Vailati Demonstration Par l'Absurde

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  • Revue de mtaphysiqueet de morale

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

  • Socit franaise de philosophie. Revue de mtaphysique et de morale. 1893.

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  • SUR UNE

    CLASSE REMARQUABLE DE RAISONNEMENTSPAR RDUCTION A L'ABSURDE

    Il n'est pas rare, dans les discussions philosophiques, de se trouveren tat Je rfuter une thse dtermine rien qu'en montrant quecelui qui la soutient vient se mettre, par cela seul, en contradic-tion avec lui-mme.

    C'est le cas du sceptique qui, tout en affirmant que rien n'estcertain et en insistant sur la vrit indiscutable de cette assertion,admet, par cela mme, qu'il y a quelque chose de certain; ou del'agnostique qui, tout en dclarant qu'un certain ordre de questionsn'est pas abordable l'intelligence humaine, vient par cela mme attribuer sa propre intelligence une comptence qu'on peut luicontester en faisant appel l'opinion qu'il a nonce. Un exempleclassique de cette sorte de raisonnements nous est fourni par Platondans ce passage du Thtte (XXII, 169 D 171 C) qui reprsenteSocrate discutant avec Protagoras sur la validit de la thse, sou-tenue par ce dernier, que pour chacun est vrai ce qui lui semble tel Cd oo oo o. Tht., 170 A).

    L'argument de Socrate peut se rsumer de la manire suivanteNe pouvant nier qu'il y ait des hommes qui ne sont pas de son

    avis, Protagoras doit admettre, en vertu mme de son principe, queleur opinion n'est pas moins vraie que la sienne. Il doit doncadmettre que ceux qui nient sa thse n'ont pas plus tort de la nierqu'il n'en a de l'affirmer, et il se trouve, par consquent, vis--visde ses adversaires dans cette situation trange (o' oo)de ne pouvoir les convaincre d'erreur qu' la condition de renier,ipso facto, sa propre thse (o o oo o, o o o

    oo o . Oo o

  • 800 REVUE DE MTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

    On pourrait croire que les argumentations du type qu'on vient decaractriser ne sont que de simples jeux d'esprit, et qu'elles ne sontpas susceptibles de trouver d'application en dehors des subtilitsdes discussions mtaphysiques.

    Le premier qui ait attir l'attention sur leur emploi dans lesdmonstrations mathmatiques semble avoir t le philosophe etmathmaticien Girolamo Cardano (1501-1576).

    Voici dans quels termes emphatiques il vante, dans son Opus deproportionibus (lib. V, prop. 201), la porte logique d'une dmons-tration dans laquelle il applique un raisonnement de ce genre.

    Hoc nunquam fuit factum ab aliquo, imo videtur plane impos-sibile; et est res admirabilior quae inventa sit ab orbe condito, sci-licet ostendere aliquod ex suo opposito, demonstratione non ducentead impossibile, et ila ut non possit demonstrari ea demonstrationenisi per illud suppositum quod est contrarium conclusioni. Velut siquis demonstraret quod Socrates est albus quia est niger el non possit

    leidemonstrare aliter, etideo est longe majus Chrysippaeo Syllogismo 1.

    Cardano a eu cependant tort, non seulement de s'riger en inven-teur du procd logique en question, mais aussi de se croire le pre-

    4'mier le mettre en uvre dans une dmonstration mathmatique.

    C'est ce que lui est reproch par le clbre commentateur d'Eu-clide, Christophe Clavius, dans un passage de son dition desElments, et prcisment dans un scholie qui se rapporte la pro-position 12e du livre IX.

    La dmonstration qu'Euclide donne de cette proposition constitueen effet un exemple caractristique du type d'argumentation dont

    1. Cardani Opera (Lugduni, 1663), t. IV, p. 579.

    o o oo ii;

    171 A). Quel parti choisiras-tu donc, Protagoras, ajoute ironiquement

    Socrate, puisque les conclusions auxquelles tu es amen en suppo-sant que ta thse soit vraie, ne diffrent point de celles qu'on pour-rait obtenir en admettant qu'elle est fausse? (oo o o o o oo 6i o o), 170 C.

  • G. VAILATI. CLASSE REMARQUABLE DE RAISONNEMENTS. 801

    nous parlons. Je la reproduirai ici, en l'abrgeant par l'emploi denotations modernes.

    Euclide veut dmontrer que, si une puissance an d'un nombreentier quelconque a est divisible par le nombre premier p, a aussiest divisible par p.

