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275 CHAPITRE 4 LE LYMPHŒDÈME CONSTITUTIONNEL OU PRIMAIRE I. Quéré DÉFINITION DU LYMPHŒDÈME ET CLASSIFICATION Le lymphœdème est caractérisé par l’accumulation intersti- tielle de lymphe responsable d’une augmentation de volume des tissus et d’un ensemble de modifications cutanées et sous- cutanées d’un membre, du tronc, de la tête ou des organes génitaux externes. Le lymphœdème constitutionnel ou primaire est la consé- quence d’une insuffisance de drainage liée à une malforma- tion constitutionnelle tronculaire du système lymphatique. Il peut être isolé, sporadique (95 %) ou familial. Il peut être l’un des éléments d’un syndrome malformatif plus ou moins com- plexe, qu’il soit restreint ou non au système vasculaire. L’ISL classe les lymphœdèmes en trois stades évolutifs [1] : – le stade initial caractérisé par un œdème distal fluctuant isolé ; – le stade II caractérisé par un œdème permanent et des modifications cutanées ; – le stade III de l’éléphantiasis. DESCRIPTION PRINCEPS DU LYMPHŒDÈME : LE LYMPHŒDÈME PRIMAIRE FAMILIAL Le lymphœdème est identifié comme une entité physiopatho- logique différente des autres formes d’œdème après les deux descriptions initiales des formes familiales du lymphœdème à la fin du XIX e siècle. Nonne puis Milroy décrivent les premiers cas de lymphœdè- mes congénitaux familiaux [2]. Milroy est médecin à Omaha aux États-Unis. Un pasteur de 31 ans le consulte en août 1891 pour souscrire une assurance-vie. Il souffre d’une « enflure » congénitale des deux jambes qui, hormis la gêne esthétique, ne lui cause aucune complication. L’étude généalogique de la famille identifie une transmission autosomique dominante avec 22 personnes sur 97 atteintes en 6 générations (tableau 4-1). Ils présentent tous un œdème congénital peu évolutif de la par- tie distale de la jambe. Chez l’un d’entre eux l’œdème apparaît à l’adolescence ; il s’associe à un œdème pénien chez un autre. Tableau 4-1. Généalogie d’un œdème héréditaire familial. GÉNÉRATION I GÉNÉRATION II GÉNÉRATION III GÉNÉRATION IV GÉNÉRATION V GÉNÉRATION VI 1 Inconnu 2 Unilatéral Mb = 6. Unilatéral Pied : 1 = 11. Unilatéral Pied : 2 3 Normale = 8. Unilatéral Pied : 1 = 9. Normaux 4 Unilatéral Mb Unilatéral Mb Inf Bilatéral Mb Inf 5 Normal = 5. Unilatéral Mb : 1 = 9. Bilatéral Mb : 1 Unilatéral Pied : 1 = 6. Unilatéral Pied : 1 Bilatéral Pied : 1 6 Bilatéral Mb = 4. Unilatéral Mb : 1 = 4. Unilatéral Pied : 1 7 Pied & cheville = 3. Unilatéral Pied : 1 = 2. Normaux 8 Inconnu 9 Pied & Mb Inf = 4. Bilatéral Mb Inf : 1 = 13. Normaux = 2. Normaux

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C H A P I T R E 4

L E L Y M P H Œ D È M E C O N S T I T U T I O N N E L O U P R I M A I R E

I. Quéré

DÉFINITION DU LYMPHŒDÈME ET CLASSIFICATION

Le lymphœdème est caractérisé par l’accumulation intersti-tielle de lymphe responsable d’une augmentation de volumedes tissus et d’un ensemble de modifications cutanées et sous-cutanées d’un membre, du tronc, de la tête ou des organesgénitaux externes.Le lymphœdème constitutionnel ou primaire est la consé-quence d’une insuffisance de drainage liée à une malforma-tion constitutionnelle tronculaire du système lymphatique. Ilpeut être isolé, sporadique (95 %) ou familial. Il peut être l’undes éléments d’un syndrome malformatif plus ou moins com-plexe, qu’il soit restreint ou non au système vasculaire. L’ISLclasse les lymphœdèmes en trois stades évolutifs [1] :– le stade initial caractérisé par un œdème distal fluctuant

isolé ;– le stade II caractérisé par un œdème permanent et des

modifications cutanées ;– le stade III de l’éléphantiasis.

