vit pasbien. “J’ai parlé de ce drapeau au bourg­mestre. Il a dit qu’il fallait pardonner.”Quand on s’éloigne du centre par la

rue Grande et qu’on arrive à la placed’Armes, où se trouve la prison, il y a,sur la gauche, un groupededeuxmai­sons aux briques rouges (n°48) en­core percées de plusieurs dizaines detrous d’obus et de balles françaises ti­rés le 23 août 1914depuis l’autre rive.Mais en face, il y a surtout lemur Ts­

choffen. Plus exactement une portionde mur qui longe la place et qui, en1914, entourait la propriété de la fa­mille Tschoffen. Aujourd’hui, ce boutde mur n’est plus là que pour le sou­venir. Il y a d’ailleurs, au centre, unmonument. Ici, ce jour­là, les Alle­mands ont fusillé une centained’hommes : des habitants duquartier,

qui avaient été délogés à coups decrosses et de baïonnettes.En continuant, centmètres plus loin

que le rocher Bayard, on garde encoreun autre bout de mur du mêmegenre : lemur Bourdon. On est dans lequartier des Rivages.Vers 18 h, ils avaient réuni à cet en­

droit une cen­taine d’otageset, parmi eux,des femmes et17 enfants demoins de15 ans. Ils or­donnèrent àun homme de62 ans, Ed­mond Bour­don, greffier autribunal, detraverser la

Meuse à la barque et d’aller faire sa­voir auxFrançais que s’ils ne cessaientpas le feu, on tuerait les otages.L’homme disposait de 30minutes.Sur l’autre rive, le curé l’amena à

un commandant français qui luidonna une lettre promettant l’arrêtdes tirs. Edmond Bourdon était de re­tour 25minutes après être partimais,avant qu’il n’accoste, un soldat alle­mand mal informé lui tira dessus etle blessa à la jambe.Les Français tinrent leur promesse

mais les Allemands fusillèrent quandmême les otages. Y compris EdmondBourdon.Michel Kellner : “Le mur Bourdon a

été le pire des lieux de massacres parcequ’ici, ils ont aussi tué des femmes et desenfants. La plus jeune des fusillées, Ma­riette Fivet, était un bébé de… trois se­maines et demie ! Elle a été tuée avectoute sa famille.” Son cadavre fut re­

trouvé percé d’une baïonnette.Selon le monument qui se trouve

aujourd’hui accolé à ce qui reste dumur Bourdon, 83 civils innocents ontété abattus à cet endroit, “parmi les­quels sept enfants de 3 semaines à 2 ans,dix écoliers et écolières, 24 femmes adul­tes et dix vieillards de plus de 65 ans.”Il y eut d’autres fusillades à Dinant,

notamment contre le mur du jardinLaurent, rue des Tanneries : 19 victi­mes. Cemur n’existe plus.Les Allemands continuèrent à fu­

siller des hommes de la ville jusqu’au28 août. Le professeur Tixhon : “Au to­tal, ils ont tué 674 civils à Dinant. C’estun record pour une même ville ! 10 % dela population ! Un millier d’habitationsont été incendiées. Et 400 autres Dinan­tais ont été déportés vers Cassel, en Alle­magne. Le 24 au matin, Dinant étaitune ville fantôme.”

l LE LENDEMAIN MATIN

Un champ de ruines

n Le 24 août aumatin, Dinant est unchamp de ruines où ne subsistent,dans certains quartiers, que quel­ques maisons. Des patrouilles et deschiens policiers sillonnent les ruesencombrées de gravats.Les deux tiers du territoire bâti

sont réduits en cendres. Sur les 1500mètres entre la place d’Armes et laplace Patenier, il ne reste que vingthabitations debout. La manufacturede tissus de Leffe est complètementdétruite ainsi que l’Hôtel de Ville, laPoste, l’Institut hydrographique,plusieurs hôtels de luxe et les églisesSaint­Pierre et Saint­ Nicolas.

