Transcript

Séminaire R.Seidl / M. Belilos / Lacan lecteur de Freud.L’Analyse.R.Seidl / J.N Desplands.

R.Seidl : je pense que nous pouvons commencer. Il s’agit de notre dernière séance de l’année scolaire, du Lacan lecteur de Freud, mais non la dernière séance de cette première année ..Aujourd’hui, nous recevons Jean-Nicolas Desplands, Professeur de psychiatrie adulte, responsable de ..Je te laisserai dire un peu plus, mais la plupart des personnes te connaissent sûrement déjà. Jean-Nicolas Desplands va nous parler de l’analyse terminable et interminable de Freud, par le biais de la psychanalyse appliquée dans les institutions.

J.N Desplands : absolument.

R.S : je parlerai ensuite de l’acte psychanalytique, et Jacqueline Nanchen fera la synthèse et induira le démarrage de vos interventions et de vos questions.

Marlène aimerait, je crois, faire une introduction.

M.Belilos : très brève car il s’agit d’un immense travail auquel se sont livrés nos collègues qui vont vous parler ce soir. Tout d’abord, il est très difficile de saisir l’Acte analytique, et la fin d’une analyse. Le texte de Freud, nous en avions déjà parlé ici, est de 1937. L’on peut dire, peut-être, qu’il est dédié à Ferenczi.Alors est-ce l’acte analytique, la fin de l’analyse, qu’il essaye d’isoler dans ce texte ?Il parle à un moment de ‘trucs’ qu’il tente de faire, par exemple de fixer un terme au traitement, comme l’une des possibilités pour que les patients ne restent pas trop longtemps, ne s’accrochent pas à l’analyse finalement, ce qui devient quelque peu problématique. Freud dit : ‘ Le lion ne bondit qu’une seule fois’. Quand il fixe cette durée, il se demande s’il avait raison et que faire ensuite, s’il change ? Envoyer chez un confrère, sinon le patient ne vous croit plus. Donc la durée, le traitement, payer l’analyste, autant de techniques envers le patient. Comment fait-on ?En institution, ce doit être encore plus complexe, mais je vous rappelle une phrase de Jacques-Alain Miller, lors de Pipol 3 pour annoncer Pipol 4 :‘La peinture, ce n’est plus comme au temps de Picasso, la psychanalyse non plus. Les effets psychanalytiques ne tiennent pas au cadre, mais au discours. C’est l’installation des coordonnées symboliques qui compte. Et ce qui compte, c’est que l’analyste soit engagé, lui, dans l’expérience analytique. Le psychanalyste est devenu aujourd’hui un objet nomade, et la psychanalyse une installation portable. ‘

Lacan essaye de cerner l’acte analytique, il tente, je crois, de remplacer la technique, la théorie de la technique, par une poétique. Cela date, sauf erreur, du Discours de Rome, et de l’Acte de Fondation de l’Ecole, dans sa rupture avec l’IPA en 1964. Il y parle de ce passage de la psychanalyse appliquée. Il précise qu’il ne s’agit pas d’une hiérarchie des valeurs, entre psychanalyse pure et psychanalyse appliquée.Comment cela s’élabore-t-il ? Renato a fait l’effort de lire cet immense séminaire, datant de 67-68, et s’interrompt, tombant au moment des évènements de 68.

Lacan dira :

1

‘ J’en veux au Général de Gaulle, il m’a chopé un mot que depuis longtemps j’avais, et ce n’était pas bien sûr pour l’usage qu’il en fait, la ‘chienlit psychanalytique’. Vous ne savez pas depuis combien d’années j’ai envie de donner ça comme titre à mon séminaire. C’est foutu maintenant.’

Il s’agit de son séminaire du 19 Juin 68, séminaire qu’il est obligé d’interrompre. Mais il est déjà énorme, il essaye d’y cerner l’acte analytique.

Je laisse maintenant le travail à nos intervenants, ils vont tenté de nous isoler tout cela dans l’acte !

JN Desplands : Bonsoir ! Merci de l’invitation, avec un enjeu à la fois clair et obscur, pour parler de textes de Freud sans imaginer mille strates d’interprétations successives. Je vais essayer de reprendre ce texte, tout en le tirant quelque peu du côté de mes préoccupations (vous m’en excuserez) qui touchent à ma fonction de psychanalyste dans une institution psychiatrique publique à charge, et ce mot n’est pas anodin, d‘un institut universitaire de psychothérapie. Je vais partir du texte pour dériver, pas trop j’espère, et que ce sera utile par rapport à la discussion, sur la question de l’éthique et de la politique de la psychanalyse.

Raccourcir, finir, ne pas finir, mais Freud nous dit également : ‘ Et enfin il ne faut pas oublier que la relation analytique est fondée sur l’amour de la vérité’,adossant un impératif éthique à la psychanalyse. Mon argument est le suivant : il ne peut y avoir d’éthique sans une politique de la psychanalyse. Il ne s’agit pas de réhabiliter Créon contre Antigone, promue héroïne de l’éthique psychanalytique par Lacan ( Séminaire VII ), mais de réaliser que Créon et Antigone se trompent les deux en voulant seul avoir raison contre tous.

Partons du texte pour explorer cet argument. Je vous propose, et rien de tout cela n’est bien original, ni cette partie ni celle sur l’éthique, et c’est peut-être plus l’aspect politique qui peut susciter question. Donc une première mise en perspective avec trois aspects :Premier aspect, je partirai de manière heuristique de ce qui serait l’analyse thérapeutique, dont les bornes seraient avant tout cliniques, psychopathologiques, voire métapsychologiques.

Premier marqueur, nous dit Freud :

- Du côté de l’accident, de l’évènement : l’intensité du traumatisme. - Du côté de la constitution et de la structure : d’une part la force pulsionnelle à dompter, mais

aussi dans une autre partie de ce texte, des variations du moi - visqueux, mobile ou épuisé - termes très imagés qu’il range du côté de l’inné.

- Troisième élément, paramètres que je qualifierai de conjoncturels, la modification du moi, il entend là les mécanismes de défense acquis comme la dislocation et la restriction, anticipation de processus discutés ultérieurement à propos de la psychose. Mécanismes de défense qui ont une valence au niveau du fonctionnement psychique, mais aussi dans le processus transférentiel lorsqu’ils deviennent résistance.

Ces trois marqueurs ( l’évènement, la structure et la conjoncture ) sont complétés par deux dimensions métapsychologiques, sur lesquelles je ne m’attarderai pas :

- L’équilibre entre pulsion de vie et pulsion de mort- La psychosexualité dans le transfert : envie du pénis et lutte contre la position passive, qui sont

renvoyées au roc du biologique. Nous connaissons le destin de ce débat.

2

Soulignons que ce qu’il dit de la finalité d’une analyse ne contredit en rien cette dimension clinique et métapsychologique :

- De manière ironique, mais moins anecdotique qu’elle n’en a l’air, Freud nous dit : ‘ L’analyse est terminée quand l’analyste et le patient ne se rencontrent plus pour l’heure de travail analytique’. Je pense que c’est la meilleure définition qu’il ait pu donner de la fin de l’analyse. - Guérison symptomatique, levée des angoisses et inhibitions semblent des objectifs raisonnables.- La possibilité d’atteindre un niveau de normalité psychique absolue, qui renvoie à la prévention

des rechutes, dans une terminologie plus contemporaine, et la levée complète du refoulement nous tirent plus vers une analyse longue, voire sans fin.

- Cet horizon me paraît clairement borné par sa longue discussion d’un travail prophylactique que l’analyse pourrait faire, par rapport aux conflits latents non encore actualisés, qu’il réfute clairement. Les raisons d’une analyse sans fin ne sont pas à chercher dans la dimension prophylactique que pourrait avoir l’analyse.

- Last but not least, Freud nous dit bien qu’une ‘série de cas’ se terminent sans complication manifeste, rebus bene gestis, qui signifie affaires bien gérées, bien faire ce que l’on fait.

Voilà pour le premier temps. Deuxième temps, bien connu également, il s’agit de la notion de caractère qui occupe une position charnière dans ce texte, bien qu’il en parle peu. Je cite :

‘ La pratique s’éloigne beaucoup moins de la théorie ( l’analyse sans fin ) dans le cas de ce qu’on appelle analyse de caractère.’

Cette notion reste difficile à discuter et à traiter dans une approche qui s’est construite sur l’analyse des névroses de transfert. Mais il est intéressant de noter que le caractère permet le passage de l’analyse thérapeutique à l’analyse personnelle, puisque Freud nous en parle moins comme la possible névrose clinique de l’analyste que son caractère propre, qui pose problème. Le caractère propre de l’analyste.

Cette remarque nous amène au troisième élément, l’analyse personnelle. Quels en sont les objectifs ?Si Freud fait à nouveau preuve d’ironie en évoquant sa compassion pour l’analyste qui doit satisfaire à de si lourdes exigences, ce n’est pas pour rien. Effectivement c’est une conférence donnée par Ferenczi sur ce thème qui lui sert à introduire le sujet. Je projette qu’il s’agit plutôt d’une formation réactionnelle chez Freud. Il évoque dans l’ordre, je le cite :

‘ Un haut degré de normalité et de rectitude psychique’ ‘ Une certaine supériorité pour agir sur le patient comme modèle dans certaines situations analytiques, comme maître dans d’autres’.

