15
1 La scoliose idiopathique de l’enfant et de l’adulte © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés RÉSUMÉ Les auteurs brossent, au fil de cinq périodes successives, les étapes du traitement de la scoliose, marquées par les contributions de grands noms de l’orthopédie. Mais c’est au XX e siècle que des progrès importants ont été réalisés, tant dans le traitement orthopédique, prôné en Europe, que dans le traitement opératoire, développé aux États-Unis : ils se sont exprimés en termes de qualité et de stabilité de la réduction ; bien sûr, la compréhension anatomique et pathogénique était le substratum indispensable de ces avancées. Les progrès à venir se feront dans le domaine du dépistage, de l’imagerie, du confort thérapeutique mais surtout dans la recon- naissance étiologique de l’affection. SUMMARY Through five successive periods, the authors describe the main progresses which occurred in the treatment of scoliotic patients. The 20 th century was indeed the most important step for conser- vative treatment (especially in Europe) and for surgery (advo- cated in United-States). They both achieved improvement and stability of scoliotic curves. Simultaneously, a better knowledge of anatomic and pathogenic features contributed to this impro- vement. We expect, for the future, earlier screening, better representation of deformity with new imaging techniques; comfort of ortho- sis, and mainly the recognition of the etiology of “idiopathic” scoliosis. R. KOHLER 1 , J.-C. REY 2 , R. ZAYNI 1 Historical survey of scoliosis treatment Histoire du traitement de la scoliose « On ne connaît bien une science que lorsqu’on en sait l’histoire. » Auguste Comte (1798–1857) L’histoire de la scoliose, « l’opprobre de l’orthopédie », est intéressante en ceci qu’il s’agit d’un chapitre de la pathologie resté assez stable pendant plus de 2000 ans, sans nier bien sûr que le cadre de l’affection s’est précisé et que des pans étiologiques entiers ont disparu. Nous n’avons pas tenté de faire une nouvelle énumération des auteurs ou un nouveau catalogue des techniques, mais plutôt une évaluation des efforts de traitement pendant près de trois siècles, efforts qui ont été fructueux mais n’ont toujours pas permis à ce jour d’obtenir une cor- rection durable sans enraidir la colonne vertébrale. Sans perdre de temps à des considérations anatomo- pathologiques, étiologiques ou pathogéniques, nous décrirons d’abord comment les déformations du rachis étaient abordées dans les temps reculés jusqu’au xvi e siècle, puis la situation au xvii e xviii e , les tentatives multiples du xix e et enfin les progrès considérables du siècle dernier jusqu’aux orientations actuelles, acqui- ses il y a 30 ans à peine. Au cours des deux derniers siècles, l’Europe (et par- ticulièrement l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France) a joué un rôle déterminant dans le développe- ment des méthodes orthopédiques. L’essor chirurgical, plus récent, doit beaucoup aux États-Unis. Les temps reculés : l’ère des balbutiements et de l’empirisme Pendant des siècles, le traitement de la scoliose ne sem- ble pas avoir été le sujet de préoccupations. Beaucoup de ces atteintes, sinon toutes, étaient acceptées avec résignation, telle une vengeance des dieux. Hippocrate, le premier, a écrit longuement sur la façon de corriger les déformations du rachis, les angulations des ostéoarthrites, celles des luxations. Sans décrire expressé- ment la scoliose, il parle cependant de formes non angu- laires – « Ce n’est pas qu’une vertèbre se soit beaucoup Mots clés : Scoliose. – Histoire. – Traitement orthopédique. – Traitement chirurgical. Keywords: Scoliosis. – History. – Orthopedic treatment. – Surgical treatment. 1 Université de Lyon 1 - UFR lyon Est ; Hospices civils de lyon : service d’orthopédie pédiatrique, hôpital femme mère enfant, 59 boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, France 2 13, rue David-d’Angers, 49100 Angers, France

3 s2.0-b978284kgdk2999100000023-main

Embed Size (px)

Citation preview

1

La scoliose idiopathique de l’enfant et de l’adulte© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Résumé

Les auteurs brossent, au fil de cinq périodes successives, les étapes du traitement de la scoliose, marquées par les contributions de grands noms de l’orthopédie.Mais c’est au xxe siècle que des progrès importants ont été réalisés, tant dans le traitement orthopédique, prôné en Europe, que dans le traitement opératoire, développé aux États-Unis : ils se sont exprimés en termes de qualité et de stabilité de la réduction ; bien sûr, la compréhension anatomique et pathogénique était le substratum indispensable de ces avancées.Les progrès à venir se feront dans le domaine du dépistage, de l’imagerie, du confort thérapeutique mais surtout dans la recon-naissance étiologique de l’affection.

summaRy

Through five successive periods, the authors describe the main progresses which occurred in the treatment of scoliotic patients.The 20th century was indeed the most important step for conser-vative treatment (especially in Europe) and for surgery (advo-cated in United-States). They both achieved improvement and stability of scoliotic curves. Simultaneously, a better knowledge of anatomic and pathogenic features contributed to this impro-vement.We expect, for the future, earlier screening, better representation of deformity with new imaging techniques; comfort of ortho-sis, and mainly the recognition of the etiology of “idiopathic” scoliosis.

R. KohlER1, J.-C. REy2, R. ZAyni1

Historical survey of scoliosis treatment

Histoire du traitement de la scoliose

« On ne connaît bien une science que lorsqu’on en sait l’histoire. »

Auguste Comte (1798–1857)

l’histoire de la scoliose, « l’opprobre de l’orthopédie », est intéressante en ceci qu’il s’agit d’un chapitre de la pathologie resté assez stable pendant plus de 2000 ans, sans nier bien sûr que le cadre de l’affection s’est précisé et que des pans étiologiques entiers ont disparu. nous n’avons pas tenté de faire une nouvelle énumération des auteurs ou un nouveau catalogue des techniques, mais plutôt une évaluation des efforts de traitement pendant près de trois siècles, efforts qui ont été fructueux mais n’ont toujours pas permis à ce jour d’obtenir une cor-rection durable sans enraidir la colonne vertébrale.

Sans perdre de temps à des considérations anatomo-pathologiques, étiologiques ou pathogéniques, nous décrirons d’abord comment les déformations du rachis étaient abordées dans les temps reculés jusqu’au xvie siècle, puis la situation au xviie–xviiie, les tentatives multiples du xixe et enfin les progrès considérables du

siècle dernier jusqu’aux orientations actuelles, acqui-ses il y a 30 ans à peine.