DESCRIPTION PRINCEPSDU LYMPHŒDÈME : LE LYMPHŒDÈME PRIMAIRE FAMILIAL

Le lymphœdème est identifié comme une entité physiopatho-logique différente des autres formes d’œdème après les deuxdescriptions initiales des formes familiales du lymphœdème àla fin du XIXe siècle.

Nonne puis Milroy décrivent les premiers cas de lymphœdè-mes congénitaux familiaux [2]. Milroy est médecin à Omahaaux États-Unis. Un pasteur de 31 ans le consulte en août 1891pour souscrire une assurance-vie. Il souffre d’une « enflure »congénitale des deux jambes qui, hormis la gêne esthétique, nelui cause aucune complication. L’étude généalogique de lafamille identifie une transmission autosomique dominanteavec 22 personnes sur 97 atteintes en 6 générations (tableau 4-1).Ils présentent tous un œdème congénital peu évolutif de la par-tie distale de la jambe. Chez l’un d’entre eux l’œdème apparaîtà l’adolescence ; il s’associe à un œdème pénien chez un autre.

Tableau 4-1. Généalogie d’un œdème héréditaire familial.

GÉNÉRATION I GÉNÉRATION II GÉNÉRATION III GÉNÉRATION IV GÉNÉRATION V GÉNÉRATION VI

1

Inconnu

2

Unilatéral Mb

= 6.

Unilatéral Pied : 1

= 11.

Unilatéral Pied : 2

3

Normale

= 8.

Unilatéral Pied : 1

= 9.

Normaux

4

Unilatéral Mb

Unilatéral Mb Inf Bilatéral Mb Inf

5

Normal

= 5.

Unilatéral Mb : 1

= 9.

Bilatéral Mb : 1

Unilatéral Pied : 1

= 6.

Unilatéral Pied : 1

Bilatéral Pied : 1

6

Bilatéral Mb

= 4.

Unilatéral Mb : 1

= 4.

Unilatéral Pied : 1

7

Pied & cheville

= 3.

Unilatéral Pied : 1

= 2.

Normaux

8

Inconnu

9

Pied & Mb Inf

= 4.

Bilatéral Mb Inf : 1

= 13.

Normaux

= 2.

Normaux

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Le lymphœdème constitutionnel ou primaire

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Six ans plus tard, en 1898, Henry Meige [3] décrit dans laPresse Médicale une famille au sein de laquelle 8 personnesdéveloppent un œdème distal de la jambe au moment de lapuberté. Cet œdème pubertaire touche toutes les générationsavec une expression variable.

PRÉSENTATION CLINIQUEDES LYMPHŒDÈMES PRIMAIRES

Le lymphœdème primaire isolé peut être congénital, apparaî-tre dans l’enfance ou être plus tardif, posant alors le problèmede son caractère primaire et non secondaire à un processusnéoplasique sous-jacent.Le lymphœdème primaire ou constitutionnel est la forme laplus fréquente du lymphœdème de l’enfant. La prévalence estestimée à 1,15 cas pour 100 000 habitants, mais cette estima-tion basée sur le recrutement d’un seul centre aux États-Unissera probablement remise en cause avec les données généti-ques actuelles [4]. Il existe une prépondérance féminine de 3pour 1 garçon, surtout dans les formes qui apparaissent àl’adolescence et dans les formes congénitales. Le lym-phœdème est isolé, alors sporadique, dans l’immense majo-rité des cas (plus de 90 %) ou familial avec une transmissionmendélienne. Il peut être un des symptômes de malforma-tions syndromiques plus complexes.Les mécanismes moléculaires responsables de quatre présen-tations familiales du lymphœdème ont été identifiés : le lym-phœdème de Milroy, le syndrome lymphœdème-distichiasis,le lymphœdème-hypotrichose et le lymphœdème généraliséde Hennekam.

Lymphœdèmes constitutionnels familiaux caractérisés sur le plan moléculaire

LYMPHŒDÈME CONGÉNITAL FAMILIAL OU LYMPHŒDÈME DE MILROY – INACTIVATION DU RÉCEPTEUR 3 DU VEGF

Le lymphœdème congénital de Milroy est une forme très rareet familiale de lymphœdème. L’atteinte est présente dès la viein utero, affecte électivement les membres inférieurs et lesorganes génitaux avec une hydrocèle chez 30 % des garçonsatteints. Elle touche les enfants sans prédominance de sexe.