Un léger vertige peut nous prendre si on les évalue à l’aune de transferts potentiels dont ils feraient le lit. - Parmi les qualités requises et associées à l’analyse personnelle, il y a finalement l’amour de la

vérité, la dimension éthique du projet qui se dévoile brusquement. Et pour souligner la relation nécessairement ambivalente ou conflictuelle que nous devrions entretenir avec cet idéal, Freud souligne bien que nous risquerions de l’oublier.

3

Comment se présente techniquement l’analyse personnelle ? Là aussi, en relisant une nouvelle fois ce texte, à chaque fois l’on a des surprises, quelque chose d’extraordinaire à la lecture de Freud.

- Il nous dit qu’elle est requise pour préparer à la future activité. Et très étonnamment, je ne l’avais jamais noté, dans ce texte qui oppose la nécessité d’un approfondissement de la cure à la tentation de son raccourcissement, il nous dit que l’analyse personnelle ne peut être que brève et incomplète pour des raisons pratiques. Lesquelles ? Il ne les cite pas. Peut-être en raison de leur but : ‘ donner au maître la possibilité de juger si le candidat peut être admis à poursuivre sa formation’.

- Ce qui suit cette analyse brève et incomplète est plutôt un travail d’autoanalyse : ‘ Cela seul ne suffirait pas à instruire, mais on escompte que les incitations contenues dans l’analyse personnelle ne prendront pas fin avec l’arrêt de celle-ci, que les processus de remaniement du moi se poursuivront spontanément chez l’analysé et qu’ils utiliseront toutes les expériences ultérieures dans le sens nouvellement acquis’.

- Il suggère finalement que chaque analyste devrait se constituer à nouveau objet de l’analyse, ‘ par exemple tous les 5 ans’ et ‘ sans avoir honte de cette démarche’.

Premier paradoxe : une analyse limitée a priori, et ce pour permettre précisément de juger des qualités démesurées du futur analyste par un maître. Deuxième paradoxe : l’analyse personnelle serait constituée d’une succession d’analyses tous les 5 ans, processus qui devraient par définition être inférieurs à 5 ans, sous peine d’être une analyse ininterrompue et sans fin par définition. Sans couper les cheveux en quatre, l’analyse personnelle semble consister pour Freud en un processus continu, qui verrait alterner autoanalyse et, si j’ose le formuler ainsi, un processus adjonctif sous la forme de séquences relativement limitées dans le temps d’analyse avec un tiers.

A ce stade de la réflexion, il semble possible d’opposer l’analyse thérapeutique à l’analyse personnelle. La première se heurte à des difficultés que l’on peut mettre en évidence et essayer de comprendre, mais qui ne l’empêche pas de se terminer à satisfaction. La seconde s’inscrit dans un temps à la fois infini et scandé, avec des ambitions d’emblée vertigineuses. La première se termine dans les faits, comme par surprise et marquée par un effet, ou une absence, d’après-coup. La seconde est portée par un paradoxe, dans la mesure où elle s’inscrit dans un projet, mais dont l’ambition est d’emblée démesurée, infinie. Analyse thérapeutique et analyse personnelle n’obéissent donc pas à la même temporalité et ne se suffisent pas de cet énoncé : ‘ cela signifierait donc que l’analyse personnelle, elle aussi, et pas seulement l’analyse thérapeutique pratiquée sur le malade, cesserait d’être une tâche ayant une fin pour devenir une tâche sans fin.’

Freud souligne encore que la fin rebus bene gestis de l’analyse thérapeutique est en contradiction avec la théorie. La psychanalyse finit-elle malgré elle ? La théorie garde-t-elle une fonction explicative ou prend-elle de facto une fonction normative ? Faut-il considérer que l’analyse personnelle serait plus en accord avec la théorie, voire même qu’elle incarnerait la psychanalyse pure ? On peut penser, pour le plaisir, que l’analyse serait une fiction, limitée d’un côté par sa dimension thérapeutique, de l’autre par sa dimension professionnelle. En d’autres termes, qu’elle serait une formation de compromis, mais si c’est le cas, entre quoi et quoi ?

4

Cette question me semble prendre beaucoup de relief dans la mesure où, je crois très explicitement, Freud nous dit que l’analyse personnelle devrait permettre de dépasser les conflits entre analystes. Il est très prudent, vous allez voir, mais néanmoins explicite. Je cite :

‘ Il est regrettable qu’il se produise par ailleurs encore autre chose. On en est réduit à des impressions ( ce n’est pas le Freud que nous connaissons ) lorsqu’on veut le décrire ; hostilité d’un côté, partialité de l’autre créent une atmosphère qui n’est pas favorable à l’investigation objective. Il semble ainsi que nombre d’analystes apprennent à utiliser des mécanismes de défense qui leur permettent de détourner de leur propre personne des conséquences et exigences de l’analyse, probablement en les dirigeant sur d’autres, si bien qu’ils restent eux-mêmes comme ils sont, et peuvent se soustraire à l’influence critique et correctrice de l’analyse’.

Difficile de ne pas y voir une allusion aux très nombreuses luttes fratricides qui ont jalonné l’histoire de Freud et de la psychanalyse. Néanmoins le compromis que j’évoquais me semble pouvoir être une proposition d’ouverture. La psychanalyse ne peut être gouvernée par une exigence éthique sans prendre en compte une dimension politique. Cette dimension politique concerne le fonctionnement interne des sociétés de psychanalyse - procédures d’habilitation, hiérarchies implicites et explicites, conflits théoriques ou techniques - , les échanges entre sociétés de psychanalyse ainsi que sa place à l’université, en psychiatrie ou dans les institutions socio-éducatives.

Néanmoins, prendre en compte la dimension politique de la psychanalyse est rendue difficile par notre fascination pour Antigone. Vous l’avez tous en tête, mais pour mémoire Antigone avec Ismène, filles d’Oedipe et de Jocaste, union incestueuse, deux frères Etéocle et Polynice qui dans le fond s’est opposé à Créon, frère de Jocaste pour proposer qu’une sépulture soit donnée à Polynice. Créon l’a punie et après l’avoir menacée de lapidation l’emmure vivante. Elle se pend derrière cette sépulture pour vivant alors qu’elle se proposait de donner une sépulture à un mort à qui on refusait cet honneur, son frère Polynice.

Pour Lacan, c’est en se campant sur une limite radicale en référence à une loi qui n’est développée nulle part, qui renvoie à l’entre-deux morts, qu’Antigone peut défendre la valeur unique de l’être de son frère. Je cite Lacan :

‘ Cette pureté, cette séparation de l’être de toutes les caractéristiques du drame historique qu’il a traversé, c’est là justement la limite, l’ex nihilo autour de quoi se tient Antigone. Ce n’est rien d’autre que la coupure qui instaure dans la vie de l’homme la présence même du langage.’

Ce faisant, Antigone instaure une coupure dans le ‘ pathos du même‘, la notion est de Nicole Loraux, qui marque le destin des Labdacides, donc Laïos enfant de Labdacos, dont toute la destinée est punie par les Dieux.

A ce titre, dans cette perspective, la psychanalyse n’est plus simple science humaine, une branche du service des biens, mais une science du désir, dans un rapport fondamental à la mort et à la nécessité d’une sépulture. Elle ne peut qu’encourager à la disqualification du champ du politique, qui organise le service des biens et dont s’occupent les hommes comme Créon.

Patrick Guyomard, dans un ouvrage écrit en 1992, souligne l’importance de défasciner le personnage d’Antigone et un certain nombre d’énoncés du discours de Lacan. Selon lui, l’opposition tragique entre Antigone et Créon ne peut pas simplement être réduite entre une opposition entre piété et politique : obéir aux lois divines est aussi une loi de la cité, et obéir

5

aux lois de la cité une loi divine. Antigone et Créon ont tous deux tort car ils s’acharnent à ne considérer que leur point de vue sans prendre en compte celui de l’autre.

Castoriadis propose une lecture d’Antigone dans laquelle, d’emblée, éthique et politique ne sont pas incompatibles. Plus radicalement pour lui, en reprenant l’histoire d’Athènes au Ve siècle, ce qui est en jeu dans la tragédie d’Antigone, c’est l’institution de la démocratie :

‘ La tragédie possède aussi une signification politique très nette : rappel constant à l’autolimitation. Car la tragédie est aussi et surtout l’exhibition des effets de l’hubris ( la démesure de l’homme ) et, plus que cela, la démonstration de ce que des raisons contraires peuvent coexister, et que ce n’est pas en s’entêtant dans sa raison que l’on rend possible la solution des graves problèmes que peut rencontrer la vie collective ( notamment dans les sociétés de psychanalyse ). Mais par-dessus tout, la tragédie est démocratique en ce qu’elle porte le rappel constant de la mortalité, à savoir de la limitation radicale de l’être humain’.

Politique et éthique de la psychanalyse ne sont évidemment pas deux notions qu’il est facile de mettre côte à côte. Je cite Hannah Arendt :

‘ Il n’a jamais fait de doute pour personne que la vérité et la politique sont en assez mauvais termes, et nul, autant que je sache, n’a jamais compté la bonne foi au nombre des vertus politiques. Pourquoi en est-il ainsi ? Et qu’est-ce que cela signifie quant à la nature et à la dignité du domaine politique d’une part, quant à la nature et à la dignité de la vérité et de la bonne foi d’autre part ?Est-il de l’essence même de la vérité d’être impuissante et de l’essence même du pouvoir d’être trompeur ?’

Peuch-Lestrade interroge les stratégies des sociétés de psychanalyse quant au traitement du politique dans leur rapport à l’éthique de la psychanalyse. Freud lui-même, à ce sujet, que ce soit la constitution du comité secret, la question des archives Freud ou d’autres questions institutionnelles, n’est pas en reste à cet égard.