LES BOCHESLe professeur Balace : “Comme lesGaulois avaient les Nerviens ou lesMénapiens, il existait une tribuAlboche parmi les peuples germani­ques. C’est devenu un terme péjora­tif pendant la guerre de 1870.Alboche est devenu Boche.”

hCimetière de Leffe. Texte gravé sur une tombe : “Joseph Dubois, Alzir Waran, fusilléspar les Boches le 23 août 1914”

”Toute ma famille est ici !”

L’étonnant, c’est que cette tombe n’ait pas été arrachéepar les Allemands de 1940. “Sépulture de Joseph Dubois,AlzirWarnan, fusillés par les Boches le 23 août 1914.”En quittant Dinant, à un kilomètre, la route vers Namurbifurque vers la droite et s’éloigne quelque peu du par­cours de la Meuse. Un camping se trouve un peu plusloin sur la gauche. Là, une route, le long d’un bras dufleuve, mène au cimetière de Leffe.Jean­Marie Prignon, 73 ans, juriste à la retraite, indiquecette pente en assez forte déclivité dans le coin supérieurgauche : “La fosse commune ! Dans la chaleur dumoisd’août, il fallait parer au plus pressé. 243 hommes ont étéfusillés devant l’abbaye de Leffe. Je ne sais pas si tous ontété mis dans le trou qui se trouvait dans le fond de cecimetière, mais il y en avait beaucoup. Toute ma famille estici. Huit personnes.”Notamment ses deux grands­pères. L’un des deux avaitpourtant échappé à la fusillade générale. “Mon grand­père s’était caché dans les caves de l’abbaye. Quand il avoulu sortir, à peine avait­il franchi la grande porte arron­

die qu’on voit dans la façade de l’abbaye, il tomba surune patrouille. Ils l’ont mis à genoux et l’ont exécuté.”Cet homme laissait deux enfants dont le père de Jean­Marie Prignon, qui avait alors 4 ans. “Sa mère, magrand­mère, est morte en 1967. Je l’ai connue. Mais cesont des événements dont elle ne parlait pas. Elle a dûsûrement répondre aux questions de ses enfants, maiselle a eu l’intelligence de ne pas installer chez elle unclimat de catastrophe et de malheur. Elle travaillaità l’état­civil, épaulée par ses deux sœurs qui s’occupaientde la maison et des petits. Et ma grand­mère a pu offrirà ses deux enfants des études universitaires. Grâce à sessacrifices, mon père a fait une carrière d’avocat.”Certains de ces civils dinantais abattus ont été déterréset ont eu leur tombe. Mais dans ce coin de la fossecommune, il n’y a pas aujourd’hui que des victimesdes fusillades. “Marthe Quoilin, épouse d’Octave Pri­gnon. C’est ma grand­mère. Elle a demandé à papa àêtre enterrée au­dessus de sonmari, de son père, de sesdeux frères, de deux de ses cousins et deux neveux.”