    A cet effet il observe avant tout que, si a est divisible par p, ilexistera un nombre entier b tel qu'on ait an = bp, c'est--dire telqu'on ait

    Que l'on suppose maintenant que a ne soit pas divisible par p.Alors, puisque p est un nombre premier, les deux nombres

    a et p seront premiers entre eux, et la fraction p/a sera rduite

    sa plus simple expression. Mais on a prcdemment dmontr(prop. 21 du VIIe livre) que, si deux fractions sont gales et si l'uned'elles est rduite sa plus simple expression, son numrateur etson dnominateur sont respectivement des diviseurs du numrateuret du dnominateur de l'autre. Il s'ensuit que an-1 devra tre divi-sible par p.

    Ainsi la supposition que a n'est pas divisible par p nous a port conclure que, si an est divisible par p, an-1 l'est aussi. Elle nousportera de la mme manire conclure que, si an-1 est divisiblepar p, an-2 l'est aussi, etc., et enfin la conclusion que a est divi-sible par p. Puis donc que la supposition mme que Il n'est divi-sible par p nous oblige conclure que a est divisible par p, ellese dtruit elle-mme, et l'on ne peut que la rejeter.

    Il est important de remarquer que le type de raisonnement dontcette dmonstration nous fournit un exemple est bien loin d'avoircess de jouer un rle fondamental dans la branche des mathma-tiques modernes dans laquelle rentre la proposition dont on vientde transcrire la dmonstration, c'est--dire dans la thorie desnombres. C'est prcisment l'aide d'un raisonnement de ce genreque Gauss, dans ses Disquisitiones arithmeticae, dmontre cette pro-position capitale que le produit de deux nombres entiers, dontchacun est plus petit qu'un nombre premier donn, ne peut tredivisible par ce nombre premier .

  • 802 REVUE DE MTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

    Le procd suivi par Gauss dans la dmonstration de cette pro-position, est, en effet, bien distinguer du procd ordinaire derduction l'absurde, qui consiste faire voir que la ngation de la

    proposition dmontrer porte quelque conclusion qui est en con-tradiction avec des propositions antrieurement admises (ou quiont t nonces comme des conditions restrictives de la vrit de lathse qu'on veut dmontrer).

    La contradiction laquelle aboutit la dmonstration de Gauss est,au contraire, une contradiction entre deux propositions dont cha-cune est dduite par lui de l'hypothse que la proposition dmon-trer est fausse.

    Les deux propositions contradictoires, que Gauss dduit de l'hypo-thse qu'un nombre premier p est contenu un nombre entier de foisdans le produit de deux nombres a, b plus petits que lui, sont lesdeux suivantes

    1 Il existe un multiple de a divisible par p et plus petit que tout

    autre multiplede a divisible par p. Cela rsulte immdiatement de

    la supposition mme qu'il existe un multiple de a (c'est--dire ab)qui est divisible par p.

    2 tant donn un multiple quelconque de a divisible par p, on

    peut toujours dterminer un autre multiple de a plus petit que le

    multiple donn et qui est encore divisible par p. Voil comme cettedeuxime proposition est dmontre

    Soit, en effet, ma le multiple en question. Ou bien on a m p, et,dans ce cas, p tant par hypothse plus grand que b, m sera plusgrand que b, et par consquent il existera un multiple de a (c'est--dire ab) plus petit que ma, et divisible par p. Ou bien on a m < p,et alors, puisque p, tant premier, ne peut pas tre un multiple de m,on aura (par division)

    p=rm + s (1)p = rm + s (1)r tant un nombre entier positif, et s un nombre entier positif pluspetit que m.

    De l'galit (1) on dduit

    ap = arm + as

    Le produit as, tant la diffrence de deux termes ap, ram dontchacun est divisible par p, sera divisible par p, et il y aura donc un

    multiple de a, divisible par p et plus petit que ma. C. q. f. d.

    Ayant dmontr de cette manire que, de la supposition que le

  • G. VAILATI. CLASSE REMARQUABLE DE RAISONNEMENTS. 803

    REV. MTA. T. XII. 1904 54

    produit ab est divisible par p, dcoulent deux propositions qui secontredisent entre elles, Gauss en conclut qu'une telle suppositionn'est pas admissible, c'est--dire que la proposition qui tait dmontrer est vraie.

