La Revue socialiste n°44 Protéger

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  • 8/13/2019 La Revue socialiste n44 Protger

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    Revue

    Socialiste

    La

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    Protger 4etrimestre

    2011

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    2 Sommaire

    Introduction

    Alain Bergounioux,Retour sur un objet dmocratique non (encore) identifi p. 5

    Le dossier

    Jacques Sapir, Le bilan du libre-change est calamiteux p. 9

    Elie Cohen,Le retour de la tentation hexagonale p. 13

    Jacques Mistral,La sduction trompeuse du protectionnisme et de la dmondialisation p. 19

    Jean-Marc Siron,Nouvelle division internationale du travail et protectionnisme europen p. 27

    Daniel Vasseur,Un protectionnisme intelligent pour lEurope p. 35

    Henri Rouilleault,Mondialisation, crise conomique et crise sociale.Le protectionnisme nest pas une solution p. 47

    Henri Weber,Comment se protger ? p. 55

    Kader Arif,Pour une politique europenne plus ambitieuse et plus juste p. 63

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    3Sommaire

    Guillaume Duval,Pourquoi lEurope na pas de politique industrielle p. 69

    Michel Aglietta,Consolider lendettement public et renforcer leuropour promouvoir la croissance durable en Europep. 77

    Polmique

    Claude Lelivre,Refonder lcole. Un nouveau pacte ducatif p. 85

    Grand texte

    Pierre Mends France,Gouverner, cest choisir p. 93

    propos deTony Judt,Ill Fares The Land, Penguin Books, 2010

    Tony Judt,Quy-a-t-il de vivant et quy-a-t-il de mort dans la social-dmocratie ? p. 107

    Matthias Fekl,Loption sociale-dmocrate p. 115

    Actualits internationales

    Karim Pakzad,Afghanistan : quelle issue aprs dix ans de guerre ? p. 121

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    Alain Bergouniouxest directeur deLa Revue socialiste

    Retour sur un objet dmocratiquenon (encore) identifi

    orsque ce numro paratra, les lec-tions primaires seront derrire nous

    et nous serons dans lpre campagne prsi-

    dentielle. Tout laisse penser que celles-ciauront cr une dynamique politique et unhorizon dattente. Dans la mesure o nombredlecteurs du premier tour, le 9 octobre, nesont pas retourns voter, au second tour, le16 octobre, et quun grand nombre dlec-teurs nont vot qu ce dernier, cest un peuplus de 3 millions de Franais au total quiont particip ces primaires. Le PS staitfix un objectif dun million et en esprait

    deux millions ! Le nombre plus importantencore de tlspectateurs qui ont suivi lesdbats, environ 6 millions, pour le dernierde lentre deux tours, achve de montrerlintrt suscit chez les lecteurs de gauche.

    Cela est suffisant pour tordre le cou lide reinede la dpolitisation . Il y a, dans notre socit, la fois, de la dfiance vis--vis de la politique mais

    L galement une forte attente qui sexprime lorsquellele peut. Encore faut-il que la politique offre uneoccasion de lestimer. Ce fut justement le cas. Car, il

    sagissait de faire de vrais choix. Certes, nous vivonsdans une dmocratie mdiatique. Et la personna-lisation est une donne, que lon peut condamner,quand elle tourne la peopolisation , mais quine date pas dhier et qui touche toutes les socitsdmocratiques modernes. Or, il y avait un contenupolitique rel dans ces lections primaires et despoints de vue diffrents se sont confronts sur desthmes importants. Jusqu prsent, pour beaucoup

    Il y avait un contenu politique rel dansces lections primaires et des points de vuediffrents se sont confronts sur des thmesimportants. Jusqu prsent, pour beaucoup

    dlecteurs, entendre dire que le Parti socialistetait un parti de dbats sonnait comme une

    abstraction. Cest dsormais concret.

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    dlecteurs, entendre dire que le Parti socialiste tait un parti de dbats sonnait comme une abstrac-tion. Cest dsormais concret. Et ils ont pu accompa-gner, partir danalyses et de jugements divers, cequi est une des fonctions majeures dun parti poli-

    tique de gouvernement : trouver les voies dun projetpolitique qui, partir daspirations et dintrtssouvent contradictoires, dgage des lignes de force.Le moment que nous avons vcu apporte aussi unerponse une question que nous nous sommespose avant dadopter ce processus. Quel serademain le rle du Parti socialiste ? Sera-ce la findu parti militant comme laffirment les critiques1.En fait, la question de la rnovation de notre partise pose dj depuis de nombreuses annes. Nous

    avons connu une volution proccupante avec ladifficult dlargir et de diversifier notre assisemilitante et sociale. Le fait que le Parti socialistesoit un grand parti dlus, tous les niveaux de lavie dmocratique, est videmment un atout dansle rapport la population. Mais cela induit aussiinvitablement une professionnalisation de la poli-tique et ne protge pas de la sclrose.Dans les dernires annes, des adaptations ont tmises en uvre pour revivifier le parti. Il ne faut

    pas les sous-estimer. La parit hommes-femmesdans les fonctions partisanes et lectives devientune ralit de plus en plus frquente. Les votesmilitants sappliquent galement davantage doc-casions. Llection du Premier secrtaire et despremiers secrtaires fdraux ne date que de 1995.Les lections primaires sinscrivent ainsi dans unetendance gnrale. Un parti socialiste aujourdhuiqui se veut populaire (et qui ne lest pas assez)ne peut pas vivre roul en boule sur lui-mme dans

    une socit qui a t bouleverse par rapport auxconditions de sa naissance. Les lections primairessont une forme nouvelle de mobilisation politique.Les militants partagent le choix de leur candidataux lections prsidentielles, mais ils sont au curde lorganisation de cette consultation, qui permet

    Retour sur un objet dmocratique non (encore) identifi

    de tisser des liens politiques multiples, sans doute

    intermittents, mais nombreux et diversifis danschaque commune, grande ou petite.Bien sr, de vritables enseignements ne pour-ront tre tirs que dans la dure avec la rgularitacquise de cette forme de mobilisation politique.Mais son succs prsent traduit une aspirationdmocratique relle. Lindividualisation de nossocits ne conduit pas au retrait pur et simple dansla vie prive. Lengagement politique est plus irr-gulier et se porte davantage sur des causes spci-

    fiques. Cela peut ne pas tre un problme pour depetits partis thmatiques . Mais cela en est unpour les partis gnralistes , comme le ntre, quiont une vocation gouvernementale. Lide quils nepeuvent tre que des partis dlecteurs autour dunpetit nombre de professionnels de la politiqueest errone. Un parti de gauche doit tre dans lasocit. Les modalits anciennes de prsence nesuffisent plus. Les lections primaires ouvertes nesont pas une panace et napportent pas de rponses

    aux dfis de la mise en uvre des projets politiques.Mais elles sont une manire de vivifier notre dmo-cratie. Et, elles nous crent une obligation (quasi)morale de russir notre campagne pour 2012, lescitoyens qui sont venus voter dans nos primaires lecomprennent bien ainsi

    Un parti de gauche doit tre dans la socit.Les modalits anciennes de prsence ne

    suffisent plus. Les lections primaires ouvertesne sont pas une panace, et napportent pas

    de rponses aux dfis de la mise en uvredes projets politiques. Mais elles sont une

    manire de vivifier notre dmocratie. Et, ellesnous crent une obligation (quasi) morale de

    russir notre campagne pour 2012, les citoyensqui sont venus voter dans nos primaires le

    comprennent bien ainsi

    1.Pour cette thse, voir Rmi Lefebvre, Les primaires socialistes La fin du parti militant, Raisons dagir, 2011. Pourune analyse diffrente, voir Alain Bergounioux, Primaires or not Primaires ? , Pouvoirs, n138, septembre 2011.

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    Le Dossier

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    104 pages - Ft : 12 x 17 cm - Prix public : 5 e- ISBN : 978-2-916333-89-2 - Vendu en librairie - Diffusion Dilisco

    Ina Piperaki -Jean-Michel Reynaud

    Leffacement des dettes,une solution la crise mondiale

    Lexemple de Solon dans la Grce antique

    M. MME. MLLE. PRNOM

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    DATE: SIGNATURE:

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    Cest essentiellement la cupidit qui est lorigine de la crisemondiale qui affecte toutes les conomies et lensemble descitoyens, en particulier les plus faibles.Pour sortir durablement de cette crise, une nouvelle gouver-nance mondiale doit merger pour, quenfin, les changes globa-liss ne produisent plus dexclusion sociale mais profitent laqualit de vie, au bien tre social, la solidarit et la respon-sabilit.Mais derrire les incantations il faut des propositions,nombreuses dans ce livre, favorisant lmergence dune nouvellere conomique et sociopolitique. travers lexemple de Solon (VIesicle avant notre re), pre dela dmocratie et de la premire constitution au monde, lannu-lation partielle ou totale des dettes publiques et prives est unesolution incontournable.

    Ina Piperaki, docteur en pharmacie (phD) et universitaire a t directrice de la

    recherche et du dveloppement de la filiale grecque dune multinationale pharma-

    ceutique. Parfaitement francophone et francophile elle multiplie les confrences

    travers lEurope, et plus particulirement en France, sur des sujets philosophiques,laques, mais aussi scientifiques et mdicaux.

    Jean-Michel Reynaud, directeur du dveloppement dun groupe coopratif de

    formation, prsident honoraire de la section des Finances du Conseil conomique,

    social et environnemental, a t cadre bancaire et responsable syndical. Il est spcia-

    lis en intelligence conomique, en philosophie et dans la dfense de la Lacit.

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    transferts dactivits fortement polluantes qui nontpas t accompagns de transferts de technologie(le cas du dmantlement des navires en Inde et au

    Bengladesh en est un exemple, celui du recyclagedes tlphones portables aussi). Ceci explique pour-quoi dans un certain nombre de pays en dveloppe-ment la richesse (calcule par le PIB par habitant)saccrot, mais lesprance de vie diminue ! Au-deldu discours traditionnel sur les limites de la notionde PIB (limites bien relles), le vritable problmeest que lon voit se dvelopper une couche de super-riches et un embryon de classes moyennes dans

    Jacques Sapirest conomiste lEHESS.

    Il a notamment critLa dmondialisation, Le Seuil , 2011.

    Le bilan du libre-changeest calamiteux

    a revue socialiste :Quel bilan peut-onfaire aujourdhui du libre-change

    dans les volutions de lconomie mondiale ?