Écrasé par lescadavres, ilattend et serelève…Félix Bourdon fut médecin à Di­nant. Il est un des survivants de lafusillade dumur Bourdon. Sa fille araconté son étonnante histoiredans un film d’André Dartevelle,Les murs de Dinant : “Quand il a vules fantassins se mettre à genoux,prêts à tirer, il s’est laissé tomber.Tous les cadavres lui sont tombésdessus et l’ont recouvert. Il y avaitnotamment son père, sa mère, sonfrère, son oncle, l’épouse de sononcle et sa cousine qui habitaient lamaison en face de la sienne. Il apassé des heures sans bouger. Il aentendu une femme qui parlait àson enfant mort. Quand la nuit esttombée, certains blessés criaient.Mon père a entendu alors plusieurscoups de feu.” Les Allemands lesachevaient. “Puis ce fut le silence.”On ne sait ni quand ni comment ils’est relevé. Mais le lendemain, ilétait pris et fut gardé prisonnierpuis déporté à Cassel, en Alle­mange; “Mais auparavant, lesAllemands ont obligé les habitants àenterrer les morts. Mon grand­pèrea enterré son père. Puis, quand il avu le corps de sa mère, il est tombéen syncope. Il les a vus morts tous.”Félix Bourdon ne fut pas le seulmiraculé du jour. Michel Kellner :“Aumur Bourdon, une femme,Marguerite Betten, s’est retrouvéeelle aussi en dessous de cadavres.Elle s’est mise à crier parce qu’elleétouffait. Un soldat allemand – ilsn’étaient pas tous mauvais – l’atirée de là. Mais en l’aidant à serelever, et sans le vouloir, il lui abrisé les deux jambes tant il y avaitdes corps qui écrasaient la pauvrefemme.”Jean­Marie Prignon connaît aussitrès bien le cas de Louis Godart :“Le grand­père de mon épouse. Lui,il a survécu à l’exécution dumurTschoffen. Il a attendu la nuitsans bouger, a remarqué alors qued’autres survivants se levaient. Il afait comme eux. Il est parti versles campagnes en remontant la col­line au­dessus du Casino. Il se trou­vait avec un ami, Charles­GuillaumeMélot quand, le mardi,deux jours après, ils ont été aperçuspar des Allemands qui leur ont tirédessus. Mélot a été tué. Louis Godarta pu se réfugier dans le châteaud’Hordenne où il a été recueilli etoù il est resté jusqu’au samedi. On asu alors que les Allemands ne re­cherchaient plus les hommes. Il estrentré à Dinant.”

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Juste en face de l’abbaye de Leffe, un Christ monumental domine cette place de terre qui, en 1914, a été le triste théâtre d’une double fusillade. Une centaine d’hommes ont été abat-tus là le matin et 146 vers midi.

D.H. D.R.

Une centaine d’hommes ont été fusillés devant ce mur qui, aujourd’hui, sépare simplement la chaussée de la place d’Armes. À l’époque, il longeait la propriété de la famille Tschof-fen. Les Dinantais l’appellent le mur Tschoffen.

D.H.

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12-13 La Grande guerre à hauteur d’homme

Le mur de la propriété Bourdon, le long de la Meuse, juste derrière le rocher Bayard, dans le quartier des Rivages. Ici, l’horreur a dépassé l’entendement. Parmi les 83 civils fusillésà cet endroit, il y avait sept enfants de 3 semaines à 2 ans, dix écoliers et écolières, 24 femmes adultes et dix vieillards de plus de 65 ans.

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21 au 23 AOÛT Namur

Neuf forts pour défendre Namurh “Ici, en arrivant,les Allemands avaient déjà lessolutions”

n Christophe Liégeois est… Namurois. Ettrès amoureux de sa ville.” Je suis un collec­tionneur de documents peu encombrants :cartes postales, photos originales, affiches,documents anciens… Je dois posséder dixmille photos de Namur, à partir du 19e siècle.Et les moments les plus marquants de l’His­toire de la ville, ce son les guerres…”14­18 ? “Il y avait neuf forts pour défendre

Namur, construits avec les mêmes défautsque ceux de Liège : pour faire des économies,on avait renoncé au béton armé au profitd’un béton moins résistant, à base de gra­villons. Il y avait aussi un énorme souci avecl’aération. Plusieurs forts se sont rendusparce qu’à force de multiplier les tirs, l’air yétait devenu irrespirable.”Les forts de Namur sont proches de la

ville : entre 4 et 8 km du centre. Les inter­valles sont de 3 à 6 km.Mais les Allemandsont compris, à Liège, qu’il était vain et coû­teux en hommes de s’aventurer dans cesintervalles.Le 4 août, alors qu’une armée d’un mil­

