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1. Phrase modalisée. Notions fondamentales (cours 1-2). 1.1. Phrase/ énoncé. Phrase : l'unité linguistique maximale (→COMPÉTENCE). Constituée de morphèmes (lexicaux et grammaticaux), associés de manière incrémentielle les uns aux autres, selon des règles de bonne formation syntaxique. Niveaux d’analyse pertinents: la syntaxe (règles de formation de la phrase) et la sémantique (contenu de la phrase). Contenu de la phrase : la signification, produit de la signification des morphèmes (lexicaux et grammaticaux) qui la composent (signification dite, de ce fait, compositionnelle). Enoncé : l'unité pragmatique minimale (→PERFORMANCE). Constitué par une phrase (unité linguistique maximale) utilisée dans un contexte précis, dans une certaine situation d’énonciation. Niveau d’analyse pertinent: la pragmatique. Contenu de l’énoncé : le sens, obtenu sur la base de la signification de la phrase et des informations constituant son contexte. Noter que cette découpe <phrase/ énoncé>, largement acceptée en linguistique contemporaine, n’allait pas de soi chez Saussure (début du XX ème siècle), pour qui la phrase procédait, en tant que combinatoire libre de signes linguistiques, de la « parole ». COMPÉTENCE/ PERFORMANCE (Noam Chomsky 1 ) LANGUE/ PAROLE (Ferdinand de Saussure 2 ) Compétence : connaissance que le locuteur-auditeur (idéal) a de sa langue (lexique, syntaxe, phonologie, sémantique). Performance : emploi effectif de la langue, par un sujet parlant donné, dans des situations concrètes. Langue : côté social (conventionnel) du langage : trésor collectif. Langue : entité abstraite (système de potentialités : PURES VALEURS) ; code (= système de signes : SIGNES & RELATIONS entre signes). Langue : produ it [de l’usage collectif, des conventions] que l’individu « enregistre passivement » Parole : côté individuel du langage. Parole : entité concrète : utilisation individuelle (actualisation) du code de la langue, dans la communication. Parole : « acte individuel de volonté et d’intelligence » Parole : relations combinatoires (in præsentia : syntagmatiques) entre signes linguistiques : 1 Chomsky N. (1965) – Aspects of the Theory of Syntax, Cambridge Massachussets : MIT Press, 1965 (trad. fr., Aspects de la théorie syntaxique, Paris : Seuil 1971). Dans cette section, les renvois à la page concerneront la traduction en français de l’ouvrage cité (Chomsky 1965/1971). 2 De Saussure, Ferdinand (1995/ 1916) - Cours de linguistique générale, Paris : Payot. Publié en 1916, le Cours de linguistique générale a été rédigé par les élèves de Ferdinand de Saussure (1857-1913) à partir de leurs notes (Charles Bally, Albert Sechehaye, « avec la collaboration de » Albert Riedlinger). L’édition 1995 reproduit l'édition originale. Elle est accompagnée de l'important appareil critique établi par Tullio de Mauro. 1

Phrase-modalisee Cours2011 Version 19mai

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1. Phrase modalisée. Notions fondamentales (cours 1-2).

1.1. Phrase/ énoncé.

Phrase : l'unité linguistique maximale (→COMPÉTENCE).

Constituée de morphèmes (lexicaux et grammaticaux), associés de manière incrémentielle les uns aux autres, selon des règles de bonne formation syntaxique.

Niveaux d’analyse pertinents: la syntaxe (règles de formation de la phrase) et la sémantique (contenu de la phrase).

Contenu de la phrase : la signification, produit de la signification des morphèmes (lexicaux et grammaticaux) qui la composent (signification dite, de ce fait, compositionnelle).

Enoncé : l'unité pragmatique minimale (→PERFORMANCE).

Constitué par une phrase (unité linguistique maximale) utilisée dans un contexte précis, dans une certaine situation d’énonciation.

Niveau d’analyse pertinent: la pragmatique. Contenu de l’énoncé : le sens, obtenu sur la base de la signification de la phrase et des

informations constituant son contexte.

Noter que cette découpe <phrase/ énoncé>, largement acceptée en linguistique contemporaine, n’allait pas de soi chez Saussure (début du XXème siècle), pour qui la phrase procédait, en tant que combinatoire libre de signes linguistiques, de la « parole ».

COMPÉTENCE/ PERFORMANCE (Noam Chomsky1) LANGUE/ PAROLE (Ferdinand de Saussure2)

Compétence : connaissance que le locuteur-auditeur (idéal) a de sa langue (lexique, syntaxe, phonologie, sémantique).

Phrase compétence

Performance : emploi effectif de la langue, par un sujet parlant donné, dans des situations concrètes.

Langue : côté social (conventionnel) du langage : trésor collectif.

Langue : entité abstraite (système de potentialités : PURES VALEURS) ; code (= système de signes : SIGNES & RELATIONS entre signes).

Langue : produit [de l’usage collectif, des conventions] que l’individu « enregistre passivement »

Langue : « dictionnaire »

relations associatives (in absentia : paradigmatiques) entre signes linguistiques

combinatoire figée3

Parole : côté individuel du langage.

Parole : entité concrète : utilisation individuelle (actualisation) du code de la langue, dans la communication.

Parole : « acte individuel de volonté et d’intelligence »

Parole : relations combinatoires (in præsentia : syntagmatiques) entre signes linguistiques : combinatoire libre.

!!!Phrase PAROLE. !!!Phrase ≠ unité linguistique (opposition linguistique/ langagier)

Les deux définitions corrélées de la phrase et respectivement de l’énoncé reposent crucialement sur l’hypothèse de rapports d’occurrence (ou: d’actualisation) entre ces deux types d'unités :

1 Chomsky N. (1965) – Aspects of the Theory of Syntax, Cambridge Massachussets : MIT Press, 1965 (trad. fr., Aspects de la

théorie syntaxique, Paris : Seuil 1971). Dans cette section, les renvois à la page concerneront la traduction en français de l’ouvrage cité (Chomsky 1965/1971).2 De Saussure, Ferdinand (1995/ 1916) - Cours de linguistique générale, Paris : Payot.

Publié en 1916, le Cours de linguistique générale a été rédigé par les élèves de Ferdinand de Saussure (1857-1913) à partir de leurs notes (Charles Bally, Albert Sechehaye, « avec la collaboration de » Albert Riedlinger). L’édition 1995 reproduit l'édition originale. Elle est accompagnée de l'important appareil critique établi par Tullio de Mauro.3 Dans les termes mêmes du Cours de linguistique générale : « combinaisons régulières ».

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une phrase telle que Je suis arrivée en retard est susceptible de nombreuses actualisations, qui influeront sur sa référence; prononcée par Marie Dupont, le 23 mai 2008, devant le secrétariat de sa faculté, elle signifiera: „Marie Dupont est arrivée en retard (à la fac), le jeudi 23 mai au matin”, et prononcée par Jeanne Dubois, le 4 novembre 2008, dans le hall de la Banque où elle travaille: „Jeanne Dubois est arrivée en retard (au bureau) le vendredi 4 novembre 2008, au matin”;

par voie de conséquence, c’est l’énoncé d’une phrase assertive et non cette phrase même (à référence incomplètement spécifiée) qui sera le lieu de l’assignation d’une valeur de vérité (vrai/ faux).

L’hypothèse de rapports d’occurrence (ou: d’actualisation) entre phrase et énoncé se laisse préciser par l’identification de deux types de mécanismes interprétatifs – l’enrichissement contextuel, d’une part, et le filtrage contextuel, de l’autre :

la signification (compositionnelle) de la phrase doit être enrichie contextuellement pour produire le sens de l'énoncé (voir problématique de la référence actuelle – évoquée tout à l’heure) ;

corrélativement, étant donné un énoncé (entendu ou lu), il n’est pas toujours évident d’identifier la phrase dont il est l’actualisation : en cas d’ambiguïté (syntaxique : [SN Le vieux singe] [SV [SN le] [v masque]] (« le vieux primate (m’) empêche de voir quelque chose»/ [SN le vieux] [SV singe [SN le masque]] (= « le vieillard imite un masque »); lexicale : le loup (= « masque de carnaval » ? ou bien : « animal carnassier » ?) est gris), c’est le contexte qui filtrera les interprétations inconsistantes, permettant d’associer, à l’énoncé entendu (ou lu) la phrase correspondant à l’intention communicative du locuteur4.

Ces deux définitions gomment en revanche les divergences structurales censées pouvoir subsister entre énoncé et phrase. Il est en effet souvent suggéré, dans la littérature, que si la phrase est le résultat de principes de composition syntaxique et sémantique, l'énoncé n'aurait pas à être interprété en termes des seuls principes compositionnels, n’étant pas toujours construit en fonction de critères syntaxiques : Moi, tu sais, la linguistique…, ouais, bôf ! Il y aurait donc des énoncés qui ne sont pas pour autant des phrases:

« En français, la phrase minimale comporte nécessairement au moins un sujet et un verbe conjugué. En revanche, l'énoncé minimal peut être constitué d'un seul élément, de nature quelconque : des séquences comme « Bonjour ! », « Allô ? » ou « Zut ! » constituent des énoncés, mais pas des phrases5. Des énoncés comme « Moi, partir ? », « Quel désastre ! », « Voir Venise et mourir », ou encore « Là, il va, je ne sais pas, moi, mais sûrement, enfin comment dire ? sûrement réagir, oui, c'est ça, réagir », ne sont pas descriptibles en termes de construction syntaxique canonique de phrases. L'énoncé peut apparaître, tantôt comme une phrase incomplète ou tronquée (« Moi ? jamais ! »), tantôt comme une phrase en quelque sorte « surchargée et bégayante » (« Ma sœur, elle, son concours, c'est pour bientôt »). Si la structure de l'énoncé se différencie souvent de celle de la phrase, c'est parce qu'il s'agit de réalités linguistiques relevant de niveaux différents du point de vue théorique » (Encyclopaedia Universalis, art. énoncé).

Nous nous en tiendrons, ici, à la définition fonctionnelle (vs structurale) du couple phrase/ énoncé (définition en termes d’actualisation). Les énoncés syntaxiquement déviants mais parfaitement interprétables du (des) type(s) évoqué(s) précédemment se laissent également analyser en tant qu’occurrences de phrases, à force d’assumer, ne serait-ce qu’en termes opérationnels (vs théoriques), la distinction entre phrases

grammaticales, phrases interprétables et phrases acceptables.

Le couple notionnel grammaticalité/ acceptabilité (notions graduelles) est développé, en grammaire générative, en liséré de la distinction compétence/ performance:

Grammaticalité : conformité aux règles de la grammaire. Concept appartenant à l’étude de la compétence.Acceptabilité : conformité à l’usage (« les phrases plus acceptables sont celles qui ont plus de chances d’être produites, sont plus aisément comprises, moins maladroites et, en un certain sens, plus naturelles » – op. cit., p. 22). Concept appartenant à l’étude de la performance6.

4 Cf. Moeschler, Jacques et Anne Reboul (1994) – Dictionnaire encyclopédique de pragmatique, Paris : Seuil, 131-132.5 Cela dit, le départ phrase/ énoncé n’est pas toujours aussi tranché en termes de leur structuration respective. Charles-Albert

Sechehaye analyse les « énoncés monorèmes » en tant que « phrases à un seul terme », « énoncé monorème » et « phrase monorème » apparaissant en variation libre, dans le texte (Sechehaye, Charles-Albert (1926) – Essai sur la structure logique de la phrase, Tome 1/1, Paris : Champion, chap. I. Accessible en ligne sur : http://roman.ens-lsh.fr ).6 La distinction compétence vs performance et l’abstraction du locuteur-auditeur idéal sont autant d’hypothèses de travail

participant du cadre général des recherches générativistes dès la version standard du modèle.

« L’objet premier de la théorie linguistique est un locuteur-auditeur idéal, appartenant à une communauté linguistique complètement homogène, qui connaît parfaitement sa langue et qui, lorsqu’il applique en une performance effective sa

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Définitions opérationnelles.

phrase grammaticale : conforme aux règles de la grammaire (D’incolores idées vertes dorment furieusement7) ;

phrase interprétable : à laquelle ont peut assigner un sens (même si elle n’est pas bien formée selon les règles de la grammaire : moi, Tarzan, toi, Jane ; moi, la linguistique, tu sais, bôf !) ;

phrase acceptable : à la fois grammaticale et interprétable (De jolis agneaux blancs dorment paisiblement ; moi, la linguistique, je peux très bien m’en passer).

1.2. Enoncé/ énonciation.Énonciation : acte individuel d’utilisation de la langue, activité exercée par celui qui parle au moment où il parle.Énoncé : produit de cet acte, qui en garde les traces (marques énonciatives = marques du locuteur; dans les termes d’Émile Benveniste8, initiateur de la « linguistique de l’énonciation », en France : « l’homme dans la langue », « la subjectivité dans le langage »).

Parmi les représentants de marque de cette mouvance en linguistique française : Catherine Kerbrat-Orecchioni9, Oswald Ducrot10, Antoine Culioli11.

connaissance de la langue, n’est pas affecté par des conditions grammaticalement non pertinentes, telles que limitations de mémoire, distractions, déplacements d’intérêt ou d’attention, erreurs (fortuites ou caractéristiques) » (Chomsky 1965/1971 : 12). Une distinction fondamentale est ainsi établie « entre la compétence (la connaissance que le locuteur-auditeur a de sa langue) et la performance (l’emploi effectif de la langue dans des situations concrètes) ». Est également souligné le fait que la performance ne peut être dite « refléter directement la compétence » qu’à l’intérieur de la première hypothèse de travail avancée, à savoir l’hypothèse du locuteur-auditeur idéal (op. cit., p. 13), et non « dans les faits », puisqu’un « enregistrement de la parole naturelle comportera de faux départs, des infractions aux règles, des changements d’intention en cours de phrase, etc. » (op. cit., p.13).Le rapport entre compétence et performance est un rapport d’inclusion (de la compétence, à la performance) : l’étude de la « performance linguistique effective », oblige à « considérer l’interaction de facteurs variés, dont la compétence sous-jacente du locuteur-auditeur ne constitue qu’un élément parmi d’autres » (idem, pp. 12-13). Mais, corrélativement, « l’investigation de la performance n’avancera qu’autant que le permettra la compréhension de la compétence sous-jacente » (ibid., p. 20).Les données de la performance, en tant qu’observables, se retrouvent en amont de la modélisation de la compétence (ou : « grammaire »), censée « déterminer, à partir des données de la performance, le système sous-jacent de règles qui a été maîtrisé par le locuteur-auditeur et qu’il met en usage dans sa performance effective. » (ibid., p.13, nous soulignons).

7 Remarquer la violation systématique des restrictions de sélection sémantique (dormir sélectionne un sujet animé, les adjectifs de couleur tel vert(es), des nominaux concrets, notamment objets physiques, et les modificateurs de verbe tel furieusement, un verbe [+intentionnel]), ainsi que les contradictions (idées ou bien incolores ou bien vertes).8 Benveniste, Emile (1958) « De la subjectivité dans le langage », Journal de Psychologie, 55, repris in : Benveniste, Emile (1966), Problèmes de linguistique générale, tome I, ch. XXI. Benveniste, Emile (1970), « L’Appareil formel de l’énonciation », Langages, 17, repris in : Benveniste, Emile (1974), Problèmes de linguistique générale, tome II, ch. V.9 Kerbrat-Orecchioni, Catherine (1980) – L’Énonciation. De la subjectivité dans le langage, Paris : Armand Colin. Kerbrat-Orecchioni, Catherine (1990-1994) – Les Interactions verbales, tomes 1-3, Paris : Armand Colin. 10 Qui articule traitement de la phrase et traitement de l’énoncé en termes du contexte situationnel (composant linguistique : signification de la phrase, composant rhétorique : sens de l’énoncé – étant donné un certain contexte situationnel), et opère, dans le cadre d’une extension originale de la théorie énonciative de Benveniste, inspirée des analyses de texte chez Bakhtine (linguiste russe), la théorie de la polyphonie, une distinction de principe entre locuteur-allocutaire, d’une part, et énonciateur-destinataire de l’autre. Cf. Ducrot, Oswald, (1980) – Les Mots du discours, Paris : Minuit.11 Théorie des opérations énonciatives. Cf. Culioli, Antoine (1990) – Pour une linguistique de l’énonciation. Opérations et représentations, Tome 1, Paris : Ophrys.

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1.3. Phrase/ proposition.

Distinction structurale manifeste (distinction syntaxique):

Distinction en termes de niveaux d’analyse syntaxique (distinction structurale pas forcément apparente) 

proposition = constituant syntaxique de la phrase.

proposition = niveau d’analyse syntaxique inférieur à celui de la phrase12.

phrase simple (= élémentaire)  1 proposition phrase complexe plusieurs propositions13

Phrase : unité syntaxique et sémantique pourvue de spécifications temporo-aspectuelles et modales (ancrage temporel au sens large : Sylvie est allée à la fac).

12 Ce qui reformule en fait l’idée que la proposition est un constituant syntaxique de la phrase. 13 On distingue, traditionnellement, aussi : phrase minimale (qui ne comporte que des éléments essentiels, ineffaçables : le minimum requis pour sa grammaticalité – parfois appelée toujours : ‘phrase simple’), et phrase étendue (qui comporte, outre les éléments essentiels, des « élargissements » (ou : « expansions ») : épithètes conjointes venant élargir les groupes nominaux sujet ou objet, adverbiaux venant élargir le groupe verbal, compléments de phrase venant élargir la phrase tout entière) – cf. Dubois, Jean et René Lagane (1993) – La nouvelle grammaire du français, Paris : Larousse-Bordas : 151-152). Nous préserverons au terme de phrase simple l’acception courante en grammaire générative (phrase uni-propositionnelle, opposée à la notion de phrase complexe (=multi-propositionnelle)), et opposerons à la phrase étendue (= phrase qui comporte des éléments non sélectionnés, optionnels mais : non propositionnels eux-mêmes – quel qu’en soit le niveau d’incidence), la phrase minimale.

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proposition indépendante : Sylvie est allée à la fac.

proposition principale : Jean croit que Sylvie est allée à la fac.

proposition subordonnée : Jean croit que Sylvie est allée à la fac.

La notion de proposition indépendante est définie par la négative : ni principale, ni subordonnée (c’est-à-dire : en dehors de toute relation de dépendance). Il s’ensuivra que les coordonnées (=chacun des conjoints (soulignés dans l’exemple ci-contre) d’une phrase complexe du type de : Sylvie est allée à la fac 14 et Marie est restée chez soi 15 ) et les juxtaposées (=chacun des conjoints (soulignés dans l’exemple ci-contre16) d’une phrase complexe du type de : Sylvie est allée à la fac, Marie est restée chez soi) seront aussi envisagées comme « indépendantes »17.

Dédoublement terminologique phrase/ proposition :

proposition indépendante = phrase simple

proposition principale = phrase matrice (= phrase racine)18

Spécialisation structurale (en grammaire générative notamment) : phrase racine (=matrice)/ proposition

Proposition : unité syntaxico-sémantique non pourvue d’ancrage temporel, simple structure de prédication (structure argumentale [aller (Sylvie, à la fac)], [marcher (Sylvie)] – augmentée éventuellement de compléments optionnels [à pied [aller (Sylvie, à la fac)]]20, [vite [marcher (Sylvie)]]21).

Il s’agit là, sans autre, d’une définition de la proposition comme niveau d’analyse syntaxique inférieur à la phrase (donc : comme constituant syntaxique de la phrase) y compris dans le cas des phrases simples.

Rappel : une structure argumentale est constituée d’un Prédicat (sémantique22) et des arguments sélectionnés par ce prédicat. La notion d’argument est empruntée à la logique des prédicats (ou : logique des propositions analysées), plus exactement, à la notation logique des relations de prédication (‘x est f’ noté f(x) - argument d’une fonction, donc), la notion de prédicat étant assimilée à la notion (mathématique, logique) de fonction (MORTEL (Socrate) : ‘Socrate est mortel’).

En linguistique structurale française (Tesnière, Lucien (1959) – Eléments de syntaxe structurale, Paris : Klincksieck), on dirait plutôt ‘structure actancielle’ (de: ‘actant’ (sélectionné et donc non optionnel dans l’économie de la phrase), notion syntaxique et sémantique correspondant à la notion d’argument (davantage utilisée dans l’espace anglophone), et opposée à la notion de ‘circonstant’ (non sélectionné et donc optionnel, dans l’économie de la phrase).

Sujet et compléments sont, chez Tesnière, des actants qui complètent (ou : satisfont) les valences du verbe (centre de la phrase). Le sujet est le premier actant, les compléments sélectionnés, des actants second ou tiers, les compléments non sélectionnés, des circonstants. Il existe des actants syntaxiques auxquels il ne correspond aucun actant sémantique (les sujets explétifs : il est arrivé trois étudiants), et des actants sémantiques auxquels il ne correspond aucun actant syntaxique (l’objet ‘zéro’ de phrases elliptiques telle Cela dépend [« de quoi ? »]).

Les notions d’argument et d’actant ne sont cela dit pas strictement parallèles : le nom modifié par un adjectif

14 Premier conjoint : une proposition indépendante.15 Second conjoint : une autre proposition indépendante.16 Veuillez noter que la phrase complexe n’est pas, elle, soulignée comme un tout (virgule comprise) !17Cf. Riegel, Pellat & Rioul (2008/ 1994) : 472. 18 .Cf. Riegel, Pellat & Rioul (2008/ 1994) : 472.20 Phrases simples correspondantes : Sylvie va à la fac à pied./ Sylvie ira à la fac à pied./ Sylvie est allée à la fac à pied./…21 Phrases simples correspondantes : Sylvie marche vite./ Sylvie marchera vite./ Sylvie marchait vite./…22 Prédicat sémantique vs prédicat syntaxique (au sens de la grammaire traditionnelle) : dans le cadre du prédicat nominal (=copule+ attribut du sujet), seul l’attribut du sujet est un prédicat sémantique (un ‘prédicatif’, en termes de grammaire structurale). Prédicat sémantique vs ‘groupe prédicatif’ (grammaire structurale) : l’analyse structurale des ‘phrases étendues’ distingue, outre le sujet (GN1), deux niveaux, incrémentiels : le groupe verbal GV (=verbe+ compléments sélectionnés), et le groupe prédicatif GPréd (=GV + compléments de verbe non sélectionnés), la structure de la phrase étant Ph = GN1 + GPréd. À l’intérieur d’une telle approche, la notion de ‘groupe prédicatif’ recoupe plus ou moins la notion logique de prédicat (vs sujet) d’un jugement (exprimé par une proposition susceptible de se voir assigner une valeur de vérité (ou bien vrai ou bien faux)), mais le verbe (à valences satisfaites par le sujet et (le cas échéant) par son ou ses compléments obligatoires) n’y est pas le seul prédicat sémantique. Les compléments non sélectionnés par le verbe (analysés comme des ‘Groupes Adverbiaux (notés GAdv), même lorsqu’ils sont exprimés par des groupes prépositionnels (Sylvie va à la fac à pied), voire par des groupes nominaux (compléments directs qui ne sont pas des compléments d’objet, tels les compléments de prix ou de mesure : j’ai payé/ acheté ce meuble 1000 euros/ trois fois rien, j’ai nagé 1000 mètres), se laissent également envisager en tant que prédicats sémantiques : ce seraient des prédicats optionnels, dans l’économie de la phrase, qui sélectionnent, eux, un certain (type de) verbe/ groupe verbal (ce qui expliquerait l’existence de relations de sélection sémantique fine entre ces éléments : *Sylvie va à la fac à l’aiguille (OKCette nappe est brodée à aiguille), Sylvie va à la fac à pied (*Cette nappe est brodée à pied).

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enchâssée.

N.B. Que l’on prenne le dédoublement terminologique proposition indépendante/ phrase simple pour une relation d’équivalence substantive (et donc transitive : ‘toute proposition indépendante serait une phrase simple et toute phrase simple, une proposition indépendante’) ou que l’on veuille distinguer minimalement propositions indépendantes et phrases simples (‘toute phrase simple se réduit à une proposition indépendante, mais toute proposition indépendante n’est pas du coup une phrase simple’19), sous cet éclairage, il n’y a pas moyen de distinguer entre (dans cet ordre-ci :) phrase simple et proposition indépendante. Il y aurait donc coïncidence (triviale) entre phrase simple et proposition indépendante en tant que niveaux d’analyse syntaxique. Un résultat pas très heureux.

épithète conjointe (la belle Venitienne) est bien l’argument de cet adjectif (analysé, lui, comme prédicat sémantique), sans pour autant en être l’actant.

Une fois la proposition appréhendée comme simple structure de prédication (structure argumentale, éventuellement étendue), non soumise à ancrage temporel, toute phrase simple devrait être constituée d’un syntagme (=groupe de mots) instanciant la relation de prédication sémantique essentielle, enchâssé (en l’absence de compléments non sélectionnés (=prédications optionnelles)) sous une catégorie fonctionnelle portant les traits de temps-aspect-mode pertinents pour l’ancrage temporel (au sens large) : voir Fig. 1 ci-après.

Cette catégorie, notée T (T de Temps) réunit les traits de temps-aspect-mode du verbe (les ‘flexions verbales’ pertinentes du point de vue interprétatif pour la référence temporelle de la phrase), ainsi que ses traits d’accord (traits de personne et de nombre), redondants, eux, de traits de mêmes valeurs d’un argument nominal du verbe (en français, il s’agira du sujet).

Si les traits de temps-aspect-mode d’un verbe sémantiquement plein (=verbe ‘substantif’ vs auxiliaire ou verbe postiche) seront composés, lors de l’interprétation sémantique de la représentation générée en syntaxe, à la matrice de traits sémantiques purs de celui-ci, les traits d’accord, qui n’ont aucune pertinence interprétative sur le verbe, ne le seront pas ; ce sont leurs corrélats sur l’argument nominal sujet qui seront interprétés.

19 Une phrase simple est constituée d’une (seule) proposition indépendante, et certaines phrases complexes sont construites de plusieurs propositions indépendantes – celles qui n’instancient pas de relation de dépendance sémantico-syntaxique, à savoir les phrases complexes composées par juxtaposition et par coordination. Le jeu des formes verbales suggère déjà que c’est là notre option.

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T

T V

1SylvieN V

1all(er)

Fig. 1. Sylvie va la fac

P

à D

la facN

T

2SylvieN

2all(er)+ {prés. ind., 3 sg}

=TP

=VP

=PP

=DP

=NP

=T°

=T°max

=T’

Structure de prédication (proposition)

Ancrage temporel (phrase)

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1.4. Phrase noyau/ phrase modalisée. 1.4.1. Syntaxe de la phrase modalisée (version générative-transformationnelle standard – Chomsky 1965/ trad. fr.1971 (Aspects de la théorie syntaxique), dans la lecture de Dubois & Dubois-Charlier 197023).