PHÉNOTYPE CLINIQUE

Lymphœdème pendant la grossesseLe lymphœdème est présent lors du développement in uteroet être dépisté pendant la grossesse [5]. L’échographieretrouve un aspect de bombement en verre de montre du dosdu pied visible dès la 12e semaine d’aménorrhée. Il existe par-fois un œdème plus diffus qui peut diminuer pendant la viefœtale et surtout pendant les premiers jours de vie.

Le lymphœdèmeAprès la naissance, le diagnostic d’un lymphœdème congéni-tal peut être difficile car les enfants sont potelés et la consis-tance du lymphœdème peut être élastique. C’est l’évolutionqui permet de différencier lymphœdème, membre normal ouhypertrophie de membre.

Si l’œdème infiltre massivement l’avant-pied et à un moindredegré la jambe, le diagnostic est relativement aisé (fig. 4-1). Laconsistance du lymphœdème congénital est élastique et neprend pas le godet jusqu’à la puberté, il prend ensuite lescaractéristiques évolutives du lymphœdème adulte ou dulymphœdème pubertaire.

Les études lymphoscintigraphiques ont montré que le drai-nage lymphatique était normal aux membres supérieurs. Defait, il n’y a jamais de lymphœdème du tronc, de la face oudes membres supérieurs lors du lymphœdème de Milroy.

Autres signes cliniquesLes orteils sont dystrophiques, petits, et les bords sont retour-nés vers le haut en donnant un aspect de cupule. Une papillo-matose très importante peut se développer au niveau des 2e

et 3e orteils prenant parfois des aspects verruqueux majeurs(fig. 4-2). Les veines sont très visibles, larges, et il apparaîtavec l’âge des signes d’insuffisance veineuse associés au lym-phœdème (fig. 4-3) [6].

ÉvolutionL’évolution est souvent celle d’une amélioration initiale dulymphœdème après la naissance, voire une disparition. Pourd’autres, l’amélioration est progressive pendant l’enfance ouau contraire il existe une aggravation progressive. L’atteintereste souvent infragonale, mais peut atteindre la racine dumembre et les organes génitaux, il n’y a jamais d’atteinte desmembres supérieurs ou de la face. Les parents peuvent êtrerassurés sur cet aspect évolutif.

PhysiopathologieL’insuffisance de drainage lymphatique touche uniquementles membres inférieurs. Le drainage est totalement absent ausein des tissus sous-cutanés et le produit de contraste s’accu-mule au pied. Les biopsies cutanées réalisées au pied ont

Figure 4-1. Lymphœdème de Milroy.1 : accentuation des plis cutanés ; 2 : mise au carré des orteils.

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Présentation clinique des lymphœdèmes primaires

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montré que les capillaires lymphatiques étaient nombreux,contrairement à la conception classique d’aplasie depuis lestravaux de Kinmonth. Les techniques de lymphangiographiemicroscopique cutanée retrouvent les capillaires initiaux quicaptent le dextran marqué mais ne le transportent pas.

Relation phénotype-génotypeDans sa forme familiale, le mode de transmission est autoso-mique dominant avec une pénétrance élevée de près de 85 %

sans prédominance de sexe. Mais il existe aussi des lym-phœdèmes congénitaux sporadiques associés à la mutationVEGF-R3 et des transmissions récessives. Il existe une impor-tante variation de l’expression phénotypique intra et interfa-miliale [8].Il existe des formes sporadiques de lymphœdème avec exac-tement les mêmes caractéristiques phénotypiques et unemutation inactivante du récepteur 3 du VEGF. Ces formesont une évolution identique à celle des lymphœdèmes deMilroy familiaux.En 1998, Ferrel [9] a relié le lymphœdème familial de Milroyà la région télomérique du chromosome 5q. Dans les famillesétudiées, le lymphœdème apparaît avant trois ans, congénitalou non. Cette région télomérique du chromosome 5 (5q34-5q35) contient le gène du récepteur 3 du VEGF. Un séquen-çage du gène candidat a permis d’identifier plusieurs muta-tions hétérozygotes qui modifient la séquence d’acides aminésdu domaine tyrosine kinase du récepteur-3 du VEGF. Cesmutations inhibent in vitro l’autophosphorylation du VEGF-R3 induite par la liaison avec son ligand, le VEGF-C. La coex-pression de l’allèle muté avec l’allèle sauvage diminue l’acti-vité du récepteur et son internalisation cellulaire. Il s’en suitune accumulation des récepteurs inactifs à la surface cellulaireet une impossibilité de liaison du VEGF-C au récepteur nor-mal [10,11]. De nombreuses mutations fonctionnelles ont étédécrites sur ce récepteur [7,12].