lion et demi d’Allemands attendait legrand départ, 39000 soldats avaient foncésur Liège et ils avaient tenté de forcer lesfameux intervalles entre les forts : le 6, lesAllemands comptaient déjà 3500 morts.Le dixième des troupes jusque­là enga­gées.60000 hommes étaient alors arrivés en

renfort et, en prenant les derniers forts deLiège, le 16 août, ils ouvraient le verroupour le départ de leur grande armée,au même moment, dans sept directionsdifférentes. 200000 hommes dans chaquedirection.Tout ceci explique que la grande bagarre

a éclaté aux alentours du 22 août funeste.Contre les Français dans la province duLuxembourg, à Dinant et à Charleroi. Con­tre les Anglais qui ont eu le temps de s’ins­taller près de Mons. Et contre les Belges àNamur. Ici, ils ne sont pas 200000 hom­mes. Certains sont restés à Liège; d’autresont pris la direction de Bruxelles d’où ilssont redescendus sur Charleroi. Sur laroute de Namur, ils sont 135000, avec 590pièces d’artillerie.Des troupes belges la ralentissent dans

les environs d’Andenne. Le 19 août, on faitaussi sauter le tunnel de chemin de fer deSeilles. Il y aura des représailles, le 20, àAndenne et à Seilles : 250 civils tués.Le même jour, l’artillerie allemande est

déjà en train de se positionner entre An­denne et Namur, perturbée par les tirs bel­ges qui proviennent des forts les plus pro­ches :Maizeret, à l’entrée de la ville, Andoyet Dave au sud. En réplique, un avionTaube survole Namur et, comme cela sefaisait à l’époque des pionniers, le pilotejette, à la main, quelques bombes sur laville.La prise des forts de Namur a été beau­

coup rapide qu’à Liège. Christophe Lié­geois : “En arrivant à Namur, les Allemandsavaient déjà la solution à tous les problèmesque pouvaient leur poser les forts.” Cette so­lution : le pilonnagemassif.

“C’EST UN ENFER !”Pour s’opposer à 135.000 Allemands, le commandantde la place de Namur, le lieutenant­général Micheldispose de 37.000 hommes.

Il espère un renfort de l’armée française. Les troupesfrançaises sont dans la province du Luxembourg, àDinant, à Charleroi et, déjà, sur la Sambre.

Le 22, à 10 h., alors que cela fait vingt­quatre heuresque des obus pleuvent sur les forts, deux divisionsfrançaises arrivent à Bouge et rejoignent les troupesbelges.Une contre­offensive est tentée. Elle va s’avérer catastro­phique. Le seul régiment dumajor Goovaerts perd130 hommes sur 184.

Dès le lendemain, à 9 h 45, un commandant français,le lieutenant­colonel Grumbach, signe ce message :“On est hachés sur place. C’est un enfer. Je vais chercherà me retirer.” Un quart d’heure plus tard, il donne l’or­dre de la retraite.

Ce n’est pas de l’abandon : il n’y a pas d’alternative.D’ailleurs, le soir même, le haut commandement belgeprend la même décision.

ANVERS EN PASSANT PAR LE HAVRECe 23 août, la plupart des forts ne sont plus que desruines. Le lieutenant­général Michel ordonne l’évacua­tion des troupes belges. Il faut retrouver l’armée fran­çaise sur la Sambre. Mais, dans les heures qui suivent, lesFrançais décident de se replier vers la Marne. Les 37.000soldats belges, eux, sont emmenés au Havre où ils em­barquent en direction d’Ostende. De là, ils viendrontrejoindre le reste des forces belges à Anvers.

hÀMarchovelette, les hommes étaient tellement terrorisés qu’une grossepartie de la garnison a pris la fuite