Du côté de l’IPA, l’Association Internationale de Psychanalyse, l’hétéronomie est assurée par l’institution de manière à préserver l’autonomie de l’analyste dans un registre proche du clivage. L’institution a toujours raison et le sujet est renvoyé à lui-même : refus, ajournement, nouvelle tranche .. En découle une zone d’inanalysabilité, dénoncée d’ailleurs par Lacan, correspondant à l’ombre portée des transferts sur l’institution analytique. Certains y voient même le risque de la stérilité progressive des théorisations. Ce n’est pas Kernberg dans son article de 1996 : ‘ Trente méthodes pour détruire la créativité des psychanalystes candidats’ qui sera d’un avis contraire.

Une autre solution passe par la mise en péril de l’institution pour préserver la possibilité d’une analysabilité en tous lieux., sur la base d’une éthique intraitable qui prendrait la place du politique.Une société d’Antigone ? En découle le risque de l’idéalisation de l’institution analytique, qui aurait trouvé le vrai moyen pour que la parole circule, sur le modèle de la cure dans une parfaite continuité. Ce qui est évidemment la mouvance lacanienne.

Or, s’il est nécessaire de défendre l’asymétrie des positions de l’analyste et de l’analysant dans la cure, cette position me paraît illégitime dans le champ social, institutionnel et politique. Démissions, scissions et dissolutions sont la conséquence inéluctable du fait qu’il est toujours possible de repérer de nouveaux dysfonctionnements et des solutions plus analytiques.

6

Qu’en est-il des liens inter analytiques entre sociétés de psychanalyse, et entre sociétés de psychanalyse, université et institutions de psychiatrie publique ?

Je passerai sur le premier thème, les liens entre sociétés de psychanalyse qui se manifestent surtout par des liens respectueux et chaleureux entre les psychanalystes des différentes sociétés, mais une neutralité très suisse en ce qui concerne d’éventuels échanges.

Les institutions de soin et l’université, dans la mesure où elles font place à la psychanalyse et à des psychanalystes, sont les lieux privilégiés de manifestations de tension éthique et psychologique.Qu’il s’agisse d’enseignement, de recherche, de psychothérapie ou de formation, les arrangements sont nécessairement complexes.

Je n’ai évidemment pas le temps de discuter l’ensemble de ces enjeux, la discussion en reprendra peut-être l’un ou l’autre. J’en citerai quelques-uns :

- les effets d’alliage- les effets de métissage- le statut de la psychothérapie et des psychothérapeutes d’un point de vue professionnel en Suisse

( FMH, FSP ) dans leur lien à la psychanalyse - les relations entre psychiatres et psychologues- les enjeux des évaluations croisées, professionnelle mais aussi gestionnaire et démocratique- les enjeux économiques. Je rappelle qu’en Suisse les psychologues sont en grande partie exclus

du marché de la psychothérapie, en raison des liens privilégiés de la psychanalyse avec la psychothérapie médicale depuis 1961 dans la perspective du double titre

- la question de la pluralité de l’enseignement dans l’espace universitaire - le statut de la psychanalyse dans les études pré graduées et les effets que cela peut avoir sur les

étudiants qui n’ont pas de pratique clinique- les relations entre hiérarchies institutionnelles et psychanalytiques, qui sont parfois de l’ordre de

la collusion- la place de l’expérience personnelle entre l’idéal analytique, les règles explicites et implicites des

sociétés, les exigences professionnelles où, je terminerai sur ce thème, la confrontation entre éthique médicale et éthique psychanalytique. Je rappelle les quatre piliers de l’éthique médicale :

autonomie, bienfaisance, non malfaisance et justice. Qu’en est-il de la cure par rapport à ces quatre dogmes ? Peut-on accueillir Antigone à l’hôpital général ?

Dans un texte à paraître sous le titre ‘ Les relations chimériques de la psychanalyse avec l’université et la psychiatrie publique en Suisse romande ‘, j’essaie de dégager les lignes de force de nos arrangements locaux. Etayés sur le double titre que j’évoquais, ils sont caractérisés par plusieurs lignes de force : l’identification de la psychothérapie médicale à la psychanalyse, et réciproquement, l’exclusion des psychologues du marché des psychothérapies, et un clivage de fait entre ce qu’il était convenu en Suisse romande d’appeler PIP ( psychothérapie d’inspiration psychanalytique ) comme référence clinique, et l’analyse comme norme idéologique. L’ensemble étant garanti par des figures chimériques, chefs de service, professeurs à l’université, et membres titulaires de la Société Suisse de Psychanalyse. Je termine. N’avoir qu’une éthique sans politique, voire même la concevoir comme une antipolitique, ne peut qu’entraîner des difficultés pour la communauté et l’avenir de la psychanalyse.Ethique et politique sont deux registres distincts mais associés, et qui nous concernent obligatoirement dans notre rapport, nécessairement démocratique, aux autres ou à la société.

7

Je vous remercie.

Applaudissements

R.S : merci beaucoup, je pense que Jacqueline aura du travail, car c’est tellement dense ..

Jacqueline Nanchen : oui, j’ai essayé de prendre des notes mais ..

R.S : et cela ouvre vraiment un très grand débat, d’autant plus que je vais y ajouter d’autres éléments avec Lacan. Il y a des points d’intersection entre ce que tu viens de dire et le thème traité dans l’Acte psychanalytique, dont la question de la finalité de l’analyse, de la fin de l’analyse et de sa finalité, les pré-requis pour être psychanalyste, le caractère du psychanalyste, puisque cela touche sa formation. La fin de l’analyse aboutit à la formation de l’analyste et à la pratique psychanalytique, déjà chez Freud, et chez Lacan cela deviendra encore plus clair. Et cette différence que tu as faite entre les dimensions thérapeutiques et professionnelles puisque cela s’imbrique. C’est là que d’une façon beaucoup plus claire, non seulement pour Lacan mais pour tout le mouvement psychanalytique à l’époque de Lacan, l’analyse s’est mélangée entre la formation et le thérapeutique, alors qu’à l’époque de Freud les choses étaient bien séparées.

Le Séminaire de Lacan L’acte psychanalytique. Il a fait ce Séminaire en 1967-68. Ce Séminaire touche à plusieurs points différents.Je vais devoir faire cet exercice : vous parler d’un Séminaire en 20 minutes ! D’autres s’en sont plaints jusqu’à présent, moi je ne peux pas me plaindre et je dois faire semblant qu’il s’agit d’un exercice très facile ! L’acte psychanalytique touche à différents points, notamment au psychanalyste proprement dit.Il va distinguer l’acte de la pensée et de l’action, introduire la question du savoir, surtout à partir du sujet supposé savoir, mettre en relation également avec l’objet a. Je devrais peut-être entrer plus en détail sur ces concepts, surtout pour les débutants. J’en toucherai un mot. Et le rapport entre l’acte psychanalytique et le champ de la culture, ce qu’il appelle le Grand Autre. Il y a un point de nouage beaucoup plus fort avec ce que tu viens de dire : quand il parle de l’acte psychanalytique et du symptôme. Ce sont surtout les questions touchant à la fin de l’analyse, et finalement un point que je vais devoir distinguer, à savoir l’acte psychanalytique de la technique psychanalytique, de ce qui pourrait être une technique psychanalytique. En trois minutes, j’ai dit l’essentiel de ce qu’aborde ce Séminaire.

Il faudrait peut-être déjà contextualiser.1967-68, peu de temps après le moment de la première grande scission. En 1963-64, Lacan était membre de l’IPA, la société fondée par Freud. Depuis 1953, il avait déjà des conflits importants avec une partie du groupe, il travaillait de manière différente, et il a créé une société en 1953, où il s’attendait à être reconnu par l’IPA, qui a mis 10 ans pour répondre finalement de manière très claire : nous reconnaissons votre société à condition que le Dr Lacan et la Doctoresse Dolto soient exclus du cadre enseignant, à savoir qu’ils ne puissent plus enseigner la psychanalyse. Essentiellement pour des questions techniques, c’est-à-dire la façon de travailler de Lacan, différente, et non acceptée par l’IPA. Lacan a eu peu de solutions, il a dû se retirer avec un groupe d’analysants, d’élèves, de personnes en supervision chez lui. Et il a fondé son école en 1964. Il était blessé. Cela a été un coup dur pour lui. Il a dû repenser toute une série d’éléments à partir de ce moment.

8

L’un d’eux est le suivant : qu’est-ce qui fait un psychanalyste ? Qu’est-ce qui fait qu’un psychanalyste peut se dire psychanalyste ? Car selon l’IPA, l’analyste doit faire une formation au bout de laquelle il serait reconnu psychanalyste. C’est-à-dire que pendant sa formation il peut pratiquer l’analyse, sans se dire analyste. Et une fois reconnu par la Société, il peut à ce moment-là se dire psychanalyste. Lacan, fin connaisseur des lois, savait que la psychanalyse n’était pas un métier reconnu par la loi.Il s’agissait d’une association ayant créé ce titre, et la façon d’être reconnu. Il a dit à cette occasion : l’analyste ne s’autorise que de lui-même. A partir de là, ses propres élèves voulant devenir psychanalystes n’avaient plus besoin de faire une demande à l’IPA. Ils étaient indépendants.