    Il faut remarquer que cette dmonstration, tout en tant, en elle-mme, complte et n'ayant pas besoin d'tre ultrieurement confir-me, est toutefois susceptible d'tre immdiatement ramene autype ordinaire des rductions l'absurde. Il suffit pour cela qu'onpoursuive les raisonnements, dont on s'est servi pour dmontrerl'existence d'un multiple de a divisible par p et plus petit que ma,jusqu' ce qu'on parvienne la conclusion que a mme est divisiblepar p, ce qui contredit la supposition que a est plus petit que p.C'est sous cette forme que la dmonstration du thorme enquestion se prsentent chez Legendre, et c'est cette forme qu'on tendle plus souvent donner, dans les expositions ordinaires de lathorie des nombres, aux dmonstrations dans lesquelles, commedans celle que nous venons de rapporter, on prouve que, si la pro-position dmontrer n'tait pas vraie pour un nombre n entierpositif quelconque, il existerait un autre nombre entier positif pluspetit que n et pour lequel elle ne serait pas vraie non plus ce quiconduirait cette consquence absurde qu'il existerait un nombreinfini de nombres entiers positifs plus petits qu'un nombre donne1.

    Ce procd s'applique surtout lorsqu'il s'agit de dmontrer l'impos-sibilit qu'une relation donne soit vrifie par des nombres entierspositifs quelconques 2. Car il suffit alors de dmontrer que, si elletait vrifie par un nombre n, elle le serait aussi par un autrenombre (entier positif) plus petit que n, pour en conclure qu'elle nepeut tre vrifie par aucun nombre.

    Il a une analogie trs remarquable entre ce type d'argumenta-

    1. C'est ce procd que se rapporte l'observation suivante de Fermat (Lettre Carcavi, aot 1659, cf. uvres, d. Tannery, t. IV, p. 430qui m'a t signalepar M. Vacca Et pour ce que les mthodes ordinaires qui sont dans leslivres taient insuffsantes dmontrer des propositions si difficiles, je trouvaienlin une route tout fait singulire pour y parvenir. J'appelai cette manirede dmontrer la descente infinie.

    parvenir. J appelai cette manire2. Ce sont les thormes que Fermat appelle ngatifs (loc. cit.), en les oppo-sants aux affirmatifs auxquels cette forme de dmonstration est plus difcici-lement applicable Je fus longtemps sans appliquer ma mthode aux questionsaffirmatives, parce que le tour et le biais pour y venir est beaucoup plus malaisque celui dont je me sers aux ngatives. Je me trouvais en belle peine. Mais enfinune dmonstration plusieurs fois ritre me donna les lumires qui me man-quaient et les questions affirmatives passrent par ma mthode. .

    REV. MTA. T. XII. 1904 54

  • 804 REVUE DE MTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

    tion, caractristique de la thorie des nombres, et certains procedes

    dmonstratifs que l'on rencontre dans la thorie des limites et,chez

    les gomtres anciens, dans les dmonstrations qu'on appelle par

    exhaustion .

    Dans ces dernires, en effet, on parvient prouver quedeux

    quantits (longueurs, aires, volumes) sont galesentre elles en

    faisant voir que l'on ne peut supposer qu'il y ait unediffrence

    entre elles, sans tre conduit, par cela mme, ces deux conclu-

    sions contradictoires qu'il y a et qu'il n'y a pas de quantits plus

    petites que cette diffrence mme.

    Le type d'argument dont nous venons d'examinerle rle dans

    les dmonstrations mathmatiques n'est pas moins susceptible

    d'applications importantes dans le domaine de la logiqueformelle.

    C'est au mathmaticien et logicien gnois Girolamo Saccheri

    (1670?-1733) que revient le mrite d'enavoir reconnu la porte

    cet gard. Dans son petit trait Logica demonstrativa (publi

    Turin dans l'anne 1697) il l'utilise d'une faon trs ingnieuse pour

    la dmonstration des rgles relatives la validit des syllogismes.

    Je donnerai ici un essai de sa mthode en reprsentant, dans ses

    parties essentielles, la dmonstration qu'il donnede la rgle scolas-

    tique bien connue In prima figura minornon potest esse nega-

    tiva. Se proposant de dmontrer cette rgle, au moyendu seul

    syllogisme Barbara, qui a ses deux prmissesuniverselles et

    affirmatives, Saccheri observe avant tout que son but serait atteint,

    si, pour chacune'des diffrentes formes de syllogismes, mineure

    ngative, qu'on pourrait construire dans la premire figure,l'on

    russissait trouver des exemples (c'est--dire choisirde telles

    significations particulires des termes qui y figurent) pour lesquelles,

    les deux prmisses tant vraies, la conclusion ne leserait pas

    Si quispiam syllogismus taliter constructusnon recte concludit,

    nullus alius similiter constructus vi formae concludet (Logica dem,

    p. 130). Soit, par exemple, dmontrer que, des deux prmisses

    Tout A est B, Nul C n'est A

    on ne peut dduire la conclusion

    Nul C n'est B.