SYNDROME LYMPHŒDÈME-DISTICHIASIS, MUTATION DU GÈNE FOXC2

Le syndrome lymphœdème-distichiasis est transmis sur lemode autosomique dominant. Il est rare (1/100 000). Ce quidéfinit le syndrome est l’association d’un lymphœdème etd’une distichiasis avec d’autres manifestations cliniquesinconstantes.

Atteinte ophtalmologiqueLe lymphœdème est constant, associé à une distichiasis qu’ilfaut savoir rechercher par un examen ophtalmologique spéci-fique (double rangée de cils sur la face conjonctivale de la pau-pière, fig. 4-4). Le signe d’appel le plus évocateur est unehistoire de conjonctivite ou de kératite infectieuse récidivantemais il peut être asymptomatique dans 25 % des cas. Il est pré-sent dès la naissance. Il existe d’autres signes ophtalmologiqueset en particulier un ptosis, présent dans 30 % des cas (fig. 4-5).

Le lymphœdèmeLe lymphœdème apparaît à l’adolescence ou plus tardivementet affecte les membres inférieurs dans leur ensemble de façonuni ou bilatérale. Il est sous-gonal, quelquefois étendu à laracine du membre inférieur (fig. 4-6). Il s’y associe une mala-die variqueuse clinique et des manifestations d’insuffisanceveineuse chronique chez tous les adultes.

Autres signes inconstantsD’autres signes sont inconstants mais doivent être recherchéscomme un pterygium coli, des varices, des kystes extradu-raux, une micrognathie, un palais ogival, une cyphose, une

Figure 4-2. Lymphœdème de Meige débutant du pied droit chez une jeune femme : perte du relief du pied, disparition du réseau veineux superficiel et marques de la chaussure, légère accentuation du pli à la base des orteils.Excroissance papillomateuse du 2e orteil.

Figure 4-3. Papillomatose cutanée.Lymphœdème de Milroy : dysplasie tronculaire précoce ; lymphœdème unilatéral.

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Le lymphœdème constitutionnel ou primaire

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ichtyose, et des malformations cardiaques à type de persis-tance du canal artériel et de troubles de la conduction.

PhysiopathologieLes vaisseaux lymphatiques sont dilatés, hyperplasiques,contrairement aux autres formes de lymphœdème constitu-tionnel. La lymphoscintigraphie montre un retard de drai-nage associé à une dilatation des collecteurs lymphatiques età des signes de reflux dermique (dermal back-flow). L’associa-tion à des reflux veineux et à un défaut de développement desvalvules veineuses profondes suggère un mécanisme identi-que d’hypoplasie valvulaire à l’origine de l’insuffisance dedrainage lymphatique. Il s’associe à cette avalvulation uneanomalie de développement des précollecteurs lymphatiquesinitiaux qui sont recouverts de cellules musculaires lissescomme les collecteurs et ne sont pas fonctionnels.

GénétiqueLe syndrome distichiasis-lymphœdème est consécutif à unemutation dans le gène FOXC2 (MFH-1) sur le chromosome 16[14]. Ce gène code pour un facteur de transcription impliqué

dans le développement de l’arc aortique primitif et dans la miseen place du squelette. Les souris dont le gène FOCX-2 a étéinactivé ont des lymphatiques initiaux anormaux recouverts decellules musculaires lisses et de péricytes comme les collecteurslymphatiques qui sont dilatés et dépourvus de valves lympha-tiques [15].