Puis entre 1963 et 1964, ce groupe est devenu plus fort, et entre 1964 et 1968, ce groupe est devenu une école, d’où le moment non seulement de penser une reconnaissance de la fin de l’analyse par l’école, mais également de créer un nouveau cadre d’enseignants. Période importante donc, puisque cette nouvelle école de Lacan crée une nouvelle hiérarchie. Il s’agissait essentiellement du processus de la passe, reconnaissant la fin de l’analyse et créant des analystes nommés les analystes de l’école. Donc une différence. Entre 1963 et 1964, un certain égalitarisme dans l’école de Lacan, et à partir de 1968 s’instaure une hiérarchie. Cela coïncide curieusement avec un mouvement à Paris, dont il appelle l’insurrection. Ce mouvement est surtout anti-hiérarchique, connu par sa date : Mai 68. Donc au moment où l’école de Lacan crée une hiérarchie, ce mouvement anti-hiérarchique se fait, autour de Lacan. Mai 68 survient presque à la fin du Séminaire, nous sommes en fin d’année scolaire, Lacan doit interrompre cette séance, il est néanmoins présent pour discuter de façon informelle avec les personnes présentes.C’est très intéressant car il fait des commentaires tout à fait délicieux sur Mai 68, d’autant plus appréciables avec un certain recul et son humour bien connu. Marlène aura peut-être l’occasion d’en reparler.

Bien sûr, ce mouvement ne passe pas inaperçu, Lacan doit l’intégrer à son discours, et lui qui était en train de parler de l’Acte psychanalytique, du processus de la passe, de la formation de l’analyste, de la fin de l’analyse, il doit soudain faire un glissement pour parler de la psychologie des masses. Ce qui aboutira ensuite aux Quatre Discours. Il commence à dire : je dois me demander, en tant que psychanalyste, ce que l’on peut attendre de l’insurrection, et plus curieux encore, l’insurrection attend quelque chose de nous, psychanalystes.Il trouve cela absurde. Que pourrait-on attendre de l’insurrection des psychanalystes ? Il répond : ils attendent que l’on lance des pavés.Il donnera une autre réponse à l’insurrection. Ce n’est pas le coeur de ce que nous avons à travailler.Le coeur de ce que nous avons à travailler est l’Acte psychanalytique proprement dit, que je vais travailler à l’envers, c’est-à-dire par rétroaction. Lacan insiste beaucoup sur cet effet de rétroaction pour donner une signification à ce qui est dit. Pour comprendre une phrase, on doit attendre la fin de la phrase pour comprendre le début de la phrase, surtout en allemand où le verbe est en fin de phrase. Si l’on n’attend pas le verbe, on ne comprend pas ce qui a été dit au début. Chez Lacan, il en est souvent ainsi. Donc dans son Séminaire, il vaut mieux aller jusqu’au bout pour pouvoir comprendre le début. A tel point que parfois Lacan pose un problème, mais avant de le poser, il en donne la solution, continue son discours et après avoir donné la solution, il pose le problème ! Donc pour une personne qui entend ou lit pour la première fois, elle ne comprend rien ! C’est de l’incohérence pure ! Et en relisant Lacan, si l’on se rappelle du problème de la fin, on voit qu’il est en train de donner la solution avant de l’avoir posé.

9

Le problème est là : la toute fin de ce Séminaire est le résumé qu’il fait pour l’Ecole pratique des hautes études. En effet, cette Ecole demande toujours un petit résumé de ce qu’il a fait durant l’année. On trouve cela dans les Autres Ecrits, cela a été publié. Alors lire ces quatre pages, c’est absolument infernal !Jacqueline a commencé par là, comme moi, c’est inexplicable, du Lacan écrit, le dernier Lacan dans son ultime écriture, absolument incompréhensible. On a l’impression d’un idiolecte, comme s’il se parlait à lui-même dans une langue qu’il est en train de créer. Il m’a fallu beaucoup plus de temps pour pénétrer dans ces quatre pages que dans tout le reste du Séminaire. Souvent, lorsque les jeunes me demandent par où commencer à lire Lacan, je réponds : surtout pas par les Ecrits ! J’ajoute : n’essayez pas de comprendre. Allez jusqu’au bout. Mais j’ai fait tout le contraire ! J’étais dans un écrit tardif de Lacan, en train d’essayer de comprendre ! Je pense tout de même que cela a eu quelque utilité.

Je vais essayer de passer à tout ce que ces dernières pages peuvent éclairer du début.

Bien sûr, l’Acte psychanalytique intéresse surtout l’analyste. Car l’acte psychanalytique est la fonction fondamentale du psychanalyste : ce qui le distingue, ce qui le marque, ce qui fait qu’il est psychanalyste et non plombier !Il s’agit d’un concept incisif, un concept où il donne cette capacité de trancher. Un moment où Lacan commence à créer, il crée le concept d’acte psychanalytique, mais même l’idée de trancher devient pour lui un concept en soi. Il y a des moments où il faut sortir du langage verbal. Il existe essentiellement deux moments de l’acte psychanalytique : celui où l’on commence une analyse, et celui où cette analyse se termine. Différend de chez Freud, pour qui l’analyse est asymptotique, elle ne se termine jamais, elle s’approche de la fin sans l’atteindre.Pour Lacan, un roc est touché : celui de l’incurable. A savoir le symptôme non seulement incurable mais qui, pour lui, devient révolutionnaire. Lacan fait en l’occurrence un clin d’oeil à l’insurrection. Il donne déjà une réponse à ce que l’insurrection pourrait attendre de l’analyste. Quand ce symptôme arrive à ce point d’incurable, il devient révolutionnaire. Ce moment final est extrêmement important puisque des personnes, des sujets, des analysants deviennent à ce moment-là des analystes. On passe à la transmission de la psychanalyse. On touche l’enseignement. Il y a cette condensation entre l’enseignement et le destin du symptôme.

Lacan distingue l’acte psychanalytique de l’acte manqué. L’acte manqué est propre à l’analysant. L’acte psychanalytique est propre à l’analyste. Bien sûr, l’analyste a été analysant. L’analyste a été dans l’acte manqué.

Lacan distingue ces deux actes de manière nette. L’acte manqué est propre à l’analysant, et non à l’analyste. Il dit : l’analyste peut faire des actes manqués. Ce dont d’ailleurs il a le plus peur. L’anxiété de l’analyste est l’acte manqué. Lacan parlait de cela en 1968. Période où la technique était stricte, froide, l’analyste ne pouvait justement pas faire de lapsus. De nos jours, lorsque l’analyste fait un acte manqué, cela le fait sourire.

Un troisième type d’acte reste dans une zone grise, il en parle beaucoup. Il s’agit de l’acte humain. Qu’il distingue de l’action. C’est-à-dire que l’acte est significatif. Par exemple on doit distinguer dans l’acte humain ce que dit quelqu’un, un sujet, de ce qu’il fait.

10

Un analysant, pendant presque dix ans, m’avait dit qu’il souhaitait faire un enfant et devenir psychanalyste. A la fin de l’analyse, il n’a pas fait d’enfant et n’est pas devenu psychanalyste. On voit bien la différence entre le discours et l’acte. Nous ne sommes pas dans l’acte manqué, mais dans quelque chose de conscient à la fin. Il assume son acte. Tout simplement, il y a eu une période de contradiction.

Lacan change de paradigme à cette époque. Il était dans le paradigme de l’inconscient structuré comme un langage. Vers 1963, dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, il commence à prendre une autre direction où la place de la pulsion commence à prendre plus d’importance que l’inconscient. Et d’une certaine façon, ce qui va devenir la jouissance prend également plus d’importance que toutes ses théories du signifiant, qui étaient la première partie de son oeuvre. A partir de 1963, il passe à un autre paradigme, celui du transfert comme mise en acte de l’inconscient. On remarque bien le passage du signifiant à l’acte.

Dans la position de l’analyste, puisqu’il s’agit de ce qui importe à Lacan, ce moment où l’analysant devient analyste à la fin d’une analyse, comment se passe ce passage ? Et quelle différence Lacan fera-t-il par rapport à Freud ? Pour Lacan, il y a l’objet a, qui est l’objet cause de désir, ce qu’il appelait auparavant le petit autre, et cette position ( c’est une position l’objet a ) est occupée par l’analyste. L’analyste occupe la position de l’objet a, l’objet cause du désir. Il y a toute l’analyse, et à la fin de l’analyse cet objet a gicle. Lacan dira qu’il est éjecté, que l’analyste est éjecté comme de la merde. Lacan est très nerveux dans sa manière de parler, car en 1963 il parlait autrement. Là il dit que l’analyste sera éjecté comme un déchet. Et celui qui a éjecté l’analyste va occuper cette position d’objet a. C’est-à-dire que celui qui était en position de sujet, celui qui était en position d’acte manqué va occuper la place d’objet a pour instaurer l’acte psychanalytique. Il passe donc de la position de l’acte manqué à celle de l’acte analytique. Et il sera en position de savoir. On va dire qu’il occupe une position représentant la science. Quand Lacan parle de science, c’est très ambigu car ‘science’ a un double sens pour lui. ‘Science’ est un terme pouvant également être pris dans sa version de ‘ conscience’. Il est le représentant de la science. Ce qu’il nomme le sujet supposé savoir. Qui se mêle à l’objet a, et le psychanalyste occupe cette double place d’objet a, objet cause de désir, et de sujet supposé savoir. L’analysant vient demander une solution à son problème, il vient demander une vérité. Qu’est-ce que cette vérité qu’il demande ? C’est l’adéquation entre un savoir qu’il pourrait avoir, et l’objet. C’est-à-dire le monde extérieur. Le monde qui lui pose problème.