Toute phrase Σ (lire : « sigma » – le terme anglais correspondant ayant l’initiale S(entence)) est formée, en structure profonde (niveau de représentation syntaxique dont est justiciable l’interprétation sémantique), d’un constituant de phrase (abréviation : Const), qui en détermine la modalité, et d’un noyau (abréviation : P, de phrase24) :

Σ→ Const + P(lire : « Σ se réécrit comme Const + P »).

Le constituant est, lui, formé d’un élément obligatoire (soit Affir(mation), soit Inter(rogation), soit Imp(ératif)), et de constituants facultatifs (négation, emphase et passif – notés entre parenthèses dans la formule ci-contre) :

Affir25 Const → Interr + (Nég) + (Emph) + (Passif)

Imp ;

Marqueur sous-jacent de la modalité, ce Constituant engendrera les types de phrase essentiels ou : obligatoires (= types de phrase26), et (le cas échéant) des types de phrase facultatifs (= formes de phrase). Les types essentiels sont:

- des constituants de phrase fondamentaux (→toute phrase est assignée à l’un de ces types),

- mutuellement exclusifs (→toute phrase est assignée à l’un et seulement un de ces types),

- à import sémantique fonctionnel-actionnel (« acte de langage »),- à structure syntaxique, morphologie et intonation spécifiques.

Les types de phrase facultatifs (= formes de phrase) sont :- des constituants de phrase optionnels27,- par hypothèse non exclusifs des types obligatoires, ni entre eux (→se combinent entre

eux et/ou avec les types obligatoires) ;- à import sémantique surtout fonctionnel-communicatif (répartition de l’information en

thème-propos : passif, emphase, impersonnel), ou descriptif (=représentationnel : négation28)

- à structure syntaxique et morphologie spécifiques, mais dépourvus d’intonation propre – encore que non dépourvus d’effet sur l’intonation spécifique du type obligatoire avec lequel ils se combinent (phénomènes d’accentuation).

(cf. Riegel et al. 2004 (1994) : 386-387).

L’introduction de Const dès la structure profonde permet de rendre justice au postulat selon lequel « les transformations ne peuvent introduire des éléments porteurs de sens » (Chomsky 1971 (1965) : 180-181).

Rappelons qu’au sens de cette modélisation de la grammaire, en syntaxe seraient générées non pas une, mais deux représentations : une structure profonde, issue de l’insertion lexicale des catégories, par l’intermédiaire de règles de réécritures (inscrites dans le composant de base de la grammaire), et une structure de surface, résultat des transformations portant sur cette structure profonde. Des deux représentations générées en syntaxe, seule la structure profonde fera l’objet de l’interprétation sémantique :

23 Dubois, Jean et Françoise Dubois-Charlier (1970) – Éléments de linguistique française : syntaxe, Paris : Larousse (collection « Langue et langage »).24 En anglais : S, de sentence. Cette transposition en français n’harmonise donc pas les rapports entre les deux notations, en alphabet grec et latin (dans la logique de Σ/ S, il aurait fallu sans doute avoir ici : Π (lire : « pi »)/P).25 Nous prenons nos distances par rapport à la nomenclature en place dans Dubois & Dubois-Charlier 1970, sur ce point précis, et dirons plutôt « assertion (type assertif) », employant « affirmation » pour l’une des deux formes logiques possibles (« affirmation (type affirmatif, forme affirmative)/ négation (type négatif, forme négative) »), parce que parler d’« affirmation négative » nous semble participer de la contradiction dans les termes. Bien que l’on puisse affirmer que non-p en langue naturelle (J’affirme qu’il n’est pas là, et je peux le prouver), l’affirmation en tant que telle ne saurait être dite négative sans contradiction.26 Souvent, dans la littérature, il y a hésitation sur la marque du pluriel, vu la variante phrase(s)-type(s) : types/ formes de phrase ou : phrases ? 27 Définis, en termes (implicitement) transformationnels, comme « réagencements particuliers des types obligatoires » (Riegel et al. 2004 (1994): 386).28 Négation descriptive : assertion d’un contenu propositionnel négatif (ex. Paul n’est pas là pour l’instant, à ce que je vois). L’interprétation des types facultatifs ne peut être actionnelle que de manière marginale, à l’encontre de celle des types obligatoires : le type facultatif qui illustre ce cas de figure marginal est encore la négation (quand elle réalise, dans l’énonciation, un acte de dénégation (ou de refus) plutôt que la simple assertion d’un contenu négatif – ex. Tu viens ?/ -Je ne peux pas. Toujours dans un contexte d’offre/ invitation : Un peu de rôti?/ -Je ne mange pas de viande).

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Catégories → /Règles de réécriture/ → Structure profonde : interprétation sémantique.

Structure profonde →/Transformations/ → Structure superficielle : forme (ordre des mots observé).

L’analyse des phrases-types en grammaire transformationnelle (non générative : Z. S. Harris) et dans la première version de la grammaire générative (Chomsky 1957/trad. fr. 196929 ) privilégiait le type assertif neutre (phrase assertive active affirmative non emphatisée) en tant que type de base, dont on dérivait tous les autres types (et toutes les formes de phrase aussi). La notion de phrase noyau coïncidait à cet observable linguistique, et les phrases modalisées en étaient dérivées par transformations.Cette analyse-là était consistante avec le statut privilégié de la phrase assertive, en logique – seule phrase en langue naturelle donnant lieu à une proposition logique (lieu du vrai ou du faux).

Introduisant le marqueur abstrait de modalité dès la structure profonde, la nouvelle analyse de la phrase ne privilégie plus le type assertif neutre (phrase assertive active affirmative non emphatisée) : la notion même de ‘type de base’ perd tout contenu propre. La ‘phrase noyau’ est de fait désormais plutôt appréhendée comme ‘noyau de la phrase’– toute phrase susceptible d’être énoncée étant, par hypothèse, ‘modalisée’. Ce noyau est maintenant postulé en tant que niveau d’analyse pertinent (analyse en constituants immédiats), mais n’est plus susceptible d’instanciations per se au gré des énonciations et n’est jamais, donc, directement observable.

Sous l’analyse purement transformationnelle des types de phrases/ formes de phrases, les transformations étaient entendues procéder de manière ordonnée : passivation avant emphase, emphase avant transformation négative, et transformation impérative/ interrogative par la suite. Comparer :

1. Une vipère a mordu la brebis. [déclarative affirmative active non emphatisée]2. La brebis a été mordue (par une vipère). [déclarative affirmative passive non emphatisée]3. C’est par une vipère que la brebis a été mordue. [déclarative affirmative passive à complément

d’agent mis en vedette : phrase clivée]4. Ce n’est pas par une vipère que la brebis a été mordue. [clivée négative d’une phrase déclarative

passive]5. N’est-ce pas par une vipère que la brebis a été mordue ? [clivée négative interrogative de la même

phrase passive].

Sous l’analyse non-transformationnelle, qui introduit la modalité (Const) dès la base de la grammaire (en structure profonde), on s’évertue à rendre compte des mêmes observables en termes du rapprochement des constituants optionnels et respectivement obligatoire30, de la phrase, par rapport au Noyau : le constituant le plus à droite dans la formule sera le premier introduit dans la base – en l’occurrence, le passif, puis, l’emphase, puis, la négation31.

En bon français, certaines combinatoires de types sont de fait barrées : mise en vedette de l’attribut (du sujet) par le présentatif c’est… que… : *c’est … que X est32 ; phrase clivée & impératif (mise en vedette du complément par le présentatif c’est… que…) et

impératif : *c’est… que+ verbe à l’impératif33 ;d’autres sont marquées, restant confinées à des genres discursifs particuliers :

passif & impératif (Soyez remerciés pour votre cadeau. Béni soit-il !).

Remarque : La reformulation, par Dubois & Dubois-Charlier 1970, de la thèse chomskyenne des marqueurs sous-

jacents (seuls) responsables du sens « interrogatif », «impératif », « négatif »  (cf. Chomsky 1971 (1965) : 180-181, et, pour commentaire, Ruwet, Nicolas (1967) – Introduction à la grammaire générative, Paris : Plon, p. 343) ignore un certain nombre de détails, ayant trait notamment au passif et à l’emphase  : nous y reviendrons plus tard. Retenons pour le moment qu’au sens de Chomsky 1965, aussi bien l’emphase que le passif (et, principalement, pour les mêmes raisons), continuaient de fait à être analysés comme phénomènes syntaxiques sans retombées interprétatives sémantico-logiques : l’interprétation sémantique (des structures générées en syntaxe) était envisagée comme restreinte au représentationnel et à l’actionnel (force illocutionnaire). Aussi les « effets de sens » liés à l’emphase, ainsi que les effets de sens communément imputés aux « divergences d’accentuation » entre une phrase active et sa contrepartie passive, étaient-ils analysés comme relevant (au mieux) des « effets de surface » sur l’interprétation (sémantique – cf. Chomsky 1971 (1965) : 186, note 9 ; 163, note 32).

29 Chomsky, N. (1957) – Syntactic Structures, Mouton, The Hague (trad. fr. Structures syntaxiques, Paris : Seuil, 1969).

30 Singulier puisque les constituants obligatoires sont par hypothèse mutuellement exclusifs.31

La question se pose de savoir si les observables eux-mêmes imposaient un tel biais ou si ce n’était là que l’influence de la modélisation précédente. Phénomènes de portée de la négation (C’est Paul qui n’est pas venu (emphase à départ négatif)/ Ce n’est pas Paul qui est venu (négation d’une phrase déjà emphatisée), restrictions sémantico-distributionnelles liées à la subordination/ à l’enchâssement (*C’est Paul qui est-il venu ?), réanalyse du passif comme donnée morphologique/ lexicale (radical verbal passif non trivialement distinct du radical actif, structure argumentale distincte) sont autant d’éléments susceptibles de fournir à cette analyse des motivations indépendantes.32 *C’est froid que le café est. OKLe café est froid.33 *C’est le déca que prenez. OKPrenez le déca (décaféiné)..

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1.4.2. Ré-analyse du marqueur abstrait de modalité : la catégorie complément(is)eur (C).

Les versions plus récentes de la GGT reformulent le marqueur sous-jacent de la modalité (Const) à une catégorie fonctionnelle qui prendrait TP pour complément : le complément(is)eur C.

Appelé ainsi en référence notamment aux propositions subordonnées enchâssées, le complément(is)eur est d’abord envisagé en tant que catégorie capable de convertir une phrase en complément du verbe (position typiquement vouée à un syntagme nominal), correspondant alors à la conjonction introductive d’une complétive. Toute subordonnée enchâssée sera donc analysée comme un CP (un syntagme complément(is)eur) : Jean dit [CP queC [TP Marie est jolie]]/ Jean ignore [CP siC [TP elle est à la fac]]/ Dis-lui [CP deC PRO34 partir].

Les complément(is)eurs que (+indicatif) et si (dubitatif) expriment, outre la sélection d’une proposition subordonnée à verbe fini (+Temps), respectivement la valeur assertive de la complétive enchâssée, et la valeur interrogative de celle-ci (question à réponse oui/non) ; le complément(is)eur de sélectionne, lui, une subordonnée non tensée (-fini).

L’analyse sera ensuite étendue aux phrases racines (propositions indépendantes comprises), moment où de fait C se substituera pour de bon au marqueur de modalité de la version standard du modèle (noté Const in Dubois & Dubois-Charlier 1970). En français, le complément(is)eur des phrases racines est typiquement non épelé (=dépourvu de matrice phonologique).

Catégorie syntaxique fonctionnelle (vs substantive), à l’instar de D (D de : déterminant ; déterminant du nom : référence nominale) et de T (T de Temps ; catégorie qui réunit –rappelons-le – les traits de temps-aspect-mode du verbe (‘flexions verbales’ pertinentes du point de vue interprétatif pour la référence temporelle ce qui en fait une sorte de déterminant du verbe), mais aussi les traits d’accord (traits de personne et de nombre), non interprétés sur le verbe, mais sur l’argument nominal (sujet)), le complément(is)eur C est censé exprimer des composants non référentiels de l’intention informative du locuteur, ayant respectivement trait à la dimension actionnelle (« force ») et à la hiérarchie informationnelle de la phrase énoncée (bref, C contribuerait crucialement au codage grammatical de ce que l’on pourrait appeler sans autre ‘l’ancrage discursif’ de la phrase), tout en rappelant le caractère fini (+Temps) ou non fini (-Temps) de celle-ci – voir Fig. 3 plus bas dans le texte.

Dans une proposition relative (restrictive), le syntagme relatif (opérateur de relativisation) spécifiera un complément(is)eur non épelé, lui (l’homme [CP dont [C’ C [TP tu as épousé la fille]]]), ou bien sera analysé comme phonétiquement nul, le complément(is)eur étant, alors, épelé (l’homme [CP LEQUEL [C’ queC [TP j’aime]]]).Selon une analyse déjà classique par Richard Kayne, qui dans les relatives à antécédent du type de l’homme qui est arrivé est en fait le complément(is)eur, ‘accordé’ au Nominatif avec l’opérateur de relativisation non épelé (sans forme phonétique) dans son Spec.

Rappel. Tout syntagme est supposé instancier les relations structurales suivantes :

- tête X (catégorie terminale qui projette) ; - complément de la tête (première catégorie avec laquelle la tête fusionne formant ainsi un

constituant complexe): Compl, X ; une fois composée structuralement à son complément, la catégorie introduite en syntaxe comme tête projettera : le constituant complexe engendré par l’union de X à un autre syntagme YP35 (son complément) sera vue par la computation syntaxique (et à l’interface sémantico-logique) comme catégorie du type de X (non comme catégorie du type Y - type instancié par son complément) ;

- spécifieur de la tête (seconde catégorie (ZP) introduite dans l’objet syntaxique en train d’être généré, auprès de X° déjà composé à son complément YP (en fait : auprès de la première projection de la tête X°, projection notée X’, qui représente tout ce qu’elle domine, en l’occurrence l’objet complexe X° + YP dans son entier) ; une fois l’objet syntaxique formé par X° et par YP (son complément) fusionné à ZP, ce sera la première projection de X (X’) qui projettera, de sorte que le nouveau constituant complexe sera toujours visible comme catégorie du type de X (=XP) ; notation : Spec, X.

Cette analyse des syntagmes, qui ne comporte que des di-branchements, permet de rendre compte de manière immédiate de l’ordre d’introduction des constituants dans l’objet syntaxique, assurant une transparence maximale de la chronologie des procédures de fusion, dans la représentation syntaxique générée.

34 Pronom abstrait (sans forme phonétique), sujet d’une infinitive ; son interprétation (référentielle) est en général « contrôlée » par un argument du verbe recteur (ici, par le complément d’objet indirect lui).35 P du terme anglais de phrase, pour : « syntagme ».

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Fig. 2. Structure du syntagme (théorie X-barre).

1.5. Mode/ modalité/ modalisation.

1.5.1. Mode/ modalité, temps/ temporalité, aspect grammatical / aspect lexical.Temps, aspect (grammatical), mode : formes de langue (morphologie verbale : « tiroirs verbaux ») Temporalité, mode d’action (aspect lexical), modalité : notions sémantiques.

Temporalité : notion construite autour du moment de la parole (le maintenant du locuteur, noté par convention t0). Avant t0, il ya le passé, après, l’avenir. Noter dès à présent que t0 est un moment fictif, variable en extension (une seconde, une journée, une année, une période quelconque). « Temps extérieur au procès36 » (Gustave Guillaume).

36 Il s’agit bien évidemment du procès désigné par le verbe. Cf. GUILLAUME, Gustave (1984) – Temps et verbe. Théorie des aspects, des modes et des temps. Paris : Champion.

XP

X’ZP

X YP

Projection maximale de la tête X (Xmax donc, noté aussi X’’), interprétée comme syntagme de catégorie X (XP)

Spécifieur

Tête X° qui projettera Complément

Projection intermédiaire qui projette à son tour (X° et Xmax à la fois) : chaque

niveau de projection est noté par une barre ou un prime

T

T V

1SylvieN V

1all(er)

Fig. 3. Sylvie va la fac

P

à D

la facN

T

2SylvieN

2all(er)+ {prés. ind., 3 sg}

=TP

=VP

=PP

=DP

=NP

=T°

=T°max

=T’

Structure de prédication (proposition)

Ancrage temporel

C

{+assertif, +fini}

=CP Ancrage discursif

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Mode d’action (aspect lexical) : « temps intérieur au procès » (Gustave Guillaume) ; caractéristiques du déroulement du procès ; classes (aspectuelles) de verbes37 définies en termes des traits dynamique/ non dynamique (=statique), télique/ atélique38, ponctuel/ non ponctuel (=duratif) (Zeno Vendler – cf. Vendler 1967):

verbes d’état ([-dynamique, -télique, -ponctuel] – situations statiques, homogènes et continues, sans structure interne et sans limite temporelle inhérente) : être malade, connaître qqch, aimer qqch, croire qqch, avoir qqch, …/ tests distributionnels : *X est en train d’aimer la musique (-dynamique); OKX a cessé d’aimer la musique (+duratif (=-ponctuel)).

verbes d’activité ([+dynamique, -télique, -ponctuel] – actions qui peuvent avoir une certaine durée et qui ont un point de terminaison arbitraire) : marcher, nager, danser … (sans complément désignant la limite finale ou cible du mouvement39) ; pleurer, rire, … ; penser, écrire, boire, …(sans objet direct explicite40) / tests distributionnels : OKX est en train de marcher  (+dynamique); *X nage en une heure (-télique) ; *X met une heure à nager (-télique);  OKX nage pendant une heure (+duratif), OKX a cessé de nager (+duratif).

verbes d’accomplissement ([+dynamique, +télique, -ponctuel] – actions/ situations qui ont une certaine durée et qui comportent un point de terminaison précis, au-delà duquel l’action ne peut plus continuer) : fondre (intr.41), sécher (intr.), apprendre la poésie par coeur, peindre un tableau……/ tests distributionnels : OKX est en train de peindre un/ le tableau  (+dynamique) ; OKX peint un/ le tableau en une heure (+télique) ; OKX met une heure à peindre un/ le tableau (+télique)

verbes d’achèvement ([+dynamique, +télique, +ponctuel] – verbes décrivant le seul point culminant (ou : dénouement) de la situation envisagée, mais pas ce qui précède, au contraire des accomplissements) : (se) casser, exploser, éclater, trouver une solution, apprendre la nouvelle…/ tests distributionnels : *X a cessé de trouver la solution (-duratif), *X est en train de trouver la solution (!!+ponctuel); OKX a trouvé la solution en deux secondes/ OKX met deux secondes à trouver la solution (+télique).

Terminologie relativement floue, dans la littérature : télique/ atélique, perfectif (terminatif)/ imperfectif (non terminatif), accompli/ inaccompli.

Modalité : expression de l’attitude du locuteur par rapport au contenu propositionnel de son énoncé. Paul court (énoncé sans marque d’attitude du locuteur par rapport au contenu propositionnel autre que le type de phrase : type assertif neutre; analysé, dans la littérature non-générativiste, comme énoncé ‘non modalisé’ par excellence)/ Il se peut que Paul coure, Paul court peut-être, Paul peut courir (énoncés modalisés).

Une fois la modalité intégrée dans la base de la grammaire (règle de réécriture de toute phrase comme Const + noyau), le type assertif neutre se laissera envisager comme modalisateur à l’instar des types de phrases marqués (phrases interrogative, impérative, etc.), et à l’instar des phrases à  ; d’autre part, la différence, du point de vue de la modalité, entre Il court/ Je crois qu’il court, Il est vrai qu’il court pourra être formulée non plus en termes de +modalité/ -modalité, mais en tant que différence de réalisation linguistique d’une seule et même valeur modale (attitude propositionnelle de croyance du locuteur à la vérité de l’état de chose décrit par son énoncé).

Il n’y a pas de correspondance terme-à-terme entre tiroirs verbaux et notions sémantiques (temps/ temporalité, aspect/ mode d’action, mode/ modalité).

Vous fermerez cette porte sans la claquer (tiroir : futur, sens : modalité injonctive). Un pas de plus, et vous tombez dans l’abîme (tiroir : présent, sens : modalité implicative « si

vous faites un pas de plus, vous tomberez… »). Il m’avait dit qu’il viendrait ce soir (tiroir modal : conditionnel, sens temporel : futur du

passé)42.

37 Ou plutôt : classes aspectuelles de situations (métaterme entendu non comme synonyme d’état, mais comme une sorte d’hyperonyme pour : états, actions, procès, événements ; certains auteurs parlent de : éventualités (Vikner, Carl (1985) – « L’aspect come modificateur du mode d’action : à propos de la construction être + participe passé », Langue Française 67, Paris : Larousse, 95-113)ou de prédications (au sens de la Role and Reference Grammar – cf. Van Valin, R. D. (1993) – « A Synopsis of Role and Reference Grammar », in Advances in Role and Reference Grammar, R. D. Van Valin (ed.), Amsterdam : John Benjamins Publishing Company, 1-164), puisque ce n’est pas le verbe seul que l’on classifie, mais le verbe avec ses arguments (sujet, objets) , voire avec ses adverbes.38 Telos : but, limite finale.39 Distinguer nager (pendant 30 minutes) : activité/ nager cent mètres (en trois minutes), nager jusqu’à l’île des rats (en dix minutes) : accomplissements.40 Distinguer : écrire (pendant des heures) : activité/ écrire l’exercice (en cinq minutes) : accomplissement.41 La neige fond.42

Cf.. Le Querler, Nicole (1996). Typologie des modalités, Caen : Presses Universitaires de Caen.

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1.5.2. Modalité/ modalisation.

Modalisation : opération énonciative ; prise en charge de l’énoncé par son énonciateur (rapports entre : énoncé/ fait asserté ; énonciateur/ fait asserté ; énonciateur/ son énoncé ; énonciateur/ sa façon de réaliser l’énonciation ; énonciateur/ destinataire (locuteur/ allocutaire, auditeur43)).

Modalité(s) : catégories conceptuelles logico-sémantiques ; produit de la modalisation.

1.6. Modalité/ modalisateur. Démarche onomasiologique/ démarche sémasiologique.

Modalité : zone modale, prédicats modaux (abstraits).

Modalisateur : marqueur (perspective d’interprétation)/ réalisateur (perspective de production).

Démarche onomasiologique (du sens vers les mots) : de la zone modale (valeur modale, prédicat modal abstrait) à ses incarnations linguistiques.

Démarche sémasiologique (des mots, aux sens) : du marqueur modal aux valeurs modales qu’il exprime. Polysémie des marqueurs modaux.

Les modalisateurs sont des signes linguistiques à signification modale. La relation modalité/ modalisateur se laisse alors envisager comme cas particulier de la relation signifié/ signifiant.

Ferdinand de Saussure définit le signe linguistique en tant que catégorie relationnelle44, à deux facettes solidaires : le signifiant (suite de phonèmes ou de graphèmes) et le signifié (signification (description) lexicalement associée à cette chaîne sonore ou graphique), le référent (objet du monde auquel renvoie la chaîne sonore ou graphique pourvue de cette signification : entité extralinguistique qui satisfait la description) restant extérieur au signe à proprement parler.

D’autres auteurs45 proposeront une définition ternaire du signe linguistique, qui inclura le référent46 : signifiant (symbol (“symbole”)) + signifié (thought (“pensée”)) + référent (referent)).

Le signe linguistique n’est pas identique au mot : d’une part, une lexie complexe ou un syntagme (groupe de mots) non lexicalisé, une phrase (un énoncé), un paragraphe, voire tout un texte peuvent être envisagés comme signes (signifiant-signifié(-référent)) ; de l’autre, des parties constitutives d’un mot sont des signes linguistiques (non autonomes) : les préfixes ou suffixes dérivationnels (impossible, improbable (« qui n’est pas [possible, probable] »), mangeable, buvable (« (qui) peut être [mangé/ bu] »…), mais également les affixes flexionnels (viendra (« à l’avenir »)).

1.7. Modus/ dictum.

Structure de la phrase modalisée : modus + dictum.

Charles Bally (Linguistique générale et linguistique française (1932)) récupère la distinction, formulée d’abord par la Scolastique médiévale : dictum propositionis désigne, chez Abélard (XIIe siècle), la signification de la proposition, son contenu (contenu propositionnel, en logique moderne).

Dictum : contenu propositionnel de l’énoncé (prédication, représentation virtuelle d’un état de chose)Modus : modalité de l’énoncé (assertion qui actualise une telle représentation virtuelle).

Je crois (MODUS) que les étudiants sont partis (DICTUM).

Toute phrase a un dictum et un modus, selon Bally, mais la structure syntaxique ne soutient pas toujours aussi directement cette structuration sémantique.

43 Pour les besoins des analyses syntaxiques et syntaxico-sémantiques faisant l’objet de ce cours sur la phrase modalisée, la distinction allocutaire (visé par le locuteur)/ auditeur (qui se trouve entendre ce qui est dit sans être nullement visé par le locuteur) – telle que posée en linguistique de l’énonciation – n’est en général pas pertinente. En linguistique de l’énonciation (notamment dans le cadre des théories polyphoniques – cf. Ducrot, O. (1980) – Les Mots du discours, Paris : Minuit), distinction est également faite entre locuteur-allocutaire, d’une part, et énonciateur-destinatire (parfois appelé : énonciataire), de l’autre. Ces distinctions feront l’objet de vos cours d’initiation en pragmatique.44 Ce qui vaut de tout symbole, et même des indices ou des icônes – pour nous référer au classement des signes selon leur relation au référent, au sens de Ch. S. Peirce (à noter que, selon cette tripartition, la plupart des signes linguistiques sont des symboles (interjections (qui sont des indices d’états d’âme, sentiments etc.) et onomatopées (qui, imitant leur référent, sont des icônes) mises à part). 45 Ogden, C. K. et I. A. Richards (1989/1923) – The Meaning of Meaning, San Diego-New York: Harcourt Brace Jovanovitch Publishers.46 Plus exactement : une représentation mentale de celui-ci.

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1.8. Modalité de re/ modalité de dicto.

Portée de la modalité (du modalisateur) : interne/ externe (au dictum).

Modalité de dicto : portée extra-prédicative (externe au dictum). Je crois (MODUS) que les étudiants sont partis (DICTUM).

Modalité de re : portée intra-prédicative (interne au dictum). Les étudiants sont sans doute partis.

Termes remontant à Thomas d’Aquin (De modalibus) : propositions modales de re (quand le modus est inséré dans le dictum : Socrate peut courir) / propositions modales de dicto (modus prédiqué du dictum sujet : Que Socrate coure est possible/ il est possible que Socrate coure).