Deux mille bombes par jour sur chaque fort

21 AOÛTÀ la sortie de Petit­Waret, sur la route de Hin­geon, les Allemands ont monté deux de cessupercanons surnommés la Grosse Bertha. Ilsvous lâchent des obus de 800 kilos alors que,pour comparer, les plus gros calibres des fortsbelges font 90 kgs. Les Grosses Bertha pointent lefort le plus proche : Marchovelette, au nord deNamur; les autres canons, près d’Andenne, sontconcentrés sur Maizeret et Andoy. Neutraliser cestrois­là, c’est entrer dans la ville. Les tirs com­mencent à 10 h. On parle de 2000 obus par joursur chacun des trois forts. À 18 h, deux des qua­tre coupoles à canon deMarchovelette sont déjàinutilisables. Le central téléphonique aussi et lefort s’en trouve coupé dumonde. À l’intérieur,les hommes sont tellement terrorisés qu’àl’ouverture de la porte, à l’arrivée d’un courrier,la majorité de la garnison s’enfuit. Elle est rem­placée aussitôt.

22 AOÛTLes Grosses Bertha poursuivent le pilonnage deMarchovelette mais visent aussi maintenant lefort de Cognelée, qui se trouve juste derrière. Ici,à 15 h, un obus atteint la coupole et ses canons.Les munitions, autour du canon, explosent. Les

hommes sont brûlés. Une autre coupole deCognelée est atteinte le lendemainmatin. Lesgaleries intérieures sont en feu.

23 AOÛTVers 13 h 40, au fort deMarchovelette,un obus explose dans la galerie centrale. Con­trairement à ce qui a été dit, la poudrière estintacte. Mais l’incendie atteint tout demêmeun entrepôt demunitions. L’explosion tue unecentaine de soldats et fait autant de brûlés.Dès 14 h, l’infanterie allemande passe à l’as­saut. À 15 h 30, Marchovelette est auxmainsde l’ennemi.Maizeret et Andoy, les forts les plus proches del’artillerie allemande sont en ruine et aban­donnés par les hommes. À Andoy, il y a eu 17tués.Maintenant, les canons allemands se déplacentet les tirs visent les forts d’Émines et de Suar­lée, au­delà de Cognelée, ceux qui contrôlentla route vers Bruxelles. Suarlée, où il y a eu descentaines demorts, s’est rendu le 25.Les forts du sud, Dave, Saint­Héribert et Ma­lonne ne sont pas une priorité pour les Alle­mands. Malonne se rendra le 24 à 8 h et Saint­Héribert dans la soirée; Dave, le 25 à 13 h 20.

Des appareils photosavec les masques à gaz

Il est permis de s’étonner vraiment du nombre dephotos de 1914 qui nous sont parvenues. Christo­phe Liégeois, qui les collectionne : “La photographieétait alors un art bourgeois, pas très répandu. Mais,ici, elle servait à la propagande. Les trois quarts de ceque je possède sur l’époque sont des photos allemandes.Certains soldats disposaient même d’appareils photodans l’étui de leur masque antigaz. Il y avait aussi desjournalistes allemands qui sont venus…”Christophe Liégeois ne court ni les brocantes ni lesmarchés. “Je suis père de trois enfants et je veux aussime consacrer à la famille. J’ai décidé de ne chercherque par Internet. Ce qui memet en contact avec lemonde entier : je trouve des photos de Namur qui meviennent d’Inde ou des États­Unis.”Il ouvre un album au hasard. Des cartes postalesavec des hangars dans les prairies de Cognelée, avecla date du 21 février 1915 : “Ceci, c’est ce que j’aime :un document un peu particulier qui m’apprend quel­que chose. Il y avait, en plein dans l’actuel échangeurde Dossoux, à cent mètres de l’autoroute actuelle, unebase… de Zeppelins. Que les Allemands ont utilisé pouraller bombarder Paris. Alors, dans un cas commecelui­ci, je me jette dans les journaux de l’époque etcette lecture me permet de bien situer le lieu où ceshangars à Zeppelins se trouvaient. Et puis, en consul­tant ces journaux de l’époque, on découvre toute unemanière de vivre.”