    Est-ce un handicap pour les conomiesdes pays dvelopps, un avantage pourles pays mergents ? Comment expliquerquen Europe, certains pays paraissent en

    ptir, comme la France, bien quelle soit lacinquime conomie exportatrice du monde,et dautres, non, comme lAllemagne ?

    Jacques Sapir : Lebilan du libre-change au sensstrict est assez calamiteux.Rien ne prouve (et cest

    un euphmisme) que la libralisation des changesait favoris la croissance. En fait, le seul cas o lonpeut dmontrer que la libralisation a bien induitune croissance est celui de la Chine. Mais il faudraitalors calculer ce qui a t dtruit dans les autrespays. Les consquences environnementales ontaussi t trs sensibles avec une dgradation impor-tante de la situation dans les pays dits mergents et dans les pays dits sous-dvelopps par des

    L

    Rien ne prouve (et cest un euphmisme) quela libralisation des changes ait favoris la

    croissance. En fait, le seul cas o lon peutdmontrer que la libralisation a bien induit

    une croissance est celui de la Chine.Mais il faudrait alors calculer ce qui a t

    dtruit dans les autres pays.

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    les pays en voie de dveloppement. Cela expliquepourquoi le PIB par habitant moyensaccrot. Maisle PIB par habitant mdian en rgle gnrale nesaccrot pas. La polarisation des revenus augmentede manire rapide avec le libre-change.En fait TOUS les pays connaissent, un niveau ou un autre, des problmes du fait du libre-change.Les tats-Unis ont un dficit commercial qui aatteint 5 % du PIB. LAllemagne, que lon prsentecomme lun des vainqueurs de la mondiali-

    sation, a vu ces dernires annes son excdentcommercial hors de la zone euro (et de lEurope)seffondrer. Aujourdhui, lAllemagne ne raliseque 20 % de ses excdents hors de lEurope, dontenviron 13 % aux tats-Unis. Le commerce estdficitaire avec trois des BRIC (Chine, Inde etRussie). Ce sont les excdents raliss sur lEuropeet la zone euro (60 % du total) qui permettent ce pays de donner lillusion dune bonne perfor-mance lchelle mondiale. En fait, si lon regarde

    hors de la zone euro, la France ralise une perfor-mance peu diffrente de celle de lAllemagne. Onle voit, le libre-change est un problme gnral,mais certains pays ont trouv des systmes qui leurpermettent den masquer les effets en les reportantsur dautres pays (comme lAllemagne).

    L. R. S. : Peut-on rguler efficacement lecommerce international ? Est-il possible de

    faire entrer en compte les normes soci-tales, concernant lenvironnement, la sant,le droit des travailleurs, sans un consensuslarge entre les grands tats ? Est-il possible,alors, dtablir un juste change comme

    le propose le projet du Parti socialiste ?Peut-on le faire sans un quilibre entre lestaux de change ?Jacques Sapir : La question nest pas technique.Bien entendu on peut toujours imaginer unergulation internationale Cest une questionessentiellement politique. Croit-on quil soit possiblede faire entrer les normes environnementales, soci-tales et de droit du travail dans le commerce inter-national par une ngociation sans conditions ou au

    contraire par une ngociation partir de points deforce, dont des mesures unilatrales ? En acceptantle principe de libre-change comme base, nousnous sommes privs des points de force ncessairespour faire aboutir une telle ngociation. Il faut aucontraire tablir les bases de ce que pourraient tredes droits compensatoires, en tenant compte de laproductivit par branche et non par pays, mais aussides caractristiques de consommation dnergie desdiffrentes branches, qui sont loin dtre les mmes.

    On aboutirait alors un spectre gnral de droitsde douanes diffrencis par pays et par type deproduits. Ce calcul nest dailleurs pas difficile faire et ne prendrait pas plus de deux semaines une quipe travaillant au ministre de lconomieet des Finances. Il conviendrait alors dentamer unengociation mais en prcisant bien que si aucunaccord nest trouv en 3 ou 6 mois, nous nous rser-vons de mettre en place de manire unilatrale cesdroits de douane.

    En fait, les mesures de rtorsion possibles sontassez limites. Le commerce international combinelargement les dimensions conomiques et poli-tiques. Aucun pays ne souhaite tre confront unmonopole. Quand vous navez que deux construc-teurs mondiaux (dans laronautique lourde, Airbuset Boeing), vous nallez pas acheter des Boeingparce que lun des pays du groupe Airbus vous taxe.Vous ne prendrez jamais le risque daboutir un

    LAllemagne, que lon prsente comme lun des vainqueurs de la mondialisation, a vu ces

    dernires annes son excdent commercial horsde la zone euro (et de lEurope) seffondrer.

    Aujourdhui, lAllemagne ne ralise que20 % de ses excdents hors de lEurope, dont

    environ 13 % aux tats-Unis. Le commerceest dficitaire avec trois des BRIC (Chine, Inde

    et Russie). Ce sont les excdents raliss surlEurope et la zone euro (60 % du total) qui

    permettent ce pays de donner lillusion dunebonne performance lchelle mondiale.

    Le bilan du libre-change est calamiteux

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    monopole. De plus, il est vident que les bases dela possible taxation sont tablies de manire trans-parente et ne correspondent pas une volont dedgager un avantage conomique particulier. Toutceci mamne penser que des accords, soit avec

    des groupes de pays soit avec certains pays, seraienttrouvs assez rapidement. Mais il faudra pour celaaccepter un certain niveau daffrontement verbaldans une priode transitoire. Bien entendu, la ques-tion des taux de change interfre avec celle de laprotection. Si le taux de change de leuro tait de1 pour 1,10 dollars, le niveau des droits de douaneserait plus faible. Ceci pose la question du rle desmarchs financiers dans la dtermination des tauxde change et du fait que lquilibre technique que

    lon peut constater pour certaines priodes sur cesmarchs ne correspond en rien aux besoins structu-rels des conomies.

    L. R. S. : Quelles seraient les conditionspour tablir un protectionnisme au niveaueuropen ? Peut-on le faire autrement quede manire cible, compte tenu de la disper-sion plantaire des chanes de production ?Une politique protectionniste nationale est-

    elle envisageable ? Quels seraient ses effets ?Jacques Sapir : Un protectionnisme europenserait une des solutions idales, mais la condi-tion de recrer des montants compensatoires entrepays de lUnion europenne. En effet, les phno-mnes que lon a dcrits dans le commerce horsUnion europenne existent aussi dans le commerceintra-UE. Les investissements directs des grandesfirmes transnationales ont permis la productivitde ces pays de rattraper celle des pays du cur

    historique de lEurope, du moins dans certainesbranches. Mais les salaires nont pas suivi. EnRoumanie et en Slovaquie, ils sont le tiers desniveaux en France et en Allemagne. Comme nousne pouvons pas forcer les gouvernements et lesindustriels de ces pays augmenter les salaires,il faudrait instaurer une taxe, sur le modle desmontants compensatoires qui ont exist dans lemarch commun dans les annes soixante, pour

    compenser le surcrot de comptitivit engendr parla combinaison haute productivit et bas salaire.Dans ces conditions, et si lon se mettait daccordsur des rgles communes, effectivement un protec-tionnisme europen serait une solution lgante au

    problme que posent les hausses importantes deproductivit que naccompagnent pas des haussesquivalentes de salaires ou des mesures de protec-tion sociale et environnementale. Mais, il convientdviter des discussions nen point finir. Cest lquun protectionnisme national a son rle jouer. Ilferait basculer le paradigme dune logique libre-change, mais une logique protection-nisme, mais . Un protectionnisme lchellenationale serait moins efficace quun protection-

    nisme europen (ou du moins mis en uvre parcertains pays du cur historique de lEurope).Mais, il serait infiniment plus efficace que le statuquo actuel. Dans mon esprit cest un mcanismepour dclencher une ngociation, tout dabord ausein de lUnion, puis de manire plus large. Avecdes mesures protectionnistes prises unilatrale-ment vous plaidez saisi ! Mais, il faudrait que cesmesures soient prises de manire transparente pourque nos partenaires comprennent que ce que nous

    cherchons nest pas une position davantage mais combattre des dsquilibres existants. Des mesuresprotectionnistes auraient bien entendu pour effetde relocaliser sur le territoire national certainesactivits. Lexprience montre que leffet de relo-calisation est trs rapide. Mais, je le redis, cest

    Un protectionnisme lchelle nationaleserait moins eff icace quun protectionnisme

    europen (ou du moins mis en uvrepar certains pays du cur historique delEurope). Mais, il serait infiniment plus

    efficace que le statu quo actuel.Dans mon esprit cest un mcanisme pour

    dclencher une ngociation,tout dabord au sein de lUnion,

    puis de manire plus large.

    Le Dossier

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    sant l aussi un endettement public qui augmente

    depuis de nombreuses annes. La crise de la dette,dont celle de la dette souveraine nest que lundes aspects, est en Europe comme aux tats-Unisla rponse que lon a historiquement trouve larupture du compromis social qui stait tabli dansles annes cinquante et soixante sur le partage dela valeur ajoute entre profits et salaires. Et cetterupture est lie de manire dcisive et indiscu-table au processus douverture des conomies quia commenc ds le dbut des annes soixante-dix.

    une combinaison de mesures protectionnistes etdemesures concernant le taux de change quil faudraitprocder si nous voulons viter de voir les indus-tries franaise et europenne, dtruites par despratiques de concurrence malsaines.

    L. R. S. :Peut-on penser quil y a des liensentre la crise actuelle des dettes souveraineset les problmes du libre-change ?Jacques Sapir: Cest vident. Le libre-changeconduit une pression directe et indirecte sur lesrevenus, rduisant (de manire relative ou absolue)la demande solvable dans nos pays. Comme leuronous empche de dvaluer, certains pays ont laissaugmenter lendettement pour maintenir cette

    demande solvable. En Espagne et au Portugal, cefut lendettement des mnages et des entreprises,bien plus que lendettement public. En Grce, on aeu une politique fiscale laxiste du ct des recettespour redonner de la demande solvable, mais audtriment de lendettement public. En France,nous avons maintenu des dpenses publiques un niveau lev et dans le mme temps nous avonscherch compenser les pertes de comptitivitpar des cadeaux fiscaux aux entreprises, condui-

    Le bilan du libre-change est calamiteux

    La crise de la dette, dont celle de la dettesouveraine nest que lun des aspects, est en

    Europe comme aux tats-Unis la rponse quelon a historiquement trouve la rupture du

    compromis social qui stait tabli dans lesannes cinquante et soixante sur le partage

    de la valeur ajoute entre profits et salaires.Et cette rupture est lie de manire dcisiveet indiscutable au processus douverture desconomies qui a commenc ds le dbut des

    annes soixante-dix.