Quelle est la proposition de Lacan ? Que donne-t-il ? Une adéquation d’un savoir avec le sujet proprement dit. C’est-à-dire avec les formations de l’inconscient. Donc il déplace de cette position presque heideggerienne d’un savoir en adéquation avec le monde, pour un savoir en adéquation avec le sujet. Alors cette positon d’objet a est essentiellement asymétrique. Lacan avait beaucoup apprécié Ferenczi à propos de l’élasticité de la technique, le fait de pouvoir bouger avec la technique, mais il n’était pas du tout d’accord avec l’analyse mutuelle. L’analyste, pour Lacan, est en position d’objet, et l’analysant est le sujet. Il y a un seul sujet en analyse : l’analysant. L’analyste est un objet. Il est en position d’objet et non de sujet. Il y a là une asymétrie, une différence radicale entre l’analyste et l’analysant. Ce qui pose le problème du contre-transfert. Raison pour laquelle Lacan ne s’intéressait pas au contre-transfert, car le contre-transfert est presque une idée qui implique la subjectivité de l’analyste. La subjectivité de l’analyste n’est pas propre à l’acte psychanalytique. Elle concerne l’analyse de l’analyste en tant qu’analysant, et non l’analyste en tant qu’analyste. Cela veut dire que si l’analyste fait des actes manqués, il doit les penser dans son analyse et non dans l’analyse de son analysant.

11

Si Lacan devait adopter l’idée de contre-transfert, puisqu’il y avait tout un débat dans l’école anglaise sur le contre-transfert, Mélanie Klein disait que le contre-transfert était essentiellement la projection de l’analysant, tandis que le Middle Group, Winnicott et tous les autres, disaient que le contre-transfert était la projection de l’analysant plus la subjectivité de l’analyste. Et donc si Lacan devait adopter une position sur le contre-transfert, il s’agirait plutôt d’une position kleinienne. À savoir le contre-transfert en tant que projection de l’analysant.

Le temps passe, je vais devoir arrêter, il y aurait une partie importante encore à évoquer, l’acte analytique et le champ de la culture, la différence entre l’autorisation, la reconnaissance, et la façon dont se termine ce séminaire avec quatre concepts : les concepts de savoir, de vérité, de sujet et de rapport à l’autre. Quatre concepts dont trois d’entre eux sont empruntés par Lacan à la philosophie, et qui sont en passe de devenir des concepts psychanalytiques. Il s’agit des concepts de savoir, de vérité et de sujet, alors que celui du rapport à l’autre est essentiellement sociologique. Il devient également un concept psychanalytique. Les effets de l’analyse, de la fin de l’analyse et du symptôme en fin d’analyse, je les laisserai à la discussion pour les reprendre par rapport à ce que disait Jean Nicolas Desplands. Je laisse à Jacqueline le soin de reprendre tout cela ..

Applaudissements

Jacqueline Nanchen : j’ai pris des notes !Jean Nicolas, c’est dense, fouillé. Ce que dit Renato m’est plus familier bien sûr !Comment résumer, faire tenir ensemble ou renvoyer, dialectiser l’intervention de Jean Nicolas et celle de Renato ?

Jean Nicolas, tu lies d’emblée, tu dis ‘ pas d’éthique sans politique’. Je raccourcis un peu. Lacan a également travaillé la question de la politique, en disant ’l’inconscient, c’est la politique’. C’est-à-dire entendre la politique comme le discours du maître. Ce que tu évoquais avec l’exemple d’Antigone. Le pot de terre contre le pot de fer. Mes références sont plus basiques, terre à terre !Partant de là, la question de l’éthique, le lien que je peux faire avec Renato, j’essaye de faire un léger survol, car il y a aussi des oppositions, Renato, quand tu parles d’acte et d’acte manqué.

Tout d’abord, qu’est-ce que l’éthique pour Lacan ?Dans le Séminaire VII, L’Ethique, Lacan parle d’Antigone. Que les lacaniens érudits me viennent en aide si je dis trop de bêtises ! À ce propos : ’ ne pas céder sur son désir ‘ ...Il s’agissait de cela, à propos d’Antigone, est-ce bien raisonnable, a-t-elle raison d’affronter la colère de Créon et, comme le pot de terre, de finir par casser.

Je fais des sauts énormes ! Et cela revient au texte de Freud sur la fin de l’analyse, car c’est cela aussi, contenu dans ce texte essentiel de Freud, par rapport à ces impasses, si l’on oppose éthique et politique. Également si l’on oppose acte et acte manqué.Il y a là un saut à faire. Pour Freud, il y avait une impasse à la fin de l’analyse. Tu l’as dit d’une certaine manière, une impasse sexuelle, puisqu’il oppose la fin d’une analyse chez un homme à celle chez une femme, le point commun étant le refus de la féminité ou plutôt une aspiration à la virilité. Donc ce serait quelque chose de l’ordre de .. car la définition de l’éthique aussi, c’est la question du sujet. Lacan pose la question de l’éthique ainsi : on doit prendre en considération le sujet.

12

J’espère que vous arrivez à me suivre car je fais des bonds dans le texte de Jean Nicolas et dans celui de Renato. Donc c’est la question du sujet. Ce que tu disais : comment faire tenir médecine et psychanalyse ? là où la question du sujet n’est pas la même posée en médecine. Nous sommes chaque fois avec des antinomies. Que faire ? Tu parlais du tout dernier enseignement de Lacan. Oui, le tout dernier enseignement de Lacan permet justement ce passage. Auparavant, Lacan lui-même était pris dans les oppositions, y compris quand il commente dans l’Acte analytique la fin de l’analyse, il s’agit de la période où il formalise la fin de l’analyse comme quelque chose de l’ordre d’une révélation de la vérité, c’est-à-dire une traversée du fantasme. Tout d’un coup, le sujet peut savoir quel objet il a été pour l’autre, face à la question du désir pour l’autre et de l’objet qu’il a été pour l’autre. L’impasse freudienne de fin d’analyse, terminée ou interminable, interminable car elle se poursuit, comme l’a bien rappelé Jean Nicolas, et tous les cinq ans il est conseillé de faire une nouvelle tranche, donc interminable et en même temps cela se termine avec cette impasse. A savoir un point, le roc de la castration selon Freud. Lacan, lui, suppose que l’on peut aller au-delà de l’impasse. De quelle manière ?En disant : tout cela est du fantasme, c’est-à-dire des points de vue. J’ai apprécié la précaution qu’a prise Jean Nicolas, il a dit ‘ il y a plusieurs interprétations. J’en donne une’. Le fantasme, c’est cela, chacun va avoir une conception du monde de son point de vue.

Je rejoindrai la question politique d’une certaine manière : dans un premier temps, Lacan dit la résolution se trouve dans la traversée du fantasme par le sujet, qu’il sache comment il a ordonné son monde, et tout à coup il se rend compte que sa vison du monde n’est pas celle de son voisin. Différente, ni meilleure ni pire, ni vérité ni faux, simplement un autre point de vue. En conséquence, il se singularise car il comprend son fantasme, le traverse, mais en même temps il rentre dans l’universel. Donc opposition éthique du sujet et politique ( se référant à un discours plus large ), je verrais là le lien avec la question du fantasme singulier et traversée du fantasme, d’où il ressort que nous sommes tous logés à la même enseigne, il ne s’agit que de points de vue différents, inutile de se battre. Freud espérait à un moment que l’on puisse trouver un compromis. Voilà pour cette époque de l’Acte psychanalytique et la traversée du fantasme.

Seulement Lacan ne s’est pas arrêté là. En allant au-delà de l’impasse freudienne, il est allé au-delà de la traversée du fantasme pour s’apercevoir qu’effectivement il y avait une révélation de vérité, bien que quelque chose résiste, un incurable, et qui résiste au discours. Si l’on prend le politique comme inconscient et discours de l’autre, cela résiste au discours. Avec du langage, quelque chose ne se réduit pas, et l’on a à faire à cet incurable. Le dernier enseignement de Lacan est de s’affronter à cette part, à ces restes symptomatiques qu’il faudra travailler, mais autrement. Les lacaniens, grâce à Jacques-Alain Miller, sont dans un travail de recherche pour savoir comment faire. La psychanalyse a changé, ce qui n’infirme pas ce qui se passait auparavant, cet inconscient transférentiel et le sujet supposé savoir, il y a aussi une autre opposition : l’inconscient réel. Toutes les oppositions que vous avez faites, finalement le dernier enseignement de Lacan peut se traduire en inconscient transférentiel et inconscient réel. L’inconscient transférentiel serait du côté du politique, du discours, et l’inconscient réel justement sans aucune garantie, hors sens, sans Grand Autre pour le garantir et lui donner du sens. Tu te référais à cela en disant acte et acte manqué. L’acte c’est hors sens, à savoir aucune garantie n’est donnée par aucun Autre. La position de l’analyste est vraiment là.

13

Quant à l’acte manqué, c’est une formation de l’inconscient, donc du côté des formations de l’inconscient que Freud distinguait déjà, il mettait le symptôme un peu à part des formations de l’inconscient. A tel point que Lacan, pour bien différencier, a écrit le symptôme sinthome.