1.9. Classement des modalités.

Modalités d’énonciation (contribution interprétative  → attitude du locuteur dans son rapport avec le destinataire de l’énonciation : actes de langage 47  ; syntaxiquement parlant = types de phrase obligatoires) :

assertion (phrase assertive ou : déclarative : Paul est là), interrogation (phrase interrogative : Paul est-il là ?/ Où est-il ?), injonction (phrase impérative : Fermez la fenêtre !), exclamation (phrase exclamative : Paul, parti !/ Que cette fenêtre est sale !).

Modalités de message (contribution interprétative → hiérarchie informationnelle; syntaxiquement parlant 48types de phrase facultatifs) :

emphase (Paul, il est déjà parti pour Paris/ C’est PAUL49 qui est arrivé le premier. C’est À PAUL que je voudrais parler. Voilà TROIS JOURS qu’il est parti).

passif (La porte fut ouverte par un étudiant) ; impersonnel (Il est arrivé trois nouveaux étudiants/ Il a été dansé toute la nuit).

Modalités d’énoncé (contribution interprétative  → attitude du locuteur face au contenu propositionnel de son énoncé ; syntaxiquement parlant phrases à double prédication:

aléthiques ; épistémiques ; déontiques désidératives (volitives)  appréciatives (évaluatives, axiologiques)  implicatives (relation causales au sens large : condition, cause, conséquence, but,

concession …) temporelles (logique du temps linéaire (vs logique du temps arborescent: mondes

possibles) ; sporadicité (Kleiber 198350)).

Modalités (d’énonciation, de message) et types de phrase : problèmes de classement.Types de phrase obligatoires (= types de phrase51):

- constituants de phrase fondamentaux (→toute phrase est assignée à l’un de ces types),

- mutuellement exclusifs (→toute phrase est assignée à l’un et seulement un de ces types),

- à import sémantique fonctionnel-actionnel (« acte de langage »),- à structure syntaxique, morphologie et intonation spécifiques.

Types de phrase facultatifs (= formes de phrase) :- constituants de phrase optionnels52,- par hypothèse non exclusifs des types obligatoires, ni entre eux (→se combinent entre

eux et/ou avec les types obligatoires) ;- à import sémantique surtout fonctionnel-communicatif (répartition de l’information en

thème-propos : passif, emphase, impersonnel), ou descriptif (=représentationnel : négation53)

47 Ou plutôt : actes illocutionnaires. Voir chapitre dédié (encadré ).48 Symbole notant ici l’inclusion à un ensemble donné.49 Les majuscules notent ici l’accent de phrase : l’accent le plus fort dans la phrase, qui frappe un constituant du syntagme apportant l’information nouvelle (que le locuteur présente/ signale ainsi comme étant) la plus importante pour l’interlocuteur.50 « L’emploi sporadique du verbe  pouvoir », in : David, J. et G. Kleiber (éds), La notion sémantico-logique de modalité, Paris : Klincksieck, 183-203.51 Souvent, dans la littérature, il y a hésitation sur la marque du pluriel, vu la variante phrase(s)-type(s) : types/ formes de phrase ou : phrases ? 52 Définis, en termes (implicitement) transformationnels, comme « réagencements particuliers des types obligatoires » (Riegel et al. 2004 (1994): 386).53 Négation descriptive : assertion d’un contenu propositionnel négatif (ex. Paul n’est pas là pour l’instant, à ce que je vois). L’interprétation des types facultatifs ne peut être actionnelle que de manière marginale, à l’encontre de celle des types obligatoires : le type facultatif qui illustre ce cas de figure marginal est encore la négation (quand elle réalise, dans l’énonciation, un acte de dénégation (ou de refus) plutôt que la simple assertion d’un contenu négatif – ex. Tu viens ?/ -Je ne peux pas. Toujours dans un contexte d’offre/ invitation : Un peu de rôti?/ -Je ne mange pas de viande).

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- à structure syntaxique et morphologie spécifiques, mais dépourvus d’intonation propre – encore que non dépourvus d’effet sur l’intonation spécifique du type obligatoire avec lequel ils se combinent (phénomènes d’accentuation).

(cf. Riegel et al. 2004 (1994) : 386-387).

Problèmes : 1. L’exclamatif, doué d’intonation particulière, mais non exclusif d’autres types obligatoires (cf. interro-

exclamatif : moi, partir pour Londres ?!), et à spécificité syntaxique douteuse (car partageant les structures des phrases déclaratives (Vous ne songez point à elle !) et interrogatives (Qu’est-ce qu’elle était belle ! Est-il bête !)) peut-il être envisagé comme type obligatoire, d’autant que, du moins selon certains auteurs, il n’exprimerait pas d’« acte de langage spécifique », fondé sur des rapports entre le locuteur et son destinataire ?

2. Le négatif, qui, seul, parmi les types optionnels, n’a pas d’apport sémantique essentiellement fonctionnel, non descriptif (hiérarchie informationnelle, structuration du message), mais représentationnel, descriptif (contribution sémantico-logique propositionnelle), et qui semble au moins susceptible de réaliser un « acte de langage spécifique » (dénégation, réfutation) peut-il être envisagé comme type optionnel ?

La solution serait de re-classer les types de phrases obligatoires/ facultatifs en quatre catégories, quitte à ce que l’exclamatif soit envisagé comme seul représentant de sa catégorie (Riegel et al. 2004 (1994) : 388-390) : types énonciatifs (assertif, interrogatif, impératif) ; types logiques (négatif/ positif) ; types de réagencement communicatif (passif, emphase, impersonnel) ; type exclamatif (manifestant seulement la subjectivité du locuteur et réalisant la fonction expressive du

langage).

Cette solution ne fait que reformuler les problèmes soulevés, sans y apporter de réelle explication.

L’analyse de la négation fait l’impasse sur ce qui est appelé, dans la littérature, négation descriptive, pour tirer argument des seuls emplois « illocutionnaires » de la négation.Et la distinction alléguée entre types énonciatifs et exclamatif, selon le critère pragmatique de « l’acte de langage spécifique », est elle-même sujette à caution, dans la mesure où :

(1) les types énonciatifs restants eux-mêmes ne font pas l’objet d’analyses uniformes, dans le paradigme théorique dont procède la notion distinctive invoquée (Théorie des actes de langage)  : les types assertif et impératif correspondent aux forces primitives assertive et directive, tandis que le type interrogatif procède des forces dérivées (instanciant un sous-type directif : demander de répondre)54 ;

(2) le lien entre types de phrases et « acte de langage spécifique » n’est pas aussi direct, ni aussi naturel, que cette analyse le suppose55, ne laissant pas d’être tributaire d’un certain horizon théorique. En pragmatique inférentielle56, par exemple, les trois types de phrases en question sont censés correspondre non pas à des « actes spécifiques », mais à des « actes génériques dire que/ dire de/ demander (si /qu-) » – entendus par Sperber et Wilson comme des « schémas d’hypothèse » (ou « schémas descriptifs ») dans lesquels sont incorporées les formes propositionnelles pleines des énoncés concernés, mais qui restent typiquement sous-déterminés quant à ce qu’il est convenu d’appeler « intention (ou : but) illocutoire »57.

54 Cf. Ghiglione & Trognon 1993.55 Dans cette même logique, on voit dans les types de phrases obligatoires des « indicateurs de force illocutionnaire ».56 Cf. Sperber Dan et Deirdre Wilson, La pertinence. Communication et cognition, Paris : Minuit, 1989 (original en anglais 1986).57

Par contre, les « forces primitives » assertive et directive (cela vaut d’ailleurs de toutes les cinq « forces primitives » distinguées dans la théorie logique de l’illocutoire), tout en étant sous-déterminées quant aux autres « composants », ce qui en fait justement « les forces illocutoires les plus simples possibles », sont bien déterminées, elles, quant au but. Le but assertif (primitif) est de représenter quelque chose qui est le cas, et le but directif (primitif), de faire une tentative linguistique pour que le destinataire réalise une action future (cf. Ghiglione & Trognon 1993). Par contre, dire que P et dire de P (où P est la forme propositionnelle de l’énoncé p), en tant qu’actes génériques, ne « rendent manifeste qu’une propriété assez abstraite de l’intention du locuteur : la direction dans laquelle la pertinence de l’énoncé est à rechercher » (Sperber et Wilson 1989 : 381). Dire que rendrait manifeste l’existence d’une relation descriptive (vs interprétative) entre la pensée du locuteur et un état de choses réel ; dire de, l’existence d’une relation descriptive entre la pensée du locuteur et un état de choses (non pas réel, mais :) désirable.

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1.10. En guise de conclusions : retour sur les critères de classement des modalités.

a. Critères syntaxiques.

a.1. Critère du rapport fonction modale/ structure phrastique (modalité/ type de phrase) : modalités d’énoncé (phrase à double prédication)/ modalités d’énonciation (phrases à contour non assertif : interrogatives, injonctives,

exclamatives)58/ modalités de message (phrases clivées, topicalisations, …)59.

a.2. Critère de l’incidence (construction de la phrase modalisée60): modalité de re (incidence syntaxique intra-prédicative) ; modalité de dicto (incidence syntaxique extra-prédicative). 

Distinction terminologique : incidence syntaxique/ portée sémantique (cf. Le Querler 2001)

b. Critères sémantiques61.

b.1. Critère de l’énonciateur62 : modalités subjectives63 (« élocutives » 64 ; rapport sujet énonciateur/ contenu propositionnel :

modalités épistémiques, appréciatives (ou : évaluatives, ou : axiologiques), désidératives (ou65 : volitives) réflexives66) ;

modalités intersubjectives (« allocutives » ; rapport entre énonciateur et destinataire à propos du contenu propositionnel : modalités déontiques, modalités illocutionnaires directives : ordre, requête, conseil, suggestion…, modalités désidératives (ou : volitives) translatives67) ;

modalités objectives (« délocutives » : rapport entre deux contenus propositionnels, contre effacement de l’énonciateur : ontiques (ou : aléthiques), implicatives).

b.2. Critère du contenu68 : modalités aléthiques (ontiques), déontiques, épistémiques, désidératives, appréciatives, implicatives,

temporelles …

58 Au sens d’André Meunier. Cf. Meunier, André (1974) – « Modalités et communication », Langue Française n° 21, pp. 8-25. Citations pertinentes : « [La modalité d’énonciation] se rapporte au sujet parlant (ou écrivant). Elle intervient obligatoirement et donne une fois pour toutes à une phrase sa forme déclarative, interrogative ou impérative […].[La modalité d’énoncé] se rapporte au sujet de l’énoncé, éventuellement confondu avec le sujet de l’énonciation. Ses réalisations linguistiques sont très diverses de même que les contenus sémantiques et logiques qu’on peut lui reconnaître. [Elle] caractérise la manière dont le sujet de l’énoncé situe la proposition de base par rapport à la vérité, nécessité (vrai, possible, certain, nécessaire et leurs contraires etc.), par rapport aussi à des jugements d’ordre appréciatif (utile, agréable, idiot, regrettable, …) » (art. cit., pp. 13-14).« Une phrase ne peut recevoir qu’une seule modalité d’énonciation, alors qu’elle peut présenter plusieurs modalités d’énoncé combinées » (art. cit., p. 13).59 Cristea, Teodora (1981) – « Pour une approche contrastive de la modalité », in Cristea et al., Les modalités. Etudes contrastives, Bucuresti : TUB, 8-46.60 Ce classement concerne surtout les modalités dites d’énoncé (selon le critère précédent).61 Nous préférons cette étiquette à celle de « critères fonctionnels» – susceptible de suggérer, à tort, que lesdits critères aient à voir avec la découpe focus/ topique de la grammaire fonctionnelle.62

Ce sont là des tentatives de classement (Le Querler 1996 et Charaudeau 1992) qui regroupent modalités d’énonciation et modalités d’énoncé. Cf. Le Querler, N. (1996). Typologie des modalités, Caen : Presses Universitaires de Caen. Cf. Charaudeau, Patrick (1992) – Grammaire du sens et de l’expression, Paris : Hachette.63 Le Querler (1996). 64 Terme emprunté à Charaudeau 1992. Noter que le contenu de cette classe n’est pas identique chez les deux auteurs, malgré des points de coïncidence.65 Au gré des auteurs, la distinction <désidératif>/ <volitif> est maintenue ou au contraire délitée. Si nous n’avions pas souscrit au délitement de cette nuance au niveau conceptuel même, il aurait fallu noter ici « ou  » (sans « : »).66 Vouloir, désirer + infinitif : Je veux partir.67 Vouloir que, désirer que + subjonctif : Je veux que vous fassiez attention à l’emploi des modes dans la relative. Je ne veux pas que tu viennes (négation portant sur la complétive : « défendre, interdire » - cf. Nouv. P. Rob.) 68 Ce classement, qui récupère les catégories modales de la tradition logique, tout en en augmentant l’inventaire, concerne, à nouveau, surtout les modalités dites d’énoncé.

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2. Modalités d’énonciation.

Sémantiquement parlant, les modalités d’énonciation indiquent l’attitude du locuteur dans son rapport avec le destinataire de l’énonciation : actes de langage69 ; syntaxiquement parlant, ce sont là des types de phrase obligatoires – modulo l’hésitation au sujet de l’exclamation :

assertion (phrase assertive ou : déclarative), interrogation (phrase interrogative), injonction (phrase impérative), exclamation (phrase exclamative).

Hors cours.

La notion d’acte de langage est définie à l’intérieur d’un cadre théorique spécifique : la théorie des actes de langage (entendue comme cas particulier de la théorie de l’action). Il s’agit, pour l’essentiel, de ce que l’on fait (accomplit) en disant quelque chose à quelqu’un.

Performatif vs constatif

Dans un premier temps (Austin J.L., Quand dire c’est faire, Paris, Seuil, 1970 (tr. fr.)/ 1962 (original)) sont seulement dissociés les performatifs ou : déclarations (angl. statements) dont l’énonciation revient à exécuter (angl. to perform) une action (exemple donné : baptiser un bateau, c’est dire, dans les circonstances appropriées, les mots ‘je baptise’ ). Dépourvus de conditions de vérité, à l’encontre des énoncés qui décrivent un état de chose ou rapportent (= constatent) un fait (énoncés appelés, désormais : constatifs), mais sujets à des conditions de réussite, les énoncés performatifs remettent en cause le postulat du caractère essentiellement descriptif du langage (« l’illusion descriptive », dans les termes d’Austin).

Locutoire vs illocutoire vs perlocutoire

La difficulté d’opérer des distinctions tranchées entre énoncés constatifs et énoncés performatifs à l’aide de critères à proprement parler linguistiques tels le critère, syntaxique, du verbe performatif à la première personne du singulier, ou le critère, lexical, des « mots performatifs » (verbes ou autres) a eu pour conséquence l’élaboration de l’appareil théorique. La question de savoir ce que veut dire, au juste, « dire, c’est faire » sera envisagée sous un angle plus large.Seront maintenant définis comme « actes de langage » :

1. l’acte de dire quelque chose (= acte locutoire), lui-même décomposé en plusieurs actes généralement coextensifs l’un à l’autre :

produire (prononcer) des sons (= acte phonétique) ; produire des vocables (ou : mots) qui entrent dans des constructions conformes à la

grammaire (=acte phatique), et pourvus, dans l’emploi, d’un sens et d’une référence déterminés (= acte rhétique) ;

2. l’action réalisée du fait même de dire (en accomplissant un acte locutoire donc = acte illocutoire – de in (« dans ») – ‘acte réalisé dans la locution’) : promettre, poser une question, donner un renseignement, annoncer un verdict, donner un ordre, … ;

3. l’acte ou l’effet provoqué par la locution (vs dans la locution), sur les sentiments, pensées, agissements de l’auditoire, du locuteur ou de tiers (= acte perlocutoire, de per (« par »)) : convaincre, effrayer, faire faire, … (Austin 1970/ 1962).

Le noyau dur de la théorie défendue par Austin est sans conteste la notion d’illocutoire, née, elle, en droite ligne, d’une généralisation du concept de performatif. La spécificité de l’illocutoire repose sur l’exploitation conjointe de deux axes d’oppositions : fonction dénotative, et respectivement conventionnel :

la distinction entre valeur (force) de l’énonciation et signification de l’énoncé (assimilée, elle, à la dénotation (=sens + référence)) oppose l’illocution à la locution ;

la distinction entre conventionnel (produit de règles) et non conventionnel (produit des circonstances) oppose l’illocutoire au perlocutoire, comme l’invariant au variable.

Austin distingue cinq types fondamentaux d’illocutions :

Actes verdictifs [ verdictives ]   : énonciations qui reviennent à exprimer ce que l’on a constaté (officiellement ou pas), à partir de l’évidence ou à partir des raisons concernant ou bien les faits eux-mêmes, ou bien leur caractère axiologique (actes judiciaires, plutôt que législatifs ou exécutifs : prononcer un diagnostic (par un expert : médecin ou autre), acquitter, condamner, décréter, classer, évaluer, etc.).

Actes exercitifs [ exercitives ]   : énonciations consistant à donner une décision pour ou contre une certaine façon d’agir, à inciter les autres à se comporter de telle ou telle façon. A l’encontre des verdictifs, les exercitifs comportent un jugement (une décision) sur ce qui devra ou devrait être, plutôt que sur ce qui est : dégrader, commander, ordonner, léguer, pardonner, etc.).

Actes promissifs [ commissives ] : énonciations qui visent à obliger le locuteur à adopter une certaine façon d’agir, à s’engager à des degrés divers (ce terme ne s’applique pas aux seules

69 Ou plutôt : actes illocutionnaires. Voir encadré

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promesses au sens strict : promettre, s’engager formellement, faire voeu de, prêter serment (jurer de), parier, etc.).

Actes comportatifs [ behabitives ]   : énonciations qui expriment une réaction à la conduite ou au sort des autres, des attitudes à l’égard du comportement antérieur ou simplement prévu, d’autrui (s’excuser, remercier, injurier, déplorer, critiquer, braver, etc.).

Actes expositifs [ expositives ]  : énonciations qui visent à exposer une manière de voir les choses, à développer un argument, à tirer au clair l’usage d’un mot, ou le référent de celui-ci (affirmer, nier, postuler, remarquer, décrire, témoigner, rapporter, etc.).

Désormais, quand nous emploierons le terme d’acte de langage (ou : acte de parole), nous nous référerons aux seuls actes illocutoires (ou : illocutionnaires).

Contenu propositionnel vs force illocuoire

La postérité d’Austin élaborera davantage encore la théorie des actes de langage (= actes illocutionnaires). Searle (1972 (1969)) s’attache à opérer la distinction entre proposition exprimée par l’énoncé et acte accompli dans l’énonciation non seulement en termes d’actes (acte locutoire (notamment : rhétique) vs acte illocutoire), mais également en termes de la structure syntaxique de la phrase énoncée  (relativement aux actes illocutionnaires mêmes); ainsi discriminera-t-il deux types de marqueurs : le marqueur de contenu propositionnel et le marqueur de force illocutoire. C’est là une distinction qui ne se laisse appréhender directement que dans le cas des performatifs explicites, où la principale correspond au marqueur de force illocutoire, et la subordonnée enchâssée, au marqueur de contenu propositionnel : [F je te promets [p que je fermerai la fenêtre]] – soit, dans la notation de l’auteur, pour l’acte de force F accompli à propos du contenu propositionnel p : F(p). En vertu cependant du principe d’exprimabilité70, tous les énoncés se laisseraient réduire à des performatifs explicites : Searle considère en effet qu’un marqueur de force illocutoire (préfixe performatif Je verbe illocutoire) sous-tend, en structure profonde, tout énoncé (analyse qui correspond en tout point à l’ « hypothèse performative » des générativistes chomskyens (cf. Ross 1970)).

Conditions de succès des actes illocutionnaires

À la distinction actes/ marqueurs des actes il correspond, dans la théorie searlienne, la distinction règles constitutives (des actes)/ règles sémantiques (dérivées des premières, et gouvernant l’emploi des marqueurs d’actes). Cette distinction se laisse enchâsser dans une autre, d’ordre plus général : règles constitutives (qui créent des activités dépourvues d’existence indépendante : les règles qui gouvernent les jeux (football ou échecs au même titre), y compris les « jeux de langage » au sens de L. Wittgenstein) vs règles normatives (qui ont pour objet des comportements/ actions qui existent indépendamment des normes les régissant : à l’instar des règles de politesse, la signification des phrases est justiciable de conventions). Si les conventions sémantiques dépendent des langues particulières, les règles constitutives des actes de langage seraient universelles. Elles définissent autant de conditions de succès des actes illocutoires :

Condition de contenu propositionnel (propriétés du contenu propositionnel de l’acte : action future de l’interlocuteur pour l’ordre, du locuteur, pour la promesse) ;

Condition(s) préliminaire(s) (qui doivent être satisfaites préalablement, pour que l’acte puisse être accompli : capacité de l’interlocuteur, pour l’ordre) ;

Condition de sincérité (qui définit l’état psychologique du locuteur : désir pour l’ordre, intention pour la promesse, croyance, pour l’assertion) ;

Condition essentielle (qui définit le but illocutoire : amener l’interlocuteur à réaliser l’action pour l’ordre, s’engager à la réaliser soi-même, pour la promesse, s’engager sur la vérité de la proposition exprimée, pour l’assertion).

Dès qu’une règle constitutive est enfreinte, l’acte échoue, mais cet échec est différent suivant la règle spécifique qui aura été violée.

Classement des actes illocutionnaires

Partant de la distinction explicite entre verbes illocutoires (qui ressortissent aux langues particulières) et actes illocutoires (universaux de langage), l’auteur réévalue la taxinomie d’Austin, davantage un classement de verbes que d’actes, et, qui pis est, ne reposant pas sur des principes/ critères de classement clairement définis d’entrée de jeu, d’où force chevauchements inter-catégoriels. Aussi, la contribution de Searle consistera-t-elle notamment à une recherche des critères de classement pertinents et surtout mutuellement consistants. Il en isole douze, mais cinq seulement sont décisifs dans la classification à proprement parler :

Le but illocutoire (condition essentielle) ;

Mais pas : la force avec laquelle est présenté le but (qui varie selon le degré d’explicitation de l’acte, et, si l’acte est explicite, selon le verbe employé : demander de/ exiger de/ ordonner de), ni le style de l’accomplissement de l’acte (annonce vs confession).

La direction d’ajustement entre les mots et le monde (concerne le contenu propositionnel de

l’acte, et représente une sous-composante (sinon une conséquence) du but illocutoire : ajustement

70 Qui asserte que tout ce que l’on veut dire peut être dit littéralement (cf. Searle 1969/ 1972).

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des mots, au monde, pour une assertion, ajustement du monde, aux mots, pour une promesse ou un

ordre) ;

L’état psychologique exprimé (l’attitude du locuteur par rapport au contenu propositionnel de

l’acte : condition de sincérité) ;

Les statuts respectifs du locuteur et de l’interlocuteur (condition préparatoire) ;

Mais pas : les relations de l’énoncé aux intérêts du locuteur et de l’interlocuteur, ni les relations de l’acte au reste du discours (réponse (question), conclusion (argument(s))).

Le contenu propositionnel (les différences dans le contenu propositionnel qui sont déterminées par

des mécanismes liés à la force illocutionnaire : états de choses passés, pour le rapport, états de

choses futurs, pour la prédiction).

Mais pas : les différences entre actes essentiellement et non essentiellement linguistiques (qui ne peuvent pas ou respectivement qui peuvent être accomplis y compris sans le dire : poser un diagnostic vs prêter serment), ni entre actes institutionnels (excommunication, déclaration de guerre), et non institutionnels, ni entre actes dont le marqueur (le verbe) est susceptible d’emploi performatif, et actes dont le verbe n’est pas susceptible d’un tel usage (cf. se vanter, menacer).

Type d’actes But illocutoire Direction d’ajustement

Etat psycho-logique exprimé

Statuts du locuteur et de l’ interlocuteur

Contenu propositionnel

REPRÉSENTATIFS:Suggestion, assertion, prédiction, rapport,…

Engagement du

locuteur sur la vérité

de la proposition

exprimée

Des mots, au

monde.

Croyance.

DIRECTIFS :Requête, consigne, ordre, … question…

Obligation de

l’interlocuteur à

accomplir certain(s)

acte(s).

Du monde, aux

mots.

Désir. Position de force du locuteur.

Action future de l’interlocuteur.

PROMISSIFS :Promesse, legs, serment…

Obligation du locuteur à accomplir certain(s) acte(s)

Du monde, aux mots.

Intention. Action future du locuteur.

EXPRESSIFS :excuse, critique, félicitation, condoléances, remerciements…

Exprimer l’état psycho-

logique (par rapport à

l’état de chose spécifié

dans le contenu

propositionnel).

____ (croyance+ γ71 )

(vérité

présupposée)

DÉCLARATIFS72 :Bénédiction, excomunication, baptême, arbitrage d’un hors-jeu de l’avant-centre, pari sur un trois sans atout (annonce au bridge), verdict de culpabilité, déclaration de guerre…

Provoquer la vérité de leur contenu propositionnel

Direction d’ajustement double.

(+institution extra-linguistique : statuts respectifs bien spécifiques)

Actes de langage indirects : procédure de dérivation (Searle 1975)

Dans un acte de langage indirect, le locuteur réalise un acte illocutoire primaire, par l’intermédiaire d’un acte secondaire, tout en ayant l’intention que ce soit son intention de réaliser l’acte primaire qui soit reconnue par l’interlocuteur. La demande à l’interlocuteur, de passer le sel (au locuteur) peut ainsi être réalisée par plusieurs types de phrases:

1. Par une phrase (surtout interrogative) concernant la capacité de l’interlocuteur à passer le sel :

Pouvez-vous me passer le sel ?

2. Par une phrase concernant le désir/ la volonté du locuteur que l’interlocuteur lui passe le sel :

J’aimerais que vous me passsiez le sel, Je voudrais que vous me passiez le sel…

71 Où l’élément ajouté à l’attitude fondamentale, qui est de l’ordre de la croyance, est de l’ordre du sentiment : insatisfaction (PLAINTE), tristesse (LAMENTATION), y compris lorsque cette attitude est fonction de (voire redondante du) statut du locuteur : culpabilité (EXCUSE), assurance/  sentiment de supériorité (CRITIQUE)…72 Ce sont les performatifs d’Austin.

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3. Par une phrase (éventuellement interrogative) concernant l’exécution de l’action par l’interlocuteur :

Allez-vous (bientôt) me passer le sel ?, Vous me passerez le sel , …

4. Par des phrases concernant le désir/ le consentement de l’interlocueur d’exécuter l’action : Voulez-

vous me passer le sel ? Cela vous dérangerait-il de me passer le sel ?