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    de libralisations. Il existe par contre une thoriede lchange fond sur les avantages comparatifset des idologues libre-changistes qui prnent le

    dsarmement douanier unilatral comme vecteurde croissance. Ces ides peuvent tre dominanteset inspirer des politiques, mais il ny a pas un sensde lhistoire, le monde a connu des alternances depolitiques douverture et de politiques protection-nistes. Certains pays ont cr labri de protectionsdouanires et dautres ont dclin.En fait les politiques douverture commerciale neproduisent pas les mmes effets pour les pays dve-lopps et pour les pays mergents. Un exemple

    donn en son temps par Joseph Stiglitz permetdemble de saisir les diffrences. En 1955, la Coreet le Ghana avaient peu prs le mme niveau dePIB par habitant et les deux pays produisaient etexportaient des denres alimentaires. Le premierfit le choix de la croissance industrielle extravertieen profitant de louverture des marchs occidentauxet de ses faibles cots salariaux pour constituer labri de son march intrieur une industrie natio-

    Elie Cohenest conomiste et auteur dePenser la crise, Fayard, 2010.

    Le retour de la tentation hexagonale1

    a revue socialiste : Quel bilanpeut-on faire aujourdhui du libre-

    change dans les volutions de lconomie

    mondiale ? Est-ce un handicap pour lesconomies des pays dvelopps, un avan-tage pour les pays mergents ? Commentexpliquer quen Europe, certains pays

    paraissent en ptir, comme la France, bienquelle soit la cinquime conomie expor-tatrice du monde, tandis que dautres non,comme lAllemagne ?Elie Cohen: Dans le monde rel, le libre-changenexiste pas. Caractriser lordre commercial inter-

    national de libre changiste est une facilit delangage. la vrit lordre commercial interna-tional tel quil rsulte des cycles du Gatt puis delOMC relve dun mercantilisme organis, fondsur un troc mutuellement avantageux de conces-sions commerciales. La panne actuelle de Dohaest la preuve que les pays dvelopps ou mergentsdu Nord et du Sud ne voient plus les avantagesmutuels quils pourraient tirer dune nouvelle vague

    L

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    nale. Le second est rest un pays agricole, avec letemps et les crises successives, le Ghana a fini pardevenir un pays de plus en plus pauvre. La Corefit le parcours des nations qui dcollent : investis-sement dans lducation et la formation, spcialisa-

    tion industrielle base sur une monte progressivedans les secteurs valeur ajoute et dans la chanede valeur des produits et services. Lextraversionconomique est dabord sens unique : conqutedes marchs extrieurs et prservation du marchintrieur, limportation et lusage des devises tantalors rserves lacquisition de technologies et dematires premires et non limportation de biensde consommation occidentaux. Puis avec le tempset la sophistication conomique, la Core va prati-

    quer louverture aux importations pour amliorer sacomptitivit, se fournir bas cot chez les autreset optimiser la chane de valeur de ses industries.Le parallle entre ces deux pays suggre que cestle dirigisme, linvestissement dans le capital humainet la protection des industries naissantes qui ontpermis le dcollage de la Core et que le laisser-faire laisser-aller du Ghana a produit une spiralesans fin de pauvret et de dclassement conomique.Mais une autre conclusion simpose aussi, linterven-

    tion publique pour peser sur la spcialisation peutdonner de bons rsultats en phase de dcollageconomique alors que louverture commerciale favo-rise loptimisation des chanes de valeur dans lesconomies matures. Lhistoire rapidement esquisse

    de la Core, rappelle la trajectoire du Japon hieret de la Chine aujourdhui : les politiques commer-ciales appropries au dcollage conomique ne sontpas celles qui conviennent aux pays dvelopps.Un demi-sicle de libralisation commerciale a

    produit de profonds changements dans la distribu-tion des activits. Le rsultat le plus spectaculaire at la dsindustrialisation de lOccident et la monteen puissance des mergents. Ce rsultat nest passurprenant pour deux raisons. Il sapparente danslordre de lconomie productive au processus dedivision du travail : louverture conomique permetla spcialisation sectorielle (abandon du textile etdveloppement de laronautique par exemple) etintrasectorielle (abandon des segments dactivit

    intenses en travail non qualifi au profit de secteursintenses en travail qualifi) ainsi que la monte engamme (exportation de textile griff et importationde T-shirts). Il traduit ensuite la bascule dans lesconomies dveloppes de consommations de biensagricoles et industriels vers la consommation deservices.Si le processus tait anticip, pourquoi assiste-t-on un rveil douloureux, pourquoi rclame-t-on le retour la politique industrielle et pourquoi

    certains songent-ils un retour au protection-nisme. Pour un pays comme la France la rponseest simple : leffondrement industriel na pas tcompens par une monte en gamme dans le high-tech, la France a rat son entre dans lconomie dela connaissance, la perte demplois industriels bienpays a abouti une croissance du chmage et de laprcarit, et enfin le commerce extrieur est nette-ment dficitaire (75 milliards de dficit de balancecourante en 2011). On comprend ds lors la tenta-

    tion protectionniste franaise sauf rappeler imm-diatement que lEurope a une balance commercialeexcdentaire, que les pays du Nord de lEurope ontrussi leur consolidation industrielle (Allemagne,Pays-Bas, Pays scandinaves) et/ou leur transitionvers lconomie de la connaissance. Au cours desdix dernires annes, marche force, lAllemagnesest adapte la mondialisation en gelant ses cotssalariaux, en forgeant un compromis social indus-

    Le retour de la tentation hexagonale

    Lintervention publique pour peser sur laspcialisation peut donner de bons rsultatsen phase de dcollage conomique alors que

    louverture commerciale favorise loptimisationdes chanes de valeur dans les conomies

    matures. Lhistoire rapidement esquisse dela Core, rappelle la trajectoire du Japon

    hier et de la Chine aujourdhui : les politiquescommerciales appropries au dcollage

    conomique ne sont pas celles qui conviennentaux pays dvelopps.

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    triel, en acceptant la dlocalisation dune partie deses chanes de production, le rsultat a t impres-sionnant : lconomie allemande est devenue plusouverte et plus comptitive, elle a accumul lesexcdents commerciaux. Un chiffre permet mieux

    que de longs dveloppements de rendre compte dudcrochage franais : si la France avait maintenule poids relatif de ses exportations par rapport lAllemagne, elle aurait accru ses exportations de150 milliards deuros et aurait donc un commerceextrieur largement excdentaire.

    L. R. S. : Peut-on rguler efficacement lecommerce international ? Est-il possible de

    faire entrer en compte les normes soci-

    tales, concernant lenvironnement, la sant,le droit des travailleurs, sans un consensuslarge entre les grands tats ? Est-il possible,alors, dtablir un juste change commele propose le projet du Parti socialiste ?

    Peut-on le faire sans un quilibre entre lestaux de change ?E. C. : Seattle dj le Prsident Clinton voulaitraliser des avances sur les sujets sociaux et envi-ronnementaux, la France par ailleurs a trac depuis

    longtemps des lignes rouges sur la diversit cultu-relle. La ngociation sur ces nouveaux sujets na pas rellement abouti. Faut-il pour autant yrenoncer ? Trois problmes diffrents sont consi-drer. 1. La monte en puissance de la Chine montrequun pays peut avoir des avantages absolus lchange remettant en cause lhypothse fondatricede la thorie des avantages comparatifs. Comme unconsensus entre Europens pour remettre en causele statut de la Chine est difficile atteindre, il faut

    au moins tre offensif sur la dfense de la propritintellectuelle, les procdures anti-dumping et laquestion des aides publiques. Par ailleurs lEuropeet les USA doivent adopter une dmarche communeau FMI pour combattre la sous-valuation du yuan.2. Il est absurde que lEurope investisse lourdementdans le passage une conomie verte et sinter-dise den tenir compte dans ses importations : lataxe carbone aux frontires est lgitime, de mme

    Le Dossier

    Il est absurde que lEurope investisselourdement dans le passage une conomie

    verte et sinterdise den tenir compte dans sesimportations : la taxe carbone aux frontiresest lgitime, de mme quune conditionnalit

    carbone dans les marchs publics.

    quune conditionnalit carbone dans les marchspublics. 3. La dsindustrialisation de lEurope duSud par ses effets insupportables sur la balancecommerciale na que deux issues possibles, soit unfdralisme redistributeur, soit des stratgies natio-nales de r-industrialisation. Le PS a donc raison

    davancer son agenda sur le juste change , maisil faut savoir choisir ses combats : autant il est lgi-time davancer la revendication cologique et doncla taxe dgalisation carbone, autant la France peutrefuser de considrer les biens culturels comme desbiens marchands indiffrencis, autant rclamerune galit de conditions sociales pour commercerrevient en fait refuser lchange.Pour autant lagenda de la rgulation reste ouvert :la panne de Doha, les crises financires, limpratif

    cologique conduisent rinterroger lquilibreactuel de la rgulation commerciale. Le succs delOMC et notamment de son organe de rgulationcollective, lORD, ne tient pas suffisamment comptede la diffrenciation grandissante des prfrencescollectives et de la ncessit de prserver les bienspublics internationaux. Il convient donc la foisdtendre lespace de rgulation lcologie et la diversit culturelle et mieux tenir compte desnormes de lOrganisation internationale du travail.

    Pour cela il convient de crer de nouvelles instancesde rgulation dans le domaine environnementalnotamment et de dvelopper linter-rgulation enrendant opposable au sein de lOMC les normes etprincipes de rgulation adopts au sein de lOIT delUNESCO et des Conventions environnementales2.