Au cours des deux derniers siècles, l’Europe (et par-ticulièrement l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France) a joué un rôle déterminant dans le développe-ment des méthodes orthopédiques. l’essor chirurgical, plus récent, doit beaucoup aux États-Unis.

Les temps reculés : l’ère des balbutiements et de l’empirismePendant des siècles, le traitement de la scoliose ne sem-ble pas avoir été le sujet de préoccupations. Beaucoup de ces atteintes, sinon toutes, étaient acceptées avec résignation, telle une vengeance des dieux.

Hippocrate, le premier, a écrit longuement sur la façon de corriger les déformations du rachis, les angulations des ostéoarthrites, celles des luxations. Sans décrire expressé-ment la scoliose, il parle cependant de formes non angu-laires – « Ce n’est pas qu’une vertèbre se soit beaucoup

Mots clés : Scoliose. – Histoire. – Traitement orthopédique. – Traitement chirurgical.

Keywords: Scoliosis. – History. – Orthopedic treatment. – Surgical treatment.

1Université de lyon 1 - UFR lyon Est ; hospices civils de lyon : service d’orthopédie pédiatrique, hôpital femme mère enfant, 59 boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, France213, rue David-d’Angers, 49100 Angers, France

2 R. KOHLER, J.-C. REy, R. Zayni

© 2

009

Els

evie

r M

asso

n SA

S. T

ous

droi

ts r

éser

vés

déplacée mais, chacune ayant cédé un peu, la somme du déplacement est considérable » –, ce qui correspond bien à notre sujet. Écartant la méthode bien brutale du traitement par « succussion » (le terme est de littré), où le sujet fixé à un cadre était lâché d’une hauteur pour créer une élongation brutale, il adopte beaucoup plus volontiers l’élongation et la pression latérale qui repré-sentent les deux forces élémentaires, et les met en œuvre avec plus ou moins d’invention. Toutefois, ayant tenté d’exercer une force latérale avec une outre gonflée d’air, il avoue ses échecs et les détaille : « J’ai à dessein décrit ce qui précède car c’est aussi une connaissance précieuse que de savoir quels essais ont échoué et pourquoi ils ont échoué », réflexion pleine de sagesse et qui conserve toute sa valeur. Restait donc essentiellement la technique, pas si douce, d’élongation sur le cadre de traction en position ventrale, complétée par une compression exercée par un levier transversal. Vidus Vidius l’illustre en 1544 par un beau bois, le lit Scamnum.

De l’époque hippocratique jusqu’au xviie siècle, les séquelles traumatiques comme les scolioses idiopathiques, et bien sûr « ces angulations avec des abcès inguinaux » – c’est-à-dire les ostéoarthrites vertébrales tuberculeuses alors si fréquentes – subissaient un traitement univoque.

Madame de Montmorency fut probablement une des dernières au xviie siècle à être traitée de la sorte. Cette femme avait une déviation de l’épine pour laquelle elle rechercha les soins de Ranchin (1565–1641), chance-lier de la Faculté de Montpellier. Celui-ci déclara que la difformité était produite par la luxation de deux vertèbres à la suite d’un catarrhe tombé sur l’épine, et il proposa de la réduire en soumettant la malade à l’action d’une presse à linge ; mais cet essai n’ayant pas réussi, parce qu’il y eut menace de suffocation avant que l’on ait pu rétablir les os dans leur position natu-relle, on prit le parti de recourir à un cric. on garnit l’extrémité de cette machine, qui devait pousser les vertèbres, en appuyant l’autre sur une muraille ; on fixait la malade par le moyen de deux hommes robus-tes qui la tenaient par les épaules, ensuite on allongeait la crémaillère jusqu’au point où la malade, ne pouvant soutenir les douleurs, « obligeait de lui donner du relâ-che ». Ranchin dit qu’après plusieurs tentatives infruc-tueuses, il parvint à remettre à leur place les vertèbres disloquées. Un fait plus certain est que madame de Montmorency mourut peu de temps après !

Ambroise Paré, vers 1550, jugera sainement la situation et fut le premier, peut-être, à isoler la scoliose de l’adoles-cence et à proposer ce qui semble être l’ancêtre des orthè-ses (figure 1) : « Ces corcelets de fer délié, lesquels seront troués, afin qu’ils ne pèsent pas tant, et surtout si bien appropriés et embourrés qu’ils ne blesseront aucunement : lesquels seront changés souventes fois si le malade n’a

accompli ses trois dimensions ; et à ceux qui croissent, les faudra changer de trois mois en trois mois, plus ou moins, ainsi que l’on verra être nécessaire : car autrement en lieu de faire un bien on feroit un mal. la figure du corcelet est telle. » Solution plus douce qui semble s’adresser plus précisément à la pathologie qui nous occupe.

la scoliose n’avait pas d’individualité pendant cette longue période qui s’étend jusqu’au xvie siècle. Elle s’est précisée au cours des ans par l’observation clini-que d’abord, puis par l’étude radiologique. Jusqu’au début du xxe siècle, la distinction n’était pas toujours faite entre scoliose structurale vraie et simple attitude scoliotique, autorisant des succès faciles.

Le rakitisil faudra attendre le xviiie siècle pour constater une certaine prise de conscience de la pathologie du rachis en croissance sous le terme de rakitis. nous n’entre-rons pas dans les interminables et filandreuses considé-rations sur la nature de ce syndrome nouveau, simple mot qui entretiendra la confusion. la question était alors de savoir de quelle façon faire l’élongation du rachis, et s’il fallait lui associer une force transversale ; on ne parle pas encore de dérotation.

Francis Glisson (1619–1684) semble avoir, le pre-mier, décrit les déformations du rachitisme, du rickets anglais qui eut tant de fortune dans ce siècle sous le nom de rakitis. il proposa un moyen d’élongation du rachis qui eut beaucoup de succès – quoique techni-que bien élémentaire – sous le nom de « l’escarpolette anglaise » où le jeune patient était suspendu par les aisselles et peut-être aussi par la tête. le « collier de nück » était du même ordre.

En Angleterre, la corporation des armuriers s’inté-resse à la fabrication des corsets et pourquoi pas en

Figure 1. Ambroise Paré et son « corcelet » en fer.

Histoire du traitement de la scoliose 3©

200

9 E

lsev

ier

Mas

son

SAS.