5. Par des phrases concernant les raisons de l’interlocuteur d’exécuter cette action : Vous devriez me

passer le sel, pourquoi ne pas me passer ce sel ? Ne vaudrait-il pas mieux que vous me passiez ce

sel ?73

6. Par des phrases enchâssant l’un de ces éléments dans un autre, voire par des phrases enchâssant un

verbe directif explicite dans l’un de ces contextes : J’espère que (2) vous m’obligerez en me

passant le sel (3), Pourrais-je vous demander (condition préparatoire du locuteur : variété de (1)

donc, où est enchâssé le verbe illocutoire explicite) de (bien vouloir (4)) me passer le sel ?

Comment l’interlocuteur recouvrira-t-il l’intention illocutionnaire du locuteur, dans tous ces cas-là ? À la faveur d’ « informations d’arrière-plan mutuelllement partagées », tant linguistiques que non linguistiques, ainsi que grâce à ses propres « capacités générales de rationalité et d’inférence » (Searle 1975 : 60-61). La théorie des actes de langage (notamment les conditions de satisfaction des actes), d’une part, et le principe de la Coopération de Grice (et les maximes de régulation conversationnelle qui en dérivent), de l’autre interviennent, conjointement aux informations d’arrière-plan, dans la modélisation searlienne de dérivation de l’acte primaire à partir d’un acte secondaire.

La procédure de dérivation de la demande de passer le sel, à partir d’une phrase interrogeant la capacité de l’auditeur à accomplir cette action, comporterait ainsi dix étapes : (1) l’identification de l’acte littéral (acte secondaire : en l’occurrence, la question de savoir si l’auditeur a la capacité de passer le sel au locuteur) ; (2) l’actualisation de l’hypothèse d’observation très générale, d’une conversation coopérative (l’énoncé du locuteur doit donc avoir un objet, un but) ; l’actualisation d’informations d’arrière-plan conversationnel qui invalident l’interprétation littérale : (3) l’absence d’indices d’un intérêt théorique (du locuteur) portant sur la capacité de l’interlocuteur (le sujet interprétant) à performer l’action , et (4) la probabilité (très haute) de l’hypothèse selon laquelle le locuteur connaît déjà la réponse à la question littérale (réponse affirmative) ; (5) l’inférence du caractère vraisemblablement non littéral de l’illocution ; (6) l’actualisation, à titre de prémisse de raisonnement, d’une proposition ressortissant au bagage cognitif des participants au dialogue, en l’occurrence, l’une des conditions préparatoires des actes directifs (la capacité de l’interlocuteur à performer l’action désirée par le locuteur), et (7) l’identification de l’acte littéral comme question portant sur la satisfaction de cette condition ; à partir de (7), et de (8) (actualisation d’informations d’arrière-plan liées au scénario <DEJEUNER>), inférence de (9) (la question sur la satisfaction de la condition préparatoire de l’acte directif représente une allusion à la satisfaction des conditions d’obéissance de cet acte) ; (10) inférence du but illocutionnaire actuel (en l’absence d’autres buts plausibles), à partir des étapes (5) et (9).

Dans le même article, Searle formule quatre généralisations censées rendre compte des relations systématiques entre forme des phrases et type illocutoire directif de celles-ci.   Le locuteur peut faire une demande indirecte en :

En demandant si/ en affirmant qu’une condition préparatoire (la condition concernant la capacité de l’interlocuteur d’accomplir l’action désirée par le locuteur) est satisfaite ;

En demandant si/ en affirmant que la condition de contenu propositionnel (action future performée par l’interlocuteur) est satisfaite.

En affirmant que la condition de sincérité est satisfaite.En affirmant que/ en demandant si l’interlocuteur a de bonnes raisons (ou des raisons déterminantes)

d’exécuter l’action désirée par, soit objectives, soit subjectives (son désir/ consentement/ bon vouloir même).

Théorie logique de l’illocutoire

La théorie des actes de langage devient une théorie de l’engagement illocutoire (Searle et Vanderveken 1985), qui intègre désormais une théorie de l’énonciation et de ses effets (Vanderveken 1988). La formalisation logique de la théorie non seulement continue à opérer la distinction entre propriétés tant représentationnelles qu’actionnelles des illocutions : l’immense majorité des actes74 sont en effet constitués d’une force prédiquée d’un contenu propositionnel, la première correspondant à la fonction à proprement parler actionnelle de l’énoncé, et le second, à la fonction représentationnelle de celui-ci – mais met en vedette les relations entre les deux types de propriétés/ fonctions.

73 Formulations tout à fait naturelles avec « l’arme » ou « cette arme », à la place du sempiternel sel, et qui exigent simplement la construction d’un contexte interprétatif spécifique, pour sembler naturelles telles quelles : si l’interlocuteur est par exemple, un malade en régime hyposodique...74 Seraient dépourvus de contenu propositionnel  certains actes expressifs réalisés au moyen d’interjections (Zut! Aïe !), tandis que d’autres auraient un « contenu qui n’est pas une proposition complète, mais plutôt un objet de référence » (Vanderveken 1988 : 30) : Vive la France !

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Le contenu propositionnel d’un acte est envisagé comme une proposition qui représente (au sens fort du terme) les conditions de satisfaction de celui-ci : en effet, le contenu propositionnel d’une demande de faire quelque chose est la proposition qui représente l’auditeur faisant cette chose (à « cause » justement de la demande). Or, toute demande est satisfaite si l’action s’accomplit.

Quant à la notion de force illocutoire, elle est explicitement posée comme notion dérivée, donc comme combinaison de plusieurs éléments : (a) le but illocutoire, qui détermine également la direction d’ajustement de l’énonciation (cinq types de buts illocutoires sont retenus, comme précédemment (cf. taxinomie des actes in Searle 1979/ 1982) : assertif, commissif, directif, déclaratif et expressif), (b) le degré de puissance (l’intensité de la force mise au service du but, qui est fonction de l’engagement du locuteur, et qui est généralement identique à l’intensité de l’attitude exprimée (degré de puissance du but = degré de puissance de la condition de sincérité – voir infra (7)): une requête et un ordre diffèrent, entre autres, quant à leurs degrés de puissance ; (c) le mode d’accomplissement (prière : expression humble/ requête : option de refus ouverte à l’interlocuteur/ commandement : option de refus présentée comme fermée, position d’autorité du locuteur invoquée lors de l’énonciation) ; (d) les conditions de contenu propositionnel (exprimées en français par des contraintes syntaxiques sur les formes grammaticales) ; (e) les conditions préparatoires (présuppositions du locuteur, à distinguer des présuppositions au sens strict, liées au contenu propositionnel de l’énonciation, et indépendantes de sa force) ; (f) les conditions de sincérité (l’état psychologique conventionnellement associé à l’accomplissement d’un acte (vs réellement possédé par le locuteur)) ; (g) le degré de puissance des conditions de sincérité (marqué à l’oral par l’intonation, et à l’écrit, par des adverbes comme sincèrement, franchement, etc. ; les actes de demander et d’implorer, partagent le but directif, ainsi que la condition de sincérité (état psychologique de désir), mais diffèrent quant au degré de puissance de cette dernière (moindre pour la demande)). Une force illocutoire n’est cela dit pas la simple addition de ses sept composantes (six selon Vanderveken 1988), car celles-ci ne sont pas indépendantes les unes des autres : le but déclaratif détermine en effet la condition préparatoire du locuteur (autorisé à réaliser l’état de chose représenté par le contenu propositionnel par sa seule énonciation), etc.

Force primitive/ forces dérivées

Les forces assertive, commissive, directive, déclarative et expressive correspondant aux cinq types de buts représentent les cinq forces primitives, « les plus simples possibles », pourvues uniquement de but, d’un degré de puissance neutre, et des conditions préparatoires, sur le contenu propositionnel et de sincérité que ce but détermine ; toutes les autres forces illocutoires en sont dérivées, par des opérations d’ajout de conditions (sur le contenu propositionnel, préparatoires et/ou (selon le cas) de sincérité), d’augmentation ou baisse de degré de puissance du but, ou encore de restriction du mode d’accomplissement du but (Searle et Vanderveken 1985 : 51 ; 60-70). Voir le graphe ci-dessous, qui relie des forces illocutoires de même but (directif) :

+mode d’accomplissement spécifique (consistant à donner option de refus à l’interlocuteur)

Force directive primitive demande   + condition sur le contenu

propositionnel (acte de discours futur de l’interlocuteur, dirigé vers le locuteur original) question 

+baisse du degré de puissance du but suggestion +condition préparatoire (action

future « bonne » (ON-désirable)) recommandation

Références minimales (en attendant le cours de pragmatique) :

Austin, John Langshaw (1970) – Quand dire, c’est faire, Paris, Seuil.

Searle John R. (1972 /1969) – Les actes de langage, Paris, Hermann,. Searle, John R. (1982) – Sens et expression, Paris, Minuit.

Searle John R. et Daniel VANDERVEKEN (1985) – Foundations of Illocutionary Logic, Cambridge, Cambridge U.P., 1985.

Vanderveken, Daniel (1988) – Les Actes de discours, Bruxelles, Mardaga.

Ghiglione Rodolphe & Alain Trognon (1993) – Où va la pragmatique? De la pragmatique à la psychologie sociale, Grenoble, Presses Universitaires.

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2.1. L’assertion. La phrase déclarative.

2.1.1. Syntaxe de la phrase déclarative : phrase déclarative ou phrase affirmative ?

La négation étant regroupée, en grammaire générative-transformationnelle standard, comme type de phrase optionnel (forme de phrase), avec le passif, l’impersonnel, l’emphase, le type déclaratif sera directement envisagé en tant que type obligatoire ‘affirmatif ‘(‘affirmation’, opposée à l’interrogation et à l’impératif : Le serpent75 mordit Jacques Fréron). Dans cette acception donc, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, l’affirmation n’est pas opposée à la négation : les phrases négatives peuvent fort bien épouser le contour prosodique ‘affirmatif’ (Le serpent ne tua pas Jacques Fréron).

Nous avons fait état précédemment de nos réserves sur cette option métalinguistique (§1.4. supra), aussi nous bornerons-nous ici à un rapport neutre de la théorie présentée.

Le constituant affirmatif se réécrit obligatoirement par le constituant Intonation affirmative (abréviation Intonaffir), distincte, par hypothèse, des intonations interrogative et impérative.

Σ→ Const +P

Const → Affir

Affir → Intonaffir

Σ→ Intonaffir +P

P → SN +SV

Σ→ Intonaffir +SN +SV (structure profonde)

Le changement structurel, au passage de la structure profonde à la structure de surface, dans le cas de la phrase affirmative (active non emphatique) se réduira au déplacement du constituant Intonaffir en fin de séquence :

Intonaffir +SN +SV (structure profonde) SN +SV + Intonaffir (structure de surface).

Taff 

La transformation affirmative ainsi formulée est postulée pour rendre compte de l’hypothèse fondamentale du modèle, la distinction entre structure profonde et structure de surface, même en l’absence de différences directement observables en termes de contour prosodique marqué et/ou en termes de l’ordre des éléments terminaux (mots76) : il n’y a donc plus de réécriture directe de la phrase de base (affirmative active non emphatique).

D’autre part, le déplacement à droite du constituant affirmatif (Intonaffir) rendrait compte du traitement prosodique caractérisé en fin de syntagme prosodique maximal, donc concernant au premier degré la fin de la séquence linéaire (linéarisée). Cette corrélation reste cependant sujette à caution, dans la mesure où, bien que le contour assertif soit, en français du moins, descendant, les données prosodiques concernent l’ensemble de la phrase, et non seulement sa fin.

75 Dont il est question dans la fable de La Fontaine. Dans le texte évoqué, le sujet est indéfini, et la phrase, ouverte par deux compléments donnant le cadre spatio-temporel : Un beau jour, au fond d’un vallon, un serpent mordit Jacques Fréron. Ce type de construction, à sujet non-topical, est une phrase thétique. Nous y reviendrons sous 3 (voir infra).76 De toute manière, au niveau du noyau, en français, l’ordre des mots et affixes directement observable en surface, ne recoupe pas directement l’ordre d’insertion lexicale des constituants terminaux sous les constituants syntagmatiques concernés (en structure profonde issue de l’application incrémentielle, éventuellement récursive, des règles de réécriture) : (…) Aux (→affixe) + V (→racine) + SN, en structure profonde, contre racine+ affixe en structure de surface.

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2.1.2. Sémantique de la phrase déclarative.

Le constituant affirmatif est interprété comme une assertion dont P est le noyau (comme une assertion dont P est le contenu propositionnel, en termes de la théorie des actes de langage).

L’assertion exprime l’attitude de croyance du locuteur à la vérité de l’état de chose décrit par son énoncé (Théorie des actes de langage).En termes de pragmatique inférentielle (Théorie de la Pertinence), l’assertion exprime une relation descriptive entre la pensée du locuteur et un état de chose du monde –ou, en termes plus étoffés : la forme propositionnelle de l’énoncé d’une phrase déclarative interprète (littéralement) une pensée du locuteur qui est la description d’un état de chose réel.

Du point de vue de la hiérarchie informationnelle, le constituant affirmatif permet l’interprétation du sujet de l’assertion (de) P comme topique (de cette assertion), et du syntagme verbal comme commentaire, ainsi que l’interprétation des autres syntagmes nominaux (compléments) comme non-topiques.

Ces faits permettent de définir la relation entre phrase active et phrase passive : la transformation concernant le marqueur sous-jacent de modalité Affir (en bref   : la transformation affirmative) a lieu après la transformation concernant le marqueur sous-jacent de Passif (ou   : transformation passive) , aussi le sujet de la phrase passive (complément de la phrase active correspondante) sera-t-il interprété comme topique de l’assertion que fonde le constituant Affir (c’est-à-dire : de l’assertion qui est l’interprétation sémantique du Constituant Affir) :

Le serpent mordit Jacques Fréron [Topique : serpent, Jacques Fréron commentaire] → Jacques Fréron fut mordu d’un serpent [Topique : Jacques Fréron, serpent commentaire].

Cf. Dubois et Dubois-Charlier 1970, chap. XV.

Des notions corrélatives proches mais (minimalement) distinctes.

Bien que souvent, dans la littérature, les notions de topique et de thème, et respectivement, de commentaire et de propos (ou : rhème), soient entendues comme synonymes, et comme instanciant en quelque sorte ou bien la relation sujet/ prédicat, ou bien la relation information donnée/ information nouvelle, une mise au point à cet égard s’impose. Les critères opérationnels pour la discrimination de ces couples notionnels restent minimalement distincts.

Topique (ce qui est mis en position frontale, ce qui est annoncé en premier lieu par le locuteur)/ commentaire (ce qui est introduit après introduction du topique): distinction syntaxique (positionnelle).

Thème (objet du discours)/ propos (ce qu’en dit le locuteur77) : distinction fonctionnelle (structure fonctionnelle (= interprétative) des énoncés vs structure formelle des phrases).

Sujet/ prédicat : distinction grammaticale (fonctions grammaticales) et logique (sujet : terme particulier, prédicat : terme général (Strawson78)).

Les fonctions grammaticales ne recoupent pas systématiquement les catégories logiques correspondantes79: il existe des sujets grammaticaux qui n’ont pas la sémantique des ‘termes particuliers’ (tels les noms en emploi générique Les castors sont des mammifères, L’homme est mortel), et il existe des phrases dont les prédicats logiques ne sont pas analysés (du moins pas en grammaire normative scolaire) comme des prédicats grammaticaux, n’étant pas réalisés par des séquences qui comportent des verbes, mais par des adjectifs (L’homme est mortel : prédicat grammatical est mortel, où l’adjectif mortel est analysé come attribut du sujet ;  prédicat logique MORTEL), par des noms Anne est linguiste : prédicat grammatical est linguiste, où le nom linguiste (en usage non référentiel – l’absence d’article en témoignant) est analysé come attribut du sujet ; prédicat logique LINGUISTE) ou des prépositions (Le piano est dans le bureau : prédicat grammatical est (sous analyse existentielle forte des situatifs), ou est dans le bureau (sous l’analyse copulative); prédicat logique DANS, à deux arguments internes sélectionnés : le piano et respectivement le bureau.

Information donnée (ancienne)/ information nouvelle : distinction cognitive.

Cf. Moeschler & Reboul (1994) : 456-458.

77 Ou : rhème. Expression contenant l’information que le locuteur désire communiquer (au sens de l’école fonctionnaliste praguoise (Firbas).78 Strawson, Peter Frederik (1974) – Subject and Predicate in Logic and Grammar, Londres : Methuen.79

Les exemples donnés dans la référence citée pour illustrer l’absence de correspondance terme-à-terme entre catégories logico-sémantiques et catégories de l’analyse grammaticale sont en fait :

(i) Sujet logique sujet grammatical (Paul a été tué par Jean vs Jean a tué Paul, les deux phrases (active et passive) étant censées se ramener, de l’avis des auteurs, à une même forme logique TUER (Jean, Paul)).

Puisque cette analyse ne correspond pas à la perspective adoptée ici, nous avons changé d’illustrations sur ce point précis.

(ii) Prédicat (logique) verbe (L’homme est mortel : MORTEL (l’homme) ; Le piano est dans le bureau : DANS (le piano, le bureau)).

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Typiquement, en français, les sujets sont des Thèmes, les Thèmes sont des Topiques, et Topiques et Thèmes participent de l’information donnée (référents déjà introduits dans le discours), ce pourquoi ce sont (ou, pour les Topiques, ils comportent), le plus souvent, des syntagmes nominaux définis. Un énoncé tel Un serpent mordit Jacques Fréron sera donc (toutes choses égales par ailleurs80) moins acceptable que sa contrepartie à sujet défini Le serpent mordit Jacques Fréron.

2.2. L’interrogation. La phrase interrogative.

2.2.1. Interprétation de la phrase interrogative:

question appel d’information (valeur prototypique) : le locuteur ignore la réponse. Exemples : Êtes-vous son père ? Qui êtes-vous ?

question-écho (valeur marginale, non prototypique) : on n’aura pas bien entendu, on veut se faire répéter/ préciser une partie de l’énoncé de l’interlocuteur.

Exemple : A : Je vais fermer la fenêtre.B : Tu vas faire quoi ? (intonation montante)

2.2.2. Syntaxe de la phrase interrogative. Sous-types.

Interrogation totale/ interrogation partielle

Interrogation totale (sans mot interrogatif ; questions fermées : alternatives épistémiques en nombre fini : réponse visée oui/ non) : Est-il encore là ? (Oui, il est là/ Non, il n’est plus là) ;

Interrogation alternative (à coordination disjonctive d’éléments : Préférez-vous la mer ou la montagne ? (alternatives épistémiques en nombre fini→  réponses visées : Je préfère la mer/ Je préfère la montagne) ; Me prenez-vous pour un imbécile ou le faites-vous exprès ? (réponses visées (toutes choses égales par ailleurs): Je vous prends pour un imbécile/ Je le fais exprès ; aucune de ces deux réponses n’étant socialement admissible, cette question alternative fonctionnera pragmatiquement comme un acte, particulièrement agressif, de remise en cause des faits et/ ou dires de l’interlocuteur) ; interrogation alternative polaire (alternatives épistémiques en nombre fini→  réponses visées : si81/ non) : Aimez-vous la mer ou ne l’aimez-vous pas/ ou non ? / ou pas ? réponses : Si, je l’aime/ Non, je ne l’aime pas).

Interrogation partielle82 (à mot interrogatif (qu-) ; questions ouvertes83 : alternatives épistémiques en nombre in(dé)fini) : Qui est là ? (C’est Paul/ Sylvie/ …).

Syntagme qu- : focalisé (=foyer d’information nouvelle), liant une variable (soulignée dans les exemples ci-après) dont la réponse fixera la valeur, au cas par cas. Le reste des éléments de la phrase interrogative ressortissent aux informations présupposées (=déjà acquises).

Qui est là ?/ présupposé : ‘quelqu’un est là’.Où est-elle ?/ présupposé : ‘elle est quelque part’.

Des notions corrélatives proches mais (minimalement) distinctes.

Information donnée (ancienne)/ information nouvelle : distinction cognitive. Focus (foyer d’information nouvelle)/ présupposé (information partagée par le locuteur et

l’interlocuteur84): distinction cognitive et énonciative.

Interrogation directe/ interrogation indirecte :

Interrogation directe : phrase indépendante, à courbe intonatoire spécifique, et se terminant, à l’écrit, par un point d’interrogation. Pourvue de valeur et de fonction interrogative. Est-il encore là ?/ Qui est là ?

Interrogation indirecte (discours rapporté en style indirect) : subordonnée complétive, enchâssée sous un verbe principal qui marque conceptuellement (= descriptivement) la valeur interrogative (mais pas la fonction : suspendue, elle, à la faveur de la subordination) : Je me demande si Paul arrivera ce soir. Je ne sais pas qui arrivera le premier. Noter que la valeur interrogative est également indiquée85 par l’élément introducteur (si : questions totales/ qu- : questions partielles).

80 Le vers de La Fontaine se prête justement à une analyse différente, du fait des adverbiaux de cadre qui ouvrent la phrase : Un beau jour, au fond d’un vallon, un serpent mordit Jacques Fréron.81 Roum. ba da. Réponse affirmative à une question oui/non de forme négative.82 Distinction définie en terme de portée.83 Distinction purement interprétative : réponses visées.84 Information commune à une question et à sa réponse.85 Marqueurs indicatifs vs descriptifs.

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Interrogation comme acte de langage indirect  (stratégie communicative): Je ne trouve pas ce livre (comparer cette assertion à la question appel d’information : Où est ce livre ?).

2.2.3. Syntaxe de la phrase interrogative. Réalisateurs (marqueurs).

2.2.3.1. Interrogation totale.2.2.3.1.1. Interrogation totale directe.

Intonation ascendante suspensive (sans modification aucune dans l’ordre des mots) : Il est toujours là, votre mari ? (comparer à : Il est toujours là, votre mari – à intonation déclarative descendante).

Et inversion du sujet : Inversion simple du sujet clitique: <verbe-clitique86 sujet> (trait d’union obligé : Es-tu

encore là ?; insertion d’un -t- euphonique après un verbe finissant en voyelle : A-t-il compris ? Parle-t-elle toujours aussi fort ?) ; inversion de je : systématique au futur et au conditionnel (dirai-je, pourrais-je, …) ; rare après le présent de l’indicatif (liste fermée : ai-je, suis-je, sais-je, fais-je, dis-je, dois-je, puis-je, vais-je, veux-je, vois-je ; éviter après d’autres monosyllabes : *cours-je, *mens-je, *pars-je, *sors-je, …).

Inversion complexe : <sujet nominal + verbe-clitique sujet> (Paul est-il encore là ?).

Et Est-ce que (version interrogative du présentatif c’est que+ structure phrastique87) : Est-ce que Paul est là ?

2.2.3.1.2. Interrogation totale indirecte.Après si : Je ne sais si le docteur viendra

Inversion du sujet clitique bloquée (inversion simple ou complexe) : *Je ne sais si viendra-t-il, *Je ne sais si le docteur viendra-t-il

Inversion (simple) du sujet non clitique bloquée : *Je ne sais si viendra le docteur.

2.2.3.2. Interrogation partielle.2.2.3.2. 1. Interrogation partielle directe.

Intonation ascendante suspensive optionnelle. Le plus souvent : intonation descendante (à l’instar des phrases déclaratives correspondantes), après une montée sur le mot interrogatif (porteur de l’accent focal). Dans ce second cas de figure, selon l’analyse générative-transformationnelle standard, l’intonation ne serait plus guère un marqueur actuel de l’interrogation.

Mot interrogatif & inversion du sujet : Inversion simple du sujet clitique (trait d’union obligé : Que disait-il ? Qui cherchez-vous ?

Qui est-ce ?88), Inversion simple du sujet non clitique (pronominal ou nominal) 89 – sans trait d’union:

Que disait celui-là   ? Que disait cet homme ? Quand est parti Jean (pour Londres) ?). Inversion complexe : Quand Paul repartira-t-il ?

Mot interrogatif & est-ce que : Quand est-ce que Paul repartira ?

+humain -humain +sujet -sujetQui (est-ce) Qu’(est-ce) …qui …que

Qui [+humain] est-ce que [-sujet] tu as rencontré ? Qu’ [-humain] est-ce que [-sujet] tu racontes ?Qui [+humain] est-ce qui [+sujet] veut encore partir ? Qu’[-humain] est-ce qui [+sujet] arrive ?

Inversion (simple) du sujet clitique/ inversion (simple) du sujet non clitique : distributions distinctes (structures syntaxiques bien différentes !)

Inversion simple du sujet clitique Inversion simple du sujet non clitique(…) Verbe +TEMPS - clitique sujet (…)

Formes complexes : auxiliaire

… verbe +TRAITS SÉMANTIQUES PURS sujet non clitique (…)

Formes complexes : participe passé, infinitif

86 Pour la mémoire : sont appelés clitiques les pronoms atones (=non accentués) qui présentent une contrainte d’’adjacence au verbe. Seuls peuvent intervenir entre un clitique et le verbe d’autres clitiques. Clitiques sujets : je, tu, il, elle, nous, vous, ils, elles (pronoms personnels sujets) et ce (démonstratif sujet). Ainsi, entre je (clitique sujet) et ai (auxiliaire de temps) peuvent licitement intervenir les clitiques objets (le lui) et ne (négation clitique) : Je ne le lui ai pas rendu.87 Construite par inversion simple du sujet clitique ce.88 Inversion de je courante pour les verbes de la liste déjà mentionnée (ai-je, suis-je, sais-je, fais-je, dis-je, dois-je, puis-je, vais-je, veux-je, vois-je : Pourquoi ai-je fermé ce tiroir à clé ?) ;  rarissime (tour très marqué, en particulier à l’oral), avec les verbes en -e → -é ( ?Pourquoi hésité-je ? /OKPourquoi est-ce que j’hésite ?).89Souvent appelée, dans la littérature : inversion stylistique. Les opérations stylistiques étant par hypothèse supposées être optionnelles, seuls les cas où cette inversion est optionnelle devraient être nommés ainsi.

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2.2.3.2.1.1.Cas particuliers.2.2.3.2.1.1.1. Inversion exclue : mot qu- sujet (qui : Qui l’a dit ?).

{Pas d’inversion : variante préférée/ inversion complexe : variante permise} : mot qu- sujet (combien de…, quel…, lequel de(s)…).

- Combien de gens l’ont vu ? - Quel témoin a vu l’accusé ? Quelle folie avait pris Clémence ?- Lequel de ces enfants a vu l’accusé ? Lequel de ses romans vous paraît le meilleur ? [variantes

préférées – exemples (et sanction normative) empruntés à Hanse 1991 : 526]

- Combien d’entre vous l’ont fait (+ l’ont-ils fait), - Quelle rage de vivre et de dominer l’avait-elle soutenue ? (Druon), - Laquelle de ces deux Mathilde (…) emporte-t-elle la sympathie d’Aliénor ? (Pernoud)

[variantes permises – exemples (et sanction normative) empruntés à Hanse 199190 : 526-527]

2.2.3.2.1.1.2. Inversion simple obligée :

Mot qu- attribut (Qui êtes-vous ?, Qui est cet homme   ? Quelle sera votre décision ?) ou attribut (Quelles gens êtes-vous ? Quelles gens sont les Dupont ?)