  • G. VAILATI. CLASSE REMARQUABLE DE RAISONNEMENTS. 805

    Pour cela nous attribuons aux termes A, B, C, respectivement lestrois significations suivantes

    A = syllogisme de la premire figure, ayant les deux prmissesuniverselles et affirmatives;

    B = syllogisme valide;C = syllogisme de la premire figure ayant une prmisse nga-

    tive.

    Les deux prmisses Tout A est B, Nul C n'est A deviendront alorsles deux propositions suivantes

    1) Tout syllogisme de la premire figure ayant les deux prmissesuniverselles affirmatives est valide.

    2) Nul syllogisme de la premire figure ayant l'une des prmissesngatives, n'est un syllogisme de la premire figure ayant les deux

    prmisses universelles affirmatives.Or ces deux prmisses tant vraies, ou bien on devra admettre

    que la conclusion Nul C n'est B (c'est--dire Nul syllogisme de la

    premire figure ayant l'une des deux prmisses ngatives n'est valide)est vraie, ou bien concder que les significations que nous avonsdonn aux termes A, B, C, du syllogisme, dont la validit est en

    question, rendent vraies ses deux prmisses et fausse sa conclusion.Dans les deux cas on est donc galement conduit admettre que le

    syllogisme en question n'est pas valide. Vel concedis vel negas consequentiam. Si concedis habetur intentum.

    Si negas, conclusioni dissentiens post concessas premissas, fateris ipselegitimum non esse ex prmissis ejusmodi consequentiam quod intende-batur (Loc. cit., p. 132).

    Puis donc que la supposition mme de la validit des syllogismesen question (c'est--dire des syllogismes du type Tout A est B,Nul C n'est A, donc Nul C n'est B) nous porte conclure que de tels

    syllogismes ne sont pas valides, cette supposition ne peut pas tre

    admise, et la supposition contraire, c'est--dire la proposition dmontrer, est vraie.

    On peut rsumer le procd dmonstratif que nous venons de

    dcrire, dans le langage de la logique moderne, en disant qu'on ydmontre l'indpendance de la proposition Nul C n'est B parrapport deux autres Tout A est B , Nul C n'est A en faisantvoir que la ngation mme de cette indpendance, c'est--dire l'affir-mation que la dernire peut tre dduite de deux autres, suffirait nous mettre en tat d'assigner une interprtation des trois termes

  • 806 REVUE DE MTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

    A, B, C dont il rsulterait que les deux dernires propositions peuvent

    tre vraies sans que la premire le soit.

    Il n'est pas moins important au point de vue de l'histoire de la

    logique qu' celui de l'histoire d la gomtrie, de remarquer que

    les spculations de Saccheri, dont nous venons de parler, prcdent

    de plus d'une trentaine d'annes la publication de son ouvrage Euclides ab omni naevo vindicatus (Mediolani 1732) dans lequel

    il se propose de dmontrer, par cette mme mthode d'argumen-

    tation, le postulat euclidien (V) affirmant l'impossibilit de mener

    par un point donn plus d'une droite parallle une droite donne.

    Ce qui dtermina Saccheri aborder un tel problme, qu'il savait

    bien avoir rsist aux efforts de plusieurs des gomtres les plus

    minents de tous les temps, depuis Ptolme jusqu' Wallis, semble

    avoir t prcisment sa conviction d'avoir sa disposition une

    mthode nouvelle et plus puissante, dont l'ide ne s'tait pas pr-

    sente ses prdcesseurs.Cette mthode, consistant, comme nous avons vu, dmontrer

    une proposition en faisant voir qu'elle dcoule comme conclusion de

    sa ngation mme, lui permettait, en effet, d'ajouter aux prmissesdont ses prdcesseurs pouvaient se servir (c'est--dire aux autres

    postulats d'Euclide), une prmisse nouvelle, savoir la ngation du

    postulat mme qui tait dmontrer.

    C'est ainsi qu'il fut amen dvelopper les consquences de cette

    ngation et, en particulier, les deux hypothses alternatives aux-

    quelles elle donne lieu, et qui consistent respectivement admettre

    que le quatrime angle d'un quadrilatre, ayant trois angles droits,

    est plus grand (hypothesis anguli obtusi) ou plus petit qu'un angledroit (hypothesis anguli acuti).