Tou

s dr

oits

rés

ervé

s

même temps au traitement ; c’est ainsi que les deux frères Schott puis leur élève Edmund Verney œuvrent dans une « clinique des bossus ». À peine un siècle plus tard, Robert Chessher (1750–1831), qui passe pour être le père de l’orthopédie anglaise, à hinckley, pas loin de Coventry, emploie un appareil inspiré de celui de Levacher, mais contrairement à Venel qui dirigeait un internat, le traitement était entrepris ici à titre externe. Timothy et William Shelldrake font de même à londres et publient en 1783 An Essay on the Various Causes and Effects of the Distorted Spine.

En dehors de France, Jean-André Venel (1740–1791), né près de lausanne, d’abord accoucheur, s’intéresse tardivement à l’orthopédie et fonde un institut de trai-tement des affections orthopédiques à orbe, près de la frontière française. il a imaginé un des premiers lits orthopédiques à extension (figure 2) qui n’est pas sans préfigurer la traction vertébrale de nuit de Cotrel dans les années 80 ; il connut beaucoup de succès, d’abord en Suisse et en Allemagne ; il complétait la traction nocturne sur le lit par l’application d’un corset. Son lit aurait été introduit en France en 1823. il mourut prématurément et laissa peu d’écrits.

Toutes ces entreprises restaient locales et l’on com-prend qu’aucune d’elles ne fît école.

En France : •Magny, qui se dit ingénieur et ne semble pas en effet avoir été médecin, publie en 1780 un Mémoire sur le rakitis où il tente d’analyser la question et, observation essentielle, reconnaît pour la première fois dans son ouvrage l’importance de la rotation vertébrale, avec un schéma significatif mais minuscule, seule illustra-tion de son texte, et propose un corset fait de baleines ou de lames élastiques ;

•Levacher de La Feutrie (1739–1824) est l’auteur en 1772 d’un Traité du rakitis ou L’Art de redresser les enfants contrefaits. il fait le bilan des moyens pro-posés alors, de l’escarpolette anglaise de Glisson à la « croix de fer », très répandue, sorte de tuteur adapté au bassin et maintenu aux aisselles. le long exposé des motifs est difficile à suivre, mais l’auteur illustre ses techniques par des planches significatives, techniques qui resteront longtemps inchangées pour l’essentiel. le cadre de correction avec des bandes latérales, comme son appareil ambulatoire à élongation (figure 3), sont tout à fait nouveaux. Magny trouve les arguments de levacher difficiles à comprendre, mais l’inverse est également vrai, dans le galimatias humoral de l’épo-que. il critique les propositions thérapeutiques de levacher car s’il trouve le cadre efficace mais suppor-table pendant un temps limité, le corset ambulatoire à suspension est bien compliqué ;•L’ouvrageL’Orthopédie ou L’Art de prévenir et de corriger dans les enfans les difformités du corps de Nicolas Andry, publié en 1741, aura beaucoup plus de succès et sera traduit en plusieurs langues (en anglais dès 1743). il est surtout fameux par le néologisme et par la gravure bien connue de l’arbre tors soutenu par un tuteur (figure 4), devenu le symbole des orthopé-distes à travers le monde (et qui entre parenthèses ne concernait pas la colonne vertébrale mais la courbure des membres inférieurs). les traite ments proposés par Andry s’adressaient essentiellement à des attitudes scoliotiques, les « tortuosités » : le plus osé consistait à placer un coussin sous une fesse pour rééquilibrer le tronc, ou bien à porter une échelle du côté opposé à l’inflexion rachidienne (il parle aussi d’un corset rem-bourré à changer tous les 3 mois) ! Accordons à Andry, doyen de la faculté de médecine de Paris, déchu par ses pairs, d’avoir attiré l’attention sur ces déformations de l’enfance et de l’adolescence.

Pour résumer les orientations thérapeutiques à la fin de ce xviiie siècle, l’élongation et la correction trans-versale (citons le premier corset avec appuis latéraux de David Van Gesscher d’Amsterdam en 1792) [figure 5] sont employées au travers de techniques diverses selon les praticiens, qui s’affrontent avec des arguments pas toujours convaincants et probablement pas toujours désintéressés !

Le xixe siècle : de grands progrès en anatomie pathologiquela première moitié du siècle est caractérisée par une avancée de l’anatomie pathologique très fructueuse dans tous les domaines, et bien sûr celui des scolioses. Figure 2. Venel et son lit orthopédique à extension (1768).

4 R. KOHLER, J.-C. REy, R. Zayni

© 2

009

Els

evie

r M

asso

n SA

S. T

ous

droi

ts r

éser

vésÀ l’aube du xixe siècle, le terme d’« orthopédie » est

encore peu employé, celui de scoliose à peine plus, comme on peut le constater en ouvrant les différents ouvrages de l’époque y compris, en 1820, le diction-naire de Panckcoucke en 60 volumes qui n’y consacre que cinq lignes : « Scoliose : s.f., du grec scoliosis, obli-que, mot employé par hippocrate et ensuite par Galien pour désigner les diverses courbures ou inflexions de la colonne vertébrale, et particulièrement sa déviation latérale. Voyez gibbosité, rachis, rakitis. » l’étiologie reste mystérieuse, mais à la suite des travaux de Pott en Angleterre, de David à Rouen, de Delpech à Montpellier, la tuberculose commence à être tenue pour responsable des gibbosités angulaires et consti-tuera bientôt un chapitre à part de la pathologie du rachis.

Figure 3. Levacher et son corset en extension (1768).

Figure 4. N. Andry, auteur de L’Orthopédie, où figure la gravure de l’arbre tors.

Figure 5. Van Gesscher (Amsterdam) et son corset avec appuis latéraux.

Histoire du traitement de la scoliose 5©

200

9 E

lsev

ier

Mas

son

SAS.