Sujet= SN [+humain] Attributs du sujet en variation libre : Qui / Quel

Qui est cette femme ? Quelle est cette femme ?

Sujet= pronom personnel [+personne, locuteur]

Attribut du sujet à choix contraint : Qui/ *Quel(le,s) :

Qui suis-je ?Qui sommes-nous ?Qui es-tu ? Qui êtes-vous ?

*Quel suis-je ?*Quels sommes-nous ?*Quel es-tu ? *Quels êtes-vous ?

Sujet= SN [-humain] Attribut du sujet à choix contraint : *Qui/ Quel 

*Qui est cette voiture ? Quelle est cette voiture ?

Attribut du sujet +quInterroger sur la qualité Que suis-je ?

Que devient-elle ?91 Interroger sur l’identité Qui suis-je ?

Qui est-elle ? Qui est cette femme ?

QueCOD (Que disent-ils ? Que veulent ces gens ? Que vont dire ces gens ?) Où est + SN (Où est votre guitare   ? Où avait été votre guitare ?)

2.2.3.2.1.1.3. Inversion complexe obligée :

Négation excluant l’inversion simple du sujet non clitique: Depuis quand votre ami ne dort-il plus ?/ *Depuis quand ne dort plus votre ami ? Comparer à : Depuis quand votre ami dort-il? OKDepuis quand dort votre ami? Depuis quand s’est endormi votre ami ?

Négation & mot qu- sujet (→négation excluant l’absence d’inversion): Combien de… ne pas (Combien d’entre vous ne l’ont-ils pas fait ?), Quel… ne pas (Quels étudiants n’ont-ils pas compris l’explication ?).

Pourquoi, En quel sens excluant l’inversion simple du sujet non clitique : *Pourquoi rient les enfants ?/ OKPourquoi les enfants rient-ils ? *En quel sens parlent les fleurs ? / En quel sens les fleurs parlent-elles ?

Pour éviter l’équivoque : éviter la séquence <Verbe + SNi+ SNj> : *Où a trouvé Pierre ce livre ? OKOù Pierre a-t-

il trouvé ce livre ? *À qui a donné Pierre ce livre ? OKÀ qui Pierre a-t-il donné ce livre ?  éviter les phrases à deux arguments nominaux directs (=sans préposition)

[+humain]: ???Quel ami [sujet ? COD ?] soupçonne votre fils [sujet ? COD ?]?/ OKQuel ami votre fils soupçonne-t-il ?

Ce n’est pas évident que l’interdiction des séquences <V + sujet+attribut (du sujet, de l’objet)>  tombe sous le même principe (éviter l’équivoque au niveau notamment de l’interprétation des fonctions grammaticales). En effet, si, dans le cas de l’attribut de l’objet on peut alléguer (à la limite), comme facteurs de risque sémantique (interprétatif), l’adjacence du sujet nominal inversé et de l’objet non clitique92, ou, si l’objet est, lui, un pronom clitique, l’adjacence du sujet et de l’attribut accordé avec l’objet :

90 Hanse, Joseph (1991) – Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne, Paris-Louvain-la-Neuve : Duculot, deuxième édition mise à jour et enrichie.91 Avec, en sus de la lecture littérale compositionnelle (réponse attendue (par exemple): prof d’anglais), une lecture idiomatique (disant à peu près la même chose que : Comment va-t-elle ?). Traduction en roumain : Ce mai face ?.92 Même cas de figure donc que <Verbe + SNi+ SNj>.

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- *Quand laissera celui-là [sujet inversé] les enfants [objet] tranquilles [attribut de l’objet]?/ OKQuand celui-là laissera-t-il les enfants tranquilles ?

- *Quand nous [objet clitique] laissera celui-là [sujet inversé] tranquilles [attribut de l’objet]?/ OKQuand celui-là nous laissera-t-il tranquilles ?

tel n’est manifestement plus le cas avec l’attribut du sujet :- *Comment serait votre frère [sujet] si ingrat [attribut du sujet]?/ OKComment

votre frère serait-il si ingrat ? 

2.2.3.2. 2. Interrogation partielle indirecte.

Pas d’inversion : Sujet pronom clitique (personnel, ce, on) : Je ne sais où il est/ pour quand c’est.

Inversion simple du sujet non-clitique possible : Sujet SN (non clitique) : Je me demande ce que mon frère a dit/ ce qu’a dit mon frère.

Inversion simple du sujet non-clitique préférée : Verbe plus court que le SN sujet : J’ignore où est cet employé (comparer : J’ignore où se trouve cet

employé/ J’ignore où cet employé se trouve actuellement).

Inversion simple du sujet non-clitique obligée : Mot qu- atribut, sujet SN (non clitique) : Je ne sais quel est votre avantage. Je me demande qui

est cet individu.93

Inversion simple du sujet non-clitique bloquée : En cas d’équivoque (deux arguments nominaux directs (sans préposition) +humain): J’ignore qui

[sujet ? COD ?] a rencontré Jean [sujet ? COD ?]/ OKJ’ignore qui [objet] Jean [sujet] a rencontré. Négation ; Pourquoi excluant l’inversion simple du sujet non clitique94 : *Dites-moi depuis

quand ne dort plus votre ami / *J’ignore pourquoi rient les enfants. 

2.2.3.3. Interrogation à l’infinitif.

Questions partielles portant sur un argument non sujet ou sur un circonstant :Que faire ?95 Où aller ? Comment retirer le poignard ?

Interprétation : sujet non exprimé = locuteur/ indéfini générique équivalent à on.

2.2.3.4. Tours familiers : préserver l’ordre des mots de la phrase déclarative, éviter l’inversion. Terme interrogatif en position de base : Tu vas où ? Vous attendez qui ? Tu pars quand ? Tu regardes

quoi ?96

Terme interrogatif en tête de phrase, renforcé par c’est qui/ que (éviter l’inversion de est-ce (que/ qui)) : Quand c’est que tu pars ? Qui c’est que tu attends ? Qui c’est qui a cassé le vase ?

!!!*Que c’est que …

Terme interrogatif (qu-) + que (abréviation de Qu- +est-ce que) : Où [est-ce] que tu vas ? Quand [est-ce] que tu reviens ? Qui [est-ce] que tu attends ?

Terme interrogatif extrait par le présentatif c’est __ qui/que

C’est quand que tu pars ? C’est qui que tu attends ? C’est où que tu vas ???C’est quoi, que tu veux ? [comparer à : quoi que (tu veuilles), quoique(tu veuilles bien y aller)…]??C’est qui qui arrive ?

2.2.4. Pragmatique de l’interrogation→ pour détails, voir cours de linguistique voué à la pragmatique (Licence, semestre 6).

2.2.4.1. Valeur fondamentale (cf. interprétation de la phrase interrogative) : question-appel d’information.

Interprétation directive (question comme demande de dire, sous-type directif donc) : théorie des actes de langage (Searle & Vanderveken 1985).

93 Mais : Je me demande qui vous êtes (sujet clitique→ pas d’inversion).94 Dans l’acception pertinente (circonstant de phrase), En quel sens exige, au style indirect, lexicalisation du verbe de pensée ou de parole sous-jacent dans la question au style direct (« portée sur le dire »): ?J’ignore en quel sens les fleurs parlent. / OK J’ignore en quel sens tu penses que/ tu dis que/ on dit que les fleurs parlent.95 Cette question porte sur le procès même. Réponses : toujours des phrases infinitives (fuir, lutter, …).96 Interprétées comme vraies questions-appels d’information, ou comme des question-écho (demande de précision : on n’aura pas bien entendu/ compris).

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Interprétation non directive (question comme interprétation d'une pensée qu'il serait désirable d'entretenir d'une certaine manière : en tant que connaissance) : théorie de la pertinence (Sperber & Wilson 1989).

Tout énoncé implique aux moins deux relations : une relation entre la forme propositionnelle de l’énoncé et une pensée du locuteur (son «intention informative ostensive»), et l'une des quatre relations possibles entre une pensée et ce que cette pensée représente.

Une pensée, comme toute représentation mentale douée d'une forme propositionnelle, peut être utilisée descriptivement, ou interprétativement.

Quand elle est utilisée descriptivement, une pensée peut être la description d'un état de choses réel, ou celle d'un état de choses désirable.

Utilisée interprétativement, une pensée peut être l'interprétation d'une pensée attribuée (ou d'un énoncé attribué) à quelqu'un, ou bien l'interprétation d'une pensée qu'il serait désirable d'entretenir d'une certaine manière : en tant que connaissance, par exemple. D'où les cas de figure ci-contre :

METAPHORE : relation interprétative entre la forme propositionnelle de l'énoncé et la pensée qu'il représente ;

IRONIE : relation interprétative entre la pensée du locuteur et des pensées ou des énoncés attribués ;

ASSERTION : relation descriptive entre la pensée du locuteur et un état de choses du monde ;

DEMANDE,CONSEIL : relation descriptive entre la pensée du locuteur et un état de choses

désirable;

QUESTIONS,EXCLAMATION : relation interprétative entre la pensée du locuteur et des pensées

désirables – cf. Sperber et Wilson 1989: 347-348.

Noter que l’analyse générative-transformationnelle standard du Constituant interrogatif comme type obligatoire de phrase repose crucialement sur l’hypothèse de l’interprétation distincte des questions (pour le type interrogatif) et des ordres (pour le type impératif).

2.2.4.2. Valeur argumentative : orientation vers le négatif (Il fait beau maintenant [→sortir], mais fera-t-il beau ce soir [→ne pas sortir]?).

2.2.4.3. Valeurs dérivées : question-requête : Avez-vous l’heure ? [Quelle heure est-il s’il vous plaît ?, « Dites-moi l’heure

qu’il est,  s’il vous plaît »] ; T’aurais-pas cent balles ? [« Prêtez-moi 100 francs, s’il vous plaît »] ; Pouvez-vous me passer le sel ? [« Passez-moi le sel, s’il vous plaît »].

question rhétorique (implique le contraire de ce qu’exprime sa forme grammaticale) : Es-tu parti pour Londres ? (→« Tu n’es pas parti pour Londres ») ; N’es-tu pas là ? (→« Tu es là »). Cas particulier : les questions appel de confirmation (N’est-ce pas que Jacques est gentil ?/ Jacques est gentil, n’est-ce pas ?/ Jacques est gentil, non ?).

Dans tous ces cas de figure, la réponse visée par l’interro-négatif (réponse préférée) sera : Si/ réponse non préférée : Non/ réponse exclue : *Oui.

2.3. L’exclamation. La phrase exclamative.

Sémantique (non vériconditionnelle) : fonction expressive (affectivité) vs fonction référentielle vs fonction d’appel (ou : directive)97.

L’exclamation exprime « un sentiment vif devant un événement » - Dubois & Lagane 1997 (1973) : 161), « une attitude affective du sujet parlant à l’égard de l’état de chose évoqué par son énoncé » (Riegel, Pellat & Rioul 2008 (1994): 387), bref, une réaction affective du locuteur, de l’ordre de l’admiration98 ou du dégoût99, de

97 Fonctions du langage, au sens de Karl Bühler.

98 Qu’il est beau, le lavabo ! (Ah ! [interjection+] Qu’il est beau ! [exclamation])

99 Qu’il est laid, le bidet ! (Pouah ! [interjection+] Qu’il est laid ! [exclamation])

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l’approbation100 ou de l’indignation101, de la joie102 ou de la peur103, du souhait104 ou du regret105, mais aussi de l’ordre de l’incrédulité, de l’étonnement106 etc.

Cette approche, en termes des fonctions du langage dans la communication (approche traditionnelle que nous appellerons de ce fait : fonctionnelle) refuse à l’exclamation à la fois la dimension actionnelle (acte de langage), et la portée cognitive (selon l’opposition cognitif/ affectif), et, le plus souvent, intègre exclamation et interjection à une même catégorie :

- soit en définissant d’emblée les interjections comme espèces d’exclamations (l’exclamation étant entendue, elle, comme modalité « de l’énoncé » (vs type de phrase), à côté non seulement de l’affirmation ou de la négation, de l’interrogation, de l’ordre ou de la défense, du souhait ou du regret, mais aussi du doute, de la possibilité et de l’éventualité): « exclamations brèves, parfois faites d’un simple cri, destinées à mettre en relief un sentiment ou un geste », parfois envisagées en tant que classe grammaticale (Mauger 1968 : 382),

- soit en assimilant, en second, les interjections aux phrases exclamatives (« les interjections, dont la fonction est d’exprimer un sentiment plus ou moins vif, peuvent être assimilées à des phrases exclamatives » – Dubois & Lagane 1997 (1973) : 162).

Syntaxe de la phrase exclamative: type obligatoire ? (← contour prosodique propre) ;  type optionnel ? (← type non exclusif de l’assertion, ni de l’interrogation – modalités avec

lesquelles l’exclamation partage, de manière assez systématique, le plus clair de ses marqueurs morphosyntaxiques (sinon prosodiques); cumul de valeurs modales explicitement consigné à l’écrit, pour l’interro-exclamatif, par la ponctuation [?!] : Elle est déjà partie ?! (exclamation surajoutée à une vraie question appel d’information107) Elle est allée où ?! (exclamation surajoutée à une question-écho) Que ne le disiez-vous plus tôt ?! (exclamation surajoutée à une question rhétorique).

2.3.1. Approches alternatives de l’exclamation.

2.3.1.1. Approche actionnelle : théorie des actes de langage.Exclamation = Assertion emphatique (croyance + sentiment).

Dans le classement des actes de langage proposé dans Searle (1972 (1969)), l’exclamation n’est pas mentionnée en tant que telle, mais la description des actes EXPRESSIFS se laisse extrapoler à l’exclamation : ce sont des actes typiquement réalisés par des phrases exclamatives (excuse, la critique, félicitation, condoléances, remerciements…), et qui expriment une attitude psychologique de l’ordre de la croyance (à l’instar des actes représentatifs, dont l’assertion), augmentée d’un élément de l’ordre du sentiment (insatisfaction (PLAINTE), tristesse (LAMENTATION), y compris lorsque cette attitude est fonction de (voire redondante du) statut du locuteur : culpabilité (EXCUSE), assurance/  sentiment de supériorité (CRITIQUE)…) –soit, en notation : « croyance + y ».

Ce qui est remarquable dans cette analyse, c’est que cognitif et affectif y sont réunis plutôt qu’opposés l’un à l’autre (à l’encontre de l’analyse traditionnelle en terme des fonctions du langage (fonction expressive).

Les théories de l’énonciation, dans l’espace francophone, se rallient à la même perspective :

100 C’est parfait ! [exclamation]

Tant mieux ! C’est cela (+ça) ! Ça va ! [exclamations brèves, fortement lexicalisées, souvent analysées comme interjections]Bravo ! [interjection]101

Ça, par exemple ! Ça alors ! [interjections] Ça alors ! [interjection +] Vous l’avez assommée, imbécile ! [interjection +exclamation] 102

Ah [interjection+], elle est là, ma bien-aimée ! [exclamation]103

Oh [interjection+], elle est là, la mégère ! [exclamation]104

Ah  [interjection+]! Si elle était encore là ! [exclamation]105

Hélas [interjection+], elle est déjà partie, votre Dulcinée ! [exclamation]106

Tiens  [interjection+]! Il pleut ! [exclamation]Ça alors [interjection+] ! elle n’est plus là ! [exclamation]Lui, voler un parapluie!107

L’interro-exclamatif y exprime alors, à la fois, l’état de non savoir préalable du locuteur (alternatives épistémiques ouvertes : ‘Elle est déjà partie’ (OUI)/ ‘Elle n’est pas encore partie’ (NON)), et son attitude subjective, de l’ordre de l’incrédulité face aux indices situationnels pointant vers la première de ces alternatives (OUI), de l’ordre du regret que tel puisse être le cas, de l’ordre du souhait que ce soit plutôt l’autre alternative qui se réalise, … :

A : La voiture de Marie n’est plus dans le parking.B : Elle est déjà partie ?!A : Oui, elle est partie plus tôt que prévu.[réponse non préférée]/ Non, elle est en réunion. Sa voiture est chez le garagiste. [réponse attendue/ espérée]

Remarquer que, si l’interrogation totale à inversion du sujet (clitique) semble exclusive de ce cumul de valeurs modales, tel n’est pas le cas des questions QU- : Mais quand/ où a-t-elle bien pu partir ?!.

La question se pose de savoir comment l’interrogation (alternatives épistémiques polaires (OUI/NON) activées à la fois) survit alors à l’exclamation (qui n’en active par hypothèse qu’une seule, sur le mode de l’évidence). si l’ajout de l’exclamation achève de convertir une question a priori non orientée en question orientée, et, le cas échéant, s’il s’agira d’une sorte de question appel de confirmation (comparable à Elle n’est pas encore partie, n’est-ce pas ?, mais en l’occurrence plutôt empreinte du regret (pour son départ précoce)/ souhait qu’elle ait été encore là (‘pourvu qu’elle ne soit pas partie !’) ou bien d’une question rhétorique au sens usuel .

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Exclamation = Assertion + « quelque chose en plus » (Antoine Culioli – théorie des opérations énonciatives108)

Exclamation = Assertion du haut degré/ du degré extrême.

2.3.1.2. Approche cognitive : pragmatique inférentielle (Théorie de la pertinence).Rapprochement (et opposition) dire QU-/ demander QU-

La forme propositionnelle de l’énoncé d’une phrase exclamative (graduelle) interprète une pensée qui est elle-même l’interprétation d’une pensée désirable (assigner une valeur à la variable liée par le mot exclamatif : pertinent pour l’interlocuteur/ assigner une valeur à la variable liée par le mot interrogatif : pertinent pour le locuteur).

Sous cette analyse, l’exclamation (ou plutôt : la forme moins que propositionnelle car incomplète de l’énoncé exclamatif) fournirait une interprétation de l’assertion du haut degré/ du degré extrême correspondante – de même que la (forme moins que propositionnelle car incomplète de la) question QU- fournit une interprétation de la réponse.

2.3.1.3. Approche vériconditionnelle de l’exclamation  (théorie des univers de croyance – Martin 1987109). En termes de valeur de vérité relativisée aux univers de croyance et aux mondes possibles.

2.3.1.3.1. Notions opérationnelles.

Mondes possibles :

(1) totalité inconditionnée de faits non contradictoires (le monde actuel = un monde possible parmi une infinité d’autres : extension infinie du POSSIBLE, POSSIBLE intemporel) ;(2) l’ensemble des mondes alternatifs du monde m0 de ce qui est   ; ces mondes alternatifs ne diffèrent de m0 que par une proposition ou par un ensemble de propositions qui s’y trouvent non vérifiées (conception temporelle du POSSIBLE).

Mondes potentiels (m): ne contiennent aucune proposition contradictoire avec celles de m0 (mondes qui présentent comme vrai ou comme faux ce qui apparaît dans m0 comme possiblement vrai ou comme possiblement faux110).

Le « monde des attentes » : chaîne privilégiée ayant toutes les chances de se réaliser (parmi le champ infini des possibles ouverts en t0). L’un seulement des mondes possibles deviendra « le monde de ce qui est », quand l’avenir sera lui aussi devenu du passé.

Mondes contrefactuels (―m111): contiennent au moins une proposition contradictoire avec celles de m0 (et donnent donc pour vraie une proposition admise dans m0 comme fausse112).

Univers de croyance : l’ensemble indéfini des propositions que le locuteur, au moment où il s’exprime, tient pour vraies ou qu’il veut accréditer comme telles113.

Indéfini : parce que toutes ces propositions ne sont pas explicitées (propositions latentes tenues pour respectivement vraies ou fausses).

Variable selon les informations que le locuteur possède (connaissances acquises, faits mémorisés : la même phrase, énoncée par des locuteurs différents, aura des contenus plus ou moins précis).

Distinct de la notion d’univers de discours (=ensemble des circonstances dans lesquelles une proposition peut être dite vraie (circonstances décrites par des adverbiaux de phrase (sous l’Ancien Régime, p) ou fournies par le co(n)texte interprétatif)).

Notion opérationnelle pour l’analyse de : des contextes opaques (Oedipe voulait épouser (vs épousa114) Jocaste/ *sa mère115) ; du discours direct et indirect, de l’usage de certains adverbes, de l’emploi des temps et des modes.

108 CULIOLI, Antoine (1974) – «A propos des énoncés exclamatifs », Langue Française n°22, Paris : Larousse.

109 MARTIN, Robert (1987) – Langage et croyance. Les univers de croyance dans la théorie sémantique, Bruxelles : Mardaga.

110 Il est possible que Pierre soit revenu évoque un monde où Pierre est revenu est une proposition vraie.

111 Noté, dans le texte comme m barré.

112 Si Pierre avait réussi laisse entendre que Pierre n’a pas réussi, sa réussite étant évoquée dans un monde contrefactuel (¯m – je

n’arrive pas à « dessiner » la barre sur la lettre !!!).113

Mais il est évident, le long de l’ouvrage, que l’auteur emploie le terme, à l’occasion, dans son acception la plus large (la plus naturelle aussi) de terme complexe s’appliquant à tout sujet de conscience : ainsi, Uil est-il censé noter « l’univers de croyance de il » (table des abréviations et des symboles). 114

Avec le passé simple (sans verbe modal désidératif), le contexte est transparent : dire qu’Œdipe épousa Jocaste, c’est dire qu’il épousa sa mère (même si Œdipe ignorait l’identité référentielle /Jocaste = sa mère/).115

Ne sachant pas que la femme appelée Jocaste était également sa mère.

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Univers de croyance vs image d’univers  : au lieu de conférer lui-même à une proposition une valeur de vérité, le locuteur peut situer cette proposition dans quelque univers qu’il évoque. La représentation, dans le discours (du locuteur), d’un univers de croyance qui n’est pas le sien ici-et-maintenant, est appelée image d’univers.

Images d’univers : notion qui ‘couvre toutes les modalités épistémiques’ (p. 20)

Hétéro-univers (U’, U’’…) : l’ensemble de propositions que tient pour vraies celui dont le locuteur rapporte les dires, la pensée ou la croyance (« l’énonciateur ») ; ou bien l’univers du locuteur en un temps autre que t0 (le temps de l’énonciation).

Génèrent des hétéro-univers : à une personne autre que je, les verbes d’attitude propositionnelle (croire, penser…) et les

verbes de parole (dire que, demander si…) ; à la première personne du singulier (je), les verbes d’attitude propositionnelle (ou de parole) à

un temps autre que le présent (de l’indicatif) : je pensais alors que p, je m’imaginais que p, je vous avais dit que p…

le conditionnel dit de l’information incertaine (de distanciation – n.n.).

Anti-univers (―U) : l’ensemble des propositions qui, quoique fausses en t0, auraient pu être vraies (=que l’on imagine être vraies), donc l’ensemble des propositions vraies dans des mondes accidentellement contrefactuels. Ex. : Si Pierre avait réussi (Pierre n’a pas réussi Uje, Pierre a réussi ―U).

À distinguer des propositions fausses qui ne sauraient être vraies en t0 (car étant le fruit de la seule imagination du locuteur : Si Napoléon était au pouvoir… (prononcée en 2011)), et qui définissent des mondes esentiellement contrefactuels.

Image de l’univers de croyance 116 (description de l’univers actuel du locuteur : Je crois que p, Je sais que p).

Image (en ligne) d’un univers ‘anonyme’ (modalisateur épistémique renvoyant anonymement au certain, au vraisemblable, … : Il est certain que p – énoncés à pronom sujet impersonnel (explétif il); d’où sans doute l’idée que la prise en charge par un énonciateur spécifique (locuteur actuel117, ou autre118) serait complètement dépourvue de marquage linguistique).

Commentaire : Cette analyse ignore l’apport sémantique de la forme verbale (traits de temps-aspect-mode (TAM)), au codage linguistique (grammatical) de la prise en charge par le locuteur actuel (ici: présent de l’indicatif).

En l’absence de tout renvoi à quelque autre énonciateur (à la faveur de la construction impersonnelle), les traits TAM exprimeront (par défaut : seul sujet de conscience d’accessible dans le contexte énonciatif/ interprétatif) le degré d’adhésion du locuteur actuel, à la vérité de la proposition posée comme certaine.Comment d’ailleurs exprimer la distinction entre il est certain que p et on est certain que p (forme personnelle à sémantique vague qui préserve elle aussi le caractère (référentiellement) anonyme du sujet modal, mais projette un hétéro-univers de la ‘voix publique’119, à moins d’accepter que la construction impersonnelle véhicule, elle, toutes choses égales par ailleurs120, une description de l’univers actuel du locuteur (à l’instar d’énoncés épistémiques à sujet modal je du type de je trouve certain que p, je crois que p, je sais que p) ?

J’avoue ne pas saisir la portée pragmatique exacte de cette distinction, puisqu’en disant il est certain que p (vs on est certain que p : hétéro-univers de la ‘voix publique’ si ce n’est d’un énonciateur identifiable dans l’environnement cognitif du locuteur et/ou en situation de

116 Sorte d’image d’univers ‘en ligne’, toutes les autres étant ‘hors ligne’.

117 Comparer à Je crois que p

118 Comparer à Paul croit que p.

119Rappel : on est un pronom de troisième personne qui désigne toujours des humains (= ‘n’importe qui’, ‘tout le monde’, ‘les gens’), ne

s’emploie qu’en tant que sujet, et commande un accord du verbe au singulier : Quand on veut, on peut. Emplois particuliers (avec diverses valeurs de style) : on = ‘je’ (On fait ce qu’on peut), on = ‘tu’, ‘vous’ (Alors, on fait l’intéressant ?), on = ‘nous (moi +d’autres)’ – accord de l’attribut du sujet ou du participe passé avec le sujet réellement visé : On est arrivés en retard). Cf. Dubois & Lagane 1997 (1973) : 90-91).

Remarque : Dans toutes ces interprétations marquées, la langue familière accepte l’accord référentiel avec le sujet visé pour l’adjectif attribut, le participe passé du verbe, jamais toutefois pour le verbe porteur de l’information de temps et de personne. C’est là un indice à proprement parler linguistique de la sémantique ‘déviante’ du pronom.