    L. R. S. : Quelles seraient les conditionspour tablir un protectionnisme au niveau

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    Le retour de la tentation hexagonale

    Le protectionnisme europen de plus supposeque nous pourrions rallier nos vues les nationsmarchandes de lEurope du Nord ; or la crise euro-penne actuelle vient du foss qui sest creus ausein de lEurope entre un Nord industriel exporta-

    teur et qui matrise ses finances publiques et un Suddsindustrialis, dficitaire en balance courante etqui a perdu la matrise de ses finances publiques.Les conomies europennes du nord de la zone euro(allemande, nerlandaise, autrichienne, finnoisecomme celles qui sont hors zone euro (sudoise)ont au cours des dix dernires annes fortementaccru leur degr douverture, leurs changes, leursexcdents et leur orientation vers les mergents.Les Allemands ont mme su inventer un modle

    fortement exportateur dans lautomobile bas surune gestion sophistique de la chane de valeur quipermet de bnficier des bas cots des pays de lEst,de la mobilisation du salariat allemand, dun parte-nariat avec les sous traitants, pour le plus grandprofit des travailleurs allemands et de la balancecommerciale allemande. Les firmes allemandesproduisent sur le sol national une plus grande partde leur valeur ajoute automobile que notre cham-pion Renault, et pourtant la balance commerciale

    automobile est fortement excdentaire tandis que lantre est dficitaire.Bref le protectionnisme ne rgle en rien lesproblmes bien identifis de la France par rapport ses voisins du Nord de la zone euro : dgradationde son systme scolaire, rosion de sa comptitivitcot, incapacit faire crotre ses PME innovanteset exportatrices, mdiocrit de sa performance

    europen ? Peut-on le faire autrement quede manire cible, compte tenu de la disper-sion plantaire des chanes de production ?Une politique protectionniste nationale est-elle envisageable ? Quels seraient ses effets ?

    E. C. : Labsurdit du protectionnisme europentient un simple constat : 1. lEurope a un lgerexcdent de balance courante ; 2. Si on limine lecommerce intracommunautaire (les 2/3), lEuropeest une conomie relativement ferme qui commercepeu avec le reste du monde ; 3. Les importations deproduits non nergtiques venant de pays bas cotsalarial ne reprsentent que 10 % ; 4. A linverse,nos exportations sont tournes vers des pays enforte croissance demandeurs de nos technologies

    et de nos marques ; 5. Un protectionnisme euro-pen conu sur cette base aurait pour seul effet dedgrader la situation actuelle de lEurope.Mais poussons le raisonnement plus loin : une stra-tgie protectionniste cible porterait certainementsur la Chine. Mais qui aurait le plus perdre cibler un pays en trs forte croissance, au potentielde consommation en acclration continue, et quimonte trs rapidement dans la chane de valeur ? Unexemple permettra dillustrer ce point : la France est

    aprs les tats-Unis le pays dont le solde de balancecommerciale est le plus lev dans le secteur delaronautique. Dici 2030 la flotte asiatique vatre multiplie par 3 alors que la flotte amricainene va augmenter que de 50 %. Or Airbus peut lgi-timement aspirer prendre 50 % du march aucours des 10 prochaines annes. Faut-il prendre lerisque de sen priver alors que nos importations despayslow costne reprsentent que 10 % !

    Une stratgie protectionniste cible porteraitcertainement sur la Chine. Mais qui aurait leplus perdre cibler un pays en trs forte

    croissance, au potentiel de consommationen acclration continue, et qui monte trs

    rapidement dans la chane de valeur ?

    Bref le protectionnisme ne rgle en rien lesproblmes bien identifis de la France par

    rapport ses voisins du Nord de la zone euro :dgradation de son systme scolaire,

    rosion de sa comptitivit cot, incapacit faire crotre ses PME innovantes et

    exportatrices, mdiocrit de sa performanceen matire dinnovation.

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    17Le Dossier

    finance crdit sont le pendant des excdentspermanents des pays mergents producteurs dematires premires et de biens industriels. La lib-ralisation financire et la globalisation financireont permis que les excdents financiers des mer-

    gents financent la consommation des Amricains.Pour transformer une pargne chinoise qui voulaitsinvestir sans risque en investissements amricainsrisqus, une industrie financire du risque est nequi a invent la titrisation des subprimes, les CDSet autres produits drivs, structurs Le rgu-lateur captur par lindustrie financire ou inca-pable de prendre la mesure de la finance fantmeou dpourvu des moyens financiers ncessaires une bonne rgulation a laiss faire. Ce schma des

    dsquilibres globaux conomiques et financiersa fonctionn au sein de lEurope entre un Nordindustrieux exportateur et excdentaire, et un Sudconsommateur dsindustrialis et dficitaire. Cestce dsquilibre interne lEurope qui est lori-gine de la crise actuelle des dettes souveraines.Certains ont cru que ladoption de leuro abolissaitla contrainte extrieure. La crise des dettes souve-raines nous rappelle brutalement que mme au seinde lUnion europenne et mme avec une monnaie

    unique, nul ne peut sabstraire de lexigence decomptitivit. Ces expriences enseignent que laglobalisation financire na pas eu les vertus de laglobalisation des changes ni sur les pays mergentsni sur les pays dvelopps. linverse, une Europequi sortirait par le haut de la crise actuelle de ladette souveraine des pays de la zone euro pourraitse donner pour objectif dinventer un systme finan-cier intgr et rgul sur une base europenne, auservice dune conomie relle galement intgre

    lchelle rgionale.

    en matire dinnovation. Comme le protection-nisme europen nest gure envisageable, il seraitplus honnte que ses dfenseurs plaident pour unprotectionnisme national. Une politique protection-niste nationale est envisageable pour la France sur

    les ruines de la zone euro, aprs le retrait de lUnioneuropenne et une remise en cause des accordsde lOMC. La France devrait dans un tel contexteexporter massivement pour couvrir la charge gran-dissante de ses importations de matires premireset dnergie et elle devrait le faire dans un contextede guerre commerciale avec des mesures de rtor-sion qui atteindraient nos secteurs dexcellence.Une forte dvaluation du franc par rapport leuropermettrait sans doute de relocaliser certaines acti-

    vits sur le sol national au prix dune forte baisse ducot rel du travail franais.

    L. R. S.:Peut-on penser, quil y a des liensentre la crise actuelle des dettes souveraineset les problmes du libre-change ?E. C. :La crise qui dure depuis 2007 est ne delaccumulation de dsquilibres globaux dans lamondialisation. Les dficits permanents amri-cains induits par une consommation frntique

    La crise qui dure depuis 2007 est ne delaccumulation de dsquilibres globaux dans

    la mondialisation. Les dficits permanentsamricains induits par une consommation

    frntique finance crdit sont le pendantdes excdents permanents des pays mergentsproducteurs de matires premires et de biens

    industriels.

    1.Cf. Elie Cohen, La tentation hexagonale, Fayard, Paris, 1996.2.Elie Cohen, Lordre conomique mondial, Fayard, Paris, 2001

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    couleurs attrayantes puisquil constitue une ruptureavec tout ce quune fraction de llectorat est avidedentendre dnoncer : la mondialisation, leuro, le

    libralisme ou les puissances dargent. Le protec-tionnisme, cest un thme politique succs parcequil se nourrit de toutes les indignations et trancheles nuds gordiens dans lesquels semmlent lesdbats dmocratiques sur les politiques meneren priode de grandes difficults. Et puisquilne sagit que de donner un peu plus de moyens ltat-protecteur, qui finalement peut tre contre ?Malheureusement, cette sduction est infonde, elle

    Jacques Mistralest conomiste.

    Il a notamment critLa troisime rvolution amricaine,

    Perrin, Paris, 2008.

    La sduction trompeusedu protectionnisme

    et de la dmondialisation

    Une politique tarifaire est une politique qui organise la raret.Cest videmment avantageux pour ceux qui produisent ces biens rares.

    Mais cela cause par ailleurs une somme de dgts bien suprieureaux avantages des bnficiaires.

    La Nation dans son ensemble ne peut esprer tre gagnanteen rendant artificiellement rare ce dont le pays a besoin .

    John Maynard Keynes,Cit par Robert Skidelsky,

    John Maynard Keynes: Hopes betrayed, Penguin, 1983

    a France est, en ce dbut du XXIesicle, leseul pays industrialis dans lequel la tenta-

    tion protectionniste ventuellement prsente

    sous une tenue camoufle soit aussi prsente dansles dbats politiques. Cest un thme rhtoriqueauquel de nombreux politiciens de gauche commede droite, surtout aux extrmes, nhsitent pas faire appel pour rsumer lide quune alterna-tive est possible, sans quil soit jamais ncessaireden expliciter le contenu. Aprs tout, le protec-tionnisme a rellement exist dans lhistoire, il estdonc possible, et il est facile de le peindre sous des

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    est paradoxale, elle est dangereuse. Cest du moinsce que suggrent les enseignements de lhistoireaussi bien sur le plan conomique que politique.

    Le protectionnismeet la premire industrialisation

    Il est facile de comprendre la sduction quexercele protectionnisme en se rfrant aux situations oil a produit des rsultats premire vue positifs.Contrairement ce quaffirment les tenants du libre-change, ce dernier na en effet pas toujours t largle, loin de l, en particulier pendant la priodedindustrialisation rapide du XIXe sicle. On cite

    alors les exemples de lAllemagne et des tats-Unis,exemples combien probants puisque ces deux paysont construit leur puissance industrielle labri defortes protections douanires. Lexprience japo-naise, amorce et poursuivie plus tard, prsente lesmmes caractristiques. En effet trs parlants, cesexemples sont ils suffisants pour en dduire une loignrale ? Ce serait aller vite en besogne. Notonsdabord que les thoriciens de lpoque sont peunombreux et lhistoire de la pense ne leur rserve

    quune place marginale tant leur apport manque desubstance ; de Carey aux tats-Unis, il ne reste rien ;de Frdric List, en Allemagne, subsiste un argu-ment en faveur dun rejet (temporaire) de la concur-rence extrieure fond sur lide forte mais courte dconomie complexe ; et cest tout. Aujourdhui,il est possible dlaborer un modle thorique quiexplique la logique conomique des processus luvre : en attnuant la pression de la concurrence

    Le protectionnisme a rellement exist danslhistoire, il est donc possible, et il est facilede le peindre sous des couleurs attrayantes

    puisquil constitue une rupture avec toutce quune fraction de llectorat est avide

    dentendre dnoncer : la mondialisation, leuro,le libralisme ou les puissances dargent.

    extrieure, la protection a en effet permis, dans lescas cits, de capter des externalits intertempo-relles qui requirent pour se concrtiser une longuepriode dinvestissements et daugmentation de lacapacit de production. Cest pourquoi la thorie

    conomique a reconnu ds John Stuart Mill le bien-fond, sous certaines conditions, de largument dit de lindustrie naissante . En termes simples etcontemporains, on peut faire rfrence au succsdAirbus qui a t rendu possible par les subven-tions accordes au dpart pour permettre lavion-neur europen dans lenfance de jouer armesgales avec Boeing et de conqurir ainsi, commeon ne le sait pas assez, une partie importante dumarch amricain lui-mme.