Tou

s dr

oits

rés

ervé

s

Arrêtons-nous sur trois figures marquantes : Delpech, Pravaz et Bouvier.•Jacques Mathieu Delpech (1777–1832), après avoir étudié quelques années à Paris, est nommé à la chaire de clinique chirurgicale de Montpellier où il va réaliser un travail anatomoclinique considérable, s’intéressant aux déformations du squelette et particulièrement à la scoliose. il fonde, à la sortie de la ville sur la route de Toulouse, un institut orthopédique, et consigne son expérience dans un ouvrage original publié en 1828 : De l’orthomorphie. il ne manifeste pas de dogma-tisme thérapeutique, applique aussi bien les moyens d’élongation en position verticale que, de préférence, couchée, emploie les lits orthopédiques, contrôle la traction avec un dynamomètre, et surtout applique une gymnastique très variée dont il nuance les indications à l’extrême. il s’oppose aux corsets compliqués ; certai-nes de ses inventions originales sont bien connues (le chariot articulé, la pianiste suspendue) et le traitement se poursuit des mois durant dans le cadre de cette belle propriété qu’il a fait adapter au mieux pour dispen-ser à ses patients les soins du corps mais aussi ceux de l’éducation. les résultats qu’il montre, moulages à l’appui, sont trop beaux pour être toujours convain-cants. néanmoins Delpech pose la bonne question : « Tous ces moyens sont-ils propres à détruire la torsion de la colonne vertébrale répondant à la convexité de chacune des courbures ? nous avons des doutes bien fondés sur ce point. » Cette belle entreprise se termi-nera malheureusement tragiquement, avec l’assassinat de Delpech par un opéré mécontent !•Charles Gabriel Pravaz (1791–1853) publie en 1827 son mémoire Méthode nouvelle pour le traitement des déviations de la colonne vertébrale (figure 6). C’est un ancien élève de l’École polytechnique, l’inventeur de la seringue hypodermique, et il a travaillé sur le traite ment de la luxation de hanche ; il a collaboré peu de temps à Paris avec Jules Guérin puis s’installe à lyon où il crée lui aussi un « institut orthopédique » qui sera repris par son fils, mais avec moins de succès, même en y ajoutant « et pneumatique ». il mènera une analyse très rigou-reuse de l’anatomie rachidienne et une critique non moins stricte des nouvelles méthodes et de ceux qui en abusent. « Depuis que l’orthopédie, écrit-il, est devenue une branche très productive de l’art, beaucoup de gens se sont empressés de l’exploiter, et il ne faudrait point mesurer l’étendue du mal par le nombre de ceux qui s’offrent à nous donner le remède. Cette alliance de l’es-prit de spéculation avec la pratique de quelques procédés relatifs à la médecine doit encore nous inspirer quelque défiance sur la capacité de tant de guérisseurs ; si nous discutons en effet la compétence de ceux qui jouissent d’une plus grande vogue, nous trouverons que leurs

antécédents offrent précisément le moins de garanties. Singulière aberration de l’esprit humain, qui se rend d’autant plus crédule, que le rapport entre les moyens et la fin qu’on lui promet est plus obscur ou même plus contestable ! » Pravaz associera judicieusement les moyens passifs et les techniques de musculation. il décrit un lit de traction débarrassé des accessoires inuti-les, insiste sur les avantages de la musculation et invente en particulier cette « balançoire orthopédique » (figure 7), qui préfigure les techniques de rééducation proprio-ceptive remises en vogue il y a quelques décennies.•Dans le même temps, Bouvier (1799–1877) avait publié plusieurs études anatomocliniques sur la sco-liose, fait la critique des appareils existants, et surtout réfuté la théorie de la rétraction musculotendineuse, argument essentiel de Jules Guérin. il développe le concept de « torsion vertébrale » (terme prononcé sem-ble-t-il pour la première fois par Venel en 1789).

Ainsi, dans ces années du milieu du siècle, gymnasti-que et corset le jour, souvent aidés par une traction de nuit sur un lit orthopédique, traitement mis en œuvre dans un des nombreux établissements qui fleurissaient à travers le pays, représentait le protocole habituel. Une minorité avait les moyens d’y accéder ; les patien-tes scoliotiques étaient alors dites du premier degré « qui se tenaient mal » et le traitement pouvait les corriger ; celles dites du deuxième degré devaient être plus sévèrement soumises au traitement, c’étaient les « sujets contrefaits », ces scolioses devaient être main-tenues jusqu’à la puberté, âge auquel elles cessaient généralement d’évoluer ; mais celles dites du troisième degré étaient insensibles à ces efforts, elles entraient dans la catégorie des « bossus » et étaient exposées à de graves complications respiratoires.

Les « maisons de redressement »Comme on l’a vu, Delpech, Pravaz de même que Guérin à la Muette ont chacun fondé leur « institut », établissement assurant à la fois le traitement et l’ins-truction de leurs jeunes malades. C’étaient des traite-ments onéreux qui ne pouvaient s’adresser qu’à une portion privilégiée de la société ; dans de nombreuses villes, à Paris comme en province, des praticiens zélés cherchèrent des bénéfices autres que thérapeutiques !

nous avons vu que Delpech était installé dans la banlieue de Montpellier ; Pravaz s’installa, lui, près du confluent de la Mulatière, à lyon, à flanc de colline, dominant la Saône. Guérin avait son « institut orthopé-dique de la Muette » à Passy, près du bois de Boulogne à Paris. À Clermont, Mesdames Plasse et Puray assu-rent leurs pensionnaires « de tous les soins, égards et prévenances que commandent leur âge et leur sexe »

6 R. KOHLER, J.-C. REy, R. Zayni

© 2

009

Els

evie

r M

asso

n SA

S. T

ous

droi

ts r

éser

vés

sous l’autorité de monsieur Fleury, chirurgien en chef de l’hôtel-Dieu. À Marseille, les docteurs Dubreuil père et fils font de même au quartier de la Blancarde, le long de la voie du chemin de fer. À Angers, enfin, le docteur Hossard, installé dans le bel hôtel Besnardière,

contrôle les activités de son fils qui est appareilleur et qui a mis au point un corset asymétrique à bascule (figure 8), lequel aura les faveurs de Malgaigne.

Dans les années 1830, Jules Guérin se fit le champion d’une nouvelle théorie : celle de la rétraction musculaire

Figure 6. Pravaz : son institut « orthopédique et pneumatique » à Lyon.

Histoire du traitement de la scoliose 7©

200

9 E

lsev

ier

Mas

son

SAS.