Si – selon interprétations ‘marquées’ de on – la référence du pronom personnel [+humain] à sémantique référentielle vague se laisse dévoiler discursivement (en présence, éventuellement, d’indices linguistiques (tel l’accord), ou textuels (co-texte intra-phrastique: apostrophe, exposant participant d’une stratégie allocutive, …) : on est certaine/ certains de ce que l’on avance, mon petit/ ma petite fleur/ mes petits, n’est-ce pas   ? ) il s’agira de l’hétéro-univers d’un énonciateur identifiable dans l’environnement cognitif du locuteur et/ou en situation de discours (l’interlocuteur, ou l’interlocuteur et/ou un (des) tiers), à moins que on ne désigne le locuteur lui-même ou le locuteur lui-même et un (des) tiers : auquel cas nous serons présentés avec une image (en ligne) de l’univers de croyance (du locuteur). Jamais pourtant avec ce que Martin 1987 appelle image d’un « univers anonyme ».120

Comparer : En résumé, pour vous, il est bien certain que p.

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discours), le locuteur assume cette certitude autant – sinon plus – que lorsqu’il dit je crois que p, je sais que p).

Notation en usage :

Ui (univers d’un locuteur donné à l’instant i)/ Ui+k (univers d’un locuteur donné à l’instant i+k)/ Uje (univers du locuteur (actuel)), U’ (image d’univers) ; U’je (univers du locuteur en un temps autre que t0), Uil (univers de de il), Uon (univers ‘anonyme’ [ ?] – s’agirait-il de la voix publique [comme dans les dictons et autres proverbes] ?).

2.3.1.3.2. Classement des phrases exclamatives (Martin 1987 : chap.7) & réalisateurs.

non graduelle Forme assertive, interrogative rhétorique (question oui/non à réponse orientée) ou interrogative indirecte en si + INTONATION

- p assertée avec force dans le monde de ce qui est mo (univers de croyance U)/ fausseté de p dans quelque monde contrefactuel (relevant d’une image d’univers U’: contradictoire avec l’univers actuel du locuteur)

Exclamation évidence dans l’univers de croyance (du locuteur) U

graduelle Forme interrogative (inversion du sujet clitique, si, quel…, combien…, combien de… ; qu’est-ce que), mécanismes de pseudo-subordination que/ ce que), de comparaison (comme), de consécution (si/ tellement + adj/ adv & ellipse de la subordonnée consécutive), d’indéfinition, diverses (autres) procédures d’effacement+INTONATION

- p vérifié jusque dans les cas extrêmes (parcours des possibles : mondes potentiels m (relevant de l’univers de croyance U)) / fausseté de p dans au moins un monde contrefactuel (relevant d’une image d’univers U’)

2.3.2. Exclamation non graduelle121

2.3.2.1. Formants qui se rattachent directement au composant « p assertée avec force dans le monde de ce qui est mo » (formes qui assertent p ou évoquent p (même quand elles interrogent non-p):

2.3.2.1.1. [structure de phrase assertive] Mais elle est là ! (en réponse et s’opposant à une assertion de l’interlocuteur : Marie ne viendra pas.)

Comparer à l’assertion (enchaînement en discours homogène): {Nous ne l’attendions pas,/ Elle n’a pas été invitée,} mais elle est là.

2.3.2.1.2. [structure de question rhétorique (équivalent fonctionnel d’une assertion, du fait du caractère fortement orienté de la réponse122) – formes finissant en n’est-ce pas ?, non ?, pas vrai ? exclues !]

Mais enfin, n’était-il pas présent quand la décision a été prise ! Comparer à la question inversive correspondante (une question à réponse orientée): N’était-il pas présent quand la décision a été prise ? (= il était présent quand la décision a été prise, n’est-ce pas ?)

Qui ne l’accepterait ! Comparer à la question rhétorique correspondante : Qui ne l’accepterait ? (= « n’importe qui l’accepterait, tout le monde l’accepterait »)

Comment est-ce possible ! Comparer à la question rhétorique correspondante : Comment est-ce possible ? (=  « ce n’est pas possible ») →exclamation contradictoire : le réel contredit les attentes du locuteur.

Si elle était là ! Si elle est là ! Noter la troncation, l’effacement de la proposition racine : l’interrogation est attribuée à quelqu’un d’autre, la mise en doute interrogative est présentée comme injustifiée, car se heurtant à l’évidence des faits. Comparer à la question indirecte oui/non correspondante : Vous vous demandez [maintenant] si elle était là [alors].

Tours non tronqués : Vous pensez si elle était là ! Pensez si elle était là ! (« bien sûr qu’elle était là »)Malgré la forme d’interrogation indirecte, vous pensez si (à la différence de vous savez si123) est confiné à l’exclamation.

2.3.2.1.3. Autres constructions :

121 Exemples de l’op.cit. (sauf stipulation).122

Selon l’inversion de polarités : réponse affirmative à une question négative (N’est-elle pas charmante ?), et négative à une question affirmative (Le vois-tu là ?).123

Qui exprime l’ignorance du locuteur, quant à la valeur de vérité de la proposition elle était là.

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[exclamation non graduelle & emphase par extraction du constituant focalisé (phrase clivée) : C’est maintenant que tu le dis ! C’est René qui a été surpris ! (GM : 405).

Et [sujet] qui ne [Verbe] pas ! « ajout d’un argument négatif » : Et Tristan qui n’est pas là ! (GM : 406) [exclamation non graduelle & emphase par dislocation du Topique] : La grammaire, je ne m’en lasse

jamais ! (GM : 406) [exclamation non graduelle renforcée par apostrophe et/ou interjections] : Quoi !124 cette nuit ne finira

donc pas ! (Bernanos, apud GM : 407). Octave !125 (…) tu as un pied de rouge sur les joues ! (Musset, GM : 406).

2.3.2.2. Formants qui se rattachent au composant « fausseté de p dans quelque monde contrefactuel (relevant d’une image d’univers U’) »

2.3.2.2.1. [Formes sémantiquement liées au contrefactuel – formes qui évoquent non-p] :Même Pierre est venu ! (« Pierre n’est pas venu » est vrai dans plusieurs mondes contrefactuels : sa venue est étonnante en t0)Il est déjà là ! (=on s’attendait à ce qu’il ne fût pas encore là)S’il avait réussi ! (« Pierre n’a pas réussi » est vrai pour le locuteur)Dommage que tu ne sois pas avec nous ! (« Tu es avec nous » (=non-p, où p est déjà négatif) vrai dans un monde contrefactuel)

[Subjonctif de protestation]: Moi, héron, que je fasse une si pauvre chère ! (« je ne ferai pas… »)[Infinitif d’exclamation]: Moi, renoncer à mon projet ! (« je ne vais pas renoncer … »).

Voir Naples et mourir ! (« Si je voyais Naples je pourrais bien mourir, cela ne me ferait rien » (infinitif de souhait)).

2.3.3. Exclamation graduelle

Pré-requis : prédicats désignant des propriétés sujettes à gradation.Comparer : Est-elle charmante ! / ???Est-elle ingénieur !Est-elle grande ! /*Est-elle grande de 1m85 !*Que ce triangle est isocèle !

2.3.3.1. [Formants qui se rattachent au composant « fausseté de p dans au moins un monde contrefactuel (relevant d’une image d’univers U’ ) »]

2.3.3.1.1. [formes interrogatives : questions oui/non directes (inversion simple du sujet clitique), indirectes (si dubitatif)]

Ces formes « suggèrent » (je dirais plutôt, ici : connotent) la fausseté de p dans au moins un monde possible (comme il en va en général des questions fermées (interrogations totales : « le locuteur ignore si p si et seulement si, à ses yeux, p est faux dans au moins un monde possible » (de son univers de croyance – op. cit., p. 24)126) ; l’intonation exclamative indiquera, elle, que p est de fait vrai dans tous les cas, même dans le cas où on pourrait le supposer être faux (cas extrême).

Est-elle charmante !Si elle est charmante !

2.3.3.2. [Formants qui se rattachent au composant « parcours des possibles »]

2.3.3.2.1. [formes interrogatives : questions qu- directes (portée sur le syntagme nominal dans son entier exclue ; il n’ya pas d’exclamation qui corresponde à une QAI ouverte (interrogation partielle) telle : Qui a été désigné comme juge ? #Qui a été désigné comme juge !); signification des exclamatives morpho-syntaxiquement semblables aux interrogatives partielles : écart quantitatif en nombre ou écart en intensité de la propriété)]

2.3.3.2.1.1. [écart en intensité de la propriété]

Quel juge a été désigné ! [→bien mauvais, en tant que juge : écart quantitatif en intensité de la propriété : noter les données prosodiques distinctes de la phrase interrogative correspondante127]

[questions qu- & ellipse de la copule : construction de fait exclusive de l’interrogation ]Quelle fille charmante ! (*Quelle fille charmante ?)

Condition nécessaire : propriété « attachée de manière durable » au sujet (définition d’une « classe de référence »)128. Comparer :

124 Interjection.

125 Apostrophe.

126 Ce qui revient à reformuler en termes de mondes possibles la sémantique des questions fermées OUI/NON.

127 Quel juge a été désigné ? (accent focal sur quel, montée de la courbe intonatoire sur le même mot, descente sur juge)/ Quel juge a été

désigné ! : départ bas sur quel, montée de la courbe mélodique sur juge (le prédicat quantifié quant à l’intensité de la propriété : ici, de la qualité de juge).128

Op. cit., p. 107.

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Quelle fille fatigante ! /*__________fatiguée ! Quelle fille maladive ! /*_________ malade !

Qu1’est-ce qu2’elle est charmante !

Selon Martin 1987, il s’agirait au contraire d’une pseudo-subordination, à l’instar des tours Ce qu’elle est charmante ! Qu’elle est charmante !. Le tour serait glosé à: « Que [que1 suspensif129, provoquant le parcours des possibles] cela est, à savoir que [que2 appositif] p (= (qu’) elle est charmante) ».

Glose bien plus difficile (moins naturelle) pour : Qu’est-ce qu’il a écrit comme bouquins ! [quantification d’objets vs intensité de propriété], où que2 n’est plus appositif, mais relatif ( ??« que cela est, ce qu’il a écrit comme bouquins »).

L’auteur met en garde cependant que, malgré l’apparente relation de parenté formelle entre qu’est-ce que P !/ ce que P !/ que P !, qu’est-ce que p ! n’est pas à l’origine de ce que p, ni de que p (par troncations successives) – cf. note 22, chap.7, op.cit. (les données diachroniques s’y opposeraient : qu’est-ce que p ! attesté le plus tard).

Contre-argument à l’analyse en termes de subordination : l’inversion du sujet clitique !!!Qu’elle est belle ! *qu’est-elle belle ! (subordination)Qu’est-ce qu’elle est belle ! (phrase racine)

Nous adopterons ici l’analyse plus directe selon laquelle que1 est un adverbe intensificateur QU- (‘à quel point’, ‘combien’) (vs conjS), analyse conforme à l’avis des dictionnaires de langue.Sous cette analyse, le rapport à l’interrogation n’est plus directement pertinent en synchronie: la phrase exclamative comporte un ouvreur d’alternatives épistémiques à proprement parler exclamatif (spécialisé pour l’exclamation) – ainsi qu’il est aisé de le prouver : *Qu’est-ce qu’elle est belle ? (avec l’interprétation visée ici pour que : « à quel point » vs « pourquoi »130) ; comparer à À quel point est-elle belle ? insolite sémantiquement si ce n’est pragmatiquement (À quel point est-elle intelligente ? c’est bien mieux comme acceptabilité), mais grammatical.

C’est là une analyse sémantique de type ‘what you see is what you get’ qui n’exige plus d’implicite laborieux (rasoir d’Occam131).

En général, postuler des ‘opérations énonciatives’ trop étoffées en amont de ce qui se laisse effectivement observer (lien entre opérations sous-jacentes et formes observées rétabli à coup de troncations) participe d’une politique assez douteuse : comment en effet traiter les troncations requises – en ligne, il faudrait y voir des ellipses (avec tout ce que cela comporte de restrictions en syntaxe et sémantique grammaticale) ; hors ligne, ce ne sont ni plus ni moins que des évolutions diachroniques.

Cela vaut (plus ou moins) de l’ensemble des analyses de Culioli (1974, 1992) et de Martin (1987).

2.3.3.2.1.2. [écart quantitatif en nombre]

Quant aux phrases exclamatives en Qu’est-ce que… à sémantique de quantification d’objets (que2 relatif), également analysées dans la référence commentée en termes de pseudo-subordination, nous en rapprocherons plutôt la forme des questions appel d’information à complément de relation telle Qu’est-ce qu’il a écrit(,) comme bouquins ? – à réponses visées non du type de : Il a écrit des romans (spécification de l’espèce de bouquins (prédication sortale)) mais du type de : Il a écrit les romans suivants : « … », « … » … (énumération des bouquins écrits (titres) : référence à des particuliers) & glissement d’une lecture qualitative (d’identification : énumération de particuliers) à une lecture quantitative (nombre de(s) particuliers (énumérés)132.Mais ce rapprochement n’est lui-même pas entendu comme pertinent en synchronie, du moins pas au sens fort (qui consisterait à voir dans l’exclamative une transformée de l’interrogation correspondante). Que1 doit être analysé en synchronie en termes d’ouvreur d’alternatives épistémiques portant sur le nombre, directement (« combien ») – compatible, lui, à la fois avec l’interrogation et avec l’exclamation.

Combien de films ont été censurés ! Combien de courage a-t-il fallu !

129 C’est-à-dire : qui suspend la valeur de vérité : dans une subordonnée (Je crois que Marie est charmante), le que initial (en termes

génératifs : complément(is)eur) suspend la valeur de vérité de la proposition : c’est par le truchement de la principale que la subordonnée peut se voir assigner une valeur de vérité).130

Olivier et Roland, que n’êtes-vous ici ? (Hugo, apud Nouv. P. Rob. 2007).Diachronie (étymologie de que adverbe exclamatif intensificateur, signifiant « comme », « combien ») : dérivé du que interrogatif « pourquoi », et reproduisant ainsi, en français, une évolution sémantique déjà réalisée en latin pour quid (étymon de que interrogatif « pourquoi »).

131 Principe d’épistémologie qui privilégie, en matière de recherche scientifique, la solution la plus simple.

132 Le rapport à l’interrogation invoqué dans la référence citée en termes assez ambigus : tantôt on allègue une sorte de ‘source’ d’ordre

interrogatif (approche informellement transformationnelle), tantôt (et c’est là je crois l’option correcte) on pose ce rapport, en synchronie, en termes de simple proximité formelle superficielle (rapport homonymique des constructions).

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Que de trésors éclos en mon absence! (Colette, apud GM133 : 404).Ouvreur d’alternatives épistémiques à statut de quantifieur (déterminant quantitatif : beaucoup de, assez de, peu de…) – que de spécialisé pour l’exclamation

#Qu’il y a des gens dans la rue !

2.3.3.2.2. [pseudo-subordination : que suspend la valeur de vérité et déclenche le parcours des possibles]

Qu’elle est charmante !Ce qu’elle est charmante ! [quantification sur l’intensité d’une propriété : que = conjonction de subordination, introduisant une proposition en apposition à ce (selon l’auteur, résidu d’un cela)]

Ce qu’il a écrit comme bouquins ! (*Qu’il a écrit comme bouquins !: preuve (selon R. Martin) du fait que, dans ces contextes (=quantification d’objets), que fonctionne comme relatif, dont ce est l’antécédent, et non comme conjonction de subordination).

2.3.3.2.3. [comparaison – sans comparant spécifié : mot qu- à l’origine interrogatif, spécialisé dans l’exclamation134]Comme elle est charmante !Comme elle s’exprime bien !

Analysé dans Martin 1987 en termes d’auto-repérage 135  : [elle est charmante] comme elle est charmante + ellipse de la phrase racine. Interprétation : si on l’avait comparée à x (laide comme un pou, belle comme Vénus, etc. : comparant spécifié distinct du comparé), du point de vue de la propriété P (quelle que soit cette propriété), on aurait présupposé que x est exemplairement P ; dans cette logique, comparer une jeune femme à elle-même pour ce qui est du charme « conduit à la conclusion qu’elle est exemplairement » charmante (propriété quantifiée dans l’exemple donné).

2.3.3.2.4. [consécution – sans conséquence spécifiée : quelle que soit la conséquence, le prédicat est vérifié]Elle est si charmante ! Comparer à l’assertion correspondante non tronquée : Elle est si charmante que vous allez l’épouser.

2.3.3.2.5. [indéfinition – à compléments/ qualificatifs possibles seulement suggérés : tous ces compléments (parcours des possibles) vérifient ce qui est dit]Elle a un (de ces) charme(s) ! Elle portait un chapeau (un de ces chapeaux) !C’est d’un pénible !

2.3.3.2.6. [tours elliptiques définis : contre-exemple apparent ; parcours des possibles présupposé]

Le charme ! Le chapeau !Ce charme ! Ce chapeau !

Dérivation postulée : Elle a un chapeau (indéfinition déclenchant le parcours des possibles déterminations (compléments)) Le chapeau qu’elle a   ! Le/ Ce chapeau !

2.3.3.2.7. [exclamation graduelle renforcée par apostrophe et/ ou interjections & forme (surtout) interlocutive 136: pseudo-subordination (voir 2.2. supra) à extraction du prédicat susceptible de gradation (Topicalisation-focus)] : Octave ! [apostrophe] ô [interjection] fou que tu es ! (Musset, apud GM : 406)

Comparer : Fou que tu es ! [-gradation sur un prédicat par ailleurs gradable]/ Que tu es fou ! [+gradation]

133 Grammaire méthodique…

134 GM : 404.

135 Mécanisme postulé par Culioli 1974 (schémas circulaire de repérage).

136 ?Folle qu’elle est !/ OKQu’elle est folle !

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Page 36: Phrase-modalisee Cours2011 Version 19mai

3. Les modalités du message

L’interprétation des modalités dites ‘de message’ concerne de manière cruciale la hiérarchie informationnelle

thème-rhème (ou : topique-commentaire).

Au sens des Aspects… la hiérarchie informationnelle d’une phrase énoncée participe d’une « fonction d’emphase » au sens large dépourvue de contribution sémantico-logique (=contribution propositionnelle, descriptive, ou indication de force illocutionnaire), car n’affectant pas le ‘contenu informationnel du message’.

Cela en légitimera le traitement transformationnel (vs basique): le topique et le commentaire sont envisagés, dans cette version du modèle, comme des fonctions définies (exclusivement) au niveau des structures superficielles, par opposition au couple sujet/ prédicat, défini en termes fonctionnels relatifs à la base de a grammaire (constituant syntagmatique responsable de la génération de la structure profonde) – Chomsky 1965 : 221, note 32.

Syntaxiquement parlant, les modalités de message ressortissent, comme nous l’avons déjà évoqué dans le chapitre introductif, aux types de phrase facultatifs :

emphase (topicalisation137 ; focalisation&clivage138) ; passif (dé-topicalisation du participant agissant au procès & topicalisation du participant non

agissant) ; impersonnel (disparition du thème (ou : topique), donc à nouveau : dé-topicalisation du

sujet, mais non redoublée d’une topicalisation de l’objet → phrases « thétiques »).

3.1. Grammaire fonctionnelle : catégories Focus et Topique.

3.1.1. Focus : l’information relativement la plus importante ou saillante dans la situation de communication donnée, information considérée par le locuteur comme devant être intégrée par l’auditeur parmi ses informations pragmatiques en toute priorité (Dik 1997:326).

Le marquage grammatical du focus est réalisé, en français, par des procédés différents, en règle générale par un ensemble de moyens phonologiques (comme l’accent, le ton, la phrase phonologique), lexicaux (comme les particules sensibles au focus (=opérateurs de focalisation) : seulement) et syntaxiques (comme la position du terme focalisé).

- position canonique (in-situ) : le terme focalisé garde sa place ‘de base’ (position à légitimation sémantique propositionnelle vs fonctionnelle) ;

- position ex-situ : le terme focalisé se trouve à l’initiale de la phrase. L’entité en focus et la partie non-focalisée, c.-à-d. la prédication, sont séparées par une pause ainsi que, le cas échéant, par d’autres caractéristiques phonologiques (prosodie). La position de l’argument focalisé dans la partie présupposée (non-focalisée) de la construction n’est pas comblée, si bien qu’il reste une lacune (analysée en grammaire générative (version « standard étendue » : « théorie du gouvernement et du liage ») comme trace de l’élément déplacé en tête de phrase). C’est là une différence essentielle par rapport aux constructions de topique.

Ces constructions exhibent des traits sémantico-pragmatiques différents (interprétation des termes focalisés, interprétation de la construction entière).

- constructions ex-situ : focus d’identification (ou : de contraste). Un élément est choisi dans l’ensemble des alternatives contextuelles possibles. L’élément en question est marqué comme celui – à l’exclusion de toutes les autres alternatives – pour lequel la prédication vaut (parcours exhaustif des possibles). En même temps, cet élément se trouve en contraste avec les autres options (ce qui est exclu, c’est la possibilité de substitution d’une autre option à l’option actuellement en focus).

C’est à Paris que j’ai acheté mon chapeau.

- constructions in-situ : focus d’information.Il s’agit de la partie de l’énoncé qui représente une information nouvelle (nouvelle pour l’auditeur) non-présupposée. Typiquement, la réponse à une question QU- (nombre illimité d’alternatives épistémiques ouvertes, parcours non exhaustif) :

Où avez-vous acheté votre chapeau ?-J’ai acheté mon chapeau à Paris.

Position d’accent de phrase déterminée par la syntaxe (‘règle d’accent noyau’ – Chomsky

137 Topicalisation (= déplacement en tête de phrase)-topique (=à interprétation fonctionnelle de <topique>) : Paul, il est déjà parti pour Paris. Pour la distinguer de la topicalisation-focus (=déplacement en tête de phrase à interprétation fonctionnelle de <focus = foyer d’information nouvelle>), en particulier dans les langues dépourvues de tours présentatifs susceptibles d’instancier des structures phrastiques à clivage, ou à clivage rarement employé, tel le roumain (Pe PAUL îl caut (nu pe Mircea) – où les capitales marquent l’accentuation focale).138 Mise en vedette du foyer d’information nouvelle par un présentatif (c’est… qui/que, voilà… que, …) : C’est PAUL qui est arrivé le premier. C’est À PAUL que je voudrais parler. Voilà TROIS JOURS qu’il est parti.

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1971). Typiquement, en français (comme en anglais) : membres de phrase les plus à droite (derniers à être prononcés) :

J’ai acheté mon chapeau à Paris. Comment tu le trouves ?

Un ‘accent noyau’ dans une position autre que celle prédite par la règle indiquerait un focus expressif ou contrastif :

Jai acheté mon chapeau à Paris (non ma jupe) !

Constructions in-situ et focus de contraste (constructions corrélatives, à focus symétriques – même fonction grammaticale, même rôle sémantique):

Je n’ai pas acheté mon chapeau à Londres, mais [je l’ai acheté] à Paris.J’ai acheté mon chapeau non pas à Londres, mais à Paris.J’ai acheté mon chapeau à Paris, et non à Londres.

Constructions in-situ à opérateur de focalisation restrictif (par ‘exclusion d’addition’ vs ‘exclusion de substitution’) :

J’achète mes chapeaux seulement à Paris139. Négation restrictive: Je n’achète mes chapeaux qu’à Paris

J’ai acheté seulement mon chapeau à Paris.Négation restrictive: Je n’ai acheté que mon chapeau à Paris.

3.1.2. Topique : ce dont on parle (« aboutness », « à-propos ») – le topique chez Lambrecht (1994) et chez Dik (1997). 

Parmi les définitions (concurrentes) les plus fréquentes dans la littérature, nous mentionnerons les suivantes (perspective informationnelle et/ ou cognitive):

le point de départ psychologique et/ou positionnel : le thème chez Halliday (1994) ;

l’élément peu informatif : le thème dans les travaux développés par l’école de Prague, puis par Firbas

(1992), le caractère plus ou moins informatif étant formulé en termes de degré de dynamisme

communicatif ;

l’élément connu : amalgame entre statut informatif et accessibilité cognitive ;

la notion de cadre : Chafe (1976).

Fonction de repérage:

Topiques: Cadres (de discours – Charolles 1997):

repérage s’appliquant aux participants à la prédication principale (arguments) ;

signalent ce sur quoi porte le segment en tête duquel ils sont détachés. 

repérage s’appliquant à l’état de choses (fait exprimé par l’énoncé ou l’énonciation) auquel réfère la phrase (adverbiaux) ;

indexe(raie)nt non seulement la proposition à l’initiale de laquelle ils se trouvent, mais aussi, possiblement, un certain nombre de propositions subséquentes.

139 Variante restrictive : Je n’achète mes chapeaux qu’à Paris.

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Topique intégré : Tu as des nouvelles de Paul ?/ – Oui, ←il140 m’a téléphoné hier.

Topique détaché (non intégré), lié141: Paul, ←il m’a téléphoné hier.

Topique détaché (non intégré), non lié: Paul, je n’ai toujours pas de nouvelles142.

Cadre spatial: Sur le pont d’Avignon on danse (vs Le pont d’Avignon, on ←y danse: topique détaché lié143)

Cadre temporel: La nuit, tous les chats sont gris. Au 17e siècle, la condition paysanne était rude.

Tout dépend de la suite du texte. Si le locuteur poursuit son discours sur les chats, ou sur la condition paysanne, ceux-ci constitueront le topique principal de l’énoncé. En revanche s’il se lance dans une énumération des événements caractéristiques de la nuit (agressions, vols de voitures, rencontres étranges…), ou du XVIIe siècle (vie des autres catégories sociales…) on peut considérer que ce sont « la nuit » ou « le XVIIe siècle » qui ont un statut de topique. Ce qui ne les empêche pas d’assurer en même temps une fonction de cadrage (…) par rapport aux événements qui les caractérisent.

Cadre thématique: Quant à Paul, je n’ai toujours pas de (ses) nouvelles.

Topicalisation/ Focalisation: stratégies discursives de construction du Topique et respectivement du Focus (à contreparties syntaxique et phonologique (réalisateurs), ainsi que fonctionnelle (interprétation)).

Topicalisation: opération (syntaxique) de déplacement en tête de phrase (frontalisation) ou bien: à l’une des frontières de la phrase (extraposition – à gauche/ à droite, avec ou sans détachement144). Dans cette acception, neutralisée discursivement quant à la distinction fonctionelle (=interprétative) Topique/ Focus, seront appelées topicalisations aussi bien le déplacement en tête de phrase/ à l’une des frontières de la phrase du constituant voué à interprétation fonctionnelle de topique que celui du constituant voué à interprétation fonctionnelle de focus:

Topicalisation-Topique (+extraposition, +détachement) Topicalisation-Focus (+extraposition, -détachement).

Topicalisation (= déplacement en tête de phrase)-topique (=à interprétation fonctionnelle de <topique>) : Paul, il est déjà parti pour Paris. À distinguer de la topicalisation-focus (=déplacement en tête de phrase à interprétation fonctionnelle de <focus = foyer d’information nouvelle>), actualisée en particulier dans les langues dépourvues de structures phrastiques à clivage, ou à clivage rarement employé, tel le roumain (Pe PAUL îl caut (nu pe MIRCEA) – où les capitales marquent l’accentuation focale145).