    Mais cest une chose de comprendre comment cettepolitique a permis lindustrialisation des pays enquestion et cest autre chose dimaginer que cesexemples soient aisment transposables ou quilsoit dsirable de les suivre dans des contextes biendiffrents. Allons en effet au-del des externa-lits intertemporelles et considrons ce questlconomie politique du protectionnisme rel danschacun des trois cas mentionns. La premirecaractristique, cest que la protection est un moyen

    daccrotre le surplus conomique, ou, plus simple-ment, les profits. Pour compenser le retard indus-triel par rapport des concurrents plus avancs,et donc capables de vendre meilleur prix commectait le cas de la Grande Bretagne au XIXesicle,il faut garantir des prix plus levs lindustrienationale, lui permettre de dgager ainsi les profitsncessaires au financement des investissements quipermettront le rattrapage : le protectionnisme nest

    La sduction trompeuse du protectionnisme et de la dmondialisation

    Le protectionnisme nest pas au servicedun quelconque intrt gnral, il est toujoursune politique au service dintrts particuliers,

    il peut, dans certaines conjonctures, servirceux dune classe dominante prte assumer

    les intrts suprieurs dun pays en dveloppement

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    pas au service dun quelconque intrt gnral,il est toujours une politique au service dintrtsparticuliers, il peut, dans certaines conjonctures,servir ceux dune classe dominante prte assumerles intrts suprieurs dun pays en dveloppe-

    ment , on en verra dautres formes plus loin. Cestcela qui caractrise lAllemagne, les tats-Unis etle Japon pendant leur priode dindustrialisationrapide, mais cest aussi une exploitation accrue dela classe ouvrire mise au service ce qui est leplus dcisif dacteurs privs ayant un comporte-ment stratgique.Car ce nest pas ltat qui a assurdans ces trois cas le succs du protectionnisme,ce sont les acteurs privs qui ont utilis ltatcomme instrument. Que se passe-t-il dailleurs si

    les acteurs privs sont dfaillants ? On trouve alorsune situation la Mline , ce ministre qui lafin du XIXesicle a marqu de son nom la priodependant laquelle la France crut pouvoir se protgerde la premire vague de mondialisation qui prenaitessor lpoque ; cest, soit dit en passant, de l quevient un retard industriel vis--vis de lAllemagnequi na jamais t compens depuis. Ainsi limagepositive du protectionnisme que vhicule lexp-rience du XIXesicle a-t-elle quelques justifications

    si lon sintresse au succs industriel sans treregardant sur les moyens mais devrait susciter uncommentaire politique plus circonspect surtout gauche : un protectionnisme russi en priode decroissance rapide, cest le poids dominant de grandsintrts privs, ltat captur, la socit asservie, onen verra dautres exemples.

    Le protectionnisme en temps de crise

    Le protectionnisme fut par la suite, comme on lesait, troitement associ aux drames de lentre-deux-guerres. Que cela se soit produit dans uncontexte o les options de politique conomiquetaient de plus en plus restreintes, que ce soit lefait de gouvernements aux abois nenlve rien audiagnostic : le relvement des tarifs douaniers,les dvaluations comptitives et la recherche de

    lautarcie ont pendant les annes trente dramati-quement propag et amplifi les effets de la crise.Le point de dpart, cest la loi dite Smoot-Hawleyadopte par le Congrs des tats-Unis et signepar le Prsident Hoover en juin 1930 ; quelques

    mois plus tard, elle avait ouvert la voie dans biendautres pays des mesures dinspiration similairedictes par des raisons politiques locales prenantsouvent la forme de reprsailles. Arrtons-noussur ce dernier terme qui est au protectionnismece que lOMC est au libre-change, le mcanismepolitiquequi relie entre elles les nations entrant enrelations commerciales. Prenez un gouvernementqui pour des raisons de politique intrieure entend protger une partie de ses activits soumise

    la concurrence juge dommageable de lun de sespartenaires. De deux choses lune : soit il existeun lieu o les deux pays peuvent exposer et fairearbitrer leur contentieux, cest le cas de lOrganede rglement des diffrends lOMC ; soit, en lab-sence dune telle enceinte au jugement de laquelleles deux pays acceptent de se soumettre, le paysexpos au relvement tarifaire rpliquera en impo-sant au premier, en reprsailles, des mesures quifrapperont ses exportations. Et cela est invitable,

    lhistoire ne donne aucun exemple dun pays qui aitaccept de gaiet de cur, sans ragir, de voir sesexportations mises mal par un partenaire. Il fautfaire preuve dune bien grande navet pour carterces effets induits et ne songer quau soulagementque produit la mesure initiale. Comme le rsumela citation de Keynes en exergue, la ralit de toutemesure de protection, cest le soulagement tempo-raire de certains, par exemple dun secteur indus-triel en difficult, au prix, immdiatement, dune

    dtrioration de la situation dun autre, exporta-teur et donc probablement plus en pointe : dans lecontexte actuel, il faut videmment anticiper quuneventuelle restriction des exportations chinoisesvers la France verrait par exemple nos ventesdAirbus immdiatement sanctionnes. Le protec-tionnisme, en bref, dgrade la situation de tous lespartenaires et en premier lieu, paradoxalement, decelui qui y recourt en premier (dans lexemple qui

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    La sduction trompeuse du protectionnisme et de la dmondialisation

    ment en dvaluant de 15 % en dcembre 1932 ;les Danois ne pouvaient le supporter sans ragir etdvalurent de 17 % un mois plus tard. Fin 1933,les deux monnaies taient peu prs leur point dedpart, mais trois annes de dvaluations comp-

    titives infructueuses navaient fait quexacerber lesdifficults conomiques, accentuer les pressionsprotectionnistes, amplifier les tensions politiques etfinalement rendre la recherche de solutions internesplus conflictuelle et plus difficile. En bref, sousforme tarifaire ou montaire, le protectionnisme enpriode de crise est le dernier recours dune socitttanise et dun tat submerg par lamoncelle-ment de difficults insolubles.

    Le protectionnismeet la substitution dimportation

    Le protectionnisme renaquit de ses cendres dans lesannes soixante avec le dbat sur lindustrialisationde lAmrique latine, situation nouvelle et intres-sante. lpoque ctait avant lmergence de ceuxque lon appelle aujourdhui les mergents lAmrique latine ( laquelle il faudrait ajouter

    lInde, la Turquie et quelques autres pays) repr-sentait pour lessentiel le monde en dveloppement.LAfrique, lAsie, la Chine derrire ses muraillestaient loin davoir dcoll ; lAmrique latine, poursa part, avait dj connu, au dbut du XXesicleet jusque dans les annes vingt, des performancesbrillantes. Mais ces pays avaient t trs dure-ment frapps par la baisse des cours des matirespremires aprs le dclenchement de la dpression ;trs endetts, ils avaient fait face de srieuses diffi-

    cults financires et staient comme tant dautresreplis sur eux-mmes dans les annes trente. Cestdans ce contexte que se dveloppa aprs la SecondeGuerre mondiale un puissant courant idologique etpolitique prnant une stratgie dindustrialisation par substitution dimportation . La Commissionconomique des Nations Unies Santiago du Chilijoua un rle majeur dans cette dynamique. Ellednona lchange ingal dans lequel la tendance

    prcde, Boeing serait videmment trop heureux

    de satisfaire la demande supplmentaire chinoise).Ce que nous apprend lhistoire conomique, en toutcas, cest que, de reprsailles en reprsailles, lecommerce mondial et derrire lui lactivit nepeut que stioler comme ils lont fait sans disconti-nuer de 1929 1933 ; ce nest pas un accident, cestune loi dairain. ct de la manipulation des tarifs, les annestrente sont aussi marques par la pratique desdvaluations comptitives qui obissent exactement

    la mme logique : donnons un petit avantage deprix nos producteurs, pnaliss par une paritsurvalue, et les choses iront mieux , discoursfamilier puisque cest aujourdhui lantienne detous les opposants leuro. Plus quune longuedmonstration, il peut tre instructif dexaminer unexemple concret de cette politique : le Danemarket la Nouvelle Zlande taient dans lentre-deux-guerres les deux principaux fournisseurs de beurrede la Grande Bretagne ; en 1930, la Nouvelle

    Zlande dcida en dvaluant de 5 % de donnerun petit avantage de prix ses producteurs handi-caps par leurs cots et par le ralentissement de lademande extrieure ; les Danois sempressrent deragir en suivant la livre au moment de sa propredvaluation en septembre 1931, mesure insuffi-sante pour les fermiers danois qui obtinrent unedvaluation supplmentaire de 5 % un an plustard ce quoi les No-zlandais rpondirent vive-

    La ralit de toute mesure de protection, cestle soulagement temporaire de certains, par

    exemple dun secteur industriel en difficult,au prix, immdiatement, dune dtrioration

    de la situation dun autre, exportateuret donc probablement plus en pointe :

    dans le contexte actuel, il faut videmmentanticiper quune ventuelle restriction

    des exportations chinoises vers la Franceverrait par exemple nos ventes dAirbus

    immdiatement sanctionnes.

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    23Le Dossier

    sur les industries industrialisantes pour mettreen valeur ses ressources ptrolires au service dusocialisme, mais aussi Cuba ou la Bilorussie, leVenezuela ou quelques autres. Sil ne reste rien deces expriences, cest surtout que lon a vu depuis

    un quart de sicle dautres modles simposer avecsuccs en dmontrant la possibilit pour un payssans avantage comparatif initial de compenserson retard mais en suivant une politique perpen-diculaire celle de la substitution dimportation.Comme on le sait, les pays dAsie, au premier rangdesquels Tawan, la Core, la Chine plus rcem-ment, ont suivi les enseignements tirs de lexp-rience japonaise que lon peut rsumer dans ce brefsurvol par deux caractristiques : 1. une stratgie

    dexportation intensive qui, sur les secteurs o lepays peut avoir un avantage comparatif, vise unepart importante du march mondial pour interna-liser trs vite les conomies dchelle et assumer, entermes de qualit, de design ou dinnovation, toutce quexige une comptitivit au meilleur niveau ;2. une spcialisation toujours en mouvement,tourne vers des productions plus forte valeurajoute, remontant les filires, passant dun secteur lautre et organisant une division internationale

    du travail avec les conomies moins avances de lazone. En rsum, cest incontestablement, commele disent les manuels, une stratgie tire parlexportation ; mais attention, il ne sest jamaisagi pour les tigres asiatiques ou pour la Chineaujourdhui de faire preuve dune confiance navedans les vertus du libre-change, il sagit, commepour le Japon autrefois, dune vraie stratgie,mettant en uvre ce quil y a de plus fcond dans ladoctrine de lindustrie dans lenfance.