Tou

s dr

oits

rés

ervé

s

et de son traitement par ténotomie. il est nécessaire de rappeler le contexte de cette époque. le 16 mai 1816, Delpech avait réalisé une première : une ténotomie du tendon d’Achille pour un pied bot rebelle ; le 16 jan-vier 1822, Dupuytren fait une ténotomie pour torti-colis, mais c’est surtout Stromeyer (1804–1876) en Allemagne qui généralise la ténotomie à partir de 1831. il reçoit la visite de Little, lui-même atteint d’un pied équin invalidant. Convaincu par la méthode, Little se fait opérer avec succès avant d’adopter cette tech-nique dès 1837 à son retour en Angleterre (il publiera une monographie en 1839). Diffenbach (1792–1847), le chirurgien en vogue à Berlin, sera d’ailleurs impres-sionné par le résultat et se lancera lui aussi dans cette technique, pratiquant plus de 1700 ténotomies. De même, F. Carbonai à Florence se lance dans cette voie. C’est ainsi que la théorie de la rétraction musculotendi-neuse fit de Guérin un adepte dans le traitement de la scoliose : il est proclamé en 1837 lauréat du concours pour le « Grand Prix de Chirurgie relatif aux diffor-mités du système osseux », doté de 10 000 francs, une somme considérable pour l’époque. Ainsi encouragé, et d’autre part séduit par les nouvelles techniques de ténotomie, Guérin affirma être capable de faire des sec-tions électives des muscles paraspinaux et plus spéciale-ment du transversaire épineux, qui passait pour être l’élément responsable de la rotation vertébrale ! Dans l’institut orthopédique de la Muette et à l’hôpital des Enfants malades, Guérin traitait ainsi les déformations orthopédiques (pieds bots, torticolis, scolioses, voire

strabismes) et toutes bénéficiaient de ténotomies appro-priées. Guérin alla jusqu’à faire plus de 40 ténotomies chez un même scoliotique !

Toutefois un chirurgien intègre veillait, qui s’insurgea contre les procédés de Guérin, contre ses lits orthopédi-ques compliqués capables de réaliser des « corrections sigmoïdes ». le fait que Guérin ne soit pas chirurgien explique peut être cela… Malgaigne, car c’est de lui qu’il s’agit, entreprit d’examiner la quasi-totalité des patients traités – une quarantaine – et ses conclusions furent largement négatives. il argumente point par point dans son Mémoire sur la valeur réelle de l’orthopédie et spécialement de la myotomie rachidienne (1845) et ne reconnaît quelque valeur qu’au corset à inclinaison de Hossard, lui-même très inspiré d’un corset de Delpech. Une commission médicale de la Ville de Paris, réunie quelques années plus tard à la demande de Guérin lui-même et constituée de médecins pas spécialement ouverts à l’orthopédie, jugea cependant avec faveur les résultats âprement défendus par ce dernier. « En raison des progrès qu’il a imprimés à la science des difformi-tés et à l’art de les traiter, en raison des sacrifices qu’il a faits, en raison de la persévérance avec laquelle il a poursuivi de longues et pénibles démarches, la com-mission est heureuse de le déclarer, Monsieur Guérin a bien mérité de la science et de l’humanité ; elle émet en conséquence le vœu que le service chirurgical qui lui a été confié par la précédente administration lui soit conservé tout à la fois comme un établissement utile aux pauvres malades et comme une juste récompense

Figure 7. La balançoire orthopédique de Pravaz.Figure 8. La ceinture à leviers de Hossard (Angers, 1835).

8 R. KOHLER, J.-C. REy, R. Zayni

© 2

009

Els

evie

r M

asso

n SA

S. T

ous

droi

ts r

éser

vés

de ses travaux. » Rappelons que l’ancienne adminis-tration était celle de louis-Philippe et que le rapport fut publié le 6 avril, 15 jours avant les élections légis-latives qui faisaient suite à la révolution de 1848. le différend avec Guérin n’était pas terminé et Malgaigne réglera encore son compte dans ses Leçons d’orthopé-die parues en 1862.

il faut constater que, devant la difficulté de corri-ger un rachis déformé, les praticiens avaient surtout pour but d’attacher leur nom à un nouvel appareil en modifiant simplement un appui axillaire, une bande de soutien ou le matériau utilisé ; le même zèle s’atta-chait aux lits orthopédiques : les noms de Jalade-Lafon et de Maisonabe ont été oubliés. Soulignons toutefois que Maisonabe eut la franchise de publier dès 1835 un mémoire à l’Académie de médecine « établissant l’in-curabilité de la déviation droite de la colonne verté-brale et renonçant à l’espoir de pouvoir rendre la taille bien faite à un bossu ». Malgaigne concluait de même en jugeant sévèrement le tout et en ajoutant encore « que l’on pouvait corriger partiellement une cour-bure, quasiment jamais la rotation axiale », surtout que ces entreprises étaient d’un succès passager, car le vrai problème était la conservation du résultat à long terme, et jusqu’alors personne n’avait atteint ce but.

La « cinésithérapie » entre dans l’arsenal thérapeutiqueComme nous l’avons évoqué plus haut, la gymnastique est en effet l’élément nouveau, défendu par Amoros et ling. D’abord François Amoros (1769–1848), colonel et ministre espagnol au service de Joseph Bonaparte, applique sa méthode d’exercices physiques dans l’ar-mée française, l’enseigne dans le civil et publie en 1830 un Manuel d’éducation physique, gymnastique ;

ses élèves laisné et d’Argy qui lui succèdent fonderont l’École de Joinville. Mais c’est surtout Per Henrick Ling (1776–1839), professeur à lund, qui fondera en 1813 l’institut central de gymnastique, influençant considérablement le traitement des scolioses par ses méthodes et en particulier Delpech, son contemporain presque exact. Un peu d’air frais vient ainsi renouveler le débat. ling sera suivi aux États-Unis par Charles Fayette Taylor (1827–1899), un des pères de l’ortho-pédie américaine.

leurs principes seront repris et codifiés en France, en particulier par Daillé qui les baptise « cinésithérapie ». la gymnastique va prendre une place importante, aidée par des appareils de plus en plus complexes, faits pour impressionner les patients et surtout leur entou-rage familial. Ainsi vont naître des machines étonnan-tes pour assouplir dans toutes les positions, mais aussi pour mesurer et enregistrer les déformations dans le but d’une évaluation objective des résultats.

Le tournant xixe–xxe siècle : les bases du traitement orthopédique moderne et les balbutiements chirurgicauxPlusieurs équipes appliquent le principe de réduction par appui latéral, et utilisent à cet effet des appareils appelés cadres. Ceux-ci, plus ou moins sophistiqués, comportent déjà une composante d’élongation, soit verticale en suspension (Sayre de new york [figure 9]), soit horizontale (Bradford de Boston). le cadre décrit en 1911 par Abbott (de Portland) introduit en outre la dérotation pour corriger la gibbosité (figure 10). il sera utilisé par Galeazzi (Milan) et surtout par Calot à Berck.

Figure 9. Sayre et son cadre d’élongation verticale.

Histoire du traitement de la scoliose 9©

200

9 E

lsev

ier

Mas

son

SAS.