SYNDROME LYMPHŒDÈME-HYPOTRICHOSE-TÉLANGIECTASIES ASSOCIÉ AUX MUTATIONS DE SOX 18

Ce syndrome est extrêmement rare et associe un lym-phœdème qui apparaît dans l’enfance, une hypotrichose pro-gressive et des télangiectasies cutanées prédominantes sur lesfaces palmaires et plantaires des extrémités sans rapport avecles télangiectasies de l’insuffisance veineuse chronique.

HypotrichoseSelon les cas, l’hypotrichose existe dès la naissance sans ano-malie de structure des cheveux ou apparaît progressivementen quelques mois lorsque la chevelure est normale à la nais-

Figure 4-4. Lymphœdème au cours d’un syndrome lymphœdème-distichiasis chez un adolescent de 17 ans.a. Distichiasis. b. Ptosis. c. Syndrome lymphœdème-distichiasis sous-gonal, bilatéral, apparu à l’adolescence.

a c

b

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Présentation clinique des lymphœdèmes primaires

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sance. Il s’y associe une absence complète de sourcils et decils. Les ongles, les dents et les glandes sudoripares sont nor-maux. L’histologie de la peau retrouve des follicules pileux« abortifs », des glandes sébacées atrophiques et des glandessudoripares normales. Les poils pubiens et axillaires ne sedéveloppent pas au moment de la puberté.

TélangiectasiesOutre les anomalies du système pileux, la peau des pieds etdes mains est fine, transparente, avec un réseau veineux nor-mal très visible. Des télangiectasies et varices réticulaires sontvisibles au niveau des paumes des mains, des pieds et du scro-tum chez le garçon.

Autres anomalies cliniquesAu sein des familles connues on retrouve un décès parhydrops fœtal.

GénétiqueL’inactivation du gène SOX 18 est responsable de ces formesfamiliales de lymphœdème-hypotrichose et télangiectasies[16]. La transmission est récessive ou autosomique domi-nante, des mutations de novo ont été décrites. Le taux deconsanguinité est élevé.

LYMPHŒDÈMES GÉNÉRALISÉS CONGÉNITAUX FAMILIAUX DE HENNEKAM

Le syndrome de Hennekam est caractérisé par l’associationd’un lymphœdème, d’une lymphangiectasie intestinale, d’un

déficit intellectuel et d’une dysmorphie faciale [17]. La préva-lence est inconnue mais moins de 50 cas ont été rapportésdans la littérature. Ce syndrome est présent dans toutes lespopulations.

LymphœdèmeLe lymphœdème est généralement présent dès la naissance ouapparaît dans la petite enfance.

Le plus souvent, il devient sévère en quelques années, tou-chant principalement le visage, les membres inférieurs etl’appareil génital.

Syndrome de Waldman ou entéropathie exsudativeLa lymphangiectasie intestinale peut entraîner une entéro-pathie exsudative responsable d’un œdème et d’une diffusionpleurale ou ascitique par hypoalbuminémie. L’hypoalbumi-némie modifie la consistance du lymphœdème qui prendalors le godet et répond moins bien au drainage lymphatiqueet à la compression.

La lymphangiectasie est responsable d’une hypogammaglo-bulinémie, d’une hypoalbuminémie, d’une lymphopénie etd’une excrétion accrue d’alpha-1 antitrypsine dans les sel-les. Elle peut être mise en évidence lors d’un examen avecvidéocapsule digestive et confirmée par une biopsie duodé-nale. Cependant, plusieurs biopsies sont parfois nécessairesavant de pouvoir mettre en évidence la lymphangiectasieintestinale.

Figure 4-5. Lymphœdème congénital multisegmentaire de l’enfant.a. Hémicorporel, sans atteinte faciale. b. Membre supérieur isolé.

b

Figure 4-6. Lymphœdème de Meige débutant du pied gauche chez une jeune femme : perte du relief du pied, disparition du réseau veineux superficiel et marques de la chaussure, légère accentuation du pli à la base des orteils.a

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Le lymphœdème constitutionnel ou primaire

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Déficit intellectuelLe déficit intellectuel est de sévérité très variable, y compris ausein d’une même famille.