    On peut finalement voir dans ce rapide survoldes expriences dindustrialisation en Algrie, auVenezuela, au Mexique ou en Core la confirmationde ce que ce sont les acteurs stratgiques (Hyundaou Samsung par exemple dans le cas coren) quisont la cl du succs ; le protectionnisme nestquun instrument qui en lui mme ne dfinit pasune politique. Ou, pour le dire autrement, dployerla bannire protectionniste pour rejeter le march

    sculaire la baisse du prix des matires premiresenfermait les pays dpourvus dindustrie et fixrentcomme objectifs une diversification des exportations.Dans ce but, ses promoteurs poussrent plus avantla logique de lindustrie dans lenfance en mettant

    laccent sur le handicap que subissait toute activitindustrielle qui natteignait pas la taille critique partir de laquelle elle bnficierait des conomiesdchelle (les externalits intertemporelles djmentionnes). En mettant en relief les bnficessociaux qui rsulteraient du processus dindustriali-sation, elle justifiait les efforts ncessaires attendusde la population et mme les inefficacits que provo-querait la protection jusqu ce que la concurrencese joue armes gales.

    Le Tiers-Monde, n la confrence de Bandung en1955, fit de la substitution dimportation, parfoisqualifie de reconqute du march intrieur ,sa ligne officielle. Un demi-sicle plus tard, il nenreste rien ou presque (il faudrait ici, ce qui sort duchamp de cet essai, un dveloppement spcifiquesur lInde). Il nen reste rien dabord parce quelconomie des pays engags dans cette voie sesteffondre sous le poids de politiques conomiquesincohrentes naboutissant finalement qu lendet-

    tement et linflation sans que les effets positifsattendus de lindustrialisation ne se concrtisentjamais. Il y a des annes que lAmrique latine arorient ses politiques. Il est triste, ce stade, dementionner le dsastre conomique dans lequel sesont enfoncs les pays qui, par aveuglement poli-tique, se sont plus que dautres enferrs dans lapoursuite dune politique de ce type : au premierrang figure lAlgrie, qui avait dans le temps compt

    Sil ne reste rien de ces expriences,cest surtout que lon a vu depuis un quart desicle dautres modles simposer avec succs

    en dmontrant la possibilit pour un payssans avantage comparatif initial

    de compenser son retard mais en suivantune politique perpendiculaire celle de la

    substitution dimportation.

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    La sduction trompeuse du protectionnisme et de la dmondialisation

    savoir-faire, reste celle dune socit o la divisiondu travail est rduite et linnovation peu active ; unmode de vie frugal parce que les biens produits parla collectivit sont peu diversifis et que les changesmontaires sont limits. Les Amish se dplacent en

    voitures cheval rutilantes, leurs vtements ont ll-gance suranne de ceux utiliss par leurs anctresau XIXesicle, ils nont pas de scurit sociale maispratiquent une solidarit tendue, ils sont moinsexposs au cancer que les autres amricains Bienaudacieux est celui qui porterait un jugement sur le bien-tre de cette collectivit par rapport celledes salaris mondialiss du voisinage. Ce qui estcertain, cest que les Amish dont le nombre doubletous les vingt ans illustrent la possibilit dun art

    de vivre aux antipodes de celui que dnoncent avecde bons arguments les opposants la tyrannie de lamondialisation. Est-ce cette solution que proposenten France les tenants de la dmondialisation ? Biensr que non, et cest peut-tre dommage car il sagi-rait l dune vraie alternative ; mais, depuis la fin desaventures post-soixante-huitardes du Larzac, elle naplus gure de traction dans lopinion. Personne surla scne politique ne songe en ralit se soustrairerellement la mondialisation parce que personne

    ne le demande ; et personne ne le demande parceque personne en France ne souhaite imiter lesAmish. Ce que suggrent donc les dmondialisa-teurs est plus tortueux, cest quil serait possibledliminer les inconvnients de la mondialisationtout en en conservant les avantages, cest--direen vitant les dommages collatraux sur lemploi,le pouvoir dachat, les services publics, la protec-tion sociale etc. Cest ce que promet toujours, sanssuccs comme on la vu, la tentation de se mettre en

    cong du monde. Voyons ainsi, pour conclure, lesenseignements, pour 2012, de notre survol histo-rique, conomique et politique.Ne pas considrer le libre-change comme undogme ; ne pas faire preuve de navet dans la dfi-nition de nos politiques ; nous donner les moyensde faire valoir nos intrts ; appliquer avec adresselargument de lindustrie dans lenfance, videm-ment, tout cela fait partie de ces enseignements.

    mondial, repousser ses contraintes et se priver deses opportunits, cest au mieux, comme Mline,prparer lchec conomique et au pire ouvrir lavoie de sombres aventures politiques.

    La dmondialisation,un conte pastoral ?

    Tout ce qui prcde tant plus ou moins connu, leprotectionnisme na pas seulement les couleursattrayantes mentionnes en introduction, il a aussiun aspect sulfureux ce qui explique quil soit utile ses partisans den peindre la faade sous descouleurs plus riantes. Aujourdhui en France, cest

    le terme de dmondialisation qui constitue cedcor. Terme il faut le reconnatre sympathique, quifleure bon les territoires et la gastronomie et rappelleles petits villages et les glises des affiches de lacampagne de 1981. Partons donc de l et tournons-nous un instant vers la dmondialisation rellementexistante. Car ce nest pas une utopie, on peut enobserver un exemple vivant, cest en Pennsylvanieou dans lOhio, au pays Amish. Ce que lon y voit,ce que lon y touche du doigt, cest la dmonstration

    quil est possible au XXIe

    sicle de se soustraire auxcontraintes du march mondial, dignorer les loisde la finance, de ne pas soumettre les choix de lacommunaut au diktat de lconomie capitaliste. quelles conditions ? Elles sont simples : une disci-pline de travail sans failles et un mode de vie frugal.Une discipline de travail sans failles parce que laproductivit, mme rehausse par deux sicles de

    Le protectionnisme na pas seulementles couleurs attrayantes mentionnes en

    introduction, il a aussi un aspect sulfureuxce qui explique quil soit utile ses partisansden peindre la faade sous des couleurs plus

    riantes. Aujourdhui en France,cest le terme de dmondialisation

    qui constitue ce dcor.

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    France rembourser sa dette, cen est fini deslargesses budgtaires et ce sont les salaires des

    enseignants franais et de bien dautres quilfaudrait immdiatement raboter : mieux vaut yrflchir deux fois.

    Bref, le discours de la dmondialisation mriteles critiques qui lui ont t abondamment adressesen des termes plus polmiques et politiques quelargument historique prsent ici : cest un discoursriche en critiques, faible en substance. Il tinteagrablement loreille dune partie de llectoratmais il se borne flatter les illusions. Il nest pas

    vrai quil soit de bonne politique de les flatter ainsi,cela ne fait que prparer les dsillusions du lende-main. Lenjeu fondamental de llection de 2012,ce nest pas et ce ne peut pas tre de trouver unabri, de relcher la pression, dchapper la dyna-mique de lconomie mondiale. Comme la dmontrnotre propre exprience la fin du XIXesicle, unpays qui se met en cong du monde le fait sesrisques et prils. Comme hier sous Mline, adopteraujourdhui la rhtorique de la dmondialisation,

    cest dj accepter le repli et la marginalisation.Cest du discours inverse dont le pays a besoin silveut surmonter les difficults auxquelles il fait face,cest le discours inverse quil faut tenir, encouragerles acteurs et les forces conomiques tourns verslavenir, vers linnovation, vers le monde.

    Sur de tels principes, un trs large accord peuttre dgag. Mais si le mot de dmondialisation aun sens, cest bien sr quil invite aller plus loin, organiser, comme on le disait dj en 1980, unerupture. Certains ont t tents de tirer les leons

    de 1983 en constatant que lon ne pouvait appli-quer le programme socialiste [de lpoque] dans unseul pays ; vingt ans plus tard, on ne dmondiali-sera pas le monde partir dun seul pays. vitonsden faire une dmonstration fracassante. Bornons-nous deux exemples. Prenons la proposition centrale dune protection

    lchelle europenne. La politique commer-ciale sexerant ce niveau, lide est en effetplus prsentable que si elle devait sappliquer

    aux bornes de lhexagone ; cette proposition,au demeurant, nest pas neuve, Jean-MarcelJeanneney lavait par exemple dfendue ds1978. videmment, dventuelles propositionsfranaises allant en ce sens en juin 2012 para-traient nos partenaires singulirement dcalespar rapport aux urgences de lheure, elles nerencontreraient quun succs destime des pluslimits, il faudrait au plus vite laborer une poli-tique conomique alternative ; et donc se passer

    dentre de jeu de ce qui est prsent commelinstrument fondamental de la rupture : de qui semoque-t-on ?

    On lit aussi des propositions audacieuses pourreprendre en mains le monde de la finance,pourquoi pas en effet, il y a matire. Il fautnanmoins avoir en tte le dficit extrieur et ledficit budgtaire tous deux trs levs : pour endonner une image forte, disons que la totalitdu budget de lducation nationale en 2012 est

    finance par lpargne trangre. Susciter dansun tel contexte la mfiance des prteurs (pas desspculateurs) trangers cest nous placer de nous-mmes dans la situation grecque : que le fondsde pension des enseignants californiens Calpers,par exemple, mette en doute la capacit de la

    Lenjeu fondamental de llection de 2012, cenest pas et ce ne peut pas tre de trouver unabri, de relcher la pression, dchapper ladynamique de lconomie mondiale. Comme

    la dmontr notre propre exprience la finduXIXesicle, un pays qui se met en cong du

    monde le fait ses risques et prils. Commehier sous Mline, adopter aujourdhui la

    rhtorique de la dmondialisation, cest djaccepter le repli et la marginalisation.

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    de la mondialisation commerciale et dapprcier seseffets ne sont plus pertinentes.