    Comme il se proposait de dduire, tant de l'une que de l'autre de

    ces deux hypothses, le postulat d'Euclide, et d'arriver ainsi

    prouver qu'elles se rfutaient par elles-mmes (se ipsas destruunt), il

    poussa aussi loin qu'il put la srie des consquences qui drivent de

    chacune d'elles, et construisit ainsi, sans mme s'en apercevoir, le

    premier chapitre de ce qu'on appelle aujourd'hui la gomtrie non-

    euclidienne.

    On sait maintenant pourquoi le but auquel il visait, c'est--dire la

  • G. VAILATI. CLASSE REMARQUABLE DE RAISONNEMENTS. 807

    dmonstration du postulat d'Euclide, ne pouvait tre atteinte, pasmme par la mthode nouvelle dont il avait eu l'ide de le servir.

    Voici comme il rsume le rsultat de ses efforts dans cette direc-

    tion

    Circa hypothesin anguli obtusi res est meridiana luce clarior,

    quandoquidem ex ea assumpta ut vera demonstratur absoluta univer-

    salis veritas pronunciati euclidei, ex quo postea demonstratur absoluta

    falsitas ipsius talis hypothesis. Contra vero non devenio ad proban-dam falsitatem alterius hypothesis quae est anguli acuti. ex visceribus

    ipsiusmet hypotheseos prout opus foret ad perfectam redargutionem.

    (Euctid. a. o. naevo vindic., p. 98.)

    Nanmoins, tout en reconnaissant ce notabile discrimen entre

    les deux hypothses auxquelles donne lieu la ngation du postulat

    d'Euclide, et tout en avouant que pour une seule d'entre elles sa

    mthode de rfutation a fourni un rsultat dfinitif, il ne renonce pas l'espoir qu'on puisse, par cette mme voie, parvenir aussi la

    rfutation de l'autre, et par consquent la dmonstration complteet parfaite du postulat euclidien.

    Cela rsulte des expressions mmes dont il se sert pour justifierEuclide d'avoir insr la proposition dont il est question dans la

    srie des prmisses fondamentales de la gomtrie. Car, observe

    Saccheri, ce qui caractrise les vrits primitives et fondamentales,c'est prcisment cela, de ne pouvoir tre dmontres que par la

    mthode dont nous avons parl, c'est--dire en faisant voir qu'onserait contraint de les admettre mme si l'on partait de la supposi-tion qu'elles ne fussent pas vraies

    Nam hic maxime videtur esse cujusque primae verilatis veluti cha-

    racler ut non nisi exquisita aliqua redargutione ex suo ipso contradic-

    torio assumpto ut vero illa ipsi sibi tandem restitui possit. Atque ita a

    prima usque aetate mihi feliciter contigisse circa examen quorumdamveritatum profiteri possum prout constat ex mea Logica demonstra-

    tiva. (Eucl. vindic., p. 99.)Il y a une remarquable concidence entre cette opinion de

    Saccheri et celle qui a t exprime par Leibniz sur un sujet ana-

    logue dans une discussion qu'il eut avec Christophe Rojas de

    Spinola dont la trace nous est conserve dans un prcieux fragmentrcemment publi par M. Couturat (Opuscules et Fragments indits

    de Leibniz, p. 183) Notabam praeterea me aliqua demonstrare

    posse nihil aliud assumendo nisi concessa. Ut si quis opinionem

  • 808 REVUE DE MTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

    aliquam defendit quam ego ostendere volo absurdam, assumam pro-

    positiones ab illo concessas et, in legitima forma, inde concludam

    contradictorium alicujus quod ipse asseruit. Ex quo sequitur falsi-

    tatem alicui ex propositionibus ab eo assumptis adesse, idest eas non

    posse esse veras simul. Et ita cessat illa difficultas quae omnes

    torquet de modo quo ipsorum principiorum certi sumus ex quibusdemonstrationes ducuntur. Dicendum enim est demonstrationes ex

    nullis assertionibus sed ex concessionibus sive hypothesibus procedere

    neque aliud agere quam ut ostendant hypotheses quasdam inter se

    pugnare. Unde quodammodo omnis demonstratio est demonstratio ad

    hominem.

    L'analogie qui subsiste entre les raisonnements du type que nous

    venons de considrer et ceux que les logiciens qualifient comme des

    arguments ad hominem ne doit pas toutefois nous faire perdre de vue

    un point essentiel sur lequel ils diffrent.