Tou

s dr

oits

rés

ervé

s

Sayre publie dès 1877 une monographie sur le traitement par suspension et application d’un corset plâtré (A. Matijsen avait introduit le bandage plâtré en 1852). les traités de chirurgie fleurissent et font une part de plus en plus importante au traitement de la scoliose : Bradford et lovett (Boston 1890), Redard (1900), Kirmisson (1901), hoffa (Berlin 1902), Calot (huit éditions de L’Orthopédie indis-pensable ! avec des documents plus ou moins retou-chés), Schultess de Zürich (1905). les premières radiographies de colonne, à la suite de la découverte des rayons X par Roentgen en 1895, sont de qualité médiocre (figure 11).

C’est aussi à cette période que sont réalisées quel-ques tentatives chirurgicales : Wilkins (1888) puis hadra (1901) au Texas tentent des ligatures interver-tébrales par fil métallique ; Chipault (Paris, 1897) – neuro chirurgien – invente une griffe-plaque réglable. Volkmann (1899) puis hoffa (1896) font des résec-tions de gibbosité à visée cosmétique, mais c’était des prouesses isolées. Codivilla suggère la résection d’une hémivertèbre dès 1901, mais c’est Von lackum et Smith qui oseront cette intervention en 1924, suivis par Royle en Australie.

Au début du xxe siècle, les résultats obtenus par le traitement orthopédique restaient médiocres (scolioses souvent sévères et traitées tardivement, ou bien repre-nant leur aggravation après un traitement en corset trop bref). Cela devint d’autant plus évident que les radiographies, maintenant disponibles, écartaient les fausses améliorations invoquées quelques années plus tôt. C’est la raison qui conduira certains auteurs à fixer la correction obtenue par une arthrodèse, grâce à une greffe osseuse.

Le xxe siècleCe siècle sera déterminant : l’entre-deux-guerres voit l’essor chirurgical des greffes ; les « trente glorieuses » de l’après-guerre sont celles du traitement orthopé-dique bien codifié et surtout de « la révolution » du harrington, annoncée par quelques précurseurs. l’examen radiographique de meilleure qualité permet de mesurer l’angle d’une courbure (Cobb et lipmann, 1940), l’analyse de plus importantes séries de patients permet de fixer les périodes évolutives avec la période d’aggravation de la puberté (bien étudiée par Madame Duval-Beaupère), d’insister sur l’étude du rachis de profil (J. Dubousset). l’évolution à l’âge adulte est également précisée, justifiant des indications plus pré-coces pendant l’adolescence.

le traitement de la scoliose va s’inscrire dans plu-sieurs voies qui sont schématiquement au nombre de quatre : •lescorsetscorrecteursetlescorsetsdemaintien;•lacorrectionparhalo;•lachirurgiepostérieureetlatechniquedeHarrington(et ses dérivés) ;•lachirurgieantérieureparthoraco-phréno-laparotomie.

Les corsets plâtrés correcteursl’adjonction d’une composante d’élongation au cadre original d’Abbott donnera naissance au cadre EDF (élongation, dérotation, flexion) développé à l’insti-tut Calot de Berck-Plage vers 1960. Mais ces corsets furent aussi utilisés en préparation à l’intervention : le plâtre articulé de Risser (turnbuckle) [figure 12], le plâ-tre modelant (localizer cast) du même auteur, le plâtre d’élongation progressive de Engh-Donaldson (1938), amélioré par P. Stagnara qui lui ajoute une têtière, effi-cace dans les formes sévères et sans compromettre la fonction respiratoire.

les corsets de maintien sont nécessaires chez l’enfant en croissance pour attendre l’âge de la stabilisation ou de l’intervention. D’abord en cuir moulé et armé, si dif-ficile à bien réaliser même sur un bon moulage, puis en

Figure 10. Cadre d’Abbott.

10 R. KOHLER, J.-C. REy, R. Zayni

© 2

009

Els

evie

r M

asso

n SA

S. T

ous

droi

ts r

éser

vés

plexidur armé aux valves réglables (lecante), plus récem-ment corset modulaire de Boston (J. hall et h. Watts). l’appareil à appui mandibulo-occipital de W. Blount (corset de Milwaukee) [figure 13] sera développé aux États-Unis dès 1945 et n’est pas sans rappeler le principe des tous premiers corsets, comme on l’a vu plus haut ; il sera utilisé en France à partir des années 70. À cette même époque, le corset trois points de Michel et Allègre, pour les formes lombaires, montre la voie à des orthèses plus légères, voire à des orthèses souples (Picault).

Le halo crânienla technique du halo crânien fut développée au cen-tre de Rancho los Amigos (États-Unis) pour traiter les formes les plus sévères de la poliomyélite. Elle permet une élongation en décubitus. la technique fut étendue à d’autres cas sévères : halo sur ceinture plâ-trée pelvienne (Stagnara) et aussi sur halo métallique pelvien, mis au point à hong-Kong par h. hodgson, li et o’Brien.

Figure 11. Portrait de Roentgen et un cliché de scoliose (NY Med Journal, 1911).

Figure 12. Le plâtre articulé à ridoirs de Risser. Figure 13. Blount et son corset (dit « de Milwaukee »).

Histoire du traitement de la scoliose 11©

200

9 E

lsev

ier

Mas

son

SAS.

Tou

s dr

oits

rés

ervé

s

La chirurgie et la technique de Harrington (et ses dérivés)

Dans le but de prévenir la détérioration, souvent observée au décours des traitements orthopédiques, certains auteurs ont proposé de fixer la correction obtenue par une arthrodèse grâce à une greffe osseuse. Cette voie avait été ouverte par des greffes réalisées dans le mal de Pott, faisant suite à de nombreux tra-vaux de recherche à la fin du siècle (léopold ollier à lyon en particulier).

hibbs en 1911, puis Albee en 1912 décrivent cha-cun une technique d’arthrodèse vertébrale dérivée de celles employées pour les gibbosités du mal de Pott : hibbs fait un avivement de l’arc postérieur avec apport de greffons spongieux, Albee a une tech-nique plus difficile, avec un tuteur tibial. Chacun fait le bilan de ses résultats : en 1924 (59 cas) et en 1931 (360 cas) pour hibbs, en 1938 pour Albee ; c’est hibbs qui l’emportera, bien que ses résultats de 1931 aient montré un taux important de pertes de correction, malgré une immobilisation prolongée. les fusions réalisées au terme des corrections ortho-pédiques donnaient des résultats spectaculaires, mais au prix de traitements longs et lourds. il ne faut pas méconnaître non plus la gravité de ces opérations à cette époque : l’anesthésie était encore précaire, les risques infectieux sévères, les hémorragies souvent importantes et difficiles à compenser (la transfusion date des années 30).

on note dès cette période une orientation plus « orthopédique » en Europe où la chirurgie est réservée aux échecs, tandis que les États-Unis recourent plus facilement à la greffe en première intention car moins onéreuse. la technique opératoire s’améliore, l’anes-thésie permettant des opérations plus longues et donc plus soigneuses, en particulier chez Goldstein et chez John Moe qui insistent sur l’avivement des facettes articulaires.