    Une division internationale verticale

    Il est depuis peu largement reconnu que les donnescommerciales dont nous disposons ne permettentdapprhender ni lampleur, ni la nature de lamondialisation commerciale. conomistes, organi-sations internationales, administrations nationaleset lite politique ont longtemps enfoui leur tte

    dans la terre pour se cacher des erreurs patentes.Les thories du commerce international, les indi-cateurs douverture ou de spcialisation diffusspar les manuels se sont vertus comparer ce quintait pas comparable, relativiser des choux pardes carottes, le commerce par les revenus nationaux(gnralement, le PIB)1. Il est frquent dentendrequen exportant (environ) 20 % de sa production (lePIB), la France consacrerait grosso modo un emploi

    Jean-Marc Sironest professeur dconomie luniversit Paris-Dauphine

    Nouvelle division internationaledu travail et protectionnisme europen

    crire le commerce internationalaujourdhui est une gageure. Au-del

    mme des effets controverss de la mondia-

    lisation commerciale sur le chmage, lesingalits et le pouvoir dachat des sala-ris, dautres ruptures commencent seule-ment tre perues : pnurie chroniquedes matires premires, notamment alimen-taires, externalisation de la productionindustrielle et des services (offshoring),imprvisibilit des taux de change, surrac-tion du commerce international aux crisesconomiques, bonne sant insolente des

    pays mergents et fragilisation humiliantedes anciens pays industriels.

    Notre manire de voir le commerce internationalest devenue obsolte et les statistiques en donnentune image errone, moins par malignit, que parinadquation des concepts. Derrire les clichs,approximations et fausses vidences, les donnesqui permettraient dvaluer lampleur et la nature

    D

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    sur cinq aux exportations. Mais quand Hong Kong

    exporte 1,5 fois son PIB doit-on aussi conclure quece territoire y consacre 150 % des emplois ?Cette dmonstration par labsurde des erreurs din-terprtation tient au fait que les exportations sontvalorises en termes de prix et intgrent toute lachane de valeur du bien export, quel quait tson lieu de production, alors que le PIB agrgela valeur ajoute de la seule production nationale.Au niveau macroconomique, cette diffrenceserait sans consquence si toute la valeur du bien

    export tait produite dans le mme pays depuislextraction des matires premires jusqu lexpor-tation. Mais la plupart des biens exports exige desimportations pralables de matires premires, debiens intermdiaires, de composants. La valeurdun bien export se partage donc entre une valeurajoute nationale et une valeur ajoute trangre.Or, ce qui importe pour analyser la relation entrele commerce international, la croissance et lemploidans un pays, cest bien la valeur ajoute nationale,

    pas la valeur des ventes ltranger. Il y a certesdes emplois franais dans les exportations fran-aises mais aussi beaucoup demplois ltranger.On sait que seule une faible partie de valeur ajoutedun Airbus A320 export par la France se situe enFrance, le reste se localisant dans les pays parte-naires (Allemagne, Angleterre, Espagne) maisaussi ailleurs. Inversement, des firmes franaises,participent la fabrication des Boeing2. Exporter

    10 milliards dAirbus naugmente donc pas laproduction franaise (le PIB) de 10 milliards, loinde l. noter, dailleurs que lorsquAirbus vend unappareil Singapore Airlines, il exporte aussi unpeu de valeur ajoute amricaine et, inversement

    quand Air France achte un Boeing, elle cre aussides emplois auprs des sous-traitants industrielsfranais.La division internationale du travail classique ,sur laquelle stait fonde la thorie des avantagescompars, concernait des produits finals suppossintgralement produits dans le pays lexemplefameux de Ricardo du vin portugais et des drapsanglais. La dynamique du commerce mondial delaprs-Seconde Guerre mondiale, notamment

    thorise par Krugman, reposait davantage sur unedcomposition fine de la demande rendant possiblelchange de biens similaires mais diffrencisentre pays aux avantages comparatifs peu marqus automobiles franaises contre automobiles alle-mandes. Mais, cette nouvelle thorie continuait raisonner en termes de biens finals, alors mmequaugmentait la part des produits intermdiairesdans le commerce international. Aujourdhui, lesautomobiles franaises exportes en Allemagne

    ne sont quun assemblage de pices et composantsen grande partie fabriqus ailleurs dans une divi-sion internationale du travail (DIT) verticale o les pays se spcialisent par tches . Pourun nombre croissant de produits industriels, une

    Nouvelle division internationale du travail et protectionnisme europen

    Aujourdhui, les automobiles franaisesexportes en Allemagne ne sont quun

    assemblage de pices et composants en grandepartie fabriqus ailleurs dans une division

    internationale du travail (DIT) verticale o les pays se spcialisent par tches . Pour

    un nombre croissant de produits industriels,une multitude de pays peut, tout au long dela chane de valeur (chain value)participer

    la production dun bien final qui ne serafinalement export que par un seul.

    conomistes, organisations internationales,administrations nationales et lite politiqueont longtemps enfoui leur tte dans la terre

    pour se cacher des erreurs patentes. Lesthories du commerce international, les

    indicateurs douverture ou de spcialisationdiffuss par les manuels se sont vertus comparer ce qui ntait pas comparable,

    relativiser des choux par des carottes,le commerce par les revenus nationaux

    (gnralement, le PIB).

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    multitude de pays peut, tout au long de la chanede valeur (chain value)participer la productiondun bien final qui ne sera finalement export quepar un seul.Aucun pays ne peut prtendre aujourdhui tre

    spcialis dans lindustrie dessmartphonesmais lestats-Unis le sont certainement dans la conception,la fabrication de certains composants ou la distri-bution, alors que la Chine lest dans lassemblageet la finalisation. Avec le concept propos deMadein the World, lOMC a (enfin !) pris conscience de lamonumentale insuffisance de lappareil statistiqueet de la ncessit dvaluer le commerce non plusen terme de prix la production, mais en terme devaleur ajoute. La Chine, parce quelle exporte des

    notebooks ou des smartphones Made in Chinane doit pas, pour autant, tre considre commespcialise dans les produits de haute techno-logie, car son avantage comparatif reste largementconcentr aux tapes les moins qualifies et faiblevaleur ajoute. La part de la Chine dans la valeurajoute de ses iPodexports au prix de 150 $ estridiculement basse et limite lassemblage quine compte que pour 4 $, avec un prix de vente auxtats-Unis de 300 $ ! Malgr la dlocalisation

    apparente de la production de iPod, lessentiel dela valeur ajoute reste donc localis dans le paysimportateur et donneur dordre les tats-Unis la fois en amont (conception, certains composants,etc.) et en aval (distribution, marge) et, dans unemoindre mesure, au Japon (disque dur), Tawan etquelques autres pays asiatiques3.On peut considrer comme raisonnable un chiffrequi situerait la part moyenne du contenu en impor-tations des exportations franaises entre un tiers

    et la moiti, part videmment trs variable selonles secteurs4. Pour un pays comme la Chine, on sesituerait plutt entre la moiti et les deux tiers (plusde 80 % dans certaines industries, comme celledes ordinateurs). En 2008, ce pays a ainsi pu voirchuter la moiti de ses exportations dont la valeurreprsentait environ un tiers de son PIB, sansgrandes consquences sur son taux de croissance 2 ou 3 points au maximum pour un taux deux

    chiffres et, en tout cas, beaucoup moins que les17 points mcaniques dune situation o la tota-lit de la valeur ajoute des exportations chinoisesaurait t chinoise.

    Causes et consquencesde la nouvelle DIT

    Les causes de cette verticalisation croissante dela division internationale du travail sont multiples.La plus intuitive est la persistance de cots demain-duvre faibles dans les pays en dveloppe-ment favorisant ainsi la dlocalisation, non de lachane de production dans son ensemble, mais les

    activits les plus intensives en main-duvre peuqualifie, comme lassemblage. Mais linnovationtechnique, notamment lexpansion de lindustrielectronique, a galement contribu allonger et complexifier les processus de production tout enpermettant leur segmentation. La fabrication dela coque dun ordinateur est sparable de lafabrication du microprocesseur, composants parailleurs peu pondreux et relativement peu coteux transporter. Cette DIT verticale a videmment

    t acclre par louverture commerciale des paysmergents souvent complte par la cration dezones attractives pour les investissements tran-gers et bnficiant davantages douaniers pour lim-portation de matires premires et de composantstransforms (les Maquiladorasmexicaines ou lesExport Processing Zoneschinoises).Les carences statistiques, aussi bien que concep-tuelles, empchent dvaluer correctement lesconsquences de cette nouvelle DIT. Nanmoins,

    on peut affirmer que la mesure du commerce inter-national exportations et importations mondiales conduit surestimer la mondialisation commerciale.Ce qui importe pour lemploi, et la croissance, nestpas la valeur des exportations mais leur contenuen valeur ajoute nationale Ds lors que diff-rents pays se spcialisent une tape du processusde production, le mme produit sera comptabilisplusieurs fois. Avant de se retrouver dans un des

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    Nouvelle division internationale du travail et protectionnisme europen

    plutt que les travailleurs les moins qualifis, la dsindustrialisation des vieux pays indus-triels ne doit pas tre surestime non plus. Lesgrandes firmes multinationales occidentales ont conserv le contrle de lensemble de la chain

    value industrielle et des profits. Ce qui poseproblme est sans doute moins la dlocalisationde lassemblage du iPodque les marges colossalesdApple. La nouvelle DIT na pas, pour linstant,remis pas en cause lancien schma htrodoxe ,actualise par la thorie de la croissance endogne,dune spcialisation qui localiserait les activits haute valeur ajoute dans les pays industriels etcantonnerait les pays en dveloppement dans lesactivits faible valeur ajoute. La nouvelle division

    internationale du travail a bien favoris la dlocali-sation des activits intensives en main-duvre nonou moins qualifie sans que, paralllement, tousles ajustements aient pu se raliser, notamment lareconversion des emplois vers des activits exporta-trices ou non dlocalisables. Elle a donc pes sur lamain-duvre moins qualifie, en termes demploiset de salaires.

    Le protectionnisme europen :remde pertinent ?