    Tandis en effet que, dans les arguments ad hominem, on parvient la conclusion que l'on a en vue, en la dduisant de quelque opi-nion que l'adversaire a exprime mais qu'il pourrait bien dsa-

    vouer ou renier aprs avoir reconnu qu'elle a des consquences qu'ilne peut ou ne veut pas admettre; dans notre cas, au contraire,

    puisque l'admission de l'adversaire qu'on prend pour point de dpartest prcisement celle de la fausset de la proposition qu'on se pro-

    pose de lui prouver, il ne peut ni renier ni abandonner sa thse sans

    concder, par cela mme, la vrit de la proposition qu'il s'agit de

    lui faire accepter.

    On peut mme dire qu'on rfute ainsi non pas tel ou tel adversaire,

    mais tout adversaire possible, en tant qu'on fait voir que, quelque

    opinion que l'on puisse avoir sur le sujet dont on discute, on arrive

    tout de mme la conclusion qu'il s'agit de dmontrer.

    On peut faire ressortir les avantages inhrents ce procd de

    dmonstration, l'aide des symboles de la logique mathmatique,en disant qu'il consiste substituer, la dduction exprime par la

    formule

    abcd. c p

    o a, b, c, d. reprsentent les postulats donns et p la proposition dmontrer), les dductions exprimes par les deux formules

    qabcd. c p, qabcd. c p

    (q tant une proposition quelconque dont la vrit ou fausset n'a pas

  • G. VAILATI. CLASSE REMARQUABLE DE RAISONNEMENTS. 809

    besoin d'tre dcide), ou bien encore les dductions exprimes par

    les quatre formules

    rqabcd. c p, rqabcd. c p

    rqabcd.. c p, rqabcd. c p

    (o r aussi est une autre proposition arbitrairement choisie)et ainsi

    de suite.

    Il arrive ici quelque chose d'analogue ce qui a lieu en mcanique

    dans les transformations de mouvements obtenues l'aide des

    machines, dans lesquelles on ne peut gagner en puissance qu' ]a

    condition de perdre en vitesse. Dans notre cas la perte est repr-

    sente par l'augmentation du nombre des dmonstrations, etle gain

    par l'augmentation (moins rapide pourtant) du nombre des prmisses

    qu'on a sa disposition dans chacune d'elles.

    G. VAILATI.

  • VI. LAGOMTRIE.

    A.LesDimensions.La Gomtriepassegnralementencorepourtrela sciencede

    l'espace.Il sembleraitdonc qu'elle dt commencer,en bonnemthode,parunedfinitiondel'espace.Orunetelledfinitionest,d'abord,trsdifficileet trs complique;ensuite,elleest parfaite-mentinutile l'ideet le motmmed'espacene se trouventpasdansEUCLIDEni dansARCHIMDE2.Il en est demmedesnotionsdeligneet desurface,qu'EUGLIDElui-mmeessaiede dfinirau dbutdeseslments.Ladfinitiondecesnotionsgnralesestextrme-mentdlicate,et ne peuttre faiteavecrigueurqu'aumoyenduCalculintgral c'estdirequesaplacen'estpasdansles lmentsnidanslesprincipesdelaGomtrie3.Ilnefaudraitdoncpascroireque,si la Gomtriene peutpas dfinirdsle dbutces troisnotions,c'estparcequecelles-cisontdes notionspremires,fondamentaleset simples;tout au contraire,c'est parcequ'ellessonttrs com-plexes;et laGomtriepeutparfaitementse constituersanselles,commeonleverraplusloin.Cen'estpassur les idesgnralesetvaguesd'espace,desurfaceet delignequelaGomtrieestfonde,maissurlesidesparticulireset prcisesdedroite,deplanet sur-tout de point et c'estparmicelles-cique se trouventles notions

    1.VoirlaRevuedeMtaphysiqueetdeMorale,n"dejanvier,marsetjuillet1904.2.PEANO,SuifondamentidellaGeometria,ap.RevuedeMathmatiques,t. IV,p.52(1894).3.Parexemple,certainsauteursdfinissentlasurfacecommecequilimiteunsolide.Orilexistecertainessurfacesquin'ontqu'uneface,oudontlesdeuxfacesserelientd'unemanirecontinue,desortequ'ellesnepartagentpasl'es-paceendeuxrgionsspares,etnepeuventparsuiteservir dlimiterunsolide.(PEANO,ibid.)

    LES PRINCIPES DES MATHMATIQUES1