Caractéristiques facialesLes caractéristiques faciales incluent un visage plat, une arêtenasale large et déprimée, un hypertélorisme, un épicanthus,une petite bouche, et des oreilles bas implantées avec unconduit auditif étroit. Un retard pubertaire, des anomaliesdentaires, une hypertrophie gingivale, une épilepsie, des ano-malies vasculaires, une lymphangiectasie pulmonaire congé-nitale, et une cage thoracique étroite ont également étérapportés. Les manifestations moins courantes incluent unglaucome, une anasarque fœtoplacentaire non immunologi-que, un chylothorax, des kystes cérébraux et une cranio-synostose.

TraitementLe traitement est symptomatique. Il associe le traitement dulymphœdème et celui de l’entéropathie exsudative. De nom-breux patients doivent bénéficier d’une nutrition parentéraleavec régime riche en triglycérides à chaîne moyenne, et de per-fusions d’albumine. Des suppléments en vitamines et en élec-trolytes associés à un régime riche en protéines se sont avérésbénéfiques. La lymphangiectasie pulmonaire, lorsqu’elle estprésente, est particulièrement difficile à traiter et peut pro-gresser inexorablement à l’âge adulte.

GénétiqueMoins d’une trentaine de cas familiaux sont connus. Deuxéquipes viennent simultanément d’identifier des mutationsancestrales au sein du gène CCB1 [18,19]. La transmission estautosomale récessive. Ce gène est nécessaire à la lymphangio-genèse et à la maturation du système veineux chez le poissonzèbre [20].

Lymphœdèmes constitutionnels sans caractérisation génétique

LYMPHŒDÈMES SEGMENTAIRES CONGÉNITAUX DE L’ENFANT

Le lymphœdème primaire congénital ou d’apparition précocedans l’enfance est une présentation classique du lym-phœdème de l’enfant (fig. 4-5).

Le lymphœdème affecte un ou plusieurs segments du corps, lesmembres supérieurs, inférieurs, la face, les organes génitaux.L’atteinte peut être unilatérale, touchant ou non les membressupérieurs et inférieurs homolatéraux. Le lymphœdème est àprédominance distale, très élastique et répond peu aux techni-ques de réduction volumétrique dans l’enfance.

Il n’y a pas d’histoire familiale et le risque de récidive d’untel lymphœdème dans une famille est faible. L’atteinte desdifférents segments est présente très tôt dans l’enfance et iln’y a généralement pas d’atteinte d’un nouveau territoireavec l’âge.

LYMPHŒDÈME PRIMAIRE DE MEIGE

C’est le lymphœdème primaire le plus fréquent chez l’enfant etl’adulte jeune. Il apparaît à l’adolescence, spontanément ou aprèsun traumatisme même minime (entorse de cheville, piqûred’insecte). Dans l’immense majorité des cas, il touche un oudeux membres inférieurs, parfois les quatre membres avec uneexpression retardée aux membres supérieurs. Dans sa forme tar-dive, il apparaît souvent chez la femme après une grossesse.

L’atteinte du membre inférieur connaît une évolution caractéris-tique. Le début est distal, intéressant le pied et les orteils (fig. 4-6). D’abord intermittent, il est maximal en fin de journée etrégresse la nuit puis devient permanent. Son extension est trèsvariable selon les individus, centripète, localisée aux régionssous-gonales en général, il peut rester aller d’un simple œdèmede cheville jusqu’à un œdème de tout le membre inférieur.

L’œdème est indolore, donne un aspect bombé au dos dupied et carré aux orteils. Il prend le godet à la phase initialerégressive. Puis la consistance de l’œdème se modifie avecl’évolution fibreuse du derme et une augmentation du tissuadipeux. La fibrose explique deux signes très particuliers aulymphœdème : le signe de Stemmer à l’orteil : la peau fibreusede la première phalange du second orteil ne peut plus êtrepincée et détachée du plan profond, le signe du godet s’atté-nue ou disparaît.

L’aspect de la peau est modifié : accentuation des plis cutanésparticulièrement visible à la racine des orteils, bourrelet sus etrétromalléolaire, hyperkératose et papillomatose prédomi-nant classiquement sur le second orteil du pied (fig. 4-7). Lesinfections bactériennes et fungiques cutanées et sous-cuta-nées développées à partir des ulcérations du fond des plis sontresponsables d’aggravation du lymphœdème.

Dans sa forme sporadique, la plus fréquente (90 %), le lym-phœdème prédomine chez la femme (75 % des cas). Dans saforme familiale, il est transmis selon un mode autosomiquedominant, la pénétrance variable est estimée à 50 %, sans pré-dominance de sexe. Il est souvent peu évolutif, créant unegêne plus esthétique que fonctionnelle.