Cela dit, en l’absence de qualification, le terme de topicalisation sera entendu dans ce qui suit au sens de « topicalisation-Topique ».

Topicalisation progressive: syntagme topicalisé antéposé (liant le clitique in-situ) dépourvu de marques casuelles. Suite linéaire respectueuse du principe d’iconicité (ce qui est connu/ donné est

140 Ou : celui-ci, ou : ton frère (si, dans la situation d’énonciation donné, le frère de l’interlocuteur est (ledit) Paul) – bref, toute anaphore nominale (fût-elle ad hoc), y compris la répétition du syntagme nominal d’origine (en l’occurrence : Oui, Paul m’a téléphoné hier) ferait l’affaire. Noter que selon certains auteurs, les pronoms personnels clitiques ne seraient jamais des Topiques, à la différence de descriptions nominales plus fournies ou de pronoms démonstratifs, du fait que, dans les constructions à topique détaché, les clitiques redoublent, à la position casuelle (fonction sujet), le topique, nécessairement tonique, lui, qui se trouve en position périphérique (détachée). 141 Au sens de Sophie Prévost (Prévost 2003). Noter que l’emploi du terme « lié » est ici informel, descriptif (à ne pas confondre avec la notion technique générativiste de liage, conditionné à la c-commande du « lié » par le « lieur »).142 Dans le même logique, Paul, je n’ai toujours pas de ses nouvelles illustrera, par contre, un cas de topique détaché lié.143 Que faire alors du refrain de la vieille chanson « Sur le pont d’Avignon, on y dans, on y danse… » ? Cadre lié ?! 144 Pause-virgule. Dans la littérature on parle aussi bien de position détachée (que ce soit par clivage ou par des moyens prosodiques (pause-virgule)) et de syntagmes détachés (qui en arrivent à occuper de telles positions, en surface)). Une extraposition vient en sus des positions argumentales et/ou casuelles canoniques y associées (dont sont respectivement justiciables le rôle sémantique et la fonction syntaxique des syntagmes). Sont des extrapositions les positions de périphérie gauche, vouées à interprétation fonctionnelle discursive actionnelle et/ou informationnelle (positions qui interviennent dans la réalisation syntaxique des modalités d’énonciation et de message).145En cas d’explicitation de l’alternative rejetée (phrase complexe construite par juxtaposition), l’accent focal frappe, souvent, dans le second conjoint, non pas le membre de phrase à statut syntaxico-sémantique symétrique, mais la négation (Pe PAUL îl caut, NU pe Mircea).

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énoncé d’abord).

Paul, ←il m’a téléphoné hier.

Paris, j’←y vais tous les ans.

Paul, je←lui ai légué ma montre en or.

Topicalisation régressive: syntagme topicalisé détaché à droite (postposé), annoncé par le clitique argumental et pourvu de marques casuelles. Suite linéaire non respectueuse du principe d’iconicité.

J’y→ vais tous les ans, à Paris.

Je lui→ ai légué ma montre en or, à Paul.

Bibliographie minimale :

Chafe Wallace L. (1976) – « Givenness, contrastiveness, definiteness, subjects, topics and point of view », in C. N. Li (éd.) Subject and Topic, New York, Academic Press, 25-55.

Charolles Michel (1997) – L’encadrement du discours : univers, champs, domaines et espaces, Cahiers de Recherche Linguistique 6, Université de Nancy-2, 1-73.

Charolles Michel (2002) – « Les adverbiaux cadratifs : fonction et classification », http://www.lattice.ens.fr/siteACFT/Documents/CharollesAdverbFoncClass4111.pdf.

Dik Simon Cornelis (1997) – The theory of functionnal Grammar, Berlin, de Gruyter.Firbas Jan (1992) – Functionnal Sentence Perspective in written and spoken communication, Cambridge, Cambridge University

Press.Halliday Michael Alexander Kirkwood (1985, 2e éd. 1994) – An introduction to Functionnal Grammar, London, Arnold.Lambrecht Knud (1994) – Information structure and sentence form: Topic, Focus, and the mental representations of discourse

referents, Cambridge: Cambridge University Press.

3.2. Grammaire générative : analyse fine de la périphérie gauche.

Initialement (théorie standard étendue) appréhendée comme catégorie fonctionnelle « complémenteur » (ou : « complémentiseur »), notée « C », tête dont les positions de spécification (Spec, C) interviennent crucialement tant dans le codage grammatical des modalités d’énonciation que dans celui des modalités de message, la périphérie gauche bénéficiera, à partir des années 1995, d’une analyse « fine », dans le cadre de l’approche cartographique (école générativiste italienne), en principal à la faveur des contributions de Luigi Rizzi :

Nous nous référerons dans ce chapitre à la première version de cette analyse (Rizzi 1995 (1997 146)), qui distingue non pas une, mais quatre catégories (positions) fonctionnelles distinctes, dans ce qui sera désormais appelé le « domaine » Complément(is)eur :

- Une position C interne, qui rappelle le caractère fini (tensé) ou non fini (non tensé) de la phrase, sélectionnant un TP ou un IP : c’est là une dernière position de redondance morphologique ; en français, que+ indicatif, que+subjonctif, à/ de/ e147+ infinitif, dans les subordonnées complétives (ou relatives) ; catégorie sans réalisation phonologique dans les phrases racines (tête phonologiquement vide) ;

- Une position de Focus, la tête Focus prenant le syntagme Complémenteur interne pour complément, et un autre syntagme XP, en général148 déplacé depuis la région référentielle de la phrase, pour spécifieur ;

- Des positions de Topique optionnelles et itérables (entre C interne et Focus, et supérieure(s) au Focus) ;

- Une position C externe indicateur de Force (assertive, interrogative etc.), la tête Force° prenant un Topique-P149 pour complément : toute phrase sera donc un cas de ‘Force-P’.

146 Rizzi, Luigi (1997) – « The Fine Structure of Left Periphery », in L Haegeman (ed.), Elements of Grammar, Dordrecht: Kluwer, pp. 281-337.147 Morphème à réalisation phonologique zéro (la notation e venant de l’anglais empty (= vide)).148 Si dit dubitatif serait inséré en syntaxe directement à la position Focus (adjoint incorporé à la tête focus°).149 Syntagme formé de la tête Topique°, du complément de cette tête (Focus-P), et d’un spécifieur (éventuellement déplacé depuis la région référentielle de la phrase).

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Ces catégories/ positions permettent une meilleure analyse syntaxique des types de phrases obligatoires aussi (par exemple, des phrases interrogatives à inversion complexe).

3.3. L’emphase.

La GGT standard analyse en termes d’emphase les constructions à topique détaché (non-intégré) et les constructions à Focus ex-situ. La focalisation in-situ n’est pas analysée comme un cas d’emphase.

En français, le focus ex-situ est typiquement instancié dans des phrases clivées.

L’analyse syntaxique de ces constructions concerne la périphérie gauche de la phrase.

TP[+fini {REVEN(IR)+Futur 3pl} +fini]

+finiTop

Top

Top

DPi

Foc

Foc

Foc

Force

tQU-P

Quand les étudiants reviendront-ils ?

+Interr

Où : [TP tles étudiants [T’ t{REVEN(IR)+Futur 3pl} [FP tquand [F’F [VP tREVEN(IR) tles étudiants]]]]]

Où F = catégorie fonctionnelle de prédication optionnelle à sémantique vague (ici : [+Repère temporel]), spécifiée par un PP/ AdvP complément non sélectionné par le verbe, et qui prend le VP pour complément.

La sémantique étoffée du syntagme prépositionnel ou adverbial à Spec,F est en relation hyponymique à la sémantique catégorielle de F ; en tant que prédicat sémantique, cet Adverbial (un PP ou un AdvP) sélectionne, lui, par l’intermédiaire de F, le VP comme ‘sujet de prédication’.

QU-P

Force

Où [+fini] = ‘[+Temps]’

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Page 41: Phrase-modalisee Cours2011 Version 19mai

3.4. Le passif.

3.4.1. Introduction.

3.4. 1.1. Morphologie passive.

En français, comme en roumain, le passif est une forme analytique du verbe150, appelée par les grammairiens français (à partir du XVIIIème siècle) ‘voix’151 et réalisée à l’aide de l’auxiliaire être + verbe au participe passé (accordé avec le sujet grammatical) :

La traite est (a été, vient d’être, était, avait été, fut, a eu été, eut (vite) été, sera, va être, aura été, serait, aurait été) avalisée par un banquier suisse.Il faut bien que cette traite soit avalisée par un banquier suisse pour que notre banque engage aussi sa signature.Il faut bien que cette traite soit avalisée par un banquier avant que notre banque n’engage aussi sa signature.Je doutais que cette traite fût avalisée par un banquier suisse. Je doutais que cette traite eût été avalisée par mon banquier suisse, s’il avait eu vent de la situation obérée de son tireur.

Sois (Soyez) félicité(e, s) ! Soyons bien entendu(e)s là-dessus !La traite étant (ayant été) avalisée, …La traite doit être (avoir été) dûment avalisée.

En français, peuvent « être mis au passif » (conjugaison passive vs conjugaison active) des verbes transitifs directs (+COD : ouvrir qq. ch., lire qq. ch., écrire qq. ch., …)) et des verbes di-transitifs (+COD, +COInd : donner qqc. à qqn), donc des verbes qui ont un complément d’objet direct.

À de rares exceptions près, les verbes transitifs indirects (parler de qq.ch, parler à qqn, penser à qqn/ qq. ch., contribuer à qq.ch., …) n’ont pas de ‘conjugaison passive’, à l’instar des intransitifs (inergatifs : danser, nager,… ; inaccusatifs : aller qq. part, partir qq. part, venir de qq. part, …).

Cette corrélation n’est cela dit pas parfaite : il existe des verbes sans COD qui peuvent être mis au passif (les transitifs indirects (dés)obéir à, pardonner à : Vos ordres ont été obéis, Vous serez pardonnés), et des verbes à COD qui ne sont jamais mis au passif :

- Avoir, posséder (dans leur acception première152) : Marie a un livre./ *Ce livre est eu par Marie.- Verbes modaux + infinitif153 : Marie peut marcher/ *Marcher est pu par Marie.- Verbes à COD interne (pleurer des larmes de joie, dormir le sommeil du juste, vivre sa vie, …) : *Sa vie

est vécue (par Jean), *Le sommeil du juste est dormi…- Expressions figées : casser sa pipe (= « mourir »), casser la croûte (= « manger »), faire autorité (=

être reconnu comme une autorité (dans un certain domaine) »), tenir tête à (= « résister à »), …

Des tours tels donner ordre (aux soldats, d’attaquer à l’aube), donner confirmation (à qqn, de qqch), faire allusion à (qq ch), etc., bien qu’ils correspondent à des verbes (ordonner, confirmer, suggérer), et en dépit de l’absence d’article, peuvent être mis au passif :

Ordre formel a été donné aux soldats d’attaquer à l’aube.Confirmation expresse nous en a été donnée par courrier du 15 courant.Allusion a été faite à cet épisode malheureux dans l’allocution du Président.

- Verbes à faux COD : Complément de mesure : valoir (une fortune), coûter (la peau des fesse), peser

(une tonne), mesurer (trois mètres), faire (= »mesurer ») deux mètres de long,

150 Tel n’était pas le cas en latin, où le passif était une forme synthétique : on distinguait entre ama-nt (=ils aiment)/ ama-ntur (=ils sont aimés), ama-ba-nt (=ils aimaient)/ ama-ba-ntur (=ils étaient aimés). Seules les formes perfectives de passif étaient analytiques (parfait passif = esse (au présent de l’indicatif) + participe parfait passif accordé en genre et en nombre avec le sujet (amati sunt (= ils ont été aimés))). 151 Les grammaires anciennes parlaient de : ‘genre’ ou de ‘signification’ du verbe pour désigner l’opposition entre « action » et « passion » (Muller, Claude (2005) – « Diathèses et voix en français », dans : Interaction entre sémantique et pragmatique, Actes du XIe séminaire de Didactique Universitaire (Constanta 2004, Université Ovidius, ACLIF), Bucarest : Ed. ASE, 73-95).152 J’ai été eue = « j’ai été trompée » (fig.)Il est possédé du DémonIl est possédé par la jalousie (fig. : « il est dominé par… »).153 Les constructions V+ CODinf. sont assez régulièrement rébarbatives au passif, néanmoins on dit bien: Manger du porc est interdit aux Musulmans (= Le Coran interdit aux Musulmans de manger du porc), Boire du café m’a été vivement déconseillé par mon médecin (= Mon médecin m’a vivement déconseillé de boire du café). Notons également que, dans les constructions actives correspondantes, de+inf. n’est pas un COInd mais un COD du verbe recteur, ainsi que l’atteste la pronominalisation en le. Comparer : Le Coran interdit aux Musulmans de manger du porc/ Le Coran l’interdit aux Musulmans, et respectivement Je me flatte de bien parler l’allemand/ Je m’en flatte.

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courir (deux kilomètres), marcher (deux kilomètres),… : *Une fortune est value (par ce tableau)

Complément de temps : dormir la nuit, travailler le jour (= »pendant… ») Courir (le cerf, le sanglier ; les jupons (= « courir après », « chaser en

leurcourant après »).

3.4. 1.2. Construction passive vs construction active154.

Classe syntaxique du verbe

Voix Entité qui agit(Agent)

Evénement dénoté

Ancrage temporel

Entité qui subit (Patient)

Rôles et valeurs sémantiques

Transitif direct, ditransitif

active Sujet Verbe Complément d’objet direct

Réalisateurs syntaxiques

passive Complément prépositionnel (PAR…, DE…)

Verbe au participe passé ( été)

ETRE auxiliaire de voix

Sujet

Phrase active Reformulation Phrase passiveCOD SujetVerbe Participe passé (été)Temps/Mode ÊTRE (conjugué)Sujet Complément d’agent

Votre société a déposé le meilleur projet. (Pourtant elle n’a obtenu qu’un tiers du financement sollicité).Le meilleur projet a été proposé par votre société. (Pourtant il a été rejeté par le Ministère).

Tous les étudiants aimaient ce professeur.Ce professeur était aimé de tous les étudiants.

Phrase active Reformulation Phrase passive sans agentCOD SujetVerbe Participe passé (été)Temps/Mode ÊTRE (conjugué)Sujet ON (+humain, -défini) ________

Pas de complément d’agent Ces livres ont été vendus en trois semaines.On a vendu ces livres en trois semaines.

3.4. 1.2.1. Limites de la corrélation construction active/ construction passive.

Il existe des phrases actives sans correspondant passif exhaustif (complément d’agent exclu)  : les phrases actives à sujet pronom personnel clitique. Comparer : J’ai vendu cette bagnole à un ami. Cette bagnole a été vendue à un ami (*par moi).

Il existe des énoncés qui ne sont attestés qu’au passif :

Nul n’est censé155 ignorer la loi. A l’impossible nul n’est tenu. (Wilmet 2003 : §581, apud Muller 2005 : 76).

3.4.1.2.2. Expression du complément d’agent.

Le complément d’agent est largement optionnel, dans les phrases passives, sans que le sens verbal (passif d’action ou du procès ne s’en trouve affecté) :

Tous ces exemplaires ont-ils vraiment été écoulés par un seul représentant ?Tous ces exemplaires ont-ils vraiment été écoulés en un mois ?

Complément d’agent obligatoire (exceptions) :

(1) verbes d’accompagnement (être précédé de…, être suivi de…) :

La réunion fut précédée d’une allocution du président/ *La réunion fut précédée.Le chasseur est suivi de ses chiens./ *Le chasseur est suivi.

(2) verbes exprimant la cause (être causé par…, être déterminé par…, être entraîné par…) :

Cette hausse des prix a été causée par une fiscalité oppressive/ *Cette hausse des prix a été causée.Ces licenciements ont été entraînés par la perte de plusieurs contrats importants, pour cause de livraisons défectueuses/ *Ces licenciements ont été entraînés.

154 Voix au sens de Muller 2005.155 Contre-exemple apparent, puisque censé est analysé comme vrai adjectif, en français contemporain, par les lexicographes (Nouv. P. Rob. 2007).

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En fin de compte, tous ces licenciements auront été déterminés par l’arrêté ministériel qui nous oblige à étaler les amortissement sur 25 ans : nos équipements battent de l’aile et nos technologies sont dépassées./ *En fin de compte, tous ces licenciements auront été déterminés.

Choix de la préposition.

Par + SNDE + SN

(1) verbes d’action (et y assimilés) :

Il fut appelé par le prof.Ce projet a été mis en place par votre département.

Elle a été touchée par une balle (sens propre : verbe d’action).

MAIS : Je suis impressionnée par la beauté de ces sites.Le public était trop ému par la scène pour applaudir.

Le diamant a malheureusement été étonné (= fêlé) par le jeune apprenti. (sens étymologique : verbe d’action).

Les touristes ont été étonnés par la beauté de ces sites historiques (sens dérivé, verbe psy assimilé à un verbe d’action : le passage à la figure n’est pas toujours accompagné d’un changement de la préposition à : DE).

Ce mécanisme ingénieux a été conçu (+ imaginé) par un simple contremaître (verbe psy assimilé à un verbe d’action : noter le rapprochement sémantique du verbe créer (être créé par…)).

Ces détails sont souvent ignorés par nos dirigeants (verbe de connaissance assimilé à un verbe d’action).

(1’) verbes de sentiment et de connaissance : être aimé de, être adoré de, être haï de, être méprisé de, être respecté de, être estimé de, être apprécié de, … ; être compris de…

Il est aimé de tous.Il n’est pas compris de tous.

Elle est touchée de votre sympathie (emploi figuré : verbe de sentiment)

(2) Verbes d’action à agent concret (référence définie)

Le voleur fut saisi par la Police.Cet arbre a été frappé par la foudre. J’ai été accablée d’injures [complément de moyen !] par la foule déchaînée.Le pays a été submergé par l’ennemi.

(2’) Verbes d’action à agent abstrait (sans article ou à article indéfini) : être frappé d’étonnement, (+ de stupeur), être saisi de peur, être accablé de soucis (+ de remords, de honte), être submergé de pressentiments (+ de travail)…

L’enfant fut saisi de peur. Il fut saisi d’une peur panique156.Le prof a été frappé d’étonnement.J’étais submergé d’étranges pressentiments ;Nos employés étaient submergés de travail

(3) Verbes d’accompagnement dénotant une action intentionnelle, non habituelle, envisagée dans son unicité :

La petite fille est suivie par un clébard à l’air féroce.Le criminel sera accompagné par nos gendarmes jusqu’à la frontière.Elle était accompagnée par un jeune homme hirsute

(3’) Verbes d’accompagnement dénotant une situation habituelle :

Le chasseur est suivi de ses chiens.Elle était accompagnée de son mari.La réunion fut précédée d’une allocution du président.

(4) verbes d’état dont le participe passé garde entière sa valeur verbale : résultat d’une action antérieure (passif du résultat); pourtant, le passif n’étant pas processuel (et donc pas agentif), nous avons là des compléments instrumentaux plutôt que de vrais

(4’) verbes d’état dont le participe passé a (ou : acquiert) une valeur adjective (constructions attributives): complément instrumentaux plutôt que vrais compléments d’agent. Exemples :

156 Mais, dans ce cas-ci également, on peut dans certains contextes envisager l’agent abstrait comme une sorte d’agent concret, et employer par : saisi par une émotion irrésistible, par une curiosité violente, par un souvenir tout-puissant (Gobineau, apud Nouv. P. Rob. 2007).

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compléments d’agent. Exemples :

La villa du P-DG est entourée par des jardins à l’anglaise.Les cimes étaient couvertes par le manteau étincelant des neiges éternelles.

Question : PAR QUOI EST [part. passé] [sujet] ?

Mon jardin est entouré de haies.La terre est couverte de neige.La rue est bordée d’arbres.Le rideau est orné de fanfreluches.

Question : COMMENT EST [sujet] ?

Complément d’agent en à (passif du résultat): être rongé aux mites/ aux rats, être mangé aux vers, …Ce tapis était mangé aux mites.Le plancher était rongé aux rats.

3.4.1.2.3. Passif d’action (passif du procès) vs passif d’état (passif du résultat).

Critères sémantico-syntaxiques (tests distributionnels)

Action (procès)157 État (résultat)

1a. + EN … heures158 (durée : limites atteintes) + (Ces établissements ont été fermés en quelques heures)

__

1b. + PENDANT … heures (durée : intervalle ouvert) __ + (Ces établissements ont été fermés pendant quelques heures)159

2. + PUIS/ ENSUITE/ AUSSITÔT APRÈS (succession d’événements)

+ (Puis le phare est éteint.Aussitôt après les rideaux sont tirés)

__

3. + LENTEMENT, PEU À PEU, PROGRESSIVEMENT, VITE (manière : déroulement dans le temps)

+ (La porte est fermée lentement.La salle est peu à peu vidée.Le texte est lu rapidement.La maison est progressivement repeinte).

__

4. +ATTENTIVEMENT, À CONTRE-CŒUR (manière : caractère intentionnel de l’action)

+ (Le texte est lu attentivement.L’ordre est obéi à contre-cœur.)

__

5a. + complément d’agent exclusif de l’auxiliaire être à une forme perfective composée ou au passé simple

__ +(Le contrat d’achat est (était) paraphé par Julien Vasco

Nous nous sommes aperçus du premier coup d’œil que l’acceptation était biffée par quelqu’un d’autre que le tireur.

Vous constaterez que le bordereau de livraison est en effet émargé par votre

157 Verbes qui n’expriment jamais en français, au passif, le résultat (l’état) :

a) être caressé, être câliné, être cajolé, être secoué (au sens propre) 

b) abattre, assassiner, décapiter, exécuter, fusiller, guillotiner, pendre, tuer…Exemple : Napoléon faisait le bilan de la bataille : deux mille soldats français* étaient tués (ETAT ! OK morts : copule+adj)/ OK avaient été tués : ACTION !)

158 Tout autre intervalle de temps ferait l’affaire (en trois jours, en trois minutes etc.).159 Ce test discrimine les procès (+pendant…) des événements (+en…) - au sens de Vikner 1985 ; les verbes d’activité (+pendant…), des verbes d’accomplissement ou des verbes d’achèvement (+en…), au sens de Vendler 1967. Aussi n’y-a-t-il rien d’étonnant à ce qu’un tas de verbes qui acceptent pendant… ne se comportent-ils pas, au passif, comme des verbes d’état, mais comme des verbes d’activité ou de procès : être caressé, être câliné, être cajolé, être secoué ; être vu, être entendu, être regardé, être écouté, être ressenti…Exemples : L’enfant malade est caressé pendant quelques minutes afin qu’il s’endorme. L’étrange phénomène a été vu pendant quelques minutes.

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Page 45: Phrase-modalisee Cours2011 Version 19mai

représentant.

Cette pétition était manifestement écrite par un illettré.

Ce paysage était manifestement peint par un maître flamand du XVIIème siècle.

Nous avons constaté que ces demandes étaient effectivement approuvées par l’ANPE.

Cet arrangement floral est visiblement réalisé par un maître de l’ikebana.Le bordereau est émargé par notre représentant)160.

5b. + complément d’agent sans restrictions quant à la forme de l’auxiliaire (en particulier si aux formes interdites pour la lecture résultative)

+(Le contrat d’achat a(vait) été paraphé par Julien Vasco

Nous savons que l’acceptation avait été biffée par quelqu’un d’autre que le tireur.

Nous avons constaté que le bordereau de livraison n’avait en effet été émargé par votre représentant.

Ce paysage a été peint par un maître flamand du XVIIème siècle.

Nous avons constaté que ces demandes avaient été effectivement approuvées par l’ANPE. Cet arrangement floral a été réalisé par un maître de l’ikebana.

Le bordereau fut émargé par votre représentant).

__

6a. + déjà (verbe être à une forme simple non perfective)

__ + (La traite est (était) déjà avalisée)

6b. + déjà (verbe être à une forme composée perfective)

+ (La traite a (+ avait) déjà été avalisée).

__

160 Les verbes susceptibles d’emplois au passif d’état ou du résultat à vrai complément d’agent sont des verbes dénotant des actions telles que le fait que l’état résulte de l’action de X plutôt que de celle de Y ou de Z est pertinent (dans la pratique), et directement visible à partir du (dans le) résultat de cette action : il s’ensuit que l’entité qui subit l’action (ou qui en résulte) est nécessairement une chose concrète, un objet sur lequel l’agent aura laissé son empreinte :

être signé par, être paraphé par, être émargé par, être avalisé par, être biffé par, être approuvé par, être avisé favorablement/ défavorablement par, être accepté par [en parlant d’un effet de commerce ou d’un papier adinistratif], être écrit par, être fait par, être peint par, être réalisé par…

Ces verbes expriment, même en présence d’un complément d’agent, le résultat (l’état) si être est à une forme non perfective simple, seulement à autres paramètres égaux. Comparer : Les actes sont ensuite signés par les deux parties (action). / Les actes sont dûment signés par les deux parties (résultat).

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7. + VENIR DE + inf. + (La traite vient d’être avalisée).

__

3.4. 1.3. Le passif comme modalité de message161.

Rappelons que, du point de vue interprétatif (=sémantique au sens large), les modalités dites de message concernent toutes la hiérarchie informationnelle thème-rhème (ou : topique-commentaire).

À cet égard, le passif se caractérise par la topicalisatio-thématisation de l’argument subissant (réalisé, dans les phrases actives correspondantes, toutes choses égales par ailleurs, en position postverbale, comme objet grammatical162, et relevant du propos (rhème)) ainsi que par la dé-topicalisation-rhématisation de l’argument agissant (réalisé, dans les phrases actives correspondantes, toutes choses égales par ailleurs, en position initiale, comme sujet grammatical163 interprété comme thème).

L’analyse du passif est explicitement alignée, dans Aspects… , sur celle de la négation (type optionnel ou : forme de phrase, comme le passif), ainsi que sur celle des phrases interrogatives et impératives (types obligatoires), seulement du point de vue syntaxique (vs sémantique) : le passif serait lui aussi introduit par un marqueur dès la structure profonde, qui commandera ainsi une transformation obligatoire, à l’instar des marqueurs de force illocutionnaire. Visée théorique : éliminer les transformations facultatives autres que l’inversion stylistique.

Mais le passif continuera à être envisagé comme phénomène syntaxique sans retombées interprétatives sémantico-logiques, à l’instar de l’emphase : l’introduction précoce du marqueur de passif n’y est donc pas envisagée comme régie par le même principe que l’introduction dans la base de la grammaire des marqueurs de force illocutionnaires ou de négation (pour la mémoire : pas d’interprétation sémantique des structures superficielles, donc pas d’import sémantique des transformations) – cf. Chomsky 1971 (1965) : 181 [chap.3], note 3.