    La carence du systme dinformation sur la mondia-lisation commerciale a des effets dvastateurs surles dbats et laisse la porte ouverte des querellesidologiques dont les termes ont t peu renouvels

    milliers de composants lectroniques qui quipe un

    avion de ligne, le minerai de silicium aura franchidix, quinze, vingt frontires et aura donn lieu autant denregistrements douaniers5. La nature desspcialisations, souvent associe aux perspectivesde croissance et de dveloppement, est galementdevenue indchiffrable et se prte des erreursdanalyse. On surestime ainsi le rle du commerceextrieur dans la croissance du PIB de la Chine, enoubliant le rle de la modernisation de lagriculture,de la croissance dmographique, des investisse-

    ments publics et dinfrastructures, de la construc-tion immobilire et de la demande intrieure.Le sens donner aux soldes commerciaux bilat-raux sest galement appauvri. Lorsque les tats-Unis importent un iPodde Chine, ils rimportentsurtout une partie de leur propre valeur ajouteplus un disque dur japonais et quelques compo-sants tawanais. Le dficit des tats-Unis avec laChine est alors surestim (et celui avec le Japon,sous-estim). Ces faux dsquilibres sont pourtant

    avancs comme une preuve de non rciprocit. Ledficit bilatral des tats-Unis avec la Chine pourles iPhones apparat ainsi dans les statistiquespour 1,9 milliard de dollars. Mais si on considreque derrire le iPhonese dissimule une multitudede composants venant dautres pays ce dficit estrduit 73 millions. Il passe 685 millions avecle Japon et 341 millions avec lAllemagne6!Mais si cette nouvelle DIT a favoris les profits

    La nature des spcialisations, souventassocie aux perspectives de croissance et dedveloppement, est devenue indchiffrable et

    se prte des erreurs danalyse. On surestimeainsi le rle du commerce extrieur dans lacroissance du PIB de la Chine, en oubliant

    le rle de la modernisation de lagriculture,de la croissance dmographique, des

    investissements publics et dinfrastructures,de la construction immobilire et de la

    demande intrieure.

    La carence du systme dinformation surla mondialisation commerciale a des effets

    dvastateurs sur les dbats et laisse la porteouverte des querelles idologiques dontles termes ont t peu renouvels depuis

    trois sicles, lorsque la crit ique librale dumercantilisme par Hume, Montesquieu ou

    Adam Smith se confrontait la rsistance descourants mercantilistes .

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    prs au mme niveau que les tats-Unis, lUnioneuropenne est la troisime utilisatrice de droitsantidumping, instrument de base pour se protgerdes pratiques dloyales. Lagriculture europenneconserve une hyperprotection dans ses grandes

    productions et des tarifs levs dans le secteur dutextile habillement. LUE est parfois condamnepar lOMC pour ne pas respecter ses rgles.Mais on remarquera que ces actions, qui marquentles limites du libre-changisme europen, seheurtent elles-mmes aux contradictions de lanouvelle DIT. LUnion europenne a certes imposun droit antidumping sur les bicyclettes chinoisesimportes. Mais elle a d exonrer les firmeseuropennes qui importaient les pices dtaches

    incorpores leur production Il existe dans lesproduits franais imports de Chine une part devaleur ajoute, et donc demploi, japonaise, alle-mande et franaise. Se protger contre la Chine,sest aussi se protger contre ces pays et, parfois,contre soi-mme. Pour certains produits imports,le protectionnisme pourrait davantage atteindre lavaleur ajoute et donc lemploi du pays importa-teur que celle du pays exportateur : imagine-t-on lestats-Unis taxer les importations diPod en prove-

    nance de Chine ou dautomobiles Ford assemblesdans les Maquiladoras mexicaines alors que les-sentiel de la valeur ajoute du bien import, donc delemploi, reste amricain ? Mme si on peut toujoursdceler, ici ou l, quelques tentations protection-nistes, celles-ci sont restes trs loignes desractions aux crises prcdentes au premier rangdesquelles la crise de 1929.La part de la valeur ajoute franaise, et doncdemploi, qui pourrait tre protge (ce qui ne

    signifie pas sauve comme le montre lexemplede lindustrie textile) des pays bas salaires estfaible et doit tre mise en balance avec les effetscontre-productifs de ce protectionnisme. Lesimportations franaises reprsentent environ 20 %du PIB dont une partie, dailleurs, contient dela valeur ajoute franaise rimporte. Environ lesdeux tiers de notre commerce sont raliss avec nospartenaires europens pour lesquels personne ne

    depuis trois sicles, lorsque la critique librale dumercantilisme par Hume, Montesquieu ou AdamSmith se confrontait la rsistance des courants mercantilistes . Ce dbat a dailleurs plus souventoppos la droite librale une droite souverai-

    niste (mercantiliste, nationaliste) et auquel lagauche, hritire de Marx ou de Rosa Luxemburg, asouvent refus de participer au nom dun internatio-nalisme qui voyait dans le protectionnisme le refletdes contradictions mmes du capitalisme et de larivalit entre puissances imprialistes. Il navaitdautre effet que mettre en opposition les classesouvrires de chaque pays.

    Les partisans dun protectionnisme europen ontcertes raison de chercher lever le tabou, mme si,en France, le dbat sur lopportunit du protection-nisme na jamais t ferm, loin de l (on pourraitciter depuis quarante ans une multitude de dbatsouverts par des personnalits aussi minentes que,

    par exemple, Jean-Marcel Jeanneney ou MauriceAllais). Mais ils ont tort dy voir une solution auchmage, aux ingalits et la baisse du pouvoirdachat. LUnion europenne ne correspond pas cette caricature de territoire navement ouvert tous les vents de la concurrence internationale.LUnion europenne a un systme de normessvres et coteuses respecter (ce qui ne signifiepas quelques failles). Derrire lInde et peu

    LUnion europenne ne correspond pas cette caricature de territoire navement

    ouvert tous les vents de la concurrenceinternationale. LUnion europenne a un

    systme de normes svres et coteuses respecter (ce qui ne signifie pas quelquesfailles). Derrire lInde et peu prs aumme niveau que les tats-Unis, lUnion

    europenne est la troisime utilisatrice dedroits antidumping, instrument de base pour

    se protger des pratiques dloyales.

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    avec une ventuelle compensation par des haussessalariales qui, leur tour pseront sur la comp-titivit sans amliorer pour autant la situation destravailleurs. On voit donc, quindpendammentmme des questions politiques qui seraient soule-

    ves, le bilan conomique final du protectionnismerisque fort dtre ngatif, y compris relativement auxbuts lgitimes recherchs de sauvegarde de lemploiet du pouvoir dachat. Si la mondialisation commer-ciale doit tre mieux matrise, le protectionnismenest pas, aujourdhui, le bon instrument.La mondialisation commerciale a certes bouleversla DIT, mais il nest pas clair quelle ait rendu lesconomies plus dpendantes du commerce interna-tional. Ce doute ne signifie pas que la mondialisa-

    tion commerciale nait pas impliqu des ajustementsngatifs en termes demploi ou de salaires. Lecaractre contre-productif dun protectionnismeeuropen ne signifie pas labsence de marge demain-duvre. Un des problmes de la France asans doute t sa difficult dgager un nombresuffisant de PME comptitives , bien intgresdans la chain-value et bnficiant dune positionforte sur leur niche . La mondialisation de lin-dustrie franaise sest davantage ralise par les

    plus grandes firmes conquises par loffshoring etbeaucoup moins par la consolidation des PME dansun processus de production globalis. Cette meil-leure insertion des firmes franaises, et notammentdes firmes de taille moyenne, dans la nouvelle DIT,passe par le levier de linnovation, de la formation,de la fiscalit. On peut regretter aussi la relativetimidit de lUnion europenne dans la rgula-tion du commerce international. Dans ses accordscommerciaux, elle est ainsi moins exigeante que

    les tats-Unis ou le Canada dans le respect desdroits des travailleurs, pas toujours bien respects,notamment dans lesExport Processing Zonesqui setrouvent des acteurs majeurs de la nouvelle divisioninternationale verticale du travail.

    propose de mesures protectionnistes. Nos importa-

    tions extra-europennes reprsentent donc environ7 % du PIB. Si on exclut les produits agricolessurprotgs, les produits fatals sans substi-tuts dont les matires premires nergtiques etminires, les produits industriels qui ne sont pasou plus produits en France et qui ne menacent pluslemploi ou des biens dquipement indispensables la comptitivit de notre industrie, on se situe main-tenant un maximum de 2 ou 3 % de notre PIB,dont une partie en provenance de pays ayant des

    cots salariaux aussi ou plus levs que les ntres.Au final, la protection destination des pays cibls,nagirait sans doute que pour moins de 1 % denotre PIB en se souvenant quimporter un iPhonemade in China, cest dabord importer des biens etservices amricains, japonais et allemands. Pourque la protection procure alors un gain net positif,il faudrait quelle compense les pertes associes :baisse de nos exportations dues aux mesures dertorsion des autres pays, la chute des exporta-

    tions de produits et services intermdiaires quenous rimportons sous forme de produits finals. Aces effets sectoriels ngatifs sur le PIB doit sajouterla baisse du pouvoir dachat d au renchrissementdes produits imports et qui psera sur la demande,

    Nouvelle division internationale du travail et protectionnisme europen

    Si on exclut les produits agricoles surprotgs,les produits fatals sans substituts dont les

    matires premires nergtiques et minires,les produits industriels qui ne sont pas ou

    plus produits en France et qui ne menacentplus lemploi ou des biens dquipement

    indispensables la comptitivit de notreindustrie, on se situe maintenant un

    maximum de 2 ou 3 % de notre PIB, dont unepartie en provenance de pays ayant des cotssalariaux aussi ou plus levs que les ntres.

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    1.Pour une critique des indicateurs douverture commerciale voir Jean-Marc Siron, 2004, Linternational nestpas le global. Pour un usage raisonn du concept de globalisation , Revue dconomie Politique, 114 (6), novembre-dcembre, p. 681-698.2. Pour le Boeing 787 Dreamliner, voir WTO et IDE Jetro (2011), Trade Patterns and global value chains in East Asia :From trade in goods to trade in tasks.3. Voir par exemple pour liPod, Jason Dedrick, Kenneth L. Kraemer and Greg Linden, 2009, Who Profits from

    Innovation in Global Value Chains ? A Study of the iPod and notebook PCs et Who Captures Value in a GlobalInnovation System ? The case of Apples iPod.4. Certains conomistes estiment que le contenu en importations des exportations franaises tait denviron 25 % en2004. Non seulement, il a d augmenter depuis, mais la mthode sous-estime cette part en supposant que le contenuen importations est de mme nature pour les produits exports que pour les produits destins au march intrieur.Voir G. Daudin, Ch. Rifflart et D.Schweisguth, 2009. Who produces for whom in the world economy ?, Documents deTravail de lOFCE 2009-18.5.Voir par exemple la synthse de Andreas Maurer et Christophe Degain, 2010, Globalization and trade flows : whatyou see is not what you get!, WTO, ERSD-2010-12, June 2010. Consulter galement le site de lOMC.6.Voir WTO et IDE Jetro (2011), op.cit.

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    Depuis fvrier 2010 au sein du Laboratoire des ides du Parti socia-liste,