R.S : Lacan mettra aussi un peu à part le symptôme, déjà en 1963, des formations de l’inconscient, car il précise que les formations de l’inconscient sont des moments d’ouverture et de fermeture. Ce sont de petits mouvements d’ouverture, comme par exemple le rêve, le lapsus, les actes manqués.Mais le problème du symptôme est d’être tout le temps là ! Il n’est pas dans ces mouvements d’ouverture. Il s’exprime justement par cet acte humain, qui est le troisième type d’acte.Si tu me permets de reprendre ce dont tu parlais avec l’impasse en fin d’analyse, pour Freud il y a une grande difficulté dans la définition de la fin de l’analyse, c’est une bagarre éternelle cette histoire de la fin de l’analyse ! Déjà pour les Freudiens, puis pour les lacaniens pour d‘autres raisons.Freud, dans Analyse terminable et interminable, essaye de toucher quelques critères pour une fin d’analyse, dont l’aspiration à la virilité, le refus de la féminité etc ..Il est extrêmement difficile ‘d’évaluer’ ces critères. Raison pour laquelle cela a abouti à une impasse et que Freud a défini la fin de l’analyse de la manière suivante : quand deux personnes ne se rencontrent plus. Cela résout les choses.Lacan va les résoudre autrement, puisqu’il va déplacer la définition de la fin de l’analyse, ce n’est pas l’analyste qui définit la fin de l’analyse, mais l’analysant en éjectant l’objet a, en éjectant l’analyste, en le transformant en m.. ‘ je n’ai plus besoin de toi’.

M.B : juste une chose, un concept que l’on a peu évoqué, et qui est important, celui que pointe Freud dans son texte, quand il dit ‘ le patient s’attache à l’analyse, cela finit par faire partie de son symptôme. Il ne veut même plus partir. ‘ L’un des éléments importants est la jouissance. Quand Lacan parle de la jouissance, l’acte doit intervenir sur le langage, sur le discours, et sur le sens joui. C’est cela qui importe car, de séance en séance, finalement on s’y attache ! Cela devient pratiquement inclus dans le symptôme. Quand il dit à la fin ‘c’est du hors sens’, l’analyste doit arriver par son acte, pour arriver à toucher l’analysant, à montrer en quoi il y a du réel et de la jouissance dans ce que dit le patient. Et arriver à l’en sortir.Aujourd’hui quand Jacques-Alain Miller parle de la passe, qui a aussi montré ses limites, il se lance maintenant dans l’outre-passe, disant ‘ on va au-delà’.

R.S : oui, le moment de l’instauration de la passe, en 68, est celui où l’Ecole devient un Grand Autre, qui passe à diviser les sujets. D’ailleurs les premières scissions proprement lacaniennes ont commencé à ce moment-là. On va laisser la salle poser des questions.

Daisy Seidl : ce n’est pas vraiment une question, mais il s’agit d’un point que vous avez tous les deux évoqué, donc un texte de 1937 et un autre de 67-68, cela date beaucoup, avec des positions différentes : la position du sujet, l’analyste se consentant plus sujet d’après le texte de Freud, et Lacan disant il ne doit plus occuper cette position de sujet mais d’objet. Objet déchet. Il y a une figure métaphorique de Marie-Hélène Brousse, qui a parlé à Granada l’année passée pour l’ICF lacanien. Elle donne une très bonne démonstration de cet objet : les cheveux. Ils font partie de mon corps, je suis bien, je lave mes cheveux, j’aime mes cheveux ! Et quand je regarde le matin dans le lavabo

14

des cheveux tombés ( que, sur ma tête, je trouvais beaux ) .. Quelle horreur ! J’ouvre le robinet et veux qu’ils partent vite dans l’égout commun. L’objet détaché .. Ce n’est pas tout à fait un objet externe, mais un objet appartenant au sujet, incorporé, faisant partie de l’image. Et tout à coup il a un statut de déchet, ce qui nous fait horreur. Ce sont deux positions très tranchées. L’horreur que l’analyste avait d’être sujet, de faire un acte manqué, en 67-68, cela date également. Je voulais trouver une nuance, comme Jacqueline, faire le lien entre les deux, c’est-à-dire de nos jours ... Par exemple au PECL, quelques personnes ici présentes étaient au PECL, nous avons vu ( ce n’était pas une analyse ) un analyste, Philippe Lacadée, faire un entretien avec une jeune fille de 14 ans et demi, et nous avons observé cette position, pas uniquement d’objet. Il oscillait entre sujet et objet. Nous pouvions percevoir une oscillation

R.S : chez Lacadée en position d’analyste

D.S : oui, il était parfois dans une position d’objet, et de temps en temps il reprenait une position de sujet. Il a pu parler de lui, de la mort de son père la semaine d’avant, enfin deux ou trois choses qui ne gênaient absolument pas ..

R.S : Lacadée a parlé de la mort de son père devant la patiente

D.S : devant tout le monde.Cela ne gênait absolument pas la position de l’analyste. Au contraire. Cela donnait une force, que je trouvais très grande, à son discours, et également à la position de la jeune fille qui percevait qu’il était aussi un sujet. Je pense que, de nos jours, il n’y a pas de position très tranchée et qu’il faudrait justement continuer le travail ‘ outre-passe’, outre-passer ces deux positions très tranchées d’objet et de sujet.On a même comparé la position de l’analyste à une position féminine car en position d’objet. Cela aussi, c’est une figure.

R.S : oui, il fait l’analogie entre la position de la femme dans l’acte sexuel et la position de l’analyste.

D.S : alors que Freud disait que cette position féminine faisait horreur !

R.S : cela pourrait même aller avec puisque, pour Freud, c’était le but : arriver à cette position féminine.

D.S : mais en même temps c’est également une question d’interprétation. De point de vue. On peut interpréter le roc de la castration de cette position féminine d’objet. Objet de l’autre.

R.S : Olivier Cler, tu veux dire quelque chose ?

O.C : oui. J’avais une ou deux remarques à faire pour pousser un peu plus loin vos considérations.On a parlé de l’acte analytique par opposition à l’acte manqué, à l’acte humain, à l’action.Dans cette brochette, il serait intéressant de mettre l’acte symptomatique dont parlait Freud, le passage à l’acte aussi, et l’acting out. Autour de l’acte analytique, il y a une sacrée floraison d’actes qui ne sont pas l’acte analytique. Par contre il m’a semblé, c’est cela la complication que Renato signalait très bien chez Lacan, il écrit, il parle, il expose un concept, et au fur et à mesure on se dit mais que dit-il ? Et à un moment il ponctue, et rétroactivement on comprend souvent très différemment de ce que l’on a pu comprendre. Il lui arrive aussi d’un séminaire à l’autre, dans toute la courbe de son enseignement, il

15

me semble qu’il y a des notions que l’on ne peut plus lire de la même manière. On ne peut plus lire le Séminaire XI de la même manière que lorsqu’il l’a prononcé, et après le Séminaire XXIII sur le Sinthome. Ceci pour dire que, d’après moi, Lacan n’aurait pas craché sur l’analogie entre l’acte manqué et l’acte analytique. D’ailleurs il y a des indications telles dans le Séminaire sur le Sinthome. Mais pourquoi ?

R.S : dans le Séminaire, il parle constamment des deux.

O.C : voilà. Et au fond l’acte manqué qu’il rangeait dans les formations de l’inconscient et, comme tu le dis, il rangeait le symptôme à part, il flaire déjà l’objet a, la chose qui résiste etc .. Il est à cette époque où le signifiant et le symbolique sont plutôt prédominants, mais évidemment l’acte manqué dans la dernière mouture de Lacan, ce n’est plus la même chose. Au fond, l’acte manqué ne se résout pas dans l’interprétation et la résolution dans le discours de la vérité, mais l’acte manqué c’est vraiment l’irruption de la pulsion dans le discours du patient.

R.S : c’est cela

O.C : il se casse. Son discours se casse en mille miettes, et je vois là une similarité avec le discours de l’analyste (dans sa position d’objet a) : le patient avait l’intention de dire quelque chose, il y avait une cohérence dans son discours, même plus loin cela brise-t-il l’éruption de la pulsion qui se manifeste dans l’acte manqué ? C’est proprement le rapport désespéré que le patient cherche toujours à mettre entre une cause et un effet. ‘Je suis malheureux car ma mère buvait, mon père me battait, ou l’inverse, ou ils se battaient les deux etc ..’ et si à un moment on se trompe dans son discours, c’est qu’il y a quelque chose qui résiste à cela, il s’agit de la pulsion qui vient casser cela. Donc l’acte manqué reprend une certaine dignité. Ce que l’analyste pousse le sujet à faire dans une analyse (si l’on va jusqu’au bout) est, au lieu d’avoir un discours cohérent, qu’il s’achoppe, qu’il tombe, dise le contraire de ce qu’il voulait dire etc ..

R.S : oui, l’interprétation qui provoque presque l’acte manqué. C’est là que l’acte psychanalytique commence à se distinguer quelque peu de l’interprétation, où l’acte psychanalytique est presque aussi une dimension de l’inconscient. C’est là que cela se condense. J’aimerais revenir à Jean Nicolas, à propos des paradoxes dont tu as parlé, de la dimension thérapeutique et professionnelle, et de l’analyse par séries de cinq ans. Car il est vrai que si l’on considère l’analyse dans nos termes actuels, il est impossible de faire tous les cinq ans une analyse car l’on n’aurait pas encore terminé la première ! Mais comme tu le disais, à l’époque elle était brève et incomplète. Il me semble qu’il se réfère là à l’analyse de l’analyste, non ? C’est-à-dire celui qui est en auto-analyse et qui va chez un collègue pour apprendre un peu sa façon de faire .. Et je pense qu’il y a même une transition entre l’auto analyse, puisque les analystes à l’époque n’avaient non seulement pas besoin de terminer une analyse, mais n’avaient même pas besoin d’en commencer une pour s’autoriser analyste. Il y avait une recommandation de faire une auto-analyse. Au début celui qui était en auto-analyse allait chez un collègue pour prendre un peu quelques façons de faire, et petit à petit quand il dit chaque cinq ans, ce qui était une formation commence à devenir thérapeutique. Non ?