Quelques essais sont faits pour remplacer le tuteur tibial et améliorer la technique d’arthrodèse (figure 14). À la suite de hadra et Chipault, déjà cités, lange de Munich propose en 1924 une ostéosynthèse par barres fixées sur les épineuses puis par des lacs en plastique. En 1954, C. Marino-Zucco de Rome utilise des tiges accrochées sur les côtes à la fois dans la convexité et dans la concavité de la courbure. l’année suivante, Allan de Birmingham utilise des tuteurs en forme de ridoir accrochés sur les transverses. Enfin, Gruca de Varsovie propose en 1958 une alloplastie par des res-sorts accrochés sur la convexité compensant l’asymé-trie musculaire. Cette méthode, astucieuse dans son principe, n’aura pas de lendemain.

Si un seul nom devait résumer la période de l’après-guerre, c’est sans doute celui de Paul harrington (figure 15) qui va développer en quelques années à houston, sur des enfants atteints de poliomyélite, un matériel d’ostéosynthèse postérieure par tiges et crochets (en compression convexe et détraction concave). Ce matériel fera l’objet d’améliorations constantes et cette technique, complétée par une greffe osseuse absente au

Figure 14. Les précurseurs du Harrington : Chipault, Gruca, Allan, Marino-Zucco.

12 R. KOHLER, J.-C. REy, R. Zayni

© 2

009

Els

evie

r M

asso

n SA

S. T

ous

droi

ts r

éser

vés

début de son expérience, deviendra la méthode « clas-sique » des années 60, malgré son défaut de créer un dos plat. C.R. Michel (lyon) l’introduisit en France dès 1962 et contribua à édicter avec M. onimus les règles de la stratégie de réduction par voie postérieure.

Par ailleurs, le « harrington » a ouvert la voie à d’autres ostéosynthèses postérieures (figure 16), comme celle de Résina (Portugal) en 1963 (fils interépineux arrimés sur des tiges) ou celle de luqué (Mexico), per-mettant une fixation segmentaire sous-lamaire, indiquée

plus spécialement chez les myopathes et les infirmes moteurs. le vissage pédiculaire s’inscrira dans ce déve-loppement (King, Rey, Roy-Camille).

L’abord vertébral antérieur se développe dans les années 50 (figure 17)

là encore, c’est le traitement du mal de Pott qui ouvre cette voie à la suite de ito (Tokyo) en 1934 et de hodgson (hong-Kong) en 1957. Ce sera une étape nouvelle du traitement des formes les plus graves, per-mettant une ostéosynthèse antérieure selon A. Dwyer de Sydney (agrafes et câble convexe sous tension), selon K. Zielke de Bad-Wildungen (agrafes et tige) ou selon J.C. Pouliquen (plaque vissée).

Toutes ces méthodes ne dispensaient pas d’une greffe soigneuse et il faut mentionner la recherche origi-nale développée par P. Stagnara, A. Dubost-Perret et C. Mérieux, qui constituent à lyon dès 1957 la pre-mière banque d’os à partir d’os de veau lyophilisé. Cette expérience tombera assez vite en désuétude, remplacée par la greffe d’os autologue prélevé sur la crête iliaque, puis par les substituts osseux.

le traitement orthopédique des années 50–60 s’amé-liore mais reste décevant, car il s’applique à des scolio-ses sévères, souvent chez des adultes très handicapés par cette déviation. il se déroule dans des centres spécialisés comme par exemple les hôpitaux Saint-Vincent-de-Paul (P. Petit et P. Queneau), Saint-Joseph Figure 15. P. Harrington (Houston).

Figure 16. Les évolutions des montages postérieurs : Résina et ses fils interépineux ; Luqué et ses fils sous-lamaires ; Roy Camille et le vissage pédiculaire.

Histoire du traitement de la scoliose 13©

200

9 E

lsev

ier

Mas

son

SAS.

Tou

s dr

oits

rés

ervé

s

(J. Bédouelle et M. Guillaumat) à Paris, l’institut Calot à Berck (J. Cauchoix et y. Cotrel), le centre livet (C.R. Michel) et le centre des Massues (P. Stagnara) à lyon (figure 18). la France reste fidèle aux règles édic-tées au début du siècle, améliorées par Cotrel (plâtre sur cadre EDF) et par P. Stagnara (plâtre d’élongation, traction par halo). le traitement codifié par ce dernier, appelé « traitement orthopédique lyonnais », montre la qualité des résultats obtenus et leur stabilité à long terme, mais au prix d’un protocole lourd et d’hospita-lisations longues. C’est à lui également que l’on doit les premiers traitements réalisés chez les adultes sco-liotiques, patients jusque-là négligés.

nous citerons enfin, sans nous y attarder, des techni-ques pas vraiment nouvelles comme la traction verté-brale de nuit. Quant à l’électrostimulation décrite par Bobechko à Toronto dans les années 70, elle ne tint pas ses promesses.

Figure 17. Les promoteurs de la voie antérieure : Hodgson (a), Dwyer (b), Ito (c), Zielke (d).

Figure 18. P. Stagnara, au centre des Massues de Lyon, codifie le « traitement lyonnais ».