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Les troupes allemandes, officiers en tête, traversent la ville de Namur, dans des rues qui sont vides de ses habitants.

l MALONNE SE REND

Sans combattren Les forts qui se trouvaient au­delà de Na­mur ne préoccupaient guère les assaillants etcelui de Malonne n’a pas reçu la moindrebombe.Le 24 aupetitmatin, 500 soldats allemands

prenaient position dans les parages. Un lieu­tenant et quatre hommes avancèrent jusqu’àl’entrée du fort et demandèrent sa reddition.Le commandant les fit entrer dans son bu­

reau où il leur remit son épée. Malonne s’estrendu sans combattre et cela reste un peucomme une honte dans l’histoire militairebelge.Refaisons le procès. D’une part, tous les

forts principaux, ceux qui protégeaient laville, avaient été pris la veille et, par ailleurs,la troupe belge avait aussi quittéNamur le 23au soir.Par ailleurs, négocier avec seulement cinq

ennemis, cela s’est certes terminé par l’arres­tation de cinq officiers et de vingt soldats.Mais, pendant ce temps, profitant dubrouillard, le reste de la garnison a pus’échapper et rejoindre l’armée belge.

l LES FORTS DE NAMUR

Propriétés privées

Aucun des neuf forts de Namur n’est ouvertau public. Il y a un projet pour que ce soit lecas, bientôt, à Émines.Les autres sont soit des propriétés privées

soit encore des domainesmilitaires.MarchoveletteDomaine militaire, il est d’ailleurs dans un

état de délabrement total : on y fait des essaisd’explosifs.CogneléeLe fort contrôlait la route de Wavre et le

chemin de fer vers Bruxelles. Il a servi de dé­pôt de munition et reste le fort namurois de1914 le moins endommagé. En 1994, unparticulier l’acquit et exploita les six hectaresde forêts environnants en domaine dechasse. Les extérieurs et les locaux sont enbon état. La visite du massif central seraitdangereuse.SuarléeL’école du génie de Jambes y aprocédé àdes

essais d’explosifs et le fort est dégradé. Les fo­rêts environnantes ont été mises en locationpar l’armée à des groupes de chasseurs.MalonneDepuis 1991, devenu réserve naturelle, il

est interdit au public. On y étudie le compor­tement des chauves­souris. Il existe uneAmicale pour la sauvegarde du fort de Ma­lonne.Saint-HéribertLe fort, qui surveillait la vallée de la Meuse,

a été remblayé et sa coupole s’est effondrée.Seules, des équipes de spéléologues y ont en­core accès.DaveOn y fait des essais d’explosifs. Accès inter­

dit au public.AndoyLe fort a été racheté par un vicomte qui a

fait de ses forêts un domaine de chasse.MaizeretPropriété du baron de Bonvoisin. Des visi­

tes ont été exceptionnellement organisées,notamment en 2010.

COLLEC

TION

CHRISTOP

HELIÉG

EOIS

La Grand-Place de Namur est détruite. Dans la ville, il y a eu unecentaine de civils tués.

COLLEC

TION

CHRISTOP

HELIÉG

EOIS

La place d’Armes etl’Hôtel de Ville ontété détruits volon-tairement. Le théâ-tre et la rue Bilardont été atteints parles bombes.D.

H.

Deux héros de l’Église belge, le cardinal Mercier etl’évêque namurois, Monseigneur Heylen.

B.N.F.

l MONSEIGNEUR HEYLEN

L’évêque, ce hérosLe 21 août, Namur fut bombardée deux foiset il est difficile de faire le tri entre les victi­mes des bombardements et ceux des atroci­tés. On considère qu’il y aurait eu davantagede victimes sans les interventions de MgrHeylen, 58 ans, évêque du diocèse namuroisdepuis 1899. À plusieurs reprises, il offrit dese livrer en otage, comme garant du calmedes Namurois. Il a visité des blessés, cherchéde la nourriture pour ceux qui en man­quaient et il organisa des bureaux de recher­che de regroupements de familles.

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