JN D : oui, il semble.

R.S : quelle serait la différence par rapport à aujourd’hui ?

16

JN D : j’entends bien qu’il y a effectivement une tentative de faire rejoindre analyse personnelle - analyse thérapeutique, qui avait au fond une mise en forme de l’acte de devenir analyste, mais pour reformuler les choses de manière différente, existe-t-il la psychanalyse pure sans psychanalyse appliquée ? Tout cet édifice tient-il si l’on ne postule pas quelque part qu’il n’y a pas de l’analyse qui n’est pas pure ? Ne serait-ce que pour en vivre. Ou bien les analystes sont-ils condamnés à s’analyser parmi pour gagner leur pain ? Donc il y a bien quelque chose de l’ordre de l’analyse qui se ? ( inaudible ), mais quelque chose (et je trouve fascinant en participant à des réunions psychanalytiques différentes) de constamment occulté dans les réflexions tout à fait cohérentes et rigoureuses dans un corpus théorique donné : celles de la demande sociale sur la société de psychanalyse, et celles de la demande sociale implicite des sociétés de psychanalyse par rapport à ce qui est extra analytique. Et je pense qu’il y a un certain nombre de compléments ou de séries, si l’on prend uniquement l’éthique comme référence, sur lesquels on ne peut que tourner en rond. Ou alors en allant constamment chercher toujours plus loin une autre passe, mais il y a une récurrence à l’infini, qui entretient une certaine dynamique, mais fait abstraction du fait que la psychanalyse toute seule ne tient pas.

Participant : je vais peut-être revenir sur ce que j’avais dit, mais un titre que j’avais employé quand j’avais parlé lors du séminaire sur les pulsions, c’est toujours cette totalitarité infinie, c’est-à-dire cette aporie et cet irrejoignable, à savoir ce non rapport entre singulier et collectif, entre commencer et terminer, entre un acte et une fin, cela se termine-t-il une fois, y a-t-il une analyse qui ferait un, ne serait-ce que pour l’individu qui suit une analyse, ou pour le psychanalyste qui la mène ?J’aimerais également ramener la question du politique car j’ai une question un peu provocante ! qui m’est venue en vous écoutant : le psychanalyste peut-il se mettre en position d’objet a par rapport à son école ? en tant qu’elle est la question de l’institution. Je travaille sur ces différentes positions, à savoir réalité sociale - réalité psychique, avec quelque chose en commun mais en même temps deux positions qui sont différentes et ne peuvent pas se fondre. J’ai travaillé avec mon maître Joseph Rouzel, et Jean-Pierre Lebrun, qui travaillent beaucoup ces questions : social et psychanalyse, les questions du pic - politique, institutionnel, clinique - l’épique, pour faire un jeu de mot - avec la question de l’éthique. Et finalement l’on ne sortirait pas de ce travail de confrontation permanente entre l’analysant analyste, l’analyste analysant, l’école en tant qu’institution psychanalytique, ne faisant que reproduire cette division, puisqu’elle ne fait que se diviser. On voit les conflits comme dans la société, au niveau politique. Donc qu’est-ce que la question : gouverner ? Les trois matières possibles sont : Qu’est-ce que gouverner, entre le politique et la politique ? Et peut-être qu’est-ce qui fait institution ? La psychanalyse peut-elle être une institution ou doit-elle en être un semblant ?

R.S : oui, tu le disais : l’asymétrie justifiée dans l’analyse, mais qui ne se justifie pas dans le rapport des analystes entre eux. On aborde là autre chose, dont Freud a parlé dans le Malaise dans la culture. D’une manière très osée, je trouvais Freud complètement fou. Il va jusqu’à parler du psychanalyste en tant que psychanalyste de la société. Il fait penser à Platon, avec le philosophe qui doit gouverner la société, et c’est presque un versant psychanalytique du psychanalyste qui va gouverner la société d’une autre manière, celle d’analyser la société. Freud va beaucoup plus loin, il dit qu’il doit soigner la société. Il doit guérir la société. C’est là que le politique se joint complètement à l’éthique de la psychanalyse.

17

D.S : oui, ce sont peut-être les dérapages de la question analytique, un analyste devrait-il devenir politicien pour diriger des institutions etc ..

R.S : pour guérir les institutions D.S : ou bien fait-on l’éducation freudienne du peuple, comme disent d’autres ..

M.B : il faut tout de même revoir dans Freud, j’ai travaillé là-dessus la semaine dernière,

R.S : tu as travaillé Freud la semaine dernière ? !

M.B : oui, sur une conférence qu’il donne en 1933, cette conférence sur la Weltachaung.Dans cette conférence, il n’est pas question d’éduquer le peuple. Il a mis tout cela de côté. Il explique que la psychanalyse doit rester à sa place, et encore il est extrêmement scientiste.Il dit : c’est une branche qui vient compléter la science. En aucun cas, nous ne sommes là pour gouverner, il y a des choses que la psychanalyse ne peut pas faire, comme élaborer une Weltachaung, et en tout cas ni gouverner, ni éduquer, ni soigner

R.S : mais en même temps, il dit que le psychanalyste fait le maître

D.S : c’est-à-dire qu’il n’a pas une seule position

M.B : nous sommes à la fin de ce qu’il écrit, à la fin de sa vie et en 1933 il dit : Non, nous ne sommes pas là pour éduquer, ni pour soigner, ni pour s’occuper de la société, nous sommes dans notre petite histoire, et encore .. si nous y arrivons !

O.C : il y a tout de même quelque chose dans ce que dit Freud, y compris d’éduquer la civilisation. Pourquoi pas ?Si l’on veut bien accepter le paradoxe que ce serait au fond éduquer la société à ne pas trop éduquer. A savoir ce que l’on a fait très récemment avec l’Ecole lacanienne, c’est-à-dire comme le livre de Miller et Milner, ‘ Voulez-vous être évalué ?’. La réponse de la psychanalyse est : Non merci ! C’est dangereux d’évaluer, obsessionnel. Et quand on veut manier une société à partir de l’obsessionnalité, on cherche à réduire tous les problèmes par des protocoles, par toutes sortes de savoirs bien établis, et la psychanalyse peut certainement apporter quelque chose à la société en disant : que tous ceux qui veulent évaluer veuillent bien faire une analyse, ce qui les calmera ! Ils seront peut-être moins nocifs. Ils seront plus vivants, plus .. Car il s’agit tout de même de la pulsion de mort, comme le disait Miller à une époque : le savoir, c’est la pulsion de mort ! Quand le savoir est parfaitement achevé, il n’y a plus de sujet. La psychanalyse vient remettre un peu de vent frais là-dedans.

JN D : c’est là que je ne vous suis pas, car dans le fond vous postulez qu’il y a une demande sociale, notamment en termes d’évaluation, que la psychanalyse devrait réfuter, mais vous vous sentez libre de postuler une demande sociale de cette psychanalyse : Tout le monde devrait se faire psychanalyser. C’est quelque chose qui ne joue pas !

O.C : ce n’est pas une demande mais une proposition, c’est-à-dire la possibilité ..

JN D : oui, mais enfin ... !

O.C : cela veut dire que l’analyse devrait mener à un allègement de ces tensions.C’est peut-être dit différemment.

18

Lacan l’a dit : il n’y a pas de doute sur la conception du savoir dans la psychanalyse, puisqu’il définit le savoir inconscient comme un savoir qui ne comporte aucune connaissance. C’est dit de façon très paradoxale, mais c’est bien de cela dont il s’agit, un savoir sans tête, selon son expression. Pour le dire sèchement, quand on l’adule ‘Lacan Lacan’ ! Et qu’il y a tout de même des connaissances dans la psychanalyse, il répond ‘ je pense avec les pieds’!Il y a quelque chose à prendre là, si on recule devant cela, on retombe dans le discours un peu oecuménique, un peu ‘ oui la psychanalyse .. une idée comme une autre .. ‘ mais prenons un cas concret, un phobique, il peut résoudre sa phobie d’une autre manière, on peut taper dessus, on peut l’enfermer .. enfin .. Mais s’en libérer authentiquement, y voir un peu plus clair, la chute de l’objet a dont on parlait auparavant, ce ne sont pas des prunes dans l’analyse, cela existe. Evidemment la conception du dernier Lacan n’est pas que l’objet choit et disparaisse complètement, raison pour laquelle la notion de ‘reste’ garde toute sa valeur, justement il tombe dans l’assiette, comme reste. Mais il restera ce qu’il est. Il ne sera pas éliminé. Par contre il aura été un peu effeuillé de tous ses autres semblants, étant d’ailleurs semblant lui-même, mais il y a un savoir sur le semblant qui se dégage à la fin de l’analyse. C’est donc qu’il y a un enjeu au niveau de la société également.

J.N : oui, je rebondis sur ce que tu dis, car c’est dans le discours que l’on oppose éthique et politique. Car dans le fait et le fait analytique, l’acte analytique est un acte politique puisque, par cet acte, le sujet s’inscrit dans le lien social. Il ne faut pas l’oublier.