14 R. KOHLER, J.-C. REy, R. Zayni

© 2

009

Els

evie

r M

asso

n SA

S. T

ous

droi

ts r

éser

vés

La période contemporaine : perspectivesles 25 dernières années confirment tous les acquis précédents. l’amélioration des techniques (anesthésie-réanimation, informatique, nouveaux matériaux pour orthèses, etc.) et les exigences des patients, soucieux de plus grand confort, portent en elles les progrès que l’on observe aujourd’hui : •danslesprocédésdedépistage,avecencorollairelerecours à des traitements orthopédiques plus préco-ces et donc plus légers, adaptés à des scolioses moins sévères. il existe maintenant une très grande variété d’orthèses choisies en fonction de l’âge et du type de courbure. le polyéthylène remplace le plexidur. les indications, surtout pour les petits angles, nécessitent de mieux connaître l’histoire naturelle de cette mala-die, comme l’avait fait Ponseti dans les années 60. l’informatique permet maintenant la conception et la fabrication assistées par ordinateur (CFAo) pour la réalisation d’orthèses grâce à une prise d’empreinte optique (figure 19), gardant le principe du « sur-mesure » et sans doute préférable aux orthèses modu-laires comme le Boston brace (Watts et hall) ;•dans les techniques d’imagerie, avec possibilitéde modélisation spatiale « tridimensionnelle » de la colonne à partir de clichés simples, ou même de simu-lation de correction opératoire. la technique EOS, particulièrement prometteuse, commence à entrer dans le domaine clinique ;•progrèsdelachirurgieassurantdesréductionspuis-santes et une fixation multisegmentaire solide dispen-sant le plus souvent de contention postopératoire. Ces

nouveaux matériels inventés par Cotrel et Dubousset (figure 20) au début des années 80, puis améliorés constamment, représentent une autre révolution de l’os-téosynthèse vertébrale (comme l’avait été le harrington 20 ans plus tôt), particulièrement pour les courbures lombaires jusque-là mal réglées par le seul harrington. Par ailleurs, le recours à une chirurgie combinée par voie antérieure et postérieure a permis une meilleure correc-tion des cyphoscolioses sévères, comme celles observées chez l’adulte. À l’inverse, une chirurgie moins invasive par thoracoscopie se développe, tout comme les techni-ques d’assistance et de navigation pour la visée pédicu-laire. les complications neurologiques ne doivent pas être minimisées, ni leurs conséquences médicolégales, toujours préoccupantes, qui justifient leur prévention par monitorage peropératoire (PES/PEM) ;

Figure 19. La CFAO : un « moulage optique » permet la fabrication d’orthèses (technique Orten, Lyon).

Figure 20. Y. Cotrel (à gauche) et J. Dubousset (à droite), concepteurs du « CD ».

Histoire du traitement de la scoliose 15©

200

9 E

lsev

ier

Mas

son

SAS.

Tou

s dr

oits

rés

ervé

s

•lepanoramaétiologiquedelascolioses’estégalementtransformé : éradication des scolioses poliomyélitiques, augmentation relative des étiologies malformatives ou neurologiques à haut risque.

Mais la question essentielle, qui se pose presque dans les mêmes termes depuis plus de 200 ans, reste la nature de la scoliose dite idiopathique. le pro-grès à venir le plus spectaculaire sera de soigner la

scoliose en s’adressant à sa cause et non plus à ses effets, comme on l’a fait jusqu’à ce jour. le rôle de l’hypophyse, par l’intermédiaire de la mélatonine, est encore une hypothèse. les gènes responsables de la scoliose sont en passe d’être identifiés. Quel champ de recherche passionnant, auquel devront s’atta-cher les sociétés savantes ou les fondations pour la recherche !

RéféRences

Abbott E.G. Correction of lateral curvature of the spine. new york Med J 1912 ; 95 : 833.

Albee F.h., houvlett F., Powers E., McDowell h. Surgery of the spinal column. Philadelphie : Davis; 1945.

Andry n. l’orthopédie ou l’art de prévenir et de corriger dans les enfans les difformités du corps. Paris : Alix ; 1741 [réimprimé en 1996].

Bérard J., Kohler R. Scoliose idiopathique. Montpellier : Sauramps; 1997.Blount W.P., Moe J.h. The Milwaukee Brace. Baltimore : Williams

& Wilkins; 1973.Chipault A. les ligatures apophysaires. Congrès français de chirur-

gie, 1896.Cobb J.R. outline for the study of scoliosis. instructional course

lecture. Am Acad orthop Surg 1948 ; 5 : 261.Cotrel y., Dubousset, J. nouvelle technique d’ostéosynthèse rachi-

dienne segmentaire. Rev Chir orthop 1984 ; 70 : 489–494.Delpech J. De l’orthomorphie par rapport à l’espèce humaine. Paris :

Gabon; 1828.Guérin J. Traitement des déviations latérales de l’épine par la myo-

tomie rachidienne. Gaz Méd 1837.hall J. Spinal surgery before and after Paul harrington. Spine 1998 ;

23 : 1356–1361.harrington P.R. Treatment of scoliosis. Correction and internal fixation

by spine instrumentation. J Bone Jt Surg 1962 ; 44A : 591–610.hibbs R.A., Risser J.C., Ferguson A.B. Scoliosis treated by the

fusion operation : an end-result study of 360 cases. J Bone Jt Surg 1931 ; 13 : 93–104.

ito h., Tsuchiya J., Asami G. A new radical operation for Pott’s disease. Report of ten cases. J Bone Jt Surg 1934 ; 16 : 499–513.

le Vacher de la Feutrie. Traité du rakitis ou l’art de redresser les enfants contrefaits. Paris : lacombe; 1772.

levay D. The history of orthopaedics. Carnforth : Parthenon; 1990Magny. Mémoire sur le rakitis. Paris : Méquignon; 1780.Malgaigne J.F. leçons d’orthopédie. Paris : Delahaye; 1862.Michel C.R. l’opération de harrington dans le traitement

chirurgical des scolioses. Rev Chir orthop 1965 ; 51 : 491–503.

Moe J.h. Scoliosis and other spinal deformities. Philadelphie : Saunders; 1978.

Moe J.h., Gustilo R.B. Treatment of scoliosis. Results in 196 patients treated by cast correction and fusion. J Bone Jt Surg 1969 ; 46 : 293–312.

ollier M.arc. Technique des plâtres et corsets de scolioses. Paris : Masson; 1971.

Peltier C.F. A history and iconography of orthopedics. San Francisco : norman; 1993.

Ponseti i.V., Friedman B. Prognosis in idiopathic scoliosis. J Bone Jt Surg 1950 ; 32A : 381–395.

Pravaz C.G. Méthode nouvelle pour le traitement des déviations de la colonne vertébrale. Paris : Gabon ; 1827.

Rang M. The story of orthopaedics. Philadelphie : Saunders ; 2000.Redard P. Traité pratique des déviations de la colonne vertébrale.

Paris : Masson ; 1900.Risser J.C. The iliac apophysis : an invaluable sign in the manage-

ment of scoliosis. Clin orthop 1958 ; 11 : 111–119.Sayre l.A. Spinal disease and spinal curvature. londres : Smith ;

1877.Stagnara P. les déformations du rachis. Paris : Masson ; 1985.