Structure profonde d’une phrase passive (Dubois & Dubois-Charlier 1970 : chap. XVI) :

Const + PConst Affir + Passif

Passif Aux être + SP passif

Aux être être [+V] + part passé [+aff]

SP passif Prép + SN passif

Affir + Aux être + Prép + SN passif + P Affir + être [+V] + part passé [+aff + Prép + SN passif + P

Maintenant : dans le texte même des Aspects… (Chomsky 1965 : 104-105), l’introduction du « marqueur de passif » en structure profonde n’est pas réalisée à la faveur d’une règle de réécriture qui place d’abord la ‘modalité’ en marge du noyau. L’introduction du morphème de passif est posée comme réalisée, dans la base (=structure profonde) à la faveur d’une règle de réécriture d’un adverbial de manière, constituant du groupe verbal :

Manière par passif.Tout en étant optionnel, ce constituant adverbial n’est pas complètement étranger à la sous-catégorisation par le verbe, puisque certains verbes y sont rébarbatifs – ceux-là précisément qui s’avèrent rébarbatifs à la passivation (les verbes dits « moyens »).

Comparer :

1a. La voiture pesait deux tonnes/ b. Jean pesa la lettre. 2a. *La voiture pesait deux tonnes lentement/ b. Jean pesa (lentement, attentivement, …) la lettre (lentement, attentivement, …).3a. *Deux tonnes sont pesées par la voiture/ b. La lettre fut pesée par Jean.164

Cette analyse rend compte du fait que la passivation peut aussi concerner des verbes sans complément d’objet direct (à l’actif), pourvu qu’ils sous-catégorisent un complément de manière – le sujet de surface de la phrase passive n’étant pas alors, en structure profonde, un Objet direct du verbe – en français, ces cas-là sont assez rares : Mes ordres seront obéis (comparer à : On obéira à mes ordres).

Transformations postulées dans la version standard du modèle GGT (Dubois & Dubois-Charlier 1970 : chap. XVI) :

161 Diathèse au sens de Muller 2005.162 SN complément direct (=sans préposition) du verbe, à Cas Accusatif assigné par celui-ci. 163 Sujet : SN à Cas Nominatif assigné par l’inflexion [+Temps], et commandant l’accord en nombre et en personne du verbe porteur de traits de temps (L’étudiant3sg ouvre3sg la porte/ Les étudiants3pl ouvrent3pl la porte), et l’accord en nombre et en gendre du participe passé des verbes conjugués aux temps perfectifs composés avec l’auxiliaire être (PaulMsg est entréMsg en classe/ MarieFsg est entréeFsg en classe) ainsi que de l’adjectif attribut du sujet (MarieFsg est intelligente Fsg).164 Exemples de base empruntés à Chomsky 1971 : 146 [chap. 2], développement des tests de notre main.

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Page 47: Phrase-modalisee Cours2011 Version 19mai

3 déplacements à droite (= ‘descente’ dans l’arbre) :

(1) Aux être sera déplacé de sous Const, sous le noyau, à droite de Aux (cette transformation rendant compte de ce que le verbe être va porter les marques de temps de la phrase, le verbe conjugué V étant, lui, mis au participe passé).(2) SP passif sera déplacé après l’objet direct du verbe (SN2) – en tant que constituant du GV.

(À cette étape, le groupe verbal est constitué du verbe, du syntagme nominal objet direct et du SP passif ).

(3) SN sujet se substitue à SN passif, sous le SP passif.

1 déplacement à gauche (montée) :(4) SN objet profond se substituera à la position, désormais vide, du SN sujet profond (préalablement déplacé sous SP passif (3).

Les versions plus récentes du modèle limiteront de manière très stricte les transformations entendues comme légitimes en syntaxe noyau (déplacements de droite à gauche et du bas vers le haut, dans le sens de génération des structures arborescentes). L’analyse du passif sera remaniée en conséquence.

3.4. 2. Préalables théoriques. Cas syntaxiques et rôles sémantiques.

Les versions ultérieures du modèle GG formuleront la distinction de principe entre Cas syntaxique, d’une part, et rôle sémantique (thématique), de l’autre.

Le Cas syntaxique doit être interprété (‘lu’) en morphologie flexionnelle, dans la computation périphérique vers la Forme Phonologique, où il sera ‘traduit’ à un ‘cas [initiale minuscule !] morphologique’ –son réalisateur superficiel:

- flexion nominale (affixe flexionnel, comme en latin ou en roumain, langues à flexion nominale riche (déclinaison) ; il en va de même en français pour les pronoms personnels (clitiques), qui ont des formes de nominatif (je/ tu/ il, elle/ nous/ vous/ ils, elles) distinctes de leurs formes obliques (me/te (accusatif, datif), le, la/ lui, les/leur (accusatif/ datif), y (locatif), en (ablatif))) ;

- ou bien préfixe casuel (préposition) :

4a. Je penserai à ce que vous venez de me dire (préposition = simple préfixe casuel)/ b. J’y penserai (flexion))

Le rôle thématique est lexicalement associé, lui, au verbe en tant que prédicat sémantique165 : c’est un rôle sémantique ayant la particularité saillante de devoir être réalisé en syntaxe par un argument du verbe (syntagme nominal, prépositionnel ou adverbial introduits en syntaxe en tant que compléments ou spécifieurs du verbe). Du fait qu’il est assigné par une tête lexicale substantive (=douée de traits sémantiques purs), le rôle thématique est encore appelé rôle- (lisez : têta).Les rôles thématiques assignés par la tête verbale seraient ainsi spécifiés explicitement dans l’entrée lexicale du verbe, en sus de ses traits sémantiques purs (en marge de la matrice conceptuelle du verbe), sous forme de « liste » : grille thématique (appelée aussi -grille).

L’inventaire des rôles thématiques varie au gré des linguistes, mais, en général, on reprend, dans le cadre générativiste chomskyen, l’inventaire des Cas sémantiques des grammaires casuelles (sémantique générative) :

- <Thème> (argument qui ne peut manquer : tout verbe en a un) : participant non agissant au procès.

Plutôt que de distinguer - <Agent> : participant agissant au procès, nécessairement [+animé]- <Force> : causateur non animé,on parlera de

- <Causateur> (neutralisation de la distinction animé/ non animé, reléguée aux distinctions/ sélections sémantiques fines, étoffées, non argumentales (rôles sémantiques sans contrepartie structurale et morphologique distincte).

- <Instrument>

- Arguments locatifs : <Lieu>, <Source>, <But> (<Cible>)…

La question se pose de savoir si oui ou non il y a lieu de distinguer matrice conceptuelle du verbe et grille de rôles thématiques.

165 De fait, tout prédicat sémantique ayant des arguments obligatoires en syntaxe est censé se voir associer de tels rôles dès l’entrée lexicale.

Un adjectif comme conforme (Ce clause contractuelle n’est pas conforme à la législation en vigueur) aura ainsi un argument <Thème> (le syntagme nominal dont il sera prédiqué : cette clause contractuelle), et un argument <Repère> (à la législation en vigueur). De même, l’argument interne d’une tête substantive P (préposition) se voit assigner à la fois un Cas syntaxique et un rôle sémantique par cette préposition (ce pourquoi les PP peuvent ne pas être sélectionnés par le verbe, et fonctionner comme compléments de phrase : À Paris j’ai appris à jouer du pipeau).

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Hale & Keiser 1993 : approche configurationnelle aux rôles thématiques (vs liste de rôles).

- La sémantique lexicale du verbe serait par hypothèse (dès le lexique) configurationnelle (iconicité des représentations syntaxiques relativement aux représentations sémantiques ‘pures’).

L’approche configurationnelle à l’encodage lexical (vs à l’assignation) des rôles thématiques, que défendent Hale et Keyser 1993, explore les implications et tire les dernières conséquences de l’option théorique selon laquelle la « –grille » du prédicat est projetée en syntaxe.

À partir du constat qu’à la fois les rôles thématiques possibles, les catégories substantives (N, V, A, P) et les relations syntaxiques à une tête (Spec1 H /Compl1 H) définissent des inventaires fermés, Hale et Keyser 1993 formulent l’hypothèse que les rôles thématiques sont en fait des dérivés de relations syntaxiques (lexicales) – le caractère limité de l’inventaire des rôles- s’expliquant par l’inventaire fermé des catégories substantives et des relations structurales possibles, et l’expression configurationnelle des rôles- étant régie par les principes de Projection non ambiguë, de Pleine Interprétation et de Prédication.Les catégories substantives (N, V, A, P) sont associées à des « types notionnels (ou : contenus notionnels) élémentaires »166 : CAT : V /« événement (ou peut-être événement dynamique) »167 (notation : e), CAT : A / « état » (notation : s (state angl.)), CAT : P /« (inter)relation », CAT : N / « n » (notation du type notionnel associé à la catégorie N – « quel qu’il soit, de fait » cf. Hale et Keyser 1993 : 69). Mêmes les verbes « superficiellement mono-morphémiques » sont lexicalement syntagmatiques (phrasal angl.), en ce sens qu’ils possèdent une structure qui est syntaxique, satisfaisant les conditions de Projection non ambiguë et de Pleine Interprétation (cf. Hale et Keyser 1993 : 96).Cette structure, la structure relationnelle lexicale du verbe (sa LRS), exprime univoquement la « -grille » de celui-ci. L’entrée lexicale du verbe est en fait sa LRS, et sera introduite dans la dérivation s-syntaxique en tant que catégorie syntagmatique complexe (visibilité de la LRS en syntaxe-s et à l’interface LF) – cf. idem, p. 95.Du coup, le glissement est fait d’une approche de la -théorie en tant que module indépendant ((partiellement) autonome) de la grammaire, à une approche interprétative des rôles thématiques : à la notion d’assignation de rôle- se substitue celle d’expression des rôles– et donc d’interprétation argumentale (à l’interface de FL)168.

L’interprétation argumentale est l’interprétation des relations structurales lexicales du verbe.

La LRS d’un verbe transitif V qui n’a qu’un seul argument interne sera :

[vP v [VP V e]]où e est une position vide à laquelle, en vertu des principes de Pleine Interprétation et de Prédication, seul un syntagme nominal pourra être fusionné (puisque V n’a pas de Spec).Notons que nous nous éloignons ici de la lettre de Hale et Keyser 1993, qui suggèrent que cette position vide soit « étiquetée » d’entrée de jeu (comme il en allait, dans l’approche TSE en général, des positions de substitution – mais cette hypothèse a largement été abandonnée in Chomsky 1995: chap.4). En matière de LRS, l’étiquetage de la position vide est redondant en regard des principes de Pleine Interprétation, et reviendrait en fait à récupérer l’hypothèse des sous-catégorisations (des relations de sélection-c) à expression lexicale directe.

La LRS du verbe est interprétée en termes des configurations instanciées et des « contenus notionnels élémentaires » associés aux traits catégoriels (ni les TSPs (traits sémantiques purs) des items, ni les autres traits formels FF(CAT) ne sont directement pertinents) : une configuration V-VP (v-VP, dans la notation Chomsky 1995 : chap. 4), interprétée comme (e1e2) exprime le rôle argumental externe (n>(e1e2)) de CAUSATEUR169 (Agent ou Force)170 ; une configuration V - NP (ou DP), interprétée (en) (un événement crée ou modifie une entité) exprime le rôle- interne <THÈME>, une configuration [VPNP[V’V PP]], interprétée n>(er), exprime le rôle- <THÈME> (= sujet de l’interrelation que [CAT : P] exprime, sujet d’un « prédicat de changement »), et un « rôle interrelationnel » <BUT>, <SOURCE> ou <LIEU>.

Les verbes inergatifs sont des verbes transitifs cachés qui incorporent leur argument interne, des « dénominaux »171 (donnée lexicale – cf. Hale et Keyser, art. cit., p.73).

166 Cette notion est très proche de la CSR (Canonical Structural Realization) qu’introduit, dans une perspective d’acquisition du langage (par l’enfant), Grimshaw 1981 : la réalisation structurale canonique d’un objet physique est N, celle d’une action est V, etc.167 Nous avons cité ici Hale et Keyser 1993. En regard du classement sémantique des verbes de Vendler (1967), par exemple, la notion d’ « événement dynamique » est redondante (les événements (vs situations) étant entendus, dans ce classement, comme dynamiques par définition).168 « Il n’y a pas de mécanismes linguistiques spécifiques à la structure argumentale. Par exemple, il n’y a aucun processus d’ « assignation de rôle thématique » distinct de la prédication; et il n’y a pas de « rôles thématiques » si ce n’est en tant que relations lexicales exprimées par des projections non ambiguës et pleinement interprétées de catégories lexicales élémentaires ». (Hale et Keyser, art. cit. pp. 93-94 – n. trad.)169

La philosophie du « verbe léger » est loin d’être la même, dans la dernière version de la GGT chomskyenne (programme minimaliste toujours – dérivation par phases), mais cela émarge les visées de ce cours.170 Dans l’hypothèse configurationnelle, la distinction sémantique Agent /Force ne peut être faite en tant que distinction argumentale. 171 Le patron de lexicalisation de tels verbes dérivés est appelé « conflation ».

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Chomsky 1995 (chap.4) reprend explicitement à son compte l’idée d’approche configurationnelle à l’expression/ interprétation des rôles thématiques, mais il n’est pas clair s’il étend cette hypothèse à la sémantique du verbe en général, ou s’il veut plutôt dire que :

- la matrice conceptuelle du verbe consisterait dans un faisceau (liste) de traits, dont certains, exprimant la sélection d’arguments thématiques, auraient une contrepartie configurationnelle obligée, en syntaxe.

Quoi qu’il en soit, les rôles thématiques et la structure argumentale qui les porte/ exprime constituent le noyau dur de la structure profonde de la phrase (structure-D) : la proposition minimale (entité sémantico-logique) en-deçà de l’ancrage temporel (=relations de prédication essentielle).

Parmi les Cas syntaxiques, certains ont surtout un effet sur la structure de surface (ordre des mots) : ces Cas sont appelés structuraux. Ils sont assignés dans des configurations syntaxiques dérivées (à la faveur de transformations : structure-S (structure de surface)).

D’autres seront directement ‘traduits’ en Forme Logique à un rôle thématique : ces Cas, assignés par une tête lexicale à son régime (argument sélectionné morphologiquement) dès la structure-D (structure profonde), sont appelés inhérents.

Cas inhérents : cas Obliques (assignés par les verbes, les prépositions ou par certains adjectifs).Cas structuraux : Nominatif (assigné par T) et Accusatif (assigné par un verbe transitif).

3.4.3. Révision de l’analyse syntaxique du passif.

Première question : est-ce le passif qui perd un argument, ou l’actif qui en gagne un (pour les verbes transitifs directs en particulier) ?L’analyse traditionnelle dérive le passif, comme cas marqué, de l’actif, cas de figure neutre, non marqué. Telle a été aussi l’analyse GGT standard.

Le passif perd un argument (l’argument le plus saillant de l’actif) : - absorption de l’argument externe du verbe transitif, par la morphologie passive (l’argument

n’est pas vraiment rayé de la grille thématique du verbe, mais il perd de sa saillance, ne pouvant plus être lexicalisé comme sujet, mais pouvant, et, dans certains cas même devant être lexicalisé en tant que Complément prépositionnel ; corrélativement, le verbe perd l’aptitude à assigner le Cas structural Accusatif à son argument interne. Données empiriques en faveur de cette analyse : même en l’absence d’un AGENT lexicalisé, ce rôle reste accessible (à référence certes indéfinie, arbitraire : Son portefeuille a été volé implicite un (quelconque) voleur – cf. Hirschbühler & Labelle 1992 (1994) : 209-211). Sous cette analyse, comme le complément interne du verbe passif ne reçoit plus de Cas Structural du verbe (privé, au passif, de son aptitude à assigner l’Accusatif), il devra en acquérir un auprès de T, ce qui en motivera le déplacement à la position d’assignation casuelle Spec,T (position de sujet).

A intégrer maintenant les suggestions de la référence citée (analyse qui résout en syntaxe la dérivation du passif à partir d’une même tête verbale que celle qui projette la LRS active (causative), à la modélisation de Hale & Keyser 1993, la position de Spec,v serait vide (ce qui, sous la lecture forte, voudrait dire qu’il n’y aurait pas de Spec,v, bien que la sémantique de causation et donc la configuration v-VP subsisterait – ce qui ne laisse pas d’avoir l’air contradictoire). Sous la lecture littérale, cela reviendrait à postuler une catégorie vide à cette position thématique (et non pas une simple position de substitution, mais une sorte de PRO à référence arbitraire). Le passif dit agentif (passif d’action ou du procès) étant censé préserver la représentation de l’action, y compris la représentation d’actions en cours, le syntagme verbal devrait être configurationnellement identique à l’occurrence active, à l’impossibilité d’insérer un argument externe épelé près.

Ce qui est peu clair (pour moi) dans cette analyse, c’est comment le verbe pourrait avoir la même sémantique causative, en dépit des modifications de saillance relative des arguments qui correspondent aux participants agissant et subissant du procès. Question corrélative : quel est le patron exact de cette perte de saillance de l’agent ? Si réanalyse sémantique il y a, au niveau de la tête V, il faudrait bien postuler une nouvelle entrée lexicale. Si la réanalyse ne concerne que les structures syntaxiques, comment le principe de projection (des propriétés lexicales du verbe, en syntaxe) sera-t-il satisfait ?

Une solution consistante avec la modélisation de la GG reviendra alors à envisager le verbe V comme au demeurant sous-déterminé (les TSP du verbe coderaient pour le résultat de l’action), et obtenir compositionnellement, dans certaines phrases, une configuration transitive(-causative), à argument externe introduit auprès d’une tête légère de causation, et dans d’autres, une configuration passive simple VP, éventuellement intégrée dans une structure de prédication optionnelle agentive (« FP » = CAUSE (DE), qui introduit le complément d’agent (=Causateur) en tant que prédicat optionnel, auprès du VP - dans la veine des analyses cartographiques de G. Cinque).

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Les verbes causatifs (et, par extension, tous les transitifs) se laissent en effet analyser comme un cas de ‘Y fait en sorte que X devient V-é’ où V note informellement la racine verbale, et V-é le participe passé du verbe substantif. Dans les termes de Muller 2005 : « Pour une phrase active comme Pierre mange le gâteau, il y a en quelque sorte deux propositions enchâssées l’une dans l’autre « Pierre fait en sorte que le gâteau devient mangé », et si on veut être complet, on doit y ajouter la simple relation de l’action en cours : « il y a action de manger » » (art. cit., 79-80).

C’est dans ce sens qu’il faut entendre la sémantique de la configuration v-VP selon l’approche configurationnelle au codage des rôles thématiques (Hale & Keyser 1993). Cela étant, l’l’hypothèse peut être formulée selon laquelle c’est plutôt l’actif qui est construit, de façon incrémentielle, éventuellement en syntaxe, à partir du passif, et d’une structure de causation, représentée par le verbe léger (dans l’esprit de Pylkkänen 2008172 : 6-7, qui reprend à cet égard l’argument de Kratzer 1996173, chez qui le verbe léger est explicitement envisagé comme catégorie fonctionnelle de voix).

3.5. Les phrases impersonnelles.

3.5.1. Mécanisme fonctionnel allégué : dé-topicalisation du sujet, caractère focal (rhématique) de toutes les expressions argumentales de la phrase. Conséquence logico-sémantique (interprétative) : phrase « thétique ».

Phrase thétique : ■ Sert à : rapporter un événement (il est arrivé plusieurs accidents), présenter un nouvel état de chose (il court de drôles de bruits, il règne un silence de mort), ou introduire un nouveau référent (il en sort du pétrole).■ Le référent du terme sujet (si le sujet est un argument nominal : il est arrivé trois étudiants) est traité comme étant une partie intégrante de la situation désignée par la proposition dans son entier ; le sujet nominal ne réfère pas de façon indépendante, n’étant pas lié au contexte (vs L’amphi était pour le moment vide. Les étudiants [sujet référentiel, défini contextuellement : les étudiants de la fac à l’amphi précédemment introduit dans le discours] allaient arriver d’un moment à l’autre) ni anaphorique (vs Il est arrivé trois étudiants ; ←ils [sujet référentiel, anaphorique] avaient l’air désemparés).■ Est dépourvue de présuppositions : la proposition dans son ensemble, y compris l’argument sujet, se retrouve dans le champ de l’assertion.

« À partir des mêmes relations prototypiques [définies pour l’appréhension des phrases catégoriques à verbe actif transitif : agent-action verbale, patient-action verbale, existence de l’action verbale même], l’impersonnel met au premier plan l’action verbale sans autre modification, évitant ainsi la topicalisation du sujet » (Muller 2005 : 80).

■ Toutes les phrases impersonnelles sont thétiques, toutes les phrases thétiques ne sont pas impersonnelles : Des enfants étaient en train de jouer dans la cour, Un enfant était en train de jouer dans la cour, De l’eau dégoulinait sur le plancher sont également des phrases existentielles (thétiques) caractérisées ; noter :

le sujet indéfini (Les enfants étaient en train de jouer dans la cour est une phrase catégorique, à sujet thématique qui réfère de façon indépendante),

les prédicats qui ne se prêtent pas à l’interprétation [+propriété] (comparer : *Des enfants étaient intelligents dans la cour, *Un enfant était intelligent dans la cour),

les formes verbales qui barrent l’interprétation générique sur le sujet (imparfait et forme progressive vs présent) : Un enfant joue dans la cour est toujours susceptible de lecture générique du type de « un enfant, ça doit jouer dans la cour, pas à l’intérieur », et la lecture générique est un cas d’interprétation catégorique (à sujet thématique) vs thétique,

la présence d’un localisateur spatial (en gras dans les exemples donnés), en l’absence duquel les phrases sont peu acceptables, sauf lecture partitive (elle-même conditionnée à un contexte contrastif, d’habitude) : Des (= « certains des ») enfants étaient en train de jouer, d’autres dormaient.

Cf. Dobrovie-Sorin, C. (1997) – « Classes de prédicats, distribution des indéfinis et la distinction thétique-catégorique », Le Gré des Langues, Paris : L’Harmatan.

Types de verbes :

172 Pylkkänen, Liina (2008) – Introducing Arguments, Cambidge Masachussetts, London, England : MIT Press.173 Kratzer, Angelika (1996) – « Severing the external argument from its verb”. In Johan Rooryck and Laurie Zaring, eds., Phrase structure and the lexicon, 109-137. Dordrecht: Kluwer.

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a. transitifs directs : Il mange chaque jour une centaine de personnes dans cette cantine/ Voix active : Une centaine de personnes mange chaque jour dans cette cantine. Construction assez rare en français.

b. di-transitifs : #__c. transitifs indirects : # __.

d. intransitifs : 1. inergatifs : #__2. inaccusatifs : Il est arrivé trois nouveaux étudiants.

Construction :

IL impersonnel fonction sujet (Cas Nominatif, accord du verbe), dépourvu de valeur référentielle (pronom explétif) + verbe (accordé avec il) + SN argumental (« associé de l’explétif » : sujet logique)

Sujet (argumental – à rôle thématique non agentif, si verbe intransitif, agentif, si verbe transitif) en position postverbale, rhématique.

Position de complément direct, mais comportement morpho-syntaxique modifié, puisque, de toute évidence non accusatif (pronominalisation par le/ la/ les exclue):

Il t’est arrivé un malheur. *Il te l’est arrivé. (Muller 2005 : 80)

Ce syntagme nominal ne commandant pas l’accord des formes verbales non plus, l’hypothèse du Cas Nominatif (assigné par T) est elle aussi problématique.

Sujet nominal : le plus souvent indéfini ou négatif (Il y a des livres sur la table, Il n’est entré aucun étudiant dans l’amphi jusqu’à présent).

Sujet clausal : proposition subordonnée (finie : il vaut mieux que tu finisses tes devoirs avant l’examen, ou non finie : il vaudrait mieux finir ses devoirs avant l’examen)

Il y a, il faut, il manque, il reste + Nom propre ou SN défini, partitif (et non seulement : indéfini ou négatif):

Il y avait là Marie Dupont/ le pavillon de chasse/ du verglas/ (quelques arbres).Pour résoudre cette difficulté, il faudrait Paul Dupont/ le professeur/ du temps/ (un dictionnaire).Il manque l’essentiel/ la clé174.

Corrélations systématiques forme personnelle/ forme impersonnelle : conditionnées à certains facteurs sémantico-pragmatiques.

Il court de drôles de bruits (en ville). De drôles de bruits courent en ville. ( ? De drôles de bruits courent).

Il est arrivé un malheur/ trois étudiants. Un malheur est arrivé chez les Dupont. Trois nouveaux étudiants sont arrivés chez les Dupont.

3.5.2. Passif impersonnel

I. Construction : Il impersonnel (explétif impur : Nominatif, accord 3sg masc.) + être (auxiliaire de voix : traits TAM qui donnent l’ancrage temporel de la proposition) + verbe au participe passé accordé avec il en genre et en nombre : m. sg. : événement dénoté) + GN (généralement indéfini175) à valeur référentielle (associé de l’explétif : interprétation argumentale : entité qui subit (patient), statut fonctionnel informationnel/ discursif : rhématique). Complément d’agent rarissime : Il a été décidé des choses très importantes par le Conseil de l’Université (Muller 2005 : 80).

II. Types de verbes : b. transitifs directs : Il a été promulgué deux nouvelles lois/ On a promulgué deux nouvelles

lois.c. di-transitifs : Il nous a été dit beaucoup de choses désagréables./ On nous a dit beaucoup de

choses désagréablesd. transitifs indirects : Il sera obéi à mes ordres/ On obéira à mes ordres. Il sera remédié à cet

incident dans les meilleurs délais [circonstanciel nécessaire à la complétude pragmatique de l’énoncé176]/ On remédiera à cet incident dans les meilleurs délais. Construction sans associé de l’explétif.

174 Hanse 1991 : 501.175 Quand le sujet réel du passif impersonnel est un objet unique en son genre (dans une situation donnée), un GN défini reste possible : Personne ne sort ! Il a été volé le portefeuille de Marie (Marie n’ayant eu qu’un seul portefeuille sur elle). Rassurez-vous : il ne leur a pas été dévoilé le montant exact de votre dette (il n’y a qu’un seul montant qui soit ‘exact’).176 Exemple et commentaire emprunté à Muller 2005 – « peut-être pour des raisons pragmatiques de localisation de l’action verbale » (Muller 2005 : 80).

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e. intransitifs : 1. inergatifs : Il a été dansé toute la nuit./ On a dansé toute la nuit.

Construction sans associé de l’explétif.2. inaccusatifs177 : ___.

177. Verbes qui expriment le changement de place (Je suis allée à la fac, Elle est venue de Londres, etc ) ou d’état (Je suis devenue prof de français).

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