R.S : oui, d’ailleurs Lacan disait que l’analyste n’allait pas répondre à la demande de l’insurrection en jetant des pavés, mais à travers la cure psychanalytique.

J.N : oui, l’acte, la fin aussi, quand j’ai vu ton titre, je me suis dit : c’est incroyable ! Tu allais travailler plus sur la question de la psychanalyse appliquée. Car il s’agit bien de la question de la psychanalyse appliquée, ce que nous apprend également le dernier enseignement de Lacan, la psychanalyse pure serait de l’inconscient transférentiel, avec toutes les interprétations, pour le dire vite, et la psychanalyse appliquée serait du côté du sinthome et de l’inconscient réel.

R.S : c’est cela

J.N : c’est justement quelque chose qui n’a pas d’autre, mais que l’on peut pourtant bricoler. Tout ce que nous ont enseigné les CPCT était de dire, par exemple quelqu’un qui vient,ne demande pas d’analyse, on est dans la psychanalyse appliquée, le psychanalyste peut dire quelque chose, orienté totalement par la psychanalyse. Il peut dire quelque chose à ce patient qui ne lui demande absolument pas de psychanalyse, et on peut bricoler une solution. Souvent cela se terminait ainsi, la conclusion était .. Une solution impossible où il se faisait éjecter de la société .. Cela se passait très mal pour lui .. La solution était de prendre un petit bout de sa solution symptomatique, de ses restes symptomatiques, et d’en faire quelque chose qui puisse tout de même l’inscrire dans le lien social. Il s’agissait toujours de ce bricolage.

O.C : la sublimation

R.S : Marc-Antoine ?

M.A A : j’avais juste une réaction par rapport à la référence au Malaise dans la culture.Freud cite, vers la fin du Malaise : dans tout son texte il parle de la culture qui essaye de fournir des solutions à l’homme et à sa souffrance. Finalement cet effet a un effet aliénant et amène de la souffrance au lieu de l’apaiser, et il dit : il y a un renversement des choses, on analyse la culture,

19

mais il a une position très claire : je n’adopterai pas cette position car c’est quelque chose d’impossible à réaliser. Il y a donc un renoncement à adopter une position qui serait, d’après moi, celle de maître, se mettre en Docteur à juger, vouloir trouver des solutions psychanalytiques pour tous les maux de la société.

R.S : Beatriz ?

B. Premazzi : j’aurais une question pour Jean Nicolas Desplands. Vous avez parlé de politique dans les institutions, et je pense plutôt que la politique de la psychanalyse n’a rien à voir avec civiliser la société, ni analyser tout le monde, mais peut-être ( qu’en dites-vous ? ) ce regard qu’elle peut porter sur la politique.

JN D : ce qui me préoccupait n’était bien évidemment pas d’éduquer la société, mais d’éduquer les psychanalystes.

R.S : les psychanalystes entre eux

JN D : oui

R.S : qui est la question de Freud, son point de départ : les analystes sont en conflit et commencent à dire : Ah, lui est paranoïaque, il n’est pas allé jusqu’à la fin de son analyse, l’autre est un hystérique .. Ils commencent à utiliser les diagnostics pour s’accuser dans leurs conflits.Il se demande à ce point : quand est-il guéri ?

JN D : il y a là un saut dans le lien social et politique entre psychanalystes et entre sociétés psychanalystes. Avec ces deux solutions extrêmes décrites, celle l’IPA, avec un clivage entre ce qui est délégué à l’institution et qui préserverait une pseudo autonomie des psychanalystes, et ce que Lacan et vous essayez de poursuivre à travers une institution qui serait psychanalytique, mais qui à mon avis ne peut pas faire l’impasse sur des paradoxes ou sur des apories, qui touchent par exemple à la notion de l’autonomie du psychanalyste dans l’institution de soins. Qu’est-ce qu’être analyste dans une institution de soins et dans un groupe ? Comment pensez-vous la groupalité auprès d’un patient ? Et ce point de vue, dans un dialogue entre Conrad Stein et Mannoni, décrivait l’un des paradoxes : la rivalité de fait de l’identification de l’analyste à Freud dans son auto-analyse, et celle de son analysant, et dans le fond à un moment il n’y avait pas de place pour tout le monde. Alors comment pense-t-on le fait qu’il n’y ait pas de place pour tout le monde dans un groupe ..

D.S : oui, mais je trouve qu’il s’agit aussi d’un idéal des analystes, j’aimerais bien, mais je fréquente beaucoup les sites de Granada et j’ai vu une vidéo de Jacques-Alain Miller, tout jeune, tout mince ! dans les années 80, c’était impressionnant, il parlait en espagnol. Il parle beaucoup du stade du miroir. Il commençait sa pratique analytique, il était perplexe devant la haine du semblable, qui se manifestait entre les analystes. Il a dit que l’on pouvait toucher cette haine, en mettant cela dans la question du stade du miroir, c’est-à-dire la haine du semblable, quelque chose qui parfois ne peut pas être éduqué

R.S : ce ne sont pas seulement les psychanalystes, Gustav Mahler détestait tous les chefs d’orchestre !

Participant : peut-être que la question que vous posez est : comment peut-on traiter la jouissance ?

20

C’est-à-dire le psychanalyste en dehors de la cure également. Pendant, ce serait problématique mais je veux dire chez un soignant, qu’il soit médecin, psychanalyste .. Hors institution. A l’intérieur de l’institution, c’est différent. Pour un travailleur social, quel dispositif ? Car il n’y a que des dispositifs qui peuvent permettre de traiter cela. Alors que ce soit un superviseur en position d’analyste car justement il permet que cela circule, ce sont des questions fondamentales

JN D : qu’un analyste soit analyste en position de supervision, qui est une fonction de direction, il doit de toutes les manières se coltiner à quelque chose qu’il a de la peine à penser en termes de l’autonomie du psychanalyste.

Participant : Si vous prenez la question politique, ou de l’institution, je pense que cela va plus loin, il y a ces trois .. Jean-Pierre Lebrun qui a travaillé sur la question de l’institution, qui est une approche psychanalytique aussi, il a travaillé les trois registres lacaniens justement, pouvoir, autorité et décision, comment fait-on ? On fait lien social, on vit ensemble dans une institution. Je trouve que c’est en cela que la psychanalyse est intéressante : en quoi les concepts de la psychanalyse peuvent-ils permettre d’élaborer des dispositifs, d’élaborer des pratiques ou des cliniques spécifiques

R.S : on va devoir terminer. Olivier Cler, et y a-t-il d’autres questions ?

O.C : juste un petit bémol à nos considérations sur le lien social, il ne faut pas oublier que pour Lacan le lien social c’est de la frime, du semblant. On peut souhaiter en faire une solution parmi les mille semblants que l’on a à disposition, on peut ...InaudibleEt quand vous disiez, Monsieur Desplands, quelle autonomie peut-on penser pour un analyste dans une institution, je pense qu’il y a une réponse très simple à partir de la formalisation que Renato rappelait auparavant, la vraie position de l’analyste. Il ne peut avoir une position d’analyste dans une institution que en tant que personne, sujet supposé savoir, que l’on met dans cette position, dieu sait pour quelle raison ! Et qui ne répond pas à cette position de sujet supposé savoir, il n’y répond pas par un savoir mais par cette position d’objet a. L’institution peut ensuite s’interroger sur son fonctionnement. A partir de là, il a une autonomie, qui est celle de la structure même de l’objet a.

M.B : la cause du désir

R.S : oui

O.C : cela va plus loin car Lacan dans son enseignement disait ... l’analyse ne se réduit pas dans le désir de l’autre, mais dans la jouissance de l’autre. Raison pour laquelle Renato rappelait le contexte de jouissance.

M.B : j’aimerais juste vous proposer de relire un texte magnifique de Lacan, texte de 1972. À Milan, conférence où il se pose lui-même la question sur la Weltachaung. Il dit : je n’ai pas de Weltachaung. Je n’ai pas de vue sur le monde, le monde c’est du langage.Pour résoudre ce problème d’éduquer, de quoi faire avec le monde, je n’ai pas de vue. Ce ne sont que des mots.

R.S : on peut clore ..On se voit en Septembre !

21

Applaudissements.

Bibliographie référée à la Conférence de Jean Nicolas Desplands :

Hannah Arendt. Vérité et politique. In : La Crise de la culture, (1954). Paris, Gallimard, 1972, pp. 289-290.

Piera Aulagnier, P. Sociétés de psychanalyse et psychanlayste de société. In: Un interprète en quête de sens. Paris, Ramsey. 1986, pp. 29 à 46

Cornelius Castoriadis. Les carrefours du labyrinthe : Tome 4, La Montée de l'insignifiance. Paris, Seuil, 1996.

Sigmund Freud S. : L’analyse avec fin et l’analyse sans fin (1937). In : Résultats, idées, problèmes. Paris, PUF, 1985.

Muriel Gilbert (dir.). Antigone et le devoir de sépulture. Genève, Labor & Fides, 2005.

Patrick Guyomard. La jouissance du tragique. Antigone, Lacan et le désir de l’analyste. Paris, Aubier, 1992.

Jacques Lacan. Le séminaire livre VII, L’éthique de la psychanlayse (1960). Paris, Seuil, 1987.

Jean Peuch-Lestrade. L’éthique psychanalytique, une antipolitique ? Topique, 106 : 115-128.

Sophocle. Antigone. Paris, Les Belles Lettres, 2006.

                                                                                                                                                                                                                                       Transcrit par Lily Naggar

22