La lymphographie directe après ponction au dos du pied, quiest remplacée aujourd’hui par une étude uniquement fonc-tionnelle (lymphoscintigraphie isotopique) montre un retardde drainage avec une opacification partielle et tardive duréseau lymphatique. Le mécanisme suggéré est une hypopla-sie des collecteurs lymphatiques.

LYMPHŒDÈMES ASSOCIÉS À DES TABLEAUX MALFORMATIFS COMPLEXES

Le lymphœdème n’est pas la seule expression d’une malfor-mation du réseau lymphatique. La malformation lymphati-que la plus fréquente chez l’enfant est le lymphangiomekystique, présent à la naissance ou de développement plustardif dans l’enfance. C’est une formation kystique lymphati-que sous-cutanée unique ou multiple (fig. 4-8). Comme pourles malformations veineuses, les anomalies tronculaires (lym-

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Présentation clinique des lymphœdèmes primaires

281

phœdème) et les malformations lymphatiques kystiquesextra-tronculaires sont rarement associées.Certains signes cliniques associés aux formes syndromiquesdes lymphœdèmes seraient la conséquence d’un lymphan-giome kystique cervicodorsal ou d’un œdème intra-utérinrégressif comme le pterygium coli (excès de peau de la base

du cou donnant un aspect palmé, fig. 4-9), ou l’épicanthus(membrane perpendiculaire interne de l’œil). Les dysplasieslymphatiques ou lymphangiectasies d’organe s’exprimentsouvent par une pleurésie ou une ascite chyleuse.

LYMPHŒDÈMES CONGÉNITAUX SEGMENTAIRES DE L’ENFANT AVEC MANIFESTATIONS SYSTÉMIQUES

Lymphœdèmes syndromiquesLe lymphœdème peut-être associé à un syndrome malforma-tif complexe vasculaire (Klippel-Trenaunay par exemple) ounon. Le lymphœdème est présent dans plusieurs anomaliescaryotypiques.

Syndrome de NoonanLe syndrome de Noonan [21, 22] est un syndrome malformatifde transmission autosomique dominante qui ressemble au syn-drome de Turner (Turner like syndrome) sans en partager l’ano-malie du caryotype 45X0. L’incidence serait de 1/1 000 à 1/2 500naissances. Le phénotype clinique associe petite taille, retardmental, dysmorphie faciale (oreilles rondes et implantées bas,cheveux bas sur la nuque, pommettes saillantes, hypertélorisme,épicanthus, sourcils clairsemés, palais ogival, cheveux laineux,face de chérubin avec des joues rebondies), pterygium coli, sté-nose des artères pulmonaires. D’autres anomalies moins fré-quentes sont décrites comme les anomalies osseuses (fusionsvertébrales, brachydactylie) et le lymphœdème (fig. 4-10). Lelymphœdème se présente comme un lymphœdème primairecongénital ou non. Le syndrome de Noonan est associé une foissur deux à une mutation faux-sens du gène PTPN11 sur le chro-mosome dont résulte une hyperactivité de la tyrosine phospha-tase SHP-2 qui participe à la cascade de signalisation denombreux facteurs de croissance, cytokines et hormones.

Figure 4-7. Modifications cutanées.1 : épaississement cutané, peau dure, infiltrée ; 2 : accentuation des plis cutanés ; 3 : papillomatose ; 4 : mise au carré des orteils.

Figure 4-8. Malformation lymphatique kystique superficielle.1 : cicatrice d’exérèse ; 2 : vésicules lymphatiques. Angiokératomes.

Figure 4-9. Pterygium coli.

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Le lymphœdème constitutionnel ou primaire

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Figure 4-10. Syndrome de Noonan.Petite taille ; face de chérubin ; joues rebondies ; oreilles basses et rondes ; cheveux laineux, implantation basse ; sourcils clairsemés ; hypertélorisme ; palais ogival ; cou court sans pterygium ; bradydactylie.

RÉFÉRENCES

[1] Consensus document of the ISL. The diagnosis and treatment of peripheral lymphedema. Lymphology 2003 ; 36 (2) : 